21.11.2006 - Projet de loi relatif à la prévention de la délinquance

21 novembre 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, lors de l'examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, à l'Assemblée Nationale


Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur, cher Philippe HOUILLON,
Monsieur le Rapporteur pour avis, cher Jean-Michel DUBERNARD,
Mesdames et Messieurs les députés,

Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est l'expression d'une conviction : notre pays a besoin d'une vraie politique de prévention de la délinquance.
 Ne nous cachons pas la vérité : depuis trente ans, des actions ont été menées, des efforts ont été engagés, par tous les gouvernements. Mais il reste beaucoup à faire pour que la violence recule sur l'ensemble de notre territoire.
Je le dis d'autant plus fermement que nous avons engagé, depuis quatre ans et demi, un effort sans précédent pour la sécurité.
Nous avons obtenu des résultats importants. Entre 1997 et 2002, pardon de le rappeler aux députés de l'opposition, la délinquance avait augmenté de 14%. Depuis 2002, nous l'avons fait reculer de 9%. Cela signifie que le nombre de victimes épargnées, depuis quatre ans, s'élève à un million.
Quelle a été notre démarche ? Faire de la sécurité une vraie priorité, en accordant les moyens nécessaires aux forces de sécurité et en les remobilisant.
[Le calendrier de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a été tenu. J'ai engagé depuis 2002 une importante remise à niveau des effectifs : 6 200 fonctionnaires de police supplémentaires auront été recrutés en 5 ans. Nous avons, de même, réalisé tous les grands projets d'équipements : gilets pare-balles, uniformes, armement, communications sécurisées. J'ai demandé que les premières expériences de géo-localisation des véhicules soient lancées. Je veux les meilleurs équipements pour nos forces de sécurité.
J'ai également voulu mieux organiser les services. Pourquoi ? Parce que leur place est sur le terrain, pas dans les bureaux !
A travers la réforme des corps et carrières de la police nationale, les redéploiements des services de police et de gendarmerie, l'installation de la main courante informatisée pour la police, j'ai voulu aussi que nous soyons dotés d'outils performants, pour rechercher les criminels. J'ai donné à la police scientifique et technique les moyens de travailler efficacement. Pour que nous n'ayons plus à avouer une impuissance inexcusable vis-à-vis des familles de victimes, notamment, de multirécidivistes, le fichier national des empreintes génétiques a fait l'objet d'une refonte totale. En 2002, il comportait 4024 empreintes. Aujourd'hui, il en compte 350 000. Cette montée en puissance a permis de  confondre 5 300 coupables.
Poursuivre la modernisation, c'est aussi continuer à adapter les structures. J'ai souhaité que la police judiciaire se réforme, que la sécurité publique se régionalise, que les offices centraux se regroupent afin qu'ils soient plus puissants.]
Tous ces efforts sont sans précédent.  Pourtant, ils ne peuvent, à eux seuls, enrayer la délinquance dans notre pays. Je n'ai d'ailleurs jamais prétendu le contraire. J'ai toujours estimé que la politique de sécurité devait avoir une autre dimension que la sanction. Et cette nouvelle dimension, c'est la prévention. Une prévention qui nous donne à la fois les moyens de dissuasion nécessaires contre la violence, mais aussi les moyens d'empêcher que des situations difficiles ne fassent naître la violence. Dans un pays où les violences aux personnes sont très préoccupantes, la prévention est une nécessité urgente.
 C'est dans cet esprit, en janvier 2004, que j'ai mis en place un plan d'action dans 25 quartiers "sensibles". Je suis allé sur le terrain, au contact des élus, des associations, de la population. Et j'en ai tiré des leçons. C'est à partir de ces expériences locales que nous avons élaboré ce projet de loi, pour disposer de nouveaux outils juridiques sur l'ensemble de notre territoire.
