29.06.2006 - Rencontre avec les forces vives de la Guyane

29 juin 2006

Intervention de M.Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, à Cayenne, lors de son déplacement en Guyane.


Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous, cet après-midi, au sein de la Chambre de commerce et d'industrie de la Guyane dont je tiens à saluer le dynamique Président. J'ai souhaité vous rencontrer, en tant que Ministre de l'Aménagement du territoire, parce je suis certain que nous avons des choses à nous dire.

Sans nier aucune des difficultés auxquelles nous sommes confrontés en matière de sécurité,  je veux dire à tous ceux qui nous écoutent que la Guyane ne se résume pas aux images de sites d'orpaillage clandestin et aux problèmes d'immigration irrégulière.

La Guyane, c'est le plus grand département français, fort d'une jeunesse et d'une richesse écologique sans égal, dont l'économie est naissante ! La Guyane, c'est aussi le centre spatial de Kourou, formidable outil technologique!

Lorsque l'on parle de l'outre-mer, il est de bon ton de dire « que l'outre-mer est une chance pour la France et une chance pour l'Europe » sans savoir toujours ce que l'on entend précisément par là… Le centre spatial de la Guyane est un exemple, parmi d'autres, de  ce que qu'apporte l'outre-mer à la métropole. Disons les choses comme elles sont : sans la Guyane, la France et, à travers elle, l'Europe, n'auraient pas pu mener une politique spatiale aussi ambitieuse. Sans la Guyane, la France et l'Europe ne seraient pas l'une des grandes puissances spatiales du globe ! Et l'arrivée du lanceur russe « Soyouz » témoigne encore du dynamisme de ce secteur…

Mais la Guyane ne se résume pas à cette activité spatiale très « spectaculaire ». La Guyane du quotidien se construit autour de projets très différents, plus modestes, mais fondamentaux comme le nouveau port de pêche de Sinnamary pour lequel des crédits européens ont été mobilisés et dans lequel l'Etat s'est totalement investi aux côtés du maire. La Guyane, c'est tout cela : l'ultra moderne et le traditionnel, la nature à l'état sauvage et la haute technologie, une terre de contrastes et de démesure où tout est possible pour qui veut réellement relever les défis du temps présent.

Ce sont de ces défis dont je suis venu vous parler. A mes yeux, le cas de la Guyane est tout à fait singulier. L'économie de la Guyane, contrairement à celle des autres DOM, n'est pas une économie de transition qu'il faudrait consolider. En Guyane, c'est à une véritable construction des bases économiques qu'il faut s'atteler. Je ne dis pas que rien n'a été fait jusqu'à présent. Bien au contraire, je tiens à saluer l'énergie de tous ceux - qu'ils soient chefs d'entreprises, représentants des chambres consulaires ou élus - qui se sont engagés dans la voie du développement sans tabou et en assumant les risques sur cette terre difficile. Je dis simplement que la situation actuelle n'est pas satisfaisante.

Avec environ 25% de chômeurs, la Guyane est dans une situation très tendue. Elle a le plus faible taux de croissance des DOM et, ce qui est plus grave encore, c'est qu'elle est la seule Région ultra périphérique d'Europe où le PIB/habitant a baissé depuis 1995, de 8,2 % en l'occurrence !

Les causes de ces difficultés, vous et moi les connaissons. Je ne pense pas qu'il faille un énième rapport d'analyse sur le sujet. Le territoire, grand comme le Portugal, est difficile d'accès et peu aménagé, la démographique est explosive avec une hausse de 3,6%/an, qui doublera la population en 20 ans. Même si la croissance économique existe, elle a du mal à suivre. De fait, le poids du secteur public reste très important et l'initiative privée n'est pas aussi développée qu'ailleurs.

