Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, à Sens dans l'Yonne
Mesdames, Messieurs,
J'ai tenu à venir parmi vous, à Sens, aujourd'hui , pour saluer l'action menée en matière de prévention de la délinquance par Marie Louise Fort et par son équipe . Ici , on a compris qu'il fallait s'organiser pour endiguer le phénomène de la violence , ce qui veut dire deux choses : refuser de tolérer ce qui est intolérable , c'est la première étape de la prévention ; mais aussi se mettre en ordre de bataille pour prévenir cette violence , c'est la deuxième étape .C'est ce que vous avez fait il y a trois ans , en mettant en place le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance .A l'époque , nous avons beaucoup discuté de ce qu'il fallait faire, au moment où j'ai élaboré un premier plan de prévention , expérimenté dans 25 quartiers .J'ai été frappé par la lucidité du maire de Sens , une lucidité qui vous a permis de regarder les problèmes en face et de progresser .
Depuis 2003 , j'ai pu progresser moi aussi dans cette démarche, même si elle n'est pas facile , simplement , parce qu'elle est novatrice : tout à l' heure , j'ai présenté devant le Premier Ministre un projet de loi de prévention de la délinquance , que j'ai préparé , avec le concours de sept ministres .Ce projet de loi ,c'est une méthode nouvelle : la proximité et le travail en réseau .C'est ce que vous avez commencé de pratiquer ici. Autour du maire , tout le monde est rassemblé :les élus , les administrations , les travailleurs sociaux , les magistrats , l'éducation nationale , les associations …
Ce projet de loi , ce sont aussi des objectifs nouveaux : lutter contre la violence d'aujourd'hui sous toutes ses formes , sans tabou , et en remontant à la racine du mal .Là aussi , la ville de Sens est en avance : il y a quinze jours , vous examiniez ici même dans ce conseil un bilan et des projets ,et dans ces projets , vous incluiez les conduites addictives des adolescents ,les jeux dangereux , les suicides … des sujets pénibles , qu'on a du mal à regarder en face , et pourtant qui doivent absolument être traités .
Ce devoir de lucidité , nous l'avons tous face à la délinquance d'aujourd'hui .C'est quoi la délinquance d'aujourd'hui : c'est à la fois la banalisation de la violence , depuis les incivilités à l'école jusqu'aux bagarres entre bandes par exemple .Mais aussi la radicalisation de cette violence : on arrive à poignarder son professeur parce qu'on n'est pas d'accord , comme à Etampes , ou bien à tuer un de ses camarades au couteau sous prétexte qu'il appartient à une bande rivale , comme à Evry .Et hélas , c'est la banalisation qui a permis cette radicalisation .C'est pourquoi on ne peut pas s'accommoder de la violence ,on ne peut que la refuser .
Parce que s'accommoder de la violence , c'est un raisonnement pernicieux qui repose sur deux principes : cela n'arrive qu'aux autres. Ce n'est plus vrai, personne n'est à l'abri de la violence dans notre société. Autre principe fallacieux : la violence a toujours une explication et donc une excuse. Ce n'est pas vrai non plus. C'est le comble du mépris pour les victimes.
Mais refuser la violence , ce n'est pas seulement la sanctionner .Je le dis tout de suite , la sanction est une partie intégrante de la prévention , elle est totalement indispensable .Ici ,vous l'avez d'ailleurs compris ,avec un taux d'élucidation des faits qui a progressé l'an dernier de plus de 44%, et un recul de la délinquance de voie publique de près de 14% . Mais , et vous l'avez aussi déjà compris , la sanction ne fait pas tout . Il est de notre devoir de prévenir la délinquance , d'abord pour épargner les victimes , ce qui doit être notre priorité absolue .Je vous assure que lorsque , comme moi , on reçoit tous les jours des familles brisées , des personnes dont la vie a été défigurée par la violence , on ressent intimement cette priorité .Ce qui n'empêche pas que nous devons aussi agir énergiquement pour éviter à des milliers de gens , souvent de jeunes gens , qui sont tentés par la délinquance , de gâcher irrémédiablement leur vie .