Car il est évident que la sanction, à elle seule, ne peut pas régler les difficultés des millions de nos concitoyens qui vivent dans ces quartiers. Dire cela ne me pose aucun problème, au contraire. Je considère qu'aucun gouvernement n'est allé assez loin dans cette voie. Nous n'avons pas été assez justes, et quand je dis "nous", je m'adresse à tous les bancs de cette Assemblée.
Mais je dis tout aussi nettement que nous n'avons pas été assez fermes. Et une politique de prévention n'a aucun sens si elle ne permet pas de dissuader par la fermeté. Si la fermeté fait défaut, il ne sert à rien de vouloir corriger toutes les injustices de la vie pour arrêter la délinquance. La sanction reste indispensable et doit être plus ferme. La tolérance des dernières décennies, par générosité, par naïveté, ou simplement hélas par négligence, a permis une véritable escalade dans la violence.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à des actes gratuits, sauvages, tels que l'incendie du bus de Marseille survenu il y a un mois. Six mineurs ont bloqué l'entrée d'un bus, y sont montés, ont aspergé délibérément d'essence une jeune fille et ont allumé le feu. Cette jeune fille a été brûlée à plus de 62%. Cet acte ignoble a choqué tous les Français et aucune voix ne s'est élevée pour demander de la clémence. Il est très important que la société réagisse de façon unanime pour, enfin, mettre des bornes à la violence. Il faut absolument éviter la contagion de tels actes : la preuve en est, hélas, que l'on a arrêté à Lille, dès le lendemain de l'agression de Marseille, des jeunes qui voulaient brûler un bus. Pourquoi ? Pour faire "comme à Marseille"…
Cet événement n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Nous avons vu ces derniers mois une bande de jeunes séquestrer, torturer, tuer un jeune homme pour de l'argent. Nous avons vu un père de famille être abattu devant sa femme et sa fille parce qu'il prenait des photos dans un quartier. Nous avons vu un retraité être frappé à mort devant chez lui par des voyous dont il avait simplement croisé le regard. Tous ces évènements, tous récents, tous sans lien entre eux, tous ont été, non pas des faits divers, mais des pas franchis dans la sauvagerie.
Si on excuse la violence, il faut hélas s'attendre à la barbarie.
Nous sommes aujourd'hui au pied du mur. Il faut, enfin, adapter la sanction à la gravité de l'acte. Si nous ne le faisons pas – et nous ne le faisons pas depuis des années –, nous exposons la société à des actes gravissimes. Et nous ne rendons en rien service à ceux qui sont  tentés par ces actes.
 C'est pourquoi le premier pilier de ce projet de loi est une modification de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs.
Aujourd'hui sous prétexte que des délinquants sont mineurs, nous attendons leur majorité pour réagir, mais c'est en fait une vraie décision et une décision grave que nous prenons sans le dire : celle de les laisser dériver sans retour dans une vie déstructurée.
Lors des débats sur ce texte au Sénat, la gauche n'a cessé de m'objecter qu'il fallait laisser sa chance au mineur, qui n'est pas un adulte.
Pour moi, laisser sa chance à un jeune, ce n'est certainement pas le laisser livré à sa dérive. Or depuis dix ans, la délinquance des mineurs a augmenté de 80%. La vie de ces mineurs est gâchée comme est gâchée celle de leurs victimes.
Permettez-moi, quand même, de donner une priorité aux victimes. Les victimes, ce ne sont pas une catégorie de gens à part, qui ne nous concernent pas ! Lorsque comme moi, on a dû expliquer pendant des années à des familles dévastées que personne n'a pas pu éviter leur malheur, je peux vous assurer qu'on comprend ce que le mot "victime" veut dire. La victime n'est pas un malchanceux lointain qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Ce peut être un jour chacun d'entre nous, un de nos parents, un de nos enfants. C'est une vie brisée, mutilée, une famille détruite, et qui peut l'être par un mineur comme par un adulte. Notre priorité absolue doit être de protéger les victimes. Et c'est pour répondre à cette violence de plus en plus dure, qui peut conduire les plus jeunes jusqu'au crime, que je demande des sanctions adaptées aux mineurs d'aujourd'hui.
Qui, dans cet hémicycle, pourrait prétendre qu'un adolescent d'aujourd'hui doit être traité comme un adolescent d'après-guerre ?

