23.09.2006 - Déplacement de M. Nicolas SARKOZY au Sénégal

23 septembre 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, lors de la signature de l'accord franco-sénégalais sur la gestion concertée des flux migratoires, à Dakar au Sénégal.


Monsieur le Ministre d'Etat, cher Ousmane,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les secrétaires généraux et les directeurs,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux d'être présent parmi vous aujourd'hui à Dakar, ville qui est si chère au cœur des Français. L'amitié entre la France et le Sénégal est profondément ancrée dans l'histoire. Une telle proximité entre deux Etats souverains, du Nord et du Sud, a peu d'équivalent dans le monde. Je suis venu en ami du Sénégal, grande nation africaine, symbole de la tolérance, de la démocratie, de la paix en Afrique.

Le Sénégal est aujourd'hui touché de plein fouet par un phénomène dramatique : celui de la fuite d'une partie de sa jeunesse dans des conditions souvent tragiques. Nous en avons longuement parlé avec le président Wade, notamment lors de notre rencontre à Paris le 24 mai dernier. Tous les jours, des centaines de jeunes Sénégalais embarquent sur des pirogues avec l'espoir de gagner l'Europe, via les îles Canaries. Plus de 20 000 migrants se sont ainsi lancés dans cette périlleuse aventure depuis le début de l'année 2006. Une partie d'entre eux y ont trouvé la mort.

Nous sommes face à une véritable tragédie. Aucun responsable politique ne peut accepter que des milliers de jeunes gens exposent ainsi leur vie dans des conditions atroces. La mobilisation des mères sénégalaises pour dénoncer ce phénomène montre la gravité et la profondeur du drame.

Plus grave : le Sénégal est en train de subir une véritable saignée de sa jeunesse, de ses forces vives, de ses sources de dynamisme. Cette fuite à l'étranger est l'un des grands sujets de préoccupations du président Wade. Je partage pleinement cette inquiétude pour l'avenir du Sénégal.

Entre nations amies, entre pays frères, il est essentiel de se parler franchement. Face à ce drame, la France est totalement solidaire du Sénégal. Ma présence aujourd'hui à Dakar est le signe de cette solidarité.

Je vais vous dire ce que je pense de la situation en toute sincérité. En Europe, beaucoup de beaux esprits nous disent aujourd'hui : tout cela est bien normal. Les jeunes Africains, les jeunes Sénégalais, partent parce qu'ils n'ont pas de travail, pas d'avenir, pas d'espoir en Afrique. Ils sont victimes de la misère. Les mêmes beaux esprits affirment que c'est l'Europe qui est coupable. D'après eux, l'Europe est devenue une forteresse obligeant les migrants à risquer leur vie pour venir s'y installer.

D'abord, c'est totalement faux. Selon les dernières statistiques de l'OCDE et des Nations-Unies, l'Europe accueille 2,4 millions de migrants réguliers chaque année, auxquels il faut ajouter 300 000 demandeurs d'asile. Au total, l'immigration en Europe est bien plus importante qu'aux Etats-Unis et au Canada. En ce qui concerne la France, nous recevons chaque année environ 170 000 migrants réguliers dont les deux tiers proviennent du continent africain.

Qui peut encore oser parler d'Europe forteresse, de France barricadée ?

Mais vous le savez comme nous, ni l'Europe ni la France ne peuvent recevoir tous ceux qui rêvent d'un eldorado. Une ouverture générale des frontières entraînerait en peu de temps une déstabilisation des sociétés européennes et l'arrivée au pouvoir de partis xénophobes. Cela, personne ne le souhaite.

Mais surtout, je n'accepte pas la vision désespérée et misérabiliste qui est en arrière-plan de ce discours. Je ne veux juger personne. Je trouve seulement que risquer sa vie pour gagner l'Europe, quand on est un jeune Sénégalais, est une grave erreur qui peut être lourde de conséquences. On a le droit de risquer sa vie pour fuir une dictature et les persécutions, comme le prévoit la Convention de Genève. On peut aussi comprendre que certains veuillent quitter un pays quand celui-ci est privé de tout avenir.

Or justement, le Sénégal est tout le contraire d'un pays privé d'espoir. Le Sénégal est un pays de liberté et d'espérance, un exemple de démocratie et de tolérance. Le Sénégal est un pays uni et fier de son unité. Il offre à l'Afrique et au monde un modèle d'harmonie entre ses composantes ethniques et religieuses. L'unité, la paix, la tolérance : telles sont les richesses inestimables que beaucoup de pays au monde pourraient aujourd'hui envier au Sénégal.

