23.02.2006 - Déplacement de Nicolas SARKOZY à l'ENSP

23 février 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire à l'Ecole Nationale Supérieure de Police de Saint-Cyr Au Mont d'Or, lors de son déplacement à Lyon


Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui, devant vous à Saint Cyr au Mont d'Or sur un thème majeur pour notre société : l'égalité des chances.
 
Le temps est à l'action. Nous devons promouvoir un modèle de société plus ouverte et plus juste. Je veux ici affirmer ma détermination à faire de ce ministère un exemple. La police doit être à l'image de la société. Elle doit, à mérites équivalents,  accueillir dans ses rangs tous ceux qui partagent la motivation, le désir et les capacités de travailler partout et pour tous à garantir la sécurité des Français.
L'égalité républicaine ne saurait être qu'un concept, une idée purement virtuelle. Je veux en faire une réalité car ce dont il s'agit, c'est bel et bien de construire ensemble l'avenir de notre République.
C'est la raison pour laquelle j'ai lancé l'idée de discrimination positive à la française.
Ce n'est pas une politique de quotas. Elle n'est pas une réplique de ce qui se fait dans d'autres pays. Elle n'a qu'un objet : remplacer les mots par des résultats, faire en sorte que l'égalité des chances soit réelle au lieu de se limiter à des affirmations de principes.
Comment bâtir le futur si nous reproduisons des schémas dépassés, des formules inadaptées, des mécanismes désuets et inefficaces ?
Il faut savoir remettre en cause nos façons d'agir, faire preuve de volontarisme, d'imagination et de créativité pour redonner l'espoir à tous les Français pour qui l'avenir est une source d'incertitude, d'angoisse, voire de désespoir.
Nous devons lutter contre toutes les formes de ségrégation sociale. Je veux que chacun puisse penser librement son avenir sans être enfermé dans  le carcan d'un destin pré-établi ne permettant bien souvent que la reproduction de discriminations subies.
Les statistiques illustrent, d'ailleurs, le blocage de l'ascenseur social que notre système éducatif peine à  relancer :
- Plus de 75% des enfants d'ouvriers arrivent en 3ème avec au moins un an de retard (quand ils y arrivent) ;
- A 18 ans, la proportion d'enfants d'ouvriers ayant arrêté leurs études est six fois plus forte que celle des enfants de cadres supérieurs ;
- Dans les "grandes écoles" seuls 5% des élèves sont des enfants d'ouvriers. 62% sont issus de familles de cadres supérieurs et de professions libérales.
Et je ne pose pas la question de savoir combien, parmi eux, proviennent de familles issues de l'immigration. Ce sujet est tellement tabou dans notre société que nous ne disposons même pas d'outils statistiques pour l'évaluer. C'est dire l'ampleur des efforts qu'il y a à consentir dans ce domaine.
Vous avouerez que lorsqu'un jeune issu de l'immigration ou d'origine sociale très modeste venant d'un quartier considéré comme sensible parvient à se hisser dans les hautes sphères de l'administration, à occuper de hautes fonctions dans le secteur privé ou à créer sa propre entreprise, il a bien fallu qu'il y mette une énergie, une volonté, une ténacité supérieures à la moyenne. C'est en cela que notre société manque d'équité et c'est là qu'il faut agir avec enthousiasme et détermination.
Il ne s'agit ni de faire du favoritisme ni de se lancer dans une politique clientéliste fondée sur des critères communautaires.
Il faut savoir intégrer toutes les populations en une seule communauté de valeurs et de destins : celle des citoyens de la République. C'est notre responsabilité, notre devoir et notre honneur.
Il faut aller au devant de ceux qui en ont besoin  pour leur permettre d'occuper, dans la société, la place qui leur est due en fonction de leurs mérites et à laquelle, souvent, ils ne peuvent accéder parce qu'ils partent avec un handicap qu'ils ne peuvent seuls surmonter.
L'Etat doit être le premier acteur de cette politique qui exige des actions et des résultats concrets.
Il est manifeste que, dans certaines catégories de la population, il existe une sorte de renoncement à se présenter aux concours de la fonction publique, comme s'il s'agissait d'un monde inconnu, interdit ou inaccessible. C'est d'autant plus regrettable que la fonction publique, en général, et la police nationale, en particulier ont traditionnellement une fonction d'intégration naturelle par la promotion sociale qu'elles favorisent et garantissent en interne.
