Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire - Zilia
Je vous remercie tous pour la franchise de vos propos ,qui prouvent bien que le dialogue vaut mieux que toutes les notes du monde , et que la discussion même si elle n'est pas facile vaut mieux que le repli sur ses positions .
Je voudrais avant de vous quitter insister sur les trois points cruciaux qui nous préoccupent , la prévention ,la lutte , les suites des feux , et vous faire des propositions concrètes :
- tout d'abord sur la prévention
La meilleure façon de lutter contre les incendies c'est évidemment de les prévenir . Et la meilleure façon de les prévenir est de retrouver les incendiaires et de les sanctionner très durement .
La gendarmerie, qui fait déjà beaucoup, va encore renforcer son dispositif permanent de prévention des incendies . L'objectif est tout autant de dissuader que d'intercepter les incendiaires .Tous les services concernés doivent intensifier leur concertation pour éviter la moindre faille dans la surveillance . Sur le terrain , la gendarmerie mettra en oeuvre des moyens banalisés pour appréhender les incendiaires en flagrant délit .
Je demande aussi au directeur général de la gendarmerie de mettre en œuvre des moyens d'observations supplémentaires , en particulier des moyens techniques d'observation nocturne .
Je demande enfin une meilleure coordination entre la surveillance aérienne et terrestre , dans les périodes à risque , et cela avec le concours des gendarmes mobiles .Nous interviendrons sur le terrain dès qu'une anomalie est décelée .
Nous n'aurons de cesse de rechercher et d'appréhender les auteurs d'incendie , et je vous garantis que la plus grande sévérité sera appliquée .
- mais il faut aussi organiser la surveillance de façon plus efficace ; nous avons souvent affaire à des pyromanes qui attendent le soir pour allumer le feu . Il ne faut pas baisser les bras devant cette difficulté ,même si elle est particulièrement odieuse
Nous devons absolument inscrire la prévention dans un cadre cohérent , qui est celui de la Corse tout entière , car le problème est de même nature au Nord comme au Sud. Le « plan de protection contre les incendies des forêts et des espaces naturels » (PPIFEN ), qu' a présenté le préfet de Corse , doit être prescrit, dès que possible , après avis de l’assemblée de Corse. Ce plan n'a pas pu être examiné par l'Assemblée de Corse ,il doit l'être .L'Etat apporte son concours à ce plan , je demande aux élus de se mobiliser sans plus tarder autour de cette démarche, et de s'engager sur ces orientations
Ensuite , des choses qui devraient être simples et évidentes telles que le débroussaillement , doivent absolument être faites . En cas de carence, il appartient aux maires de se substituer aux propriétaires défaillants, aux frais de ces derniers. Je sais qu'on n'a pas envie de fâcher dans les villages .Je crois qu'il est beaucoup plus fâcheux d'avoir à s'expliquer devant les propriétaires de maquis , de forêt , d'exploitations dévastées .Sortons s'il vous plaît de ces comportements qui sont totalement dépassés .Les propriétaires doivent être responsabilisés .La loi de modernisation de la sécurité civile a mis en place une mesure incitative supplémentaire, en instaurant une franchise d'assurance de 5.000 Euros. En cas de sinistre, le propriétaire défaillant n’est pas indemnisé intégralement de son dommage .Il faut le faire savoir .
Une autre piste à suivre d'urgence est la recherche des causes de feux
La connaissance de la cause des feux est un préalable nécessaire afin de remédier aux incendies qui relèvent de pratiques pastorales, de conflits liés à la chasse ou à l’usage du sol, du défaut d’entretien de dépôts d’ordures …, mais aussi d’aménager le terrain et d’adapter les dispositifs de surveillance, d’alerte et de première intervention en fonction de la localisation de la « pression incendiaire ».
Cette démarche ne relève pas du seul domaine judiciaire. Elle concerne l’ensemble des services contribuant à la protection des forêts qui doivent y apporter les connaissances complémentaires qui sont les leurs, ainsi que les partenaires locaux, les élus, les citoyens .
C’est en Haute-Corse , et c'est un paradoxe absolu , que la base de données « Prométhée » qui enregistre tous les incendies de forêts dans les départements méditerranéens a été en 2004 la moins bien renseignée sur les causes: 80% des feux n’ont pas été renseignés sur ce point en Haute-Corse, 25% en Corse-du-Sud, moins de 5% dans les autres départements méditerranéens. La situation s'améliore en 2005 , mais il faut accélérer l'effort .
Je demande aux deux préfets de soutenir l'effort des équipes pluridisciplinaires de recherche des causes de feu et de me tenir informé des progrès réalisés dans la tenue de la base Prométhée.
La création de réserves communales de sécurité civile .
La loi de modernisation de la sécurité civile ouvre la possibilité de constituer des réserves communales de sécurité civile qui permettent d'impliquer, sous la forme du bénévolat, toute une partie de la population. Ces réserves doivent se constituer , partout en Corse .Les bénévoles ainsi recrutés peuvent par exemple , sous l'autorité du maire, contribuer au débroussaillement communal et conduire des actions de sensibilisation auprès des propriétaires.
Ils pourraient également assurer des missions de vigie :surveillance des sites sensibles , alerte du service d'incendie et de secours, et compléter ainsi les actions de surveillance existantes qui sont importantes ,je ne le nie pas , mais qui ne suffisent pas .