Alors que faire ? Je crois qu'il ne faut pas se raconter d'histoires. Les Guyanais en ont trop entendu. Il faut faire preuve de pragmatisme en s'attaquant au problème de tous côtés : par une politique d'aide publique à la Guyane plus ciblée, pour une plus grande place laissée à l'initiative privée et, bien sûr, par la garantie d'un cadre sécurisé nécessaire à toute activité économique.

En Guyane, plus qu'ailleurs, la solidarité nationale prend tout son sens. Tout observateur peut constater qu'en zone urbaine, comme en forêt, un certain nombre d'infrastructures font encore défaut. A l'évidence, les fondamentaux que sont l'éducation, la santé publique ou les infrastructures de communication sont encore bien fragiles et ne permettent pas d'asseoir un réel développement économique. Pour moi, il ne s'agit pas de prétendre hypocritement à un « rattrapage » avec la métropole dont nous sommes, de toute façon, bien loin. Il s'agit de donner une chance réelle aux Guyanais d'être les acteurs de leur propre développement.

Pour cela, il faut que l'effort fourni soit collectif et durable. Les plans de « rattrapage » sont une chose mais leur objet même révèle leurs limites. Il faut aujourd'hui que nous nous inscrivions dans la durée vis-à-vis de la Guyane.

Les efforts récemment consentis ont été significatifs. Je pense notamment au « Plan d'action pour la Guyane », présenté au début du mois, au nom du gouvernement, par mon collègue Léon Bertrand. Ce plan de 152 millions d'euros représente une marque réelle de la solidarité nationale, surtout dans le cadre des fortes contraintes budgétaires actuelles. J'ai bien entendu un certain nombre de critiques comme celle consistant à dire que ces mesures étaient déjà acquises et que les opérations ciblées ne sont pas réellement nouvelles. Il est vrai que ce plan constitue une charnière entre deux programmations ; il est donc normal qu'un certain nombre de mesures aient été pré identifiées, cela ne veut pas dire qu'il ne s'agisse pas de mesures nouvelles.

L'effort est, en tout état de cause, appréciable. Qu'il ne soit pas suffisant par rapport à tous les enjeux identifiés est une autre question. Ce n'est d'ailleurs pas un plan ponctuel, aussi bien bâti soit-il, qui règlera durablement les problèmes structurels de la Guyane. Et, en matière de plans, les Guyanais s'y connaissent : le « plan vert » de 1975, le « plan Phèdre » de 1988, le « plan Maroni » de 1991 et de 1996,…

Aujourd'hui, l'effort qui vient d'être réalisé se conjugue avec la récente décision du gouvernement de privilégier la Guyane dans la répartition de l'enveloppe des fonds structurels européens, accrue de 89 millions par apport à la période précédente.

Nous allons en effet mettre en place, en 2006, une programmation stratégique essentielle pour la Guyane : le contrat de projet entre l'État et la région, ainsi que le programme opérationnel d'utilisation des fonds européens. Je peux d'ores et déjà vous annoncer que la Guyane aura la dotation la plus élevée de France par habitant dans les prochains contrat de projet État régions : sans compter la rénovation urbaine, ce sera 627 € par habitant, soit quatre fois la moyenne nationale. Ces sommes s'ajoutent aux investissements engagés par l'Etat, hors contrat de plan, d'un montant bien supérieur. Les crédits d'Etat s'additionneront eux-mêmes à plus de 400 millions d'euros de fonds européens.

Ces investissements sont, aujourd'hui, absolument indispensables au développement de la Guyane et doivent faire l'objet de choix stratégiques réfléchis. J'y veillerai en tant que Ministre de l'Aménagement du territoire, et je veux vous livrer aujourd'hui ma vision des choses.