Chacun de nous peut le vérifier tous les jours autour de lui : ni l'éducation, ni les repères sociaux ne sont les mêmes. On voit des actes de plus en plus graves commis par des mineurs, le plus souvent sûrs de leur impunité. On voit des "grands frères", ou supposés tel, faire commettre des délits à leur place par les plus jeunes. Doit-on encore faire comme si on ne le savait pas ? L'ordonnance de 1945, même si elle a été retouchée à plusieurs reprises, n'intègre pas cette réalité.

Le résultat, c'est le sentiment d'impunité.

Faute de réponse appropriée, nous avons recours à la répétition de mesures, ce qui en soi est une mauvaise chose, car la répétition affaiblit une mesure quelle qu'elle soit. Et il s'agit en l'occurrence de mesures inadaptées, car elles sont calibrées pour des incivilités, comme l'admonestation ou la remise à parents. Ces fausses réponses sont sans mesure avec les faits commis. On le constate par exemple lorsqu'il s'agit d'agressions à main armée, ou de viols. Elles ont même l'effet inverse du but recherché, en décrédibilisant l'action de la police et de la justice. Elles contribuent à la perte de respect devant l'autorité, qui pèse lourdement sur la cohésion de notre société.

Pour enrayer ce mouvement, nous devons agir dans trois directions.

  Nous devons, d'abord, diversifier les réponses à la délinquance des mineurs, pour les adapter au plus près de leur âge comme des actes commis : pour un enfant de onze ans,  cela sera une obligation de devoirs scolaires ; pour un jeune soumis au caïdat dans son quartier, ce pourra être un éloignement de son milieu pendant un temps limité.

Ensuite, je le répète, il faut pouvoir appliquer une réponse plus ferme. C'est pour cela que sont créés l'avertissement judiciaire et l'obligation de réparer le dommage causé. Il est nécessaire d'y adjoindre le placement extérieur dans un internat scolaire, qui peut être indispensable parfois pour redonner au mineur un environnement sain et stable.

  Enfin, la délinquance des mineurs doit recevoir une réponse rapide. La rapidité sera facilitée par la diversification des mesures. Mais il faut aussi répondre vite aux actes les plus graves. Pour des comportements particulièrement graves, dont les auteurs sont des mineurs de plus de 16 ans, la procédure de présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs doit pouvoir être décidée, avec l'accord du mineur lui-même ou de ses représentants légaux. Les jeunes ayant commis à plusieurs reprises des actes graves ne doivent plus recevoir pour réponse une convocation six mois plus tard !

Cette réforme de l'ordonnance de 1945 a un objectif : donner une réponse à chaque acte de délinquance. Pour autant elle respecte les principes fondateurs du texte, c'est-à-dire la spécificité du traitement des mineurs, et la priorité donnée aux mesures éducatives. L'éducation n'interdit en rien la fermeté.

 La deuxième innovation majeure de ce texte, c'est la définition d'une nouvelle méthode de travail sur le terrain, autour d'un acteur essentiel, le maire.

Jusqu'à présent, les politiques menées par tous les gouvernements se sont adressées à des quartiers ou des catégories en difficulté dans leur globalité. C'est la logique du zonage. Ce n'est pas l'objectif que nous poursuivons dans ce texte. Ce que nous voulons, c'est nous adresser, à des hommes, des femmes, des situations qui par nature sont diverses. C'est plus difficile mais c'est indispensable.

Je prendrai un exemple : la lutte contre l'absentéisme scolaire, un phénomène dont nous n'avons pas encore pris la mesure. Un document récent de l'Education nationale nous dit que la proportion d'élèves absentéistes, c'est-à-dire absents une semaine par mois, va de 10 à 16%, dans un établissement sur dix. C'est devenu un véritable fléau, faute de réponse appropriée.

