27.10.2006 - Déplacement de Nicolas SARKOZY en Lozère

27 octobre 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de son déplacement à Mende, en Lozère


Mesdames, Messieurs,

Venir en Lozère pour un ministre chargé de l'aménagement du territoire, c'est visiter le département symbole de cette ambition tellement française qu'est l'aménagement du territoire.

Le mot d'aménagement du territoire n'existe dans aucune autre langue. C'est une particularité de notre pays d'avoir mis l'équilibre harmonieux du développement des territoires au rang des grandes politiques de l'État. C'est peut-être parce que ni l'histoire, ni la géographie n'imposent naturellement la solidarité entre les régions françaises. Nous ne sommes ni une île comme la Grande-Bretagne, ni une péninsule comme l'Italie ou l'Espagne, mais un ensemble très divers qui appartient à la fois au monde méditerranéen, flamand, germanique ou celtique. La France est née d'une volonté politique constante de rassembler cet espace autour de valeurs communes et d'un destin commun. Cette volonté et ce destin n'ont de sens que dans une solidarité nationale sans faille. Si cette solidarité entre territoires et régions n'existe plus, la France n'existe plus non plus.

Solidarité entre territoires ne veut pas dire assistanat. Ce n'est pas subventionner passivement, c'est donner aux territoires qui ont des projets la possibilité de les réaliser. Et aider davantage les projets de ceux qui ont le plus d'obstacles à franchir. C'est cela la philosophie des pôles d'excellence rurale que j'ai lancés avec Christian ESTROSI à l'hiver dernier. En juin, nous avons retenu les candidatures de 176 pôles, qui portaient 580 millions d'euros de projets, qui vont créer d'ici 2009 plus de 7 000 emplois. Avec ces pôles vont naître dans l'espace rural des activités dans les biocarburants, la recherche-développement, la valorisation du patrimoine, la politique de marque des productions agricoles.

Parmi ces pôles, pas moins de quatre projets lozériens ont été retenus : c'est le ratio en nombre de pôles par habitant le plus élevé de France ! C'est pour cela que quand on me dit que les appels à projets c'est la « mise en concurrence des territoires » je réponds « et alors ? ». L'exemple de la Lozère est là pour nous montrer qu'on peut concilier solidarité et sélection des meilleurs projets. Que des territoires ruraux comme le vôtre ne doivent pas redouter mais jouer le jeu de la concurrence, car l'État pourra donner à la Lozère les moyens de se développer, mais ne pourra jamais avoir un projet et une volonté de développement à sa place. C'est la chance de ce département d'avoir un président du conseil général, un maire de Mende et des parlementaires à la hauteur du défi.

Un ministre de l'aménagement du territoire se doit d'avoir une stratégie pour le développement et le bien-être de territoires comme la Lozère. Cette stratégie, il suffit de visiter vos pôles d'excellence ruraux pour la comprendre. D'abord tirer le meilleur parti de vos richesses naturelles, le tourisme et surtout l'agriculture. Donner aussi un coup de fouet aux nouvelles technologies. Enfin, et j'y viendrai, développer les services, en particulier médicaux, dont la population a besoin.
J'ai visité ce matin une exploitation qui montre exactement la voie que peut suivre l'agriculture pour créer de l'emploi. Ce n'est pas avoir plus de vaches là où il n'y a plus la place d'en mettre. C'est accroître la valeur ajoutée de la production, par l'image de marque, par les labels de qualité, par les services associés, par la prise en main directe de la commercialisation des produits. C'est partir d'un élevage classique pour y ajouter une activité d'élevage bio, qui donne plus de travail mais rapporte plus. C'est ajouter à cela la transformation des produits du lait en fromage. C'est enfin créer sa marque de fromage et l'insérer dans les réseaux de distribution. J'ajouterai même : se regrouper entre producteurs pour faire pièce au regroupement de la distribution et obtenir les meilleurs prix. Toutes ces évolutions, les pôles d'excellence ruraux les encouragent et les facilitent, et le pôle valorisation du lait des montagnes de Margeride fait exactement cela.

Je crois que ceux qui portent un discours misérabiliste sur les campagnes françaises entretiennent une image fausse du monde rural. J'ai pour ma part à la fois de l'optimisme et de l'ambition pour la France rurale. J'ai de l'optimisme parce que l'exode rural appartient à l'histoire du siècle dernier, y compris ici. Parce chaque année une grande ville s'installe à la campagne : plus de 100 000 habitants choisissent tous les ans de quitter l'espace urbain. J'ai de l'ambition parce qu'une rupture historique arrive avec des technologies nouvelles qui abolissent les distances et le handicap de l'isolement.