La Guyane présente des traits tout à fait exceptionnels. Sa croissance démographique exceptionnelle, sa superficie, l'état de ses infrastructures obligent à penser une politique d'aménagement totalement différente et proprement guyanaise. Pour ma part, j'identifie deux priorités simples : donner à tous accès aux infrastructures de base nécessaires pour vivre, étudier et travailler dignement ; mener les chantiers clés du développement économique. Je sais que d'autres priorités seraient possibles, voire légitimes, mais les besoins sont tels en Guyane qu'il faut agir vite et fort. Et on ne peut le faire qu'en concentrant l'effort sur des objectifs majeurs et peu nombreux.

En matière d'infrastructures de base, je voudrais d'abord tordre le cou à une angoisse injustifiée. Je sais que la Commission européenne a demandé que 60 % des fonds européens aillent à la « stratégie de Lisbonne », c'est-à-dire à l'innovation et à la compétitivité. Pour les autres DOM, c'est un choix pertinent. Pour la Guyane, je crois qu'il faut assouplir cette contrainte, sans pour autant délaisser les thématiques de Lisbonne. Je crois que la Commission est ouverte à une approche pragmatique à ce sujet, mais je serai très clair sur ce point avec Danuta HÜBNER, la commissaire à la politique régionale. J'ai déjà obtenu en mars dernier que le Cadre stratégique français pour les fonds européens mentionne explicitement des priorités fondamentales en Guyane que sont l'aménagement urbain et le désenclavement. Et j'ai décidé que le fonds national d'aménagement du territoire interviendrait à titre exceptionnel en Guyane pour les aérodromes de l'intérieur, dans un objectif de désenclavement.

J'ai, de même, voulu que les contrats de projet pour la période 2007-2013 entre État et régions s'adaptent aux besoins de la Guyane. Pour la France entière, ils ont été resserrés sur l'innovation, le développement durable et la cohésion territoriale, mais pour la Guyane le champ d'action sera plus ouvert. Par exemple, l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques investira à titre exceptionnel au moins 5 M€ pour résoudre des difficultés d'assainissement en Guyane, ce qui représente 5 fois plus que les engagements du contrat précédent. La rénovation urbaine constituera aussi un volet central des nouveaux contrats : il n'est pas admissible que sur le territoire français existent encore des quartiers entiers de maisons insalubres, et disons-le franchement, des bidonvilles. L'aménagement du territoire en Guyane, c'est d'abord celui de quartiers qui n'ont ni eau potable, ni électricité, pour que des familles puissent vivre et des enfants grandir dans des conditions dignes d'un pays comme le nôtre.

L'État doit donc intervenir résolument pour soutenir les collectivités sur ces sujets, et le fera dans le contrat de projet. Mais l'ampleur des besoins est telle qu'il m'apparaît aussi indispensable d'accompagner l'effort public en drainant le plus possible l'investissement privé à travers des concessions de service public.

L'autre grande priorité du contrat doit être, à mon sens, le développement économique. La Guyane a les minima sociaux et le salaire minimum de la métropole. Elle ne pourra se développer économiquement, face à des voisins aux coûts salariaux très inférieurs, qu'en ayant un niveau de formation et de productivité très supérieur. C'est pourquoi l'investissement dans l'enseignement, de l'école primaire jusqu'au supérieur, est la première manière de préparer l'avenir. Je ne vous dirai pas que c'est la recette d'une croissance massive et immédiate : en ce domaine, l'investissement des années 2000 portera la croissance des années 2020. Mais il n'y a pas d'autre choix. Le pôle universitaire guyanais et le pôle de recherche et d'enseignement supérieur à constituer sont au cœur de cette stratégie. Je souhaite d'ailleurs que cet investissement serve à développer les compétences dont la Guyane a besoin : des ingénieurs pour exploiter ses ressources minières et forestières, des agronomes, des médecins. Il faut former des entrepreneurs prêts à s'investir dans l'économie locale, même si je sais que tout ne s'apprend pas à l'école en ce domaine.