Cette vision des choses ,c'est celle du projet de loi sur la prévention de la délinquance. Il ne s'agit pas de rajouter de l'argent à des dispositifs nationaux, ou bien d'en créer d'autres. Il s'agit d'identifier des problèmes concrets et d'y apporter des réponses concrètes. Il s'agit de mettre les responsables locaux en état d'y répondre, au plus près de la réalité.
C'est d'abord une nouvelle méthode
Cette méthode ,c'est une démarche qui consiste à s'adresser directement à des personnes, lorsqu'elles rencontrent des situations difficiles ou lorsqu'elles vont les rencontrer. D'où quatre changements
D'abord, la proximité : il nous faut nous rapprocher au plus près du terrain et ce n'est pas notre tradition. C'est pour cela que nous imaginons une organisation de la prévention de la délinquance autour des maires. Je le constate évidemment ici avec Marie Louise Fort et son équipe .Ce sont les maires qui connaissent les acteurs locaux.
Le deuxième changement de mentalités, c'est le travail en réseau. On a en France une culture très forte des institutions, et encore plus des" corps", qui fait que l'on travaille rarement en équipe lorsque l'on a des statuts différents Et c'est pour cela que le texte prévoit de rendre obligatoire, dans les communes de plus de 10 000 habitants, la création d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Vous le savez ici , cette instance permet de faire du bon travail parce qu'elle rassemble des gens qui souvent s'ignoraient.
Le troisième changement important c'est celui de l'exigence de présence sur le terrain. L'Etat, bien entendu, reste responsable de la prévention de la délinquance : il définit les orientations, il est chargé de mettre en place les réseaux de compétences. Monsieur le préfet , votre rôle , c'est d'élaborer un plan départemental de prévention, cela c'est normal et indispensable. Mais même si c'est le maire qui devient le pivot des dispositifs, l'Etat doit toujours être là dans les quartiers pour aider, pour orienter, pour répondre. Beaucoup d'habitants des quartiers sensibles n'identifient l'Etat qu'à travers la police, et ce n'est évidemment pas normal. L'Etat doit sortir , enfin , de ses bureaux .
Enfin, le quatrième changement de méthode qu'apporte ce texte, c'est celui d'une responsabilisation des personnes.
Il faut sortir des logiques d'assistance et de sanction qui sont actuellement les seules à l'œuvre. .Vous avez mis en place ici un dispositif de réussite éducative , et c'est l'exemple même de cette démarche de contrat , où tout le monde s'engage , y compris les principaux intéressés .
Cette méthode nouvelle, à elle seule, est déjà, à tous ces titres, une révolution des mentalités.
Mais sur le fond des choses, ce texte a aussi deux ambitions fortes : prendre en compte les aspects de la délinquance qui sont devenus des phénomènes de société ; et puis enfin, et c'est majeur, ouvrir des perspectives à ceux qui veulent s'en sortir.
II Ouvrir les yeux sur les nouveaux aspects de la délinquance
La délinquance emprunte aujourd'hui des visages beaucoup plus divers qu'il y a vingt ans. Il n'est que temps pour nous de nous adapter à cette réalité .
Je voudrais aborder le sujet trop souvent conflictuel de la violence des jeunes. Il est un fait que la violence touche de plus en plus les mineurs - +80% de délinquance de mineurs depuis dix ans- et des mineurs de plus en plus jeunes.
Il faut reprendre les choses dans l'ordre. On entend souvent dire que l'école ne peut pas tout faire et c'est vrai. Mais l'école ne peut pas se désintéresser de la délinquance.
Il sera donc d'abord affirmé dans le code de l'éducation le principe d'une participation de l'Education nationale à la prévention de la délinquance. A ce titre, sera généralisée dans tous les établissements, la création d'un comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté , et l'élaboration d'un plan de sécurité et de prévention de la délinquance dans l'établissement.
