26.03.2007 - Cérémonie de départ de Nicolas SARKOZY du ministère de l'intérieur

26 mars 2007

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de la cérémonie de son départ du ministère de l'intérieur.


Mesdames et messieurs,

C'est avec émotion que je prends la parole devant vous. Dans quelques instants, je quitterai cette "maison" que j'ai aimée et que j'ai servie de toutes mes forces.

Je la quitterai en ayant le sentiment d'avoir été fidèle à mon devoir, et fidèle au contrat qui me liait aux Français qui attendaient que l'autorité de l'Etat se manifeste avec plus de résolution.

Ma mission exigeait un engagement total. Vous avez agi à mes côtés avec un professionnalisme et un dévouement que je veux, une dernière fois, saluer du fond du coeur.

Au fil de ces quatre années, nous avons formé une équipe. Et j'ai aujourd'hui un peu le sentiment de m'éloigner d'une famille pour laquelle je me suis fortement investi, mais qui m'a également beaucoup donné en retour. Quelles que soient son poste et ses responsabilités, j'adresse à chacun de vous mes remerciements personnels.

Je suis entré dans ce ministère avec des objectifs. J'en sors avec des convictions renforcées.

La conviction que la culture de la violence s'est enracinée dans notre société faute d'avoir été clairement dénoncée et combattue à temps. La conviction que la sécurité de tous exige un sursaut collectif car face à cette violence c'est le civisme de tout notre peuple qui doit s'imposer. La conviction qu'à travers la laïcité, le dialogue des cultures et des religions est plus urgent que jamais. La conviction que c'est la République dans son ensemble qu'il faut relancer car il ne peut y avoir de paix publique durable sans progrès partagé.

Vous le savez, il existe, dans notre bâtiment, une galerie de portraits où s'alignent les visages de tous les ministres successifs…

Chaque portait est un cours d'histoire - et une leçon d'humilité. Gambetta impressionne. Clémenceau, Briand, Mandel, Mitterrand, Frey, Jacques Chirac, Defferre et quelques autres forcent le respect. D'autres silhouettes floues, d'autres noms oubliés, donnent à méditer sur l'éphémère de nos destinées…

Mais par delà la trajectoire des individus, ce qui compte, c'est la permanence des valeurs que nous servons.

Au-dessus de la grille de Beauvau, il y a le drapeau tricolore, notre drapeau. Il est le symbole de notre unité, dont ce ministère est l'un des principaux garants. Et à l'entrée de la cour, il y a les plaques sur lesquelles sont gravés les noms de ceux qui sont tombés pour une certaine idée de la France et de l'homme.

Derrière chaque nom sur lequel les passants jettent un regard furtif, il y avait une vie. Il y avait une famille, des amours, des rires et des rêves, et il y a la mort. La mort brutale, souvent dans la fleur de l'âge. La mort inacceptable, mais pourtant envisagée et admise par ceux qui firent leur devoir au nom, précisément, de ce drapeau et de notre devise.

Dans l'ombre des générations passées en ces lieux, il y a la force de l'ordre qui fit la République et la sagesse des lois qui garantit nos libertés. L'ordre et la liberté : ces deux vertus qui font la prospérité des nations civilisées, nous les avons servies ensemble, quatre années durant.

Si je quitte ces murs, sachez que leur empreinte ne me quittera pas.

Je me souviendrai longtemps de ces premiers jours parmi vous. Et ces premiers instants de solitude où l'on sait que l'échec n'est pas permis parce que les circonstances politiques qui vous ont amené là – et, en l'occurrence, celle du 21 avril 2002 – n'autorisent aucune faiblesse, aucune erreur, aucune excuse.

Je me souviendrai longtemps de ces policiers, gendarmes et pompiers qui, au quotidien, assurent la sécurité des Français. Derrière leur uniforme, j'ai vu beaucoup d'abnégation et d'humanité. Cette humanité qu'ont les êtres qui sont au contact de la frontière entre le bien et le mal, le bonheur et la souffrance.

Avec eux et comme eux, j'ai connu ces situations délicates où il faut savoir être ferme et juste. Ferme parce que le respect de la Loi l'exige. Juste parce que la raison comme le cœur l'imposent.