Bien entendu, l'émigration massive a d'abord des causes économiques. Les jeunes partent dans l'espoir d'obtenir en Europe un travail et une amélioration de leur niveau de vie. Il faut leur dire qu'il existe d'autres solutions que l'émigration.

Les raisons d'espérer en l'avenir du Sénégal sont nombreuses. Je voudrais rappeler que le taux de croissance du PIB moyen est de 5% chaque année et de 6,1% en 2005. Certains secteurs de l'économie sénégalaise sont en pleine expansion : le bâtiment et les travaux publics connaissent un essor spectaculaire. L'agroalimentaire et les transports se développent à un rythme accéléré. Mieux encore : le Sénégal obtient des résultats remarquables en matière de technologies de pointe. L'informatique et Internet se développent à vive allure.

La croissance du Sénégal est d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas due à des richesses naturelles. Elle est due à la compétence, au dynamisme et au talent de ses cadres, de ses ingénieurs, de ses informaticiens. Voilà de formidables raisons d'espérer !

Il y a quelques années, on parlait des « tigres de l'Asie » à propos des quelques pays qui sont sortis soudain de la pauvreté pour connaître une expansion fulgurante fondée sur les technologies de pointe. Je suis sûr qu'un jour, peut-être pas si lointain, on parlera de la même façon des « lions de l'Afrique », et le Sénégal sera de ceux-là !

Comment faire comprendre à la jeunesse sénégalaise, à la jeunesse africaine qu'il existe une issue pour elle en dehors de l'émigration ? Telle est, je le crois, l'une des questions clés du XXIème siècle. C'est tout le sens de l'accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Sénégal. La signature de ce document se situe à un moment décisif pour la politique de l'immigration. Elle intervient à la suite de deux événements majeurs :

- D'abord l'adoption par le Parlement français de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, qui pose les fondements d'une politique concertée de l'immigration entre la France et les pays d'origine ;

- Ensuite la conférence de Rabat des 10 et 11 juillet dernier qui prévoit un partenariat Nord-Sud en matière de développement et d'immigration.

La négociation de notre accord entre les deux délégations a longtemps buté sur des questions de principe. Nous avons réussi à surmonter des obstacles délicats tout en améliorant le contenu de ce texte. J'y vois un signe supplémentaire de l'amitié entre la France et le Sénégal, de la franchise des liens qui les unissent.

Cet accord est sans précédent. Sa signature a un caractère historique. Je le dis en pesant mes mots et en toute sincérité. C'est en effet la première fois que deux pays s'engagent sur un traité international de cette nature destiné à organiser les flux migratoires en liaison avec la question du développement. Cet accord est exemplaire à plusieurs titres. Tout d'abord, il organise les migrations, dans toutes leurs dimensions, à travers un partenariat étroit entre deux pays.

1/ C'est la première fois que deux pays s'entendent pour gérer ensemble les flux d'immigration régulière. La France et le Sénégal instaurent une concertation étroite sur le volume des flux migratoires, mais aussi sur l'accueil dans les meilleures conditions des personnes qui migrent pour des raisons familiales, pour des raisons de travail ou pour leurs études.

L'accord a aussi pour objectif fondamental de lutter contre le pillage des cerveaux, la fuite des compétences et des talents du Sénégal. Je sais combien cette dimension de la gestion des flux migratoires est chère au président Wade. L'un des objectifs de cet accord est de faciliter une migration de mobilité, permettant à des étudiants, à des professionnels de tout niveau, de venir en France se former, acquérir une expérience professionnelle dans la perspective d'un retour dans leur pays afin de participer à son développement.
Une clause particulière vise ainsi à faciliter la réimplantation sur une base volontaire des médecins sénégalais au Sénégal. J'insiste sur ce point car il est fondamental à mes yeux.

2/ A travers ce traité, c'est la première fois à ma connaissance que deux pays vont aussi loin dans une volonté commune de lutter contre l'immigration clandestine. La France s'engage à mobiliser des moyens importants pour aider le Sénégal à contrôler ses côtes maritimes. Elle le fera en pleine harmonie avec ses partenaires européens, dans le cadre de FRONTEX, pour obtenir une efficacité maximale.