La Guyane a la chance d'avoir sur son territoire un centre spatial qui représente l'état le plus abouti de la science et des technologies. C'est un atout exceptionnel pour initier une politique de développement. Le premier défi m'apparaît être l'acquisition par les Guyanais du savoir-faire technique, organisationnel, scientifique du centre spatial. Il faut que le CNES puisse recruter en Guyane à tous les niveaux de son organisation, et former ainsi une génération de cadres qui pourra irriguer ses sous-traitants locaux.

La Guyane ne peut aujourd'hui se permettre de négliger aucune piste de développement. Je ne suis pas de ceux qui croient qu'avec un produit intérieur brut par habitant inférieur à 60 % de la moyenne européenne, on peut se permettre de renoncer à l'exploitation de l'or au nom de craintes infondées et de procès d'intention. La Guyane n'a pas le choix entre l'or, d'une part, et la préservation de l'environnement, d'autre part. Elle a le choix entre une exploitation de l'or raisonnée, respectueuse des lois, de l'environnement et de la santé, et la prédation de ses ressources dans le pillage et l'anarchie. Je préfère la première solution. En revanche, je ne souhaite pas que l'exploitation minière soit, comme dans tant de pays, une activité extraterritoriale, en vase clos, sans effet d'entraînement sur l'économie locale. Cela implique, pour moi, deux orientations.

D'abord, il faut que la Guyane sache former les cadres et techniciens que l'industrie minière emploiera, pour constituer une base durable de compétences locales.

Ensuite, il faut que la collectivité sache tirer parti des redevances minières. La France et la Guyane sont le seul pays au monde à demander aux exploitants miniers 50 € pour un kilo d'or qui en vaut 15 000. Je propose que l'on augmente très nettement cette taxe et qu'on l'indexe sur la valeur de l'or des marchés mondiaux, pour ne pas mettre les exploitants en risque. Cette taxe bénéficie aux collectivités et je souhaite naturellement recueillir leur accord sur le principe de cette hausse. Mais elles ne pourront demander indéfiniment l'aide de l'État et laisser inexploitée une ressource légitime située à leur portée.

Sous ces conditions, vous l'aurez compris, je crois que l'État doit aider et encourager l'investissement, y compris international, dans une industrie aurifère responsable et respectueuse de l'environnement. Le développement de la Guyane, ce n'est pas que l'or, mais c'est aussi l'or.

Le bois est une autre ressource exceptionnelle. Je suis convaincu que la filière bois, qui emploie déjà directement plus de 700 personnes, a du potentiel. C'est déjà le troisième secteur productif de la Guyane. Il dispose de marges de développement et de valeur ajoutée réelle. Depuis 1993, la valeur ajoutée de ce cette activité a été multipliée par trois. Compte tenu des perspectives de croissance démographique, la commande privée et publique est vouée à être soutenue. Il est vrai qu'il s'agit d'un secteur difficile en raison des conditions d'accès à la ressource et de la dispersion des essences mais il peut se développer sur des marchés de niche et dans un contexte où des clauses d' « éco conditionnalité » sont de plus en plus souvent introduites dans les marchés publics de construction.

S'agissant du tourisme, je m'exprimerai avec modestie dans le département du Ministre délégué à cette question. Néanmoins, je souhaiterais vous faire part d'une conviction : c'est que la Guyane, par sa démesure, son charme et sa force a forcément un avenir touristique. Je ne dis pas qu'il s'agira, dès demain, d'un tourisme de masse. La Guyane est différente, j'aurais envie de dire qu' « elle se mérite »…Au-delà d'un tourisme d'affaires et d'un tourisme affinitaire qui demeureront structurants, je crois en l'avenir d'un tourisme de découverte et d'aventure. Le développement de ce créneau très particulier nécessite des efforts considérables : on ne peut se cantonner à une offre d'hébergement rural et forestier rudimentaire et morcelée à l'intérieur des terres. Il faut développer un hébergement de qualité et améliorer, parallèlement, l'offre de produits touristiques.