En ma qualité de ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, j'ai souhaité qu'on aille au-delà des dispositifs classiques en travaillant en amont du recrutement, en direction, tant des jeunes en recherche d'avenir en dehors des cursus scolaires traditionnels, que des éléments méritants mais sur le point de se décourager, faute des relais nécessaires pour emprunter la voie qui leur convient.
Depuis la rentrée de septembre dernier, le programme des Cadets de la République – option police nationale permet, à 1 000 jeunes de 18 à 25 ans, de suivre une formation en alternance dans le réseau de la police nationale et dans les lycées professionnels afin de se préparer, dans les meilleures conditions, aux concours de gardiens de la paix, sans être nécessairement titulaires du baccalauréat.
J'ai plaisir à saluer ici les cadets du centre de formation de la police de CHASSIEU, que je félicite du choix qu'ils ont fait et à qui je souhaite du courage dans le travail et une totale réussite dans leur entreprise, en les assurant de mon soutien et de mes encouragements.
Pour repérer et aider les meilleurs éléments, avant qu'ils ne se découragent, il est indispensable que l'Etat fasse mieux connaître ses services et les carrières qu'il offre. Les délégations régionales au recrutement et à la formation font déjà du bon travail, mais il faut toucher un public encore plus large.
L'Institut d'Etudes Politiques de Paris a été, de ce point de vue, à l'avant garde, en développant  des Conventions Education Prioritaire (CEP) qui permettent de diversifier les recrutements en repérant des élèves à fort potentiel issus de lycées classés en zone d'éducation prioritaire.
J'ai voulu que le ministère de l'intérieur profite de cette expérience en s'appropriant ces bonnes pratiques et je dois, prochainement, signer une convention avec Richard DESCOINGS, le directeur de Sciences-Po..
Il s'agit notamment de faciliter l'information et l'accompagnement vers les métiers de l'intérieur d'élèves d'établissements situés en zone d'éducation prioritaire en s'appuyant sur le réseau de lycées partenaires de l'IEP de Paris et en désignant des correspondants qui interviendront en tant "qu'ambassadeurs de l'égalité des chances" au sein de ces établissements.
J'ai également demandé aux préfets d'organiser, en liaison avec les inspecteurs d'académie, des conventions de mise à disposition de places de stages pour les élèves de 3ème des collèges de ZEP.
Le 9 décembre dernier, j'ai moi-même signé une convention avec le président de VédiorFrance afin de poursuivre l'initiative originale de partenariat entre le secteur public et le secteur privé qui en 2005 a permis à 500 jeunes de découvrir, dans les écoles et centres de formation de la police, au cours d'un stage sécurité-citoyenneté, l'ensemble des métiers de la sécurité.
Cette initiative est d'autant plus intéressante, au-delà de l'originalité de son organisation, qu'elle permet à des jeunes en recherche d'emploi d'élaborer un projet professionnel concret.
Dans les mois suivant le stage, 13% d'entre eux ont trouvé un emploi stable dans des métiers de la sécurité ou en entreprise, 32% ont passé la sélection ADS ou cadets ou ont participé au concours de gardien de la paix, 6% sont en voie d'incorporation par concours pour embrasser des carrières dans la gendarmerie et les douanes.
Au vu de ces résultats, j'ai souhaité que cette opération soit reconduite en 2006 et étendue à 1 000 jeunes de 18 à 25 ans.
A ma demande, la direction de la formation de la police nationale, en étroite collaboration avec les services de l'éducation nationale, travaille à la création d'un BEP des métiers de la sécurité, offrant, ainsi de nouvelles perspectives à des jeunes de 16 à 18 ans, qui pourront, par ce biais, s'ils le souhaitent, reprendre des études longues dans le cadre du nouveau baccalauréat professionnel "sécurité-prévention", dont la première session débutera à la rentrée scolaire 2006.
J'ai également souhaité que soient créées, dès cette année, des classes préparatoires intégrées pour aider des jeunes représentant toutes les composantes de la nation et donc toute la diversité de la société à entrer dans la fonction publique à un haut niveau de responsabilité.