Les nouvelles technologies mettent villes et campagnes sur un pied d'égalité dans l'accès à la connaissance, comme jamais auparavant. L'Internet a ouvert d'un seul coup à chacun l'accès à l'ensemble de la création culturelle, scientifique, artistique. Les nouvelles technologies de communication allègent le handicap de l'isolement : chaque ferme peut abriter une start-up ; chaque village un créateur de jeux vidéo ; chaque bourg un centre d'appel. C'est une chance formidable pour l'attractivité et le développement économique du monde rural.

C'est pour cette raison que Christian ESTROSI et moi-même avons pensé que le meilleur investissement que puisse faire la collectivité nationale pour le monde rural était de lui ouvrir un accès aussi large et économique que possible aux technologies de l'information et de la communication. Nous avons accéléré le déploiement du plan de couverture en téléphonie mobile et en internet à haut débit : entre le 1er janvier 2005 et le 30 juin 2006, 800 communes sont sorties des zones blanches. En Lozère, nous aurons couvert d'ici la fin de l'année 53 communes jusqu'à présent en zones blanches, avec une aide d'un million et demi d'euros du fonds d'aménagement du territoire.

La connexion à l'Internet à haut débit est peut-être encore plus stratégique pour le développement économique. D'ici fin 2007, 86 % de la population de la Lozère y aura accès. Pour les 14 % restants, nous avons lancé en juin le plan de couverture des « zones blanches haut débit » : toute commune qui le demande pourra être aidée financièrement à hauteur de 50 %, ou même 80 %, pour raccorder la mairie et l'école au haut débit. Les licences de l'Internet par ondes radio ont été accordées en juillet et permettront d'équiper les régions les moins denses du territoire national, avec pour objectif 3 500 sites supplémentaires fin 2008. Tout ceci ouvre des voies nouvelles à l'activité économique en Lozère, et même à la médecine, j'en parlerai tout à l'heure.

Le troisième enjeu d'avenir pour la Lozère et le monde rural en général, ce sont les services. Jusqu'à présent, ils sont malheureusement l'objet d'une grande inquiétude qui travaille les zones rurales, en particulier sur l'avenir des services publics. Vous le savez comme moi, durant des années, ces services n'ont pas adapté leurs structures à l'exode rural, et ils le font aujourd'hui à retardement, alors même que la population rurale croît à nouveau. La Lozère a gagné près de 2 000 habitants depuis 1999 !

Cette question des services en milieu rural fait partie des dossiers importants que j'ai souhaité régler depuis que j'ai pris la responsabilité de l'aménagement du territoire en juin 2005. J'ai eu trois principes : (1) éviter tout schéma national ; (2) partir de la réalité des besoins, qui ne colle pas toujours aux réseaux existants ; (3) ne laisser ni les statuts ni les contraintes administratives empêcher la mise en place de solutions innovantes.

J'ai d'abord demandé à tous les préfets de mener dans leur département une concertation approfondie pour écouter la population. Il y a eu ici en Lozère six réunions, organisées dans chacun des bassins de vie de votre département. Qu'est-il sorti de cette concertation à l'échelle nationale ?

D'abord, que l'attente ne portait pas tant sur les services publics que sur les services médicaux et les services à la personne. Le monde rural a besoin à proximité de médecins généralistes, d'assistance à domicile pour les anciens, de solutions de garde pour les enfants, peut-être plus que de trésoreries, de subdivisions de l'équipement ou d'agences EDF. Et c'est pour cette raison que j'ai souhaité aujourd'hui inaugurer cet hôpital : les services médicaux et médico-sociaux sont les plus essentiels qui soient et ils sont au cœur de l'attente des territoires ruraux.

Ensuite j'ai demandé aux préfets, à partir du terrain, de dégager des solutions avec les partenaires locaux. Et ça marche ! Le conseil général a proposé un dossier de télé-médecine en zone rurale tout à fait exemplaire : il s'agit de doter les généralistes d'un ordinateur portable pour accéder en situation d'urgence à des téléservices comme l'électrocardiogramme ou les données antipoison ; il s'agit aussi de permettre de relier ces professionnels en visio-conférence dans le cadre de leurs consultations. Rien n'inquiète plus un médecin s'installant en zone rurale que d'être à trop grande distance de l'expertise d'un centre hospitalier : un système de ce type lui permet de consulter ses collègues, de garder le contact avec l'état de l'art et de mieux soigner ses patients. Je n'hésite d'ailleurs donc pas à vous annoncer que j'ai bien l'intention de reconnaître ce projet comme pôle d'excellence rurale et de lui apporter de ce fait un financement de 385 000 €.