Cela dit, restons lucides, ces efforts ne suffiront pas si le prix des billets d'avion se maintient au niveau actuel. C'est la raison pour laquelle je pense que même si le marché est objectivement étroit, il faut favoriser l'arrivée d'un nouvel entrant sur la desserte de la Guyane.

De même, il faut tout faire pour essayer de lisser les pics de haute saison qui favorisent l'augmentation des tarifs, augmentation préjudiciable à l'activité touristique mais aussi aux relations entre les familles guyanaises séparées par un océan. C'est la raison pour laquelle je propose de modifier les modalités de prise de congés bonifiés.

Il faut sortir du système rigide et administré actuel et réintroduire de la liberté dans le dispositif. Plutôt que d'acheter le billet des familles à leur place, l'administration remettrait aux familles concernées des chèques voyages, que chacun utiliserait à sa convenance, dès lors bien sûr qu'il rejoindrait sa région d'origine. Les familles choisiraient le tarif le plus avantageux possible et le solde du chèque pourrait être conservé pour des dépenses de vacances. Ainsi, les Guyanais qui le souhaitent pourraient décaler leurs congés ce qui contribuerait à faire baisser les tarifs des billets en début et en fin de saison.

Je n'esquisse là que quelques pistes dont certaines sont partagées avec vous, je le sais. Je ne prétends évidemment pas à l'exhaustivité. Ce dont je suis sûr, c'est que le développement de la Guyane doit se construire de façon durable. Or, les équilibres ne sont pas faciles à trouver. La Guyane est partie intégrante de la forêt amazonienne, et vous êtes, de fait, les dépositaires d'une richesse écologique d'intérêt planétaire. Mais ce territoire est aussi le vôtre et cette terre est celle de vos ancêtres et sera celle de vos enfants.

Le projet de Parc national de Guyane se veut précisément respectueux de ces équilibres. J'ai bien entendu les critiques d'un certain nombre d'élus qui soutiennent que la création d'un Parc n'est pas une priorité pour la Guyane dans un contexte où tant de besoins fondamentaux restent à satisfaire comme celui de la sécurité. Je les comprends parfaitement mais je crois que nous sommes face à des actions qui ne se placent pas sur la même échelle de temps. Les combats, celui de la sécurité et de la préservation de l'environnement, doivent être menés de front.

Mon sentiment c'est que le Parc national ne doit pas aboutir à « mettre sous cloche » le sud de la Guyane et doit s'inscrire dans une perspective d'aménagement dynamique du territoire. J'observe d'ailleurs que d'importants efforts d'adaptation à la réalité locale ont été consentis puisqu'un chapitre spécifique au parc amazonien a été intégré dans la loi relative aux parcs nationaux du 14 avril 2006, ce qui permet notamment la reconnaissance et le respect de modes de vie particuliers des habitants de cette zone.

Le Parc a aussi été conçu comme un outil au service des populations. Par exemple, l'établissement public du Parc interviendra financièrement en appui aux collectivités territoriales, dans la mise en place des infrastructures de base, indispensables à la vie quotidienne des populations, comme l'eau potable et l'assainissement, la collecte et le traitement des déchets ou bien l'aménagement des bourgs. Le Parc sera, par ailleurs, le premier employeur dans le sud de la Guyane avec une équipe d'une centaine de personnes, dont 80 % seront basées dans les communes du Parc. Enfin, dans le domaine du tourisme,  de l'agriculture, de l'élevage et de l'artisanat, le Parc participera, sous diverses formes, à la structuration des filières et à l'émergence de labels garantissant l'origine et la qualité des produits ce qui, dans nos sociétés de consommations actuelles, peut avoir beaucoup de valeur.

Je pense, en définitive, que ce projet est bon pour la Guyane même si rien ne doit être figé dans le marbre. Il participe à la valorisation de l'image de la Guyane et au renforcement de l'attractivité de ce territoire unique dans l'ensemble français.