J'ai été sans concession avec les délinquants car c'était et c'est mon rôle. Mais je n'ai jamais oublié que chez certains d'entre eux, notamment les plus jeunes, il y avait une fêlure humaine qui devait être mieux cernée et mieux prévenue. J'ai été inflexible vis à vis de l'immigration irrégulière. Mais je n'ai jamais ignoré la dérive de ces femmes et des ces hommes qui avaient tout abandonné et parfois tout perdu. Je n'ai pas hésité à renvoyer vers leur pays ceux qui ignorent et bafouent nos lois, mais j'ai aboli la double peine.…

Ferme par devoir, juste parce que la Règle ne commande pas toujours les sentiments : oui, j'ai été, à mon niveau, dans la situation de ceux qui, chaque jour, sont confrontés aux déchirures de notre société.

C'est le propre de ce ministère d'être au carrefour des crispations nationales et des ruptures humaines.

Je me souviendrai aussi longtemps de ces semaines d'émeutes qui agitèrent les banlieues et de ces nuits blanches où chaque décision comptait. Beaucoup de pays ont essuyé des crises urbaines, mais tous n'ont pas su répondre comme nous l'avons fait avec autant de professionnalisme.

Parce que les lois de la République ne doivent pas s'effacer devant celles de la rue, j'ai demandé aux forces de l'ordre de reprendre le terrain qui avait été perdu par aveuglement et démission politique.

Je n'ai jamais fait d'amalgame entre les jeunes des quartiers et les voyous. En revanche, j'ai estimé de mon devoir de placer chacun devant ses responsabilités. Moi-même, Français au sang mêlé, je ne me sens pas étranger à cette jeunesse des cités aux origines mélangées. Je lui ai parlé avec franchise et parfois fermeté, parce que l'excuse et la commisération sont, pour moi, le contraire du respect.

Il existe dans les quartiers difficiles une majorité de citoyens honnêtes et une énergie positive qui ne demande qu'à trouver les chemins de la reconnaissance et de la réussite. C'est pour tous ces citoyens là, ceux dont on n'écoutait pas le cri, que j'ai agi avec résolution.

Je me souviendrai aussi longtemps de ces mois de tensions qui entourèrent les attentats terroristes de Londres et de Madrid. Ils exigeaient et exigent encore une vigilance de tous les instants. Ils imposaient une stratégie européenne et internationale.

Cette stratégie couvre désormais tous les champs de la sécurité. En la matière, le repli n'a plus aucun sens. J'ai effectué, sur tous les continents, plus de 60 déplacements. Pour surmonter les lourdeurs d'une Europe à 27 membres, j'ai inventé le G5, puis le G6. J'ai poussé mes partenaires à harmoniser et moderniser nos politiques de sécurité et d'immigration. Je les ai invités à instaurer des relations plus étroites entre le nord et le sud de la Méditerranée car notre avenir se joue en partie là bas.

Je me souviendrai longtemps de toutes ces rencontres sur le terrain pour impulser des projets d'aménagement qui feront la vitalité du territoire français dans cinq ou dix ans. Je rends hommage à ces préfets et à leurs équipes qui représentent l'Etat en tous points de notre pays et qui se battent aux côtés des acteurs locaux pour faire vivre nos quartiers, nos villages et nos régions.

Avec eux, avec Brice Hortefeux et Christian Estrosi, j'ai dessiné la République du terrain. Nous avons initié et soutenu la création des 67 pôles de compétitivité et des 376 pôles d'excellences rurales. J'ai voulu une autre approche, plus concertée et plus innovante, des services en milieu rural, formalisée par la charte des services au public.

Avec Patrick Devedjian, nous avons travaillé à l'acte II de la décentralisation qui offre aux collectivités territoriales plus de marges de manœuvres réglementaires et financières. Oui j'ai vu et contribué à l'essor des territoires, et j'en ai tiré la conclusion que la France de demain y puisera une part de sa force.

Enfin, je me souviendrai longtemps de ceux qui sont tombés dans l'exercice de leur mission et dont j'ai célébré la mémoire devant leurs familles éprouvées et dignes. Comment oublier ces enfants au regard douloureux et perdu… Et je garderai toujours en mémoire les paroles des nombreuses victimes que j'ai personnellement rencontrées.

En accompagnant leur souffrance, j'ai beaucoup appris. On ne sort pas indemne de telles rencontres. J'ai voulu que les victimes deviennent l'une de nos priorités. J'ai installé une délégation et j'ai exigé que, sur le terrain, tous les services soient mobilisés et outillés à cet effet.

