De même que "l’Élysée" est synonyme de Présidence de la République, "place Beauvau" fait spontanément penser à ministère de l'Intérieur. Pourtant, bien qu'âgé de deux cents ans environ, l'hôtel Beauvau n'est le siège du ministère que depuis un peu plus d'un siècle. Un avocat au parlement de Paris, Armand Gaston Camus (1740-1804), fut à l'origine du bâtiment. En 1729, semble-t-il, son père Pierre, procureur au Parlement, avait acquis un grand terrain à proximité de l'hôtel d'Evreux, aujourd'hui Palais de l’Élysée.
Après la mort de Pierre Camus, Armand Gaston consentit, en juillet 1768, un bail à vie au maréchal de Beauvau (1720-1793). Camus s'engageait en outre à construire sur le domaine un grand hôtel particulier. Selon toute probabilité, c'est à Nicolas Le Camus de Mézières, architecte de la Halle au blé, qu'Armand Gaston Camus fit appel. En 1770, le gros œuvre était achevé. Un péristyle dorique flanqué de deux pavillons d'entrée en arcades ouvrait sur le corps de logis principal, "haut d'un rez-de-chaussée et de deux étages carrés avec combles au-dessus".
Charles-Just de Beauvau avait commandé l'ouvrage par amour pour sa seconde épouse, Marie-Charlotte de Rohan-Chabot. Né à Lunéville en 1720, le prince s'était illustré sur les champs de bataille avant de devenir gouverneur du Languedoc. Élu à l'Académie française en 1771 bien qu'il n'ait quasiment rien écrit, il s'entoura d'un cercle de littérateurs parmi lesquels Jean Devaines, ami de Turgot, l'écrivain Jean-François Marmontel, et un proche de Necker et de Voltaire, le poète Saint Lambert, accompagné de la comtesse d'Houdetot, ancienne égérie de Jean-Jacques Rousseau.
Le chevalier de Boufflers, neveu du maréchal, anima longtemps le salon des Beauvau. Nommé gouverneur du Sénégal sur la recommandation de son oncle, de Boufflers ramena de cette colonie une adorable petite Africaine, née de parents inconnus, Ourika, qu'il confia à l'affection de sa tante. Enfant gâtée, Ourika égaya de ses rires la maison. Partisan des réformes, le prince de Beauvau ne fut pas inquiété par les révolutionnaires malgré la chute de la royauté. Sa mort en 1793 laissa une veuve inconsolable qui quitta l'hôtel et en résilia le bail en février 1795.
Un temps occupé par les autorités municipales, l'hôtel Beauvau fut racheté par les époux Besse en 1795, puis, en 1807, par le général Pierre Dupont de l'Etang, futur ministre de la guerre de Louis XVIII. Sa veuve revendit la demeure au banquier César-Ernest André en 1856, un an avant qu'il ne soit élu député du Gard. André fit luxueusement restaurer par l'architecte Jean-Baptiste Pigny le bâtiment et acquit un terrain attenant au jardin de l'hôtel.
En 1859, lorsqu'André cèda à L’État sa propriété, elle constituait un ensemble de 6 962 m2, avec entrée place Beauvau, 7 rue des Saussaies et 41 rue Ville l'Evêque. L'éphémère ministère de l'Algérie, créé spécialement par Napoléon III pour son cousin Jérôme s'y installa. Mais à peine Pigny, maintenu en fonction à Beauvau, avait-il réaménagé les locaux pour le ministre et son cabinet, que le gouvernement général de l'Algérie fut rétabli, à Alger même, en novembre 1860. En février 1861, l'immeuble fut affecté au ministère de l'Intérieur, à l'époque logé dans l'hôtel de Conti, moins spacieux.
Le cœur du dispositif administratif se rapprochait de la tête de l’État, l’Élysée. Succédant au secrétariat d'Etat à la maison du roi en 1790, le ministère de l'Intérieur résidait primitivement au Louvre.