Permettez-moi de m'attarder un instant sur cette mesure.
Il ne s'agit pas là de favoriser tel ou tel parce qu'il vient d'un quartier défavorisé ou d'une cité sensible.
L'origine géographique des candidats ne saurait constituer à elle seule un passeport d'entrée.
Ces classes préparatoires ont été ouvertes à des candidats ayant subi une sélection drastique.
Ils possèdent tous les conditions et les diplômes requis, mais leur situation familiale, sociale ou personnelle ne leur a pas donné toutes les chances nécessaires d'obtenir un métier à la hauteur de leurs qualifications.
Cette nouvelle mesure permet à ces jeunes qualifiés, motivés et méritants de se présenter aux concours administratifs munis d'atouts que leur situation sociale leur avait refusés.
Il s'agit finalement, que l'Etat donne aux moins favorisés les mêmes chances que celles dont bénéficient les enfants de familles qui peuvent leur offrir des formations privées de préparation aux concours.
Je remercie la direction générale de la police nationale, et plus particulièrement sa direction de la formation ainsi que l'Ecole Nationale Supérieure de Police, d'avoir tout mis en œuvre pour que cet objectif soit atteint dans des délais aussi courts. Sachez que je suis heureux d'avoir en face de moi des jeunes qui ont de l'énergie, de la volonté et le désir de servir leurs concitoyens en se préparant aux concours d'officiers et de commissaires de police.
Vous êtes 19 venus de l'école nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Ecluse, que vous avez intégrée le 23 janvier dernier et 13 présents, ici, à Saint-Cyr-au- Mont d'Or depuis le 2 janvier. Vous êtes hébergés par ces écoles car j'ai voulu que l'internat soit la règle dans le cadre de ces classes préparatoires.
Vous avez toutes et tous déjà suivi un brillant parcours universitaire. Car je ne veux pas que l'on se méprenne : il ne s'agit pas de vous offrir un passe-droit. Les conditions d'accès aux concours sont strictement respectées et vous subirez les mêmes épreuves que les autres candidats.
Tout mes vœux vous accompagnent ; je vous souhaite, comme à nos cadets, une totale réussite, car les uns comme les autres, vous représentez notre avenir.
J'ai souhaité que ces initiatives soient déclinées également dans la gendarmerie nationale et chez les sapeurs-pompiers. Ainsi, dès la rentrée scolaire 2006, l'Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers ouvrira une première session de classes préparatoires et l'école des officiers de la gendarmerie nationale offrira le statut d'aspirant de gendarmerie issu du volontariat à un certain nombre d'étudiants qui, par ce biais, pourront préparer le concours d'admission 2007.
Vous l'avez compris, je refuse le statu quo. Accepter la situation en l'état, cela voudrait dire laisser les inégalités se creuser dans notre pays d'une génération à l'autre, d'une partie du territoire à l'autre. Je veux donc changer nos approches et nos méthodes, dans le cadre des règles de notre République.
On ne peut être efficace qu'au prix d'une mobilisation collective. Nous ne réussirons que si nous travaillons tous ensemble avec nos partenaires publics et privés.
Enfin, ma conviction c'est qu'il faut corriger des inégalités sans en créer d'autres. Il faut compenser les handicaps pour que chacun ait les mêmes chances de réussir. Il ne s'agit pas de créer des quotas ni de réserver des filières d'accès à telle ou telle catégorie de la population, mais de mettre les jeunes qui ne sont pas avantagés en mesure d'avoir les mêmes chances de réussite aux concours que les autres.
L'Ecole Nationale Supérieure de la Police Nationale, qui forme les commissaires de police, se devait d'être le symbole de cette volonté d'offrir à tous les mêmes chances d'intégrer l'un des nombreux métiers de la police nationale.
Il s'agit là de premières initiatives porteuses d'espoir ; nous avons prouvé que nous étions capables d'imagination et d'innovation ; nous progressons dans la bonne direction, mais il reste tant à faire. Maintenez vos efforts, poursuivez votre action sans vous décourager. Je crois qu'ensemble, au sein de ce ministère, nous montrons la voie, celle d'une République qui est capable de rendre du sens au principe d'égalité !
Merci à tous.