Des choix économiques clairs, inscrits dans une perspective de long terme : voilà ce en quoi je crois pour la Guyane.

Mais pour cela, il faut aussi que des outils économiques puissants puissent être mobilisés tant les contraintes de développement sont lourdes. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut en Guyane, encore plus que dans les autres DOM, assumer une approche en termes de discrimination positive. Nous savons qu'ici la mobilisation des capitaux privés est spontanément difficile. Si, par ailleurs, l'on admet que les collectivités publiques n'ont pas vocation à se substituer aux entrepreneurs, il faut donc concentrer l'effort sur des outils qui favorisent l'émergence de l'activité privée.

La défiscalisation des investissements en est un. La défiscalisation en outre-mer n'est pas un système de « niches fiscales » au bénéfice de gens aisés ; c'est un véritable outil de développement économique sans lequel un certain nombre de projets n'auraient pas vu le jour en Guyane. Maintenir le principe de la défiscalisation n'empêche pas de reconsidérer certaines de ses modalités au vu des évaluations en cours afin de gommer, le cas échéant, tel ou tel effet d'aubaine injustifié économiquement.

Je pense même qu'il faut aller plus loin ! J'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet pour la première fois aux Antilles en mars dernier. Je suis favorable, pour les DOM, à un système de zone franche globale. J'entends par là une zone franche, pour les entreprises, à l'échelle de l'ensemble d'un territoire, mais qui porterait sur un certain nombre de secteurs limités, choisis en raison de leur exposition à la concurrence et de leur potentiel de développement, notamment en termes d'emplois. Pour ces secteurs, des avantages particuliers en matière de fiscalité directe, en complément des exonérations de charges sociales déjà acquises, seraient définis. La Guadeloupe et la Martinique sont en train de réfléchir à la formule qui serait la plus adaptée à leurs spécificités. Je sais que la Guyane a commencé à le faire au travers des contacts que j'ai eus avec la CCI et certaines organisations patronales.

Mon but n'est pas de construire un « système type », reproductible partout dans les DOM. Je pense que l'expression des besoins doit d'abord émerger du terrain. Je sais, par exemple, que la CCI de Guyane a travaillé sur une formule de « zone franche industrielle d'exportation ». Cette formule géographiquement sectorisée pourrait certainement être conjuguée avec le projet plus global que je soumets. C'est sur la base de vos réflexions,  en tenant compte des contraintes budgétaires et du cadre réglementaire communautaire, que nous bâtirons ensemble un projet adapté à chaque territoire.

Cela dit, soyons clairs, aucun dispositif fiscal n'est à lui seul un vecteur de création massive d'emplois. Pour créer de l'emploi il faut aussi des entrepreneurs et un contexte sécurisé propice à l'entreprise. L'effort doit donc être partagé.

S'agissant de l'esprit d'entreprise, je vais vous le dire comme je le pense : les Guyanais ont des efforts à faire en terme d'initiative et de prise de risques. Ici, plus qu'ailleurs encore, l'attractivité de la fonction publique détourne trop souvent les jeunes talents de l'économie productive. Il faut valoriser le travail en entreprise et la notion de réussite personnelle. L'avenir de la Guyane ne passe pas uniquement par ses administrations qui ne sont qu'un cadre au service de l'activité ; l'avenir de la Guyane passe par ses entreprises, ses hommes et ses femmes qui créent la valeur ajoutée, la richesse d'une économie et qui permet ensuite d'envisager une redistribution généreuse vers ceux qui ont le plus de difficultés.

S'agissant de la sécurité, l'Etat a, quant à lui, des efforts à faire car la situation n'est pas satisfaisante. Je ne souhaite pas revenir sur les propos que j'ai tenus à Saint-Laurent-du-Maroni sur ce sujet ce matin. Mais je veux souligner le lien évident qui existe entre l'activité économique et la sécurité globale d'un territoire. Le constat est connu : la Guyane reste soumise à une immigration irrégulière massive, alimentée par son principal moteur qu'est le travail clandestin.