Aujourd'hui, c'est bien le maire qui est responsable du recensement des enfants en âge d'être scolarisés. Mais il ne peut pas assurer cette mission, car il n'en a pas les moyens. Il n'est, tout simplement, pas informé. Il faut lui donner la possibilité de centraliser toutes les informations disponibles concernant l'obligation scolaire des enfants de la commune, en provenance de la CAF ou de l'Education nationale.

Notre objectif est simple : il s'agit de mobiliser tous les acteurs de terrain autour du maire, qui sera le pivot de la politique de prévention, pour partager l'information, et pour agir de manière concertée.

Cette démarche de mobilisation générale est nouvelle dans notre droit. Elle nécessite deux changements majeurs. D'abord, s'adapter aux réalités du terrain : c'est le contraire d'une logique de guichet. Ensuite, travailler en équipe: c'est le contraire de la logique des corps.

Au cœur du nouveau dispositif, il faut une autorité qui puisse faire deux choses irremplaçables : être un interlocuteur pour tous les publics en difficulté ; et être aussi un interlocuteur pour les acteurs de la prévention. Il n'y a pas d'hésitation à avoir, simplement en regardant la réalité : seul le maire peut jouer ce rôle central. Je le précise d'emblée pour éviter de faux débats : le maire ne devient ni un shérif, ni un procureur. Aucun pouvoir de sanction ou de coercition ne lui est confié.

En revanche, le maire ne peut pas rester un simple spectateur. Il faut qu'il ait les moyens juridiques d'agir afin que son action soit reconnue, pas seulement par les citoyens, mais également par les autres institutions. Il ne s'agit pas de se substituer à la police ou à la justice. Cela n'aurait pas de sens. Il s'agit d'animer la prévention de la délinquance.

L'article 1er du projet de loi précise donc que le maire "anime et coordonne" la politique de prévention de la délinquance, dans le respect des compétences du préfet et de l'autorité judiciaire.

Comment le maire exercera-t-il ces responsabilités ? Il ne sera pas seul.

D'abord, nous proposons de rendre obligatoires les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, présidés par les maires depuis juillet 2002, dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants.

De même, le maire sera le président du conseil des droits et devoirs des familles. La création de ce conseil est inspirée par l'expérience. En milieu rural, convoquer des parents, cela paraît naturel, en ville ce n'est pas le cas et évidemment encore moins dans les grandes villes. Ce sont précisément de nombreux maires de communes urbaines qui ont exprimé le souhait d'avoir un cadre formel pour rappeler aux parents leurs devoirs en tant qu'éducateurs de leurs enfants et proposer des mesures d'accompagnement.

Cette tâche est très délicate. La composition du conseil et ses modalités de fonctionnement seront définies par le maire, en concertation avec ses partenaires. Chaque conseil définira également son mode d'intervention auprès des familles, dans le respect de la libre administration des collectivités locales.

J'ajoute que je suis favorable à l'amendement prévoyant que le conseil des droits et des devoirs des familles soit créé par une délibération du conseil municipal : pour que les conseils puissent valablement fonctionner, il faut que les maires aient envie de s'impliquer.

Dès lors, le conseil sera le cadre d'une compétence nouvelle pour le maire, graduée – j'insiste sur ce mot – en fonction de la gravité des faits et du profil des familles. L'objectif est d'aider et non pas de punir. Toute la gamme des interventions est donc prévue, sachant que jamais le maire n'aura à se substituer à la police et à la justice.

Le maire pourra faire un "rappel à l'ordre", sans pour cela se substituer au procureur de la République ; il pourra proposer aux parents un accompagnement parental ; il pourra, ensuite, saisir le président du Conseil général en vue d'établir un contrat de responsabilité parentale ; il pourra demander au directeur de la CAF de mettre en place un dispositif d'accompagnement assurant une utilisation des prestations familiales conforme à l'intérêt de l'enfant. Enfin, il pourra saisir, conjointement avec le directeur de la CAF, le juge des enfants en vue de la mise en œuvre de mesures de tutelle aux prestations familiales, en cas de difficultés graves et persistantes dans la gestion des prestations familiales.