Les projets innovants ne concernent pas que la médecine. En Lozère, vous allez créer des maisons de l'emploi et de la cohésion sociale qui recevront le label « Relais services publics ». J'ai voulu créer ces relais pour aider les territoires ruraux à surmonter tous les obstacles statutaires archaïques qui empêchent les services publics de mutualiser leur offre dans les zones rurales, pour concilier proximité et maîtrise des coûts. L'idée est simple : c'est offrir dans un même endroit l'accès aux services du Conseil général, de l'ANPE, de la caisse d'allocations familiales. On peut y obtenir tous les renseignements, être aidé dans ses démarches, et apprendre, sur place, à les effectuer sur Internet.

Le label « relais services publics » c'est donc :
● une garantie, la même partout en France, de qualité d'accueil et d'horaires d'ouverture, au moins 24 heures par semaine ;
● un financement de l'État de 10 000 ou de 20 000 € par an pendant 7 ans.

En Lozère, vous aurez, dès l'année prochaine, 9 relais services publics pour offrir un service de proximité dans les bassins de vie du département. On ne ferme plus de services publics, on en ouvre. Je crois que nous avons réellement changé d'approche. La nouvelle méthode a d'ailleurs été inscrite dans la charte des services au public en milieu rural, signée le 23 juin dernier, qui définit précisément de nouveaux objectifs et une nouvelle méthode de concertation. Chaque maire sera par exemple informé deux ans à l'avance du risque de fermeture d'une classe par manque d'élèves, ce qui lui laisse le temps de trouver des remèdes.

Je voudrais revenir au sujet plus complexe de la médecine en milieu rural. C'est un sujet très difficile. Un médecin seul dans un canton isolé porte une responsabilité sociale très lourde qui ne le quitte pas un instant. Il a peu ou pas de nuits, de vacances, de week-ends. Son conjoint a les plus grandes difficultés à trouver un emploi. Dans la France des 35 heures, il devient chaque jour plus difficile de trouver un tel engagement. Le résultat, c'est qu'il y a deux fois moins de médecins par habitant dans certains départements que dans d'autres, alors que les gens n'y sont pas deux fois moins malades. Nous ne pouvons plus continuer comme cela.

Il y a des solutions. J'ai déjà parlé des nouvelles technologies. Mais je crois aussi qu'il faut accélérer et aider le regroupement des médecins dans des cabinets partagés, pour rompre leur isolement. D'ores et déjà, dans les zones sous-médicalisées - la moitié de la Lozère est dans ce cas – les médecins généralistes sont rémunérés 20 % de plus s'ils exercent en groupe. C'est un premier pas. Mais il faut aller plus loin. Les collectivités locales ont la possibilité d'aider à l'installation d'un nouveau médecin, en contrepartie d'un engagement d'exercer au moins 3 ans sur place : je souhaite qu'elles se saisissent de cette possibilité.

Nous ne pouvons pas non plus continuer à être malthusiens et verrouiller massivement l'entrée dans la population médicale. Je souhaite qu'on élargisse le numerus clausus : plus de médecins en France, c'est aussi et naturellement plus de médecins dans les territoires ruraux.

Je suis ici pour vous adresser un message simple : tous les territoires de la République doivent avoir accès dans un délai raisonnable à un service médical de qualité. Vous le savez, je ne considère pas le modèle social français comme non perfectible. S'il était parfait, nous n'aurions pas 9 % de chômage ; nous n'aurions pas une dette dont les intérêts coûtent chaque année quatre fois le budget de l'enseignement supérieur. Mais je tiens aux valeurs qui sous-tendent notre modèle social. Je voudrais même que nous leur redonnions de la substance. Et parmi ces valeurs, il y en a une à laquelle je tiens profondément : c'est l'accès de tous à un service de santé efficace et moderne.