Face à ces femmes et ces hommes qui sont dans la peine et parfois la colère, je me suis efforcé de trouver les mots justes, les gestes qui rassurent, mais surtout les actes qui convainquent.

Agir fut notre devise et notre devoir. Agir pour servir et obtenir des résultats. Agir pour ne pas subir et pour être digne de la confiance des Français. Agir pour ne jamais me trouver dans la situation de dire à ceux que la violence brise: "je n'y peux rien!". Telle fut la ligne de conduite que je me suis imposée et que j'ai exigée de vous. J'ai assumé mes choix et mon autorité. Je les ai assumés dans les bons jours comme dans ceux qui l'étaient moins.

Tout entreprise arrivant à son terme oblige à un bilan.

Dans ce genre d'exercice, la critique est plus aisée que la pratique, et l'éloge plus rare que la diatribe. Mais qu'importe, je ne me dérobe pas. J'assume tout !

Je sais exactement ce que nous avons fait et ce qu'il reste à faire. La lutte contre l'insécurité est de longue haleine, cela je le sais parfaitement. Mais au bout du compte, c'est aux Français de dresser l'inventaire. Ils jugeront, et je crois qu'ils sauront faire le tri entre ce qui fut fait par les uns et par les autres.

Ce que je sais, c'est que depuis 2002, nous avons parcouru un sacré chemin et je crois que vous pouvez en être fiers. Nous venons de loin, car, à l'époque, la situation était sombre, et il n'est pas déplacé de rappeler que c'est "un peu" pour cela que j'ai été nommé ici…

Nous sortions d'une élection cruelle pour notre pays mais symptomatique sur son état de désarroi. La République était bousculée. La délinquance avait explosé de 17,8% en l'espace de 5 ans. Les Français étaient désabusés, exaspérés même. L'insécurité rongeait les fondements même de notre cohésion nationale.

La peur de la violence était dans la rue et le doute était dans les rangs des forces de sécurité. Il y régnait un climat de désillusion, de démotivation et de solitude face au combat contre la délinquance.

Il fallait mettre fin à cette spirale de la résignation et de l'échec. Il fallait remobiliser les forces. Il fallait mieux les coordonner. Il fallait reconfigurer leurs concepts d'action. Il fallait les moderniser. Bref, il fallait une rupture de style, de méthode et de politique.

J'ai rompu avec les discours complaisants, ambigus et laxistes dont les premières victimes étaient les plus vulnérables, les moins fortunés, et, par là même, les moins écoutés.

Parce qu'il fallait rétablir des repères clairs, j'ai voulu que soit restaurée la hiérarchie des valeurs qui distinguent la victime de l'agresseur, l'innocent du coupable.

J'ai dégagé les moyens financiers, techniques et juridiques pour permettre aux forces de sécurité d'assumer leur mission avec efficacité. Et fort de cela, j'ai introduit la culture du résultat car un Etat moderne se doit de rendre des comptes, et j'ai instauré l'analyse impartiale et quotidienne de la délinquance car la démocratie exige la transparence et la vérité.

Tous les engagements pris en 2002 ont été respectés. A la fin de l'année, l'ensemble des objectifs de la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure sera totalement atteint pour la Police nationale. Pour la gendarmerie, les objectifs fixés en matière d'effectifs le seront en 2008. Quant à la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004, elle est en place et rénove en profondeur les outils et les modalités d'action des hommes du feu.

Pour ceux qui assurent la sécurité des Français, j'ai voulu, avec vous, les meilleurs équipements. J'ai voulu et obtenu des effectifs supplémentaires.

J'ai voulu renouveler les doctrines d'emploi afin de passer d'une vision sectorisée de la sécurité au concept plus large de sécurité intérieure.

J'ai voulu, avec vous, que le travail de la police et de la gendarmerie soit coordonné et réuni sous la même autorité d'emploi.

J'ai voulu, avec vous, que les meilleures technologies permettent de passer de la culture de l'aveu à celle de la preuve, à l'appui notamment du fichier national automatisé des empreintes génétiques.

J'ai voulu, avec vous, augmenter notre force de frappe face à la criminalité en créant les GIR dont les résultats parlent d'eux-mêmes.

J'ai voulu, avec vous, augmenter la capacité opérationnelle de lutte contre les feux de forêts et les sinistres. J'ai voulu, avec vous, développer le volontariat au sein de la sécurité civile.