Si les maires le souhaitent , un soutien technique leur sera apporté par la DDSC afin de constituer les réserves communales de sécurité civile.
- II Les moyens de lutte contre les feux
Les moyens aériens .
La Corse bénéficie d'un concours de l'État particulièrement important en raison de son caractère insulaire, et de l'équipement limité des services d'incendie et de secours au regard du niveau de risque.
Je viens d'obtenir la pérennisation du concours de l'Aircrane , qui me semble indispensable , en passant dès 2006 un marché de location pluriannuel .Cela représente quand même un coût pour chaque année de 4M E , c'est donc un effort qui est très loin d'être négligeable .
Les renforts terrestres nationaux :
L’Etat envoie pour trois mois en Corse 520 hommes et 110 véhicules, soit la quasi-totalité des sections « risques naturels » des formations militaires de la sécurité renforcées par des sections militaires intégrées en provenance de régiments traditionnels. Cela revient à doubler les moyens locaux.
Outre les classiques groupes d’intervention sur les feux de forêt, ces forces comprennent un détachement d'intervention retardant permettant la réalisation de lignes d'arrêt par voie terrestre et peuvent s’adjoindre un détachement d'intervention héliporté .
En sus de ces unités, des colonnes mobiles originaires des SDIS du continent peuvent être rapidement mobilisées, comme cela s'est fait à de nombreuses reprises par le passé.
L’Etat ne demande qu’une chose pour les sauveteurs militaires de la sécurité civile : l’hospitalité. Elle a fait défaut en Balagne cet été : le conseil d’administration du SDIS a refusé d’installer des Algeco pour les UIISC, en remplacement de l’hôtel qu’il réservait pour eux les années précédentes. De ce fait une section est cantonnée à Corte au lieu de Calvi. De ce fait les feux de Balagne n'ont pas pu être combattus à leur racine comme ils auraient du l'être .
Il faut y remédier en 2006. Car il vaut mieux installer ces renforts au plus près du risque. Le président de la collectivité de Corse propose de financer un tiers de l'hébergement . l'Etat est prêt à faire un effort de 300 000 euros .Si le conseil général de Haute Corse l'accepte ,un dernier tiers lui reviendra .
Pour les moyens départementaux ,je propose aux élus de Corse une expérimentation : il s’agirait de constituer une réserve territoriale de camions citernes feux de forêt, avec une aide exceptionnelle de l’Etat (au taux maximum de 80%). La condition serait de ne pas disséminer ces engins dans les centres, mais de les conserver groupés pour permettre d’armer une colonne projetable à tout instant sur un grand feu, n’importe où en Corse.
Les équipages seraient des pompiers corses, ou le cas échéant des renforts du continent en cas de besoin de relève.
Je réserve 2 M€ de subvention sur le FAI si les préfets et le directeur de la sécurité civile s’accordent avec les élus corses sur la définition de cette expérience.
Sur les opérations de lutte du 1er juillet.
Les sapeurs-pompiers sont mis en cause, comme souvent après les feux catastrophes. Cela appelle deux observations.
En premier lieu, il est évident que les pompiers les plus aguerris sont en danger devant des feux partis en pleine nuit, attisés par des vents violents, et sans information sûre sur sa localisation faute d’investigation aérienne avant le retour du jour. Le commandement ne doit pas risquer des vies.
Ensuite, il faut tirer les enseignements de cet événement . Si tout n’a pas été parfait, et si rien ne pourra jamais l'être ,le retour d’expérience doit permettre de progresser . La mise au pénal ne favorise pas un échange riche et sincère entre tous les acteurs.
Le maire de Montegrosso pourrait peut-être se ranger à l’idée d’une mission IGA-IDSC pour appuyer le retour d’expérience. Est ce que ce n'est pas mieux que de s'en remettre à une plainte et à un juge d'instruction qui n'aura pas les mêmes moyens à sa disposition ?
III Dernier sujet , très important , les suites des feux .
Ici, la vie doit reprendre .Le conseil général et la collectivité territoriale ont débloqué des aides pour le fourrage . Reste la question de l'interdiction de pacage de dix ans , qui est universelle , de nature législative , et qui a pour objet de dissuader les incendiaires qui voudraient mettre le feu pour récupérer des terres à usage de leurs animaux .
Il n'est pas question de récompenser les pyromanes .Mais il faut ouvrir les yeux sur les réalités : il ne peut être question indéfiniment de pénaliser les agriculteurs qui sont purement et simplement victimes des feux .J'ai demandé au ministre de l'agriculture de m'aider à trouver une solution .
Nous devrions pouvoir aménager l'interdiction de pacage absolue de dix ans ,par voie législative , avant la fin de l'année .Il va de soi que cet aménagement se fera sous garantie : il sera réservé naturellement à ceux qui ne peuvent être soupçonnés d'incendie volontaire , et il impliquera des obligations d'entretien des terres concernées .
Voilà, Mesdames et Messieurs , ce que je voulais vous proposer .Je le redis avant toute chose : nous ne pourrons réussir la lutte contre le feu que si tous les habitants de Corse adhèrent à cette cause .Je sais qu'il y a hélas une poignée de pyromanes malfaisants , mais aussi une immense majorité d'hommes et de femmes qui aiment leur terre .