Et dans tous les cas, le maire pourra toujours saisir le procureur de la République en cas de mise en danger de la santé, de la sécurité, de la moralité ou de l'éducation des enfants mineurs.

J'ajoute, à cet égard, que je suis favorable à ce que le Procureur soit tenu d'informer les maires, à leur demande, des suites judiciaires données aux infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire communal. Je remercie le président HOUILLON d'avoir présenté cet amendement très important.

Ce que nous voulons, c'est donner aux maires des instruments gradués leur permettant de "passer la main" à d'autres autorités. Ils doivent, pour cela, être pleinement informés.

Je tiens à préciser que les compétences des départements ne seront en aucune façon diminuées. Le Sénat en a débattu avec une particulière attention. Le président du Conseil général reste chef de file en matière d'aide sociale. Le maire peut exercer son action en matière d'aide sociale facultative mais le département reste responsable de la protection de l'enfance. Il continuera d'exercer pleinement cette responsabilité. Mais si certaines communes le souhaitent, elles pourront demander à exercer ces compétences par convention avec le département. C'est une grande responsabilité, je le sais bien en tant que président de Conseil général. Certaines communes, si elles sont équipées pour le faire, notamment avec les CCAS, ou si elles estiment qu'elles sont les mieux placées pour intervenir, pourront demander à exercer ces compétences, naturellement en accord avec le département. Ce type de conventions existe déjà, par exemple, pour l'insertion des bénéficiaires du RMI, ou l'aide aux familles en difficulté. Désormais, la délégation de compétences pourra se faire en tout ou partie, ce qui la rendra plus accessible.

La nouvelle méthode d'action que nous souhaitons encourager, sur le terrain, passe aussi par une meilleure coordination du travail social – et donc un partage du secret professionnel.

Pourquoi ? Parce que faute de communication, la coordination du travail social ne peut pas se faire. Et nous ne souffrons pas d'un manque de travailleurs sociaux, mais d'un manque de coordination. Il arrive même parfois que des enfants en meurent. Le partage de l'information a pour objet la coordination, et donc l'efficacité du travail social.

Ce dispositif a fait l'objet d'une concertation approfondie avec les professionnels du travail social. Il est organisé de manière minutieuse. Lorsqu'une personne ou une famille fait l'objet de plusieurs interventions, le maire désigne parmi les intervenants un coordonnateur du travail social, en concertation bien sûr avec le président du conseil général. Ce coordonnateur sera son interlocuteur. Il assurera l'efficacité et la continuité de l'action des travailleurs sociaux et organisera la circulation de l'information entre eux. Il rendra compte au maire de ce que celui-ci doit connaître pour l'exercice de ses compétences. Dans tous les cas, le respect du secret professionnel est garanti.

J'ajoute enfin que ce dispositif de secret partagé est complémentaire de celui prévu par le projet de loi relatif à la protection de l'enfance.

Je remercie les commissions des lois et des affaires sociales d'avoir proposé, à cet égard, un certain nombre d'amendements précisant cette articulation.

C'est aussi dans ce projet de loi sur la protection de l'enfance, du reste, que se trouve une autre mesure importante, complémentaire aux dispositifs de prévention de la délinquance : le dépistage précoce des troubles du comportement chez l'enfant.

 J'en viens au troisième apport de notre projet de loi : une meilleure protection de nos concitoyens, dans leur vie quotidienne, pour en écarter la violence.

Oui, nous ne devons pas hésiter à adapter notre droit lorsqu'il apparaît de façon évidente qu'il n'est plus en phase avec les réalités du moment. Je trouve insupportable de se retrancher derrière des textes anciens pour constater que des accidents mortels sont causés par l'usage de la drogue, que des crimes sont commis par des malades psychiatriques trop tôt sortis de l'hôpital. Nous n'avons pas à supporter tout cela sans réagir.