J'ai voulu, avec les cadets de la république, élargir le recrutement de la police.

J'ai voulu, avec vous, réformer l'organisation des corps et des carrières afin de fluidifier les parcours professionnels et élever le niveau des recrutements. Et j'ai encouragé pour la gendarmerie le Plan d'adaptation des grades aux responsabilités.

J'ai voulu, avec vous, une réorganisation des services pour que les personnels soient davantage sur le terrain et moins dans les bureaux.

J'ai enfin voulu que les femmes et les hommes qui assurent la sécurité des Français soient fiers de leur métier et fiers de servir les valeurs qui sont les nôtres.

Fiers et respectés.

Respectés par nos concitoyens pour leur efficacité. Respectés aussi pour leur diversité qui doit incarner le visage de la France d'aujourd'hui, dans toutes ses origines et ses cultures. Respectés enfin pour leur éthique, que j'ai voulue irréprochable et inattaquable car il n'y a pas d'autorité sans exemplarité.

J'ai défendu l'honneur des forces qui étaient sous mon autorité, mais j'ai été implacable vis à vis de ceux qui n'en étaient pas dignes.

Cette mobilisation générale devait s'appuyer sur une architecture juridique adaptée aux défis de la sécurité contemporaine.

Contre la délinquance organisée, contre le terrorisme, contre l'insécurité routière, contre la violence dans les transports publics et les stades, mais aussi pour une immigration choisie et non plus subie et pour la prévention de la délinquance, nous avons ajusté le droit aux réalités.

En quelques années, nous avons ainsi créé les conditions d'une politique de sécurité moderne, servie par des personnels dont chacun constate qu'ils sont plus motivés et plus efficaces qu'autrefois.

Tous ces efforts ont abouti à des résultats que vous connaissez.

Depuis 2002, ce sont plus d'un million de victimes d'infractions qui ont été épargnées et le taux d'élucidation des affaires n'a cessé d'augmenter, passant de 25% il y a cinq ans, à 34% en 2006. Sur les routes, ce sont plus de 10.000 vies sauvées et 100.000 blessés en moins.

Ce qui a particulièrement diminué, c'est la délinquance de voie publique, c'est à dire l'ensemble des infractions qui touchent la vie quotidienne des Français. Elle avait augmenté de 11% entre 1997 et 2002. Elle régresse de plus de 24%.

Le mérite de ces succès en revient d'abord et avant tout à ceux qui sont sur le terrain.

Mais le combat pour la sécurité de tous n'est pas achevé.

Les menaces et les risques qui pèsent sur nous seront à l'avenir de plus en plus larges et variés. Pour y répondre, vous devrez par une capacité permanente d'adaptation et d'innovation, un professionnalisme affirmé et la maîtrise de nouvelles technologies, approfondir la voie qui a été tracée.

Vous connaissez les objectifs fixés pour cette année 2007. Ils sont exigeants. Il vous faudra donc rester très mobilisés.

Face à la culture de la violence qui traverse nos société contemporaines, notre enjeu est d'opposer une culture du respect et du civisme. Une culture du respect qui ne laisse aucune place à ceux qui misent sur la peur et la haine. Où les actes de confiance sont plus nombreux que ceux de l'indifférence. Où le mérite est récompensé à sa juste valeur. Où les sursauts de courage et de dévouement révèlent la dignité de notre pays.

Durant quatre années, nous avons, mesdames et messieurs, partagé une aventure commune. Sachez-le : sans vous, tout ce qui a été fait n'aurait pas été possible. 

J'en remercie chacun d'entre vous, policier, gendarme, pompier, fonctionnaire administratif. J'ai conscience de vous avoir beaucoup demandé. Je l'ai fait parce que notre pays attendait beaucoup de nous.

Je souhaite vous avoir communiqué ma détermination. J'espère vous avoir donné de la fierté et avoir insufflé encore plus de sens à votre mission.

Si j'ai pu vous convaincre que la politique conservait de sa grandeur, si j'ai pu vous convaincre que l'action pouvait transformer les situations les plus compromises, alors, j'aurai été, je le crois, digne de la charge qui m'était confiée et digne de la confiance que vous m'accordiez. En cela, j'aurai été fidèle à ce que je crois nécessaire pour notre pays.

Pour la France que nous aimons et pour la République que vous servez, je vous demande, mesdames et messieurs, de poursuivre votre mission avec la même loyauté, la même détermination et la foi en l'avenir.