Cet état de fait est inacceptable et c'est la raison pour laquelle, outre les mesures de renforcement d'effectifs déjà prises, j'ai souhaité avancer dans deux directions principales.

La première est une plus grande implication des forces armées aux côtés des policiers et des gendarmes dans la sécurisation du territoire. Dorénavant, l'Armée participera directement aux évacuations de clandestins arrêtés en forêt afin qu'ils puissent être effectivement reconduits à la frontière et pas seulement invités à quitter le territoire au beau milieu de la forêt amazonienne…

La seconde est une lutte beaucoup plus intense contre le travail clandestin. Pour en avoir discuté avec un certain nombre d'entre vous, je pense que le travail clandestin s'établit en Guyane à un niveau beaucoup plus élevé que ce que l'on prétend, au point que, dans certains secteurs, l'économie informelle menace directement l'économie formelle. Cette situation résulte, bien sûr, de l'attractivité qu'exerce la Guyane sur des régions directement environnantes. Cette situation résulte aussi d'une sous-estimation de la réalité du travail clandestin dans la société guyanaise par les pouvoirs publics. Je le dis franchement : je considère, sur ce point, que le bilan des actions menées n'est pas à la hauteur de l'enjeu quasi vital auquel est confrontée la Guyane.

C'est pourquoi j'ai décidé d'affecter au Préfet, comme en matière de reconduites à la frontière où de bons résultats ont été enregistrés, des objectifs précis pour la lutte contre le travail clandestin. J'ai, par ailleurs, installé un Groupement d'intervention régional (GIR) permanent pour la Guyane qui sera principalement dédié à la lutte contre ce fléau. Il s'agit d'un GIR complet qui disposera, outre de policiers et de gendarmes, de fonctionnaire des douanes, des services fiscaux et du Ministère du travail à plein temps. Il faut que la lutte qui s'engage soit sans relâche, ce qui implique d'ailleurs qu'il n'y ait pas de double langage chez certains Guyanais qui, tout en se plaignant du phénomène, en bénéficient directement ou indirectement.

Ce qui est en cause ce n'est pas seulement une question de principe, c'est tout l'équilibre d'un système social. Le travail illégal est une concurrence déloyale qui porte directement préjudice aux entreprises qui jouent le jeu. Le travail illégal ce sont des ressources publiques qui ne rentrent pas dans les caisses de l'Etat pour être redistribuées ou dans celles des collectivités locales qui en ont pourtant tant besoin en Guyane. Le travail illégal, c'est un choix de court terme qui est un ferment de destruction d'une économie dont la caractéristique est d'être jeune et donc fragile. La Guyane doit se construire sur des bases saines et mérite un avenir plus ouvert à la hauteur du potentiel des ses femmes et de ses hommes.

Quelle que soit l'intensité de la solidarité de la métropole vis-à-vis de la Guyane, l'avenir de ce territoire sera d'abord ce que les Guyanais en feront. C'est un véritable « esprit de conquête » qu'il faut adopter collectivement : conquête d'un territoire vaste et riche de potentialités, conquête des esprits parfois trop enfermés dans une forme de fatalisme inhibant, conquête de l'environnement régional direct car les possibilités d'échanges existent malgré le décalage des coûts de production.

Je crois que ce territoire a un avenir économique pour peu que vous fassiez des choix courageux. Je crois en votre capacité de mobilisation collective, élus et chefs d'entreprises! Je crois en la Guyane !

C'est en favorisant, par tous moyens, la création de richesse locale que nous arriverons à sortir d'une relation d'assistanat qui a vécu. Cette relation dont plus personne ne veut, à commencer par les Guyanais eux-mêmes qui souhaitent prendre davantage leur destin en main et faire face à leur avenir, debout, dans la dignité !