A l'école sera aussi organisé un suivi de la santé des enfants. A l'heure actuelle, des enfants en difficulté ne sont pas suivis. En réalité, on fait comme si la famille assumait ce rôle, alors qu'on sait que souvent ce n'est plus le cas. C'est beaucoup de lâcheté collective, et nous proposons d'avoir un peu plus de courage, dans le seul but de prévenir des situations très difficiles auxquelles ensuite personne ne sait plus comment faire face.
Il faut créer une chaîne continue de suivi de la santé des enfants en intensifiant les interventions de la PMI, et faire prendre le relais par la médecine scolaire à partir de 6 ans. Il faut des rendez vous fixes, à 3 ans, à 6 ans, et des bilans codifiés pour pouvoir les évaluer. Il faut déceler les troubles et leur apporter des réponses. Les troubles de comportement des jeunes enfants révèlent des situations de mal être, des difficultés familiales, bref, des fragilités qui peuvent conduire à des attitudes de violence. Il n'y a pas l'ombre d'une idéologie quelconque dans ce simple constat!
Il faut aussi prendre à bras le corps la question de l'absentéisme scolaire, qui est parfois l'antichambre de la délinquance et en tout cas celle de l'échec. Vous avez eu le courage de le faire avec une commission d'assiduité scolaire dans l'Yonne , qui est un vrai progrès .Ce que nous proposons, c'est donc de mettre le maire en mesure de faire respecter cette obligation, en liaison avec les caisses d'allocations familiales et l'inspecteur d'académie, qui devront là encore apprendre à travailler ensemble .Ce dispositif doit permettre d'intégrer les allocations familiales dans un projet global autour de la famille.
Enfin nous avons le devoir absolu de lutter contre la délinquance des mineurs. Nous sommes collectivement responsables de ces jeunes. Et lorsque je dis qu'un mineur de 2006 n'a plus grand chose à voir avec un mineur de 1945, ce n'est pas pour le dénoncer, c'est pour chercher un moyen de le préserver. Or, l'ordonnance de 1945 ne nous le permet pas.
La quasi-impunité de fait ne rend service à personne, et certainement pas aux intéressés. Une politique de prévention de la délinquance des mineurs doit rester fondée sur des mesures éducatives. Mais elle doit aussi faire une place beaucoup plus grande à la responsabilisation des intéressés et la volonté de les insérer au plus tôt dans la société. Ainsi, de nouvelles mesures éducatives sont imaginées : éloignement du mineur pour un temps limité de son lieu de résidence habituelle afin de l'extraire d'un milieu qui valorise la violence ; exécution de travaux scolaires adaptés pour réhabiliter l'école et redonner le goût de l'étude.
Et puis lorsque les autres voies sont épuisées ou inappropriées, une réponse plus ferme doit aussi pouvoir être appliquée. C'est pour cela que sont créés l'avertissement judiciaire, l'obligation de réparer le dommage causé.
Enfin, la délinquance des mineurs doit recevoir une réponse rapide, la rapidité important tout autant que le contenu de la réponse. La réponse de la société, pour avoir du sens, doit être très rapide.
Pour des comportements asociaux, particulièrement graves et reconnus comme tels par la loi pénale dont les auteurs sont des mineurs de plus de 16 ans, réitérants ou récidivistes, la procédure de jugement immédiat ou quasi-immédiat devrait pouvoir être décidée avec l'accord du mineur lui même ou de ses représentants légaux.
Deuxième sujet de société auquel nous devons faire face : celui de la toxicomanie.
Il y a en France 3,5 millions de consommateurs de cannabis. Depuis le début des années 90, le niveau d'expérimentation des jeunes adultes a doublé. Il est prouvé que cette consommation peut avoir des effets graves pour les consommateurs eux mêmes – depuis l'échec scolaire jusqu'à l'augmentation du risque d'accident; le cannabis facilite aussi le passage à l'acte agressif en créant une euphorie artificielle.