La France et le Sénégal ont accepté le principe d'organiser conjointement le retour dans leur pays d'origine des migrants en situation irrégulière. Cet accord de principe, sans précédent entre la France et un pays d'Afrique, représente une étape décisive pour combattre l'immigration clandestine. Un accord complémentaire, précisant les modalités concrètes de cette coopération, devra être signé dans les plus brefs délais.

3/ Enfin, c'est la première fois que deux Etats signent un accord qui associe aussi étroitement la question de l'émigration et celle du développement. Et là, on est au cœur du problème. On est au cœur de l'avenir. Ce lien étroit entre développement et émigration constitue la réponse au malaise d'une partie de la jeunesse, malaise qui s'exprime à travers les embarquements sauvages.

Un volet essentiel de notre accord vise à donner une nouvelle impulsion à la coopération franco sénégalaise en matière de développement économique et social., Ce que nous avons voulu faire à travers cet accord, c'est aider le Sénégal à donner à sa jeunesse des raisons supplémentaires de croire en l'avenir du Sénégal. Et surtout de vouloir vivre au Sénégal. Nous voulons créer des emplois, accélérer le développement du Sénégal pour éradiquer les causes profondes de l'émigration.

Cet engagement de la France porte sur des champs d'actions multiples : l'agriculture, en soutien au plan REVA du président Wade, la pêche, la santé, l'éducation, les micro-projets de développement destinés à créer des emplois destinés aux jeunes Sénégalais, la coopération décentralisée, entre collectivités locales française et sénégalaises.

Je tiens à souligner auprès de mes amis sénégalais un point qui est au cœur de cet accord et qui m'est particulièrement cher : celui de la participation des migrants au développement de leurs pays d'origine.

Lorsque nous nous sommes rencontrés à Paris le 31 août, mon cher Ousmane, nous étions parfaitement d'accord sur un point : il n'est plus possible de se contenter des recettes classiques. La recherche de solutions nouvelles, innovantes, est aujourd'hui la clé de notre réussite commune. J'ai la ferme conviction que la mobilisation des migrants au service du développement de leur pays d'origine constitue l'une des clés de l'avenir. Aujourd'hui, les transferts de fonds des migrants sénégalais en France atteignent 800 millions d'euros. En mobilisant une partie de cette somme à des fins d'investissement productif, nous avons là un formidable levier du développement économique.

Cette politique qui vise à mettre en valeur les moyens des migrants à des fins de développement est au cœur des conclusions de la conférence de Rabat des 10 et 11 juillet 2006 à laquelle le Sénégal a souscrit, et de la loi française du 24 juillet 2006, qui instaure, dans ce but, le compte épargne co-développement.

Mon cher Ousmane, Mesdames et Messieurs, je me répète, nous venons de franchir une étape décisive pour l'avenir. J'ai la conviction profonde que l'accord franco-sénégalais de gestion concertée des flux migratoires, dans la continuité de la conférence de Rabat, ouvre une ère nouvelle pour les politiques de l'immigration.

Je forme le vœu que l'initiative franco-sénégalaise serve de modèle à d'autres accord bilatéraux de ce type destinés à promouvoir une gestion concertée de l'immigration entre pays sources et pays de destination.

Je tiens à remercier le président Abdoulaye Wade. C'est à la suite de mon entretien avec lui, le 24 mai 2006, que nous avons décidé de lancer cette initiative sans précédent. C'est la preuve qu'il est toujours payant de se parler franchement et de s'expliquer sans tabou.

Je vous remercie également de tout cœur, mon cher Ousmane, pour le rôle déterminant que vous avez joué dans cette négociation. Je sais combien à plusieurs reprises, vos interventions ont été décisives pour lever certains obstacles.

Je remercie Monsieur l'ambassadeur du Sénégal en France pour le rôle décisif qu'il a joué dans l'aboutissement de ce travail. Je voudrais également remercier le secrétaire général du comité interministériel de contrôle de l'immigration, Patrick Stefanini, qui en a été la pierre angulaire côté français. Merci à M. l'ambassadeur de France au Sénégal pour l'aide précieuse, décisive qu'il nous a apportée. Un grand merci enfin à tous les responsables sénégalais et français qui ont participé à ce grand chantier de l'été 2006.

Mais faut-il le préciser ? Nous ne sommes qu'au début d'une lourde tâche qui va marquer les prochaines décennies.

C'est tous ensemble désormais que nous allons relever l'un des plus grands défis du XXIème siècle.