L'hôpital de Mende est absolument vital à votre région : le premier CHU est à 2 heures et demie d'ici. C'est pourquoi le Gouvernement, dans le plan Lozère, a accordé un financement spécifique et important à ce chantier de plus de 16 millions d'euros. Et ce qui vaut pour l'hôpital public à Mende vaut aussi pour Marvejols, où un pôle médico-chirurgical public-privé remarquable va émerger. Ces deux infrastructures sont conçues pour être complémentaires et formeront un tout cohérent et efficace.

Comme tous les hôpitaux de notre pays, je sais que l'hôpital de Mende traverse des mutations considérables. On vous a d'abord imposé les 35 heures du jour au lendemain, une obligation bureaucratique qui a désorganisé les soins et coûté très cher. Vous le savez, je ne pense pas qu'on puisse faire croire très longtemps aux Français qu'on peut travailler moins et en même temps financer nos retraites, financer notre système de santé, et gagner du pouvoir d'achat. Moins d'heures travaillées, c'est moins de recettes pour la sécurité sociale et le système de santé. Les 35 heures, dans le privé, ça a signifié moins d'heures supplémentaires et moins de pouvoir d'achat. Dans le public et à l'hôpital, comme les budgets ne sont pas extensibles à l'infini, ça a signifié moins d'augmentations de salaires et là aussi, moins de pouvoir d'achat.

Ce que je souhaite, c'est que chaque Français, dans le public ou le privé, ait la possibilité de travailler plus s'il veut gagner plus. Je sais que ce sont aussi vos valeurs dans un métier comme le vôtre, où la vie et la santé de chacun d'entre nous dépendent de votre travail. Il ne s'agit pas d'imposer le retour aux 39 heures comme on a imposé les 35 heures, mais d'ouvrir de nouvelles possibilités de gagner du pouvoir d'achat à des gens prêts à se lever tôt le matin. Je pense d'ailleurs qu'il est préférable de pouvoir organiser sérieusement et à l'avance un temps de travail plus important que de faire des heures supplémentaires ponctuellement, à tout bout de champ, avec une désorganisation maximale de la vie professionnelle et familiale.

D'une manière générale, je souhaite que chaque établissement ait plus d'autonomie d'organisation. Les contraintes des procédures et des règlements nationaux sont excessives et doivent céder la place à l'évaluation a posteriori, sans concession, sur la base d'audits et d'indicateurs précis.

Je souhaite aussi que les professions de santé jouent, comme d'autres institutions de la République, leur rôle d'ascenseur social. Je pense en particulier aux infirmiers et infirmières. Il me semblerait élémentaire de leur ouvrir très largement une vraie validation des acquis de l'expérience au niveau bac+3, celui de la licence professionnelle. Je suis même favorable à ce que certaines activités leur ouvrent une reconnaissance au niveau master. Un agent hospitalier doit pouvoir gravir tous les échelons de la hiérarchie et devenir directeur d'hôpital : je veux donner une place bien plus grande à la reconnaissance de l'expérience, à côté du système des concours. Naturellement, il en va différemment de l'exercice de la médecine, où les connaissances et la pratique sont indispensables, mais je crois qu'on pourrait déléguer plus d'actes simples aux professions paramédicales, pour revaloriser leur rôle et leur métier.

Ces enjeux du secteur médical, hospitalier et médico-social pèsent très lourd pour notre pays. La santé est le bien le plus précieux que l'on puisse rechercher et on observe partout dans le monde que sa part dans l'activité économique s'accroît avec le niveau de développement des sociétés. C'est donc aussi une clé de l'emploi de demain en France. A l'échelle nationale, c'est 10 % du produit intérieur brut et 2 millions d'emplois. En Lozère, le secteur santé-social emploie une personne sur 5 soit 5 000 au total. La Lozère à une vocation particulière dans ce secteur car les Lozèriens ont su prendre quelques initiatives fondatrices pour établir cette spécificité. C'est un modèle pour le monde rural français.

Si ce secteur prend une telle place c'est qu'il y a des besoins. Et pour créer de l'activité il faut permettre à l'offre de répondre à ces besoins. Cela veut dire financer des investissements, comme nous l'avons fait ici même, mais aussi lever les contraintes, comme j'espère que nous le ferons.

Je voudrais conclure en vous disant à quel point j'ai été heureux de vous rencontrer, et frappé par la vitalité de la Lozère. Elle regarde vers l'avenir et pour qu'elle s'y engage avec confiance, je crois que l'État a aujourd'hui la responsabilité de faire de cet avenir une promesse et non plus une menace. Soyez certains que je m'y emploierai.