Actuellement, de fait, cette consommation n'est pas réprimée. L'usage simple de stupéfiants est un délit réprimé par un an d'emprisonnement et 3.750 € d'amende En pratique, cette mesure n'est aujourd'hui quasiment plus appliquée dans la conduite de la politique pénale. Ceci est notamment dû, d'une part à une inadéquation entre la peine encourue et l'infraction, et d'autre part à l'impossibilité matérielle de poursuivre les 100.000 personnes interpellées chaque année pour usage de stupéfiants dont 90.000 pour usage de cannabis.
L'objectif recherché, c'est donc de redonner une réalité à l'interdit social de la drogue, c'est de rendre la loi applicable et dissuasive, notamment à l'égard des jeunes qui représentent deux tiers des consommateurs de produits. D'où l'avantage du traitement de l'infraction d'usage de drogue par la composition pénale qui sera désormais applicable aux mineurs, ou par la procédure de l'ordonnance pénale que l'on étend au délit d'usage pour les majeurs, qui allie efficacité et respect du principe de proportionnalité.
Troisième phénomène de société auquel nous devons absolument répondre : les violences conjugales
En France, six femmes meurent chaque mois des suites de la violence domestique. Plus d'1 femme sur 5 a été agressée dans la rue ou au travail.
Tout en aidant les victimes, bien évidemment, il faut leur permettre de s'en sortir. Souvent les victimes ne réagissent pas parce qu'elles n'ont pas de solution de vie alternative, sous la menace perpétuelle d'un conjoint violent qui vit sous leur toit. Il faut agir à la racine du mal. Au-delà des mesures prévues dans la loi du 4 avril 2006, il faut intégrer l'obligation de suivi thérapeutique dans le cadre du suivi socio – judiciaire, afin d'éviter la récidive, et adapter la réponse judiciaire par la création d'une infraction autonome destinée à sanctionner ceux qui se livrent à des violences habituelles au sein du couple.
On aura beaucoup progressé si on met en place ces dispositifs qui permettent de prendre en compte des phénomènes de société nouveaux.
Mais il faut aller encore plus loin. Il faut donner des perspectives à ceux qui n'en ont pas, c'est le seul moyen durable de faire reculer la délinquance dans notre pays pour les détourner de la délinquance
III Egaliser les chances dans notre société
Cette égalisation des chances, elle passe à mes yeux par deux canaux : d'une part, faire plus pour ceux qui ont moins, c'est ce que j'ai appelé la discrimination positive à la française. D'autre part, renforcer la responsabilité civique, parce que redonner le goût des valeurs républicaines à ceux qui ne les connaissent pas, c'est leur redonner, là aussi, une nouvelle chance de s'en sortir.
Le projet de loi comporte deux mesures fortes : la création d'un service volontaire citoyen de la police nationale, et la prise en compte de la période de service civil volontaire pour l'accès à la fonction publique. Ces dispositifs ont clairement pour objet d'insérer dans la vie sociale et professionnelle des jeunes à travers un engagement au service de valeurs positives.
Au-delà de ces deux mesures législatives, nous devrons évidemment aller beaucoup plus loin faire de l'éducation civique une matière d'examen , développer l'accès aux internats d'excellence, laisser une chance aux jeunes jusqu'à ce qu'ils sortent de la scolarité obligatoire, à travers une pédagogie différenciée ; organiser des études dirigées ou surveillées après les cours à partir du collège ; relancer les Bourses au mérite.
Mesdames et Messieurs, j'ai tenu à vous faire partager cette conviction : la prévention de la délinquance, c' est ce choix de société. Parce que nous serons enfin justes, nous pourrons aussi être fermes avec ceux qui refusent tout effort d'intégration. C'est cet équilibre qu'attendent nos concitoyens . Et c 'est sur le terrain, comme ici , et grâce à des gens aussi impliqués que vous que cette politique pourra vivre .Je crois qu'il y a là une source d'immense espoir pour notre pays .