 Premier exemple : la loi de 1970 sur la toxicomanie qui est devenue inapplicable. Face à la réalité, qui est celle d'une consommation croissante de cannabis, qui touche aujourd'hui plus de 3,5 millions de Français, et de plus en plus de jeunes, nous disposons d'un vrai tigre de papier : l'usage simple de stupéfiants est un délit réprimé par un an d'emprisonnement et 3.750 € d'amende. Le résultat est qu'en pratique, cette mesure n'est aujourd'hui quasiment plus appliquée dans la conduite de la politique pénale. Avec des conséquences qui peuvent être graves, depuis l'échec scolaire jusqu'à l'augmentation du risque d'accident, à deux-roues, ou en voiture, ou pire encore, le passage à l'acte agressif déclenché par une euphorie artificielle. On le constate hélas, fréquemment, dans les affaires de crimes et de viols.

Nous choisissons d'être moins durs en théorie pour être enfin efficaces en pratique. Nous introduisons donc dans le traitement de l'infraction d'usage de drogue la composition pénale pour les mineurs, ou la procédure de l'ordonnance pénale pour les majeurs. Ces procédures, qui sont assorties de toutes les garanties des droits de la défense, allient efficacité et respect du principe de proportionnalité. Cette réforme, mise au point minutieusement avec le ministre de la Santé, donne aussi une place centrale aux soins, avec la généralisation de l'injonction thérapeutique, l'organisation de stages de sensibilisation aux dangers des stupéfiants, la mise en place de médecins relais.

  Deuxième exemple : la question des maladies psychiatriques, lorsque ces maladies ont des conséquences sur la vie des autres ou sur l'ordre public.

Il ne s'agit certes pas, dans le cadre de ce projet de loi, de réformer la médecine psychiatrique, ni l'ensemble des procédures d'hospitalisation sous contrainte. Il ne s'agit en aucun cas d'assimiler les malades psychiatriques à des délinquants. Il s'agit, d'éviter les drames liés aux maladies mentales, autant que nous le pouvons.

Une hospitalisation d'office, une sortie à l'essai, ce sont des décisions graves.

C'est pourquoi, avec le ministre de la Santé, nous avons souhaité préciser la répartition des responsabilités en matière d'hospitalisation d'office : le maire intervient pour prendre la première décision d'hospitalisation parce qu'il est le plus proche et d'ailleurs, il le fait déjà dans 60% des cas, mais il agit sur des justifications médicales précises, sous le contrôle du préfet qui doit confirmer la décision au cours d'un "sas d'observation" de 72 heures qui permettra un examen approfondi par les psychiatres. Nous voulons aussi qu'un fichier national des données administratives soit institué pour vérifier par exemple que l'on ne délivrera pas une autorisation de port d'arme à quelqu'un qui a fait l'objet d'une hospitalisation d'office : aujourd'hui, c'est tout à fait possible.

S'agissant des sorties à l'essai, il nous paraît indispensable, à tout le moins, que le maire de la ville de résidence de l'intéressé soit informé. Aujourd'hui la majorité des hospitalisations d'office est prononcée par le maire : il est normal qu'il soit informé des suites. Là encore, il ne s'agit pas d'inquisition, mais de la protection minimale que nous devons à tous les citoyens.

Je me réjouis que, sur le fond, ces propositions fassent l'objet d'un consensus. Ces mesures sont attendues par les professionnels de la psychiatrie, par les maires, par les acteurs de terrain. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de les présenter dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. C'est le contenu des dispositions législatives qui importe en premier lieu, plus que leur place dans telle loi plutôt que telle autre, surtout lorsqu'on se trouve à la fin d'une session parlementaire !

Cela dit, nous avons entendu les interrogations qui se sont exprimées, ici ou là, sur le choix de ce vecteur législatif. Le Gouvernement a été sensible à la proposition du président Dubernard.

Le ministre de la santé présentera donc, jeudi 23 novembre, lors de l'examen du projet de loi relatif aux professions de santé, un amendement du Gouvernement l'habilitant à prendre par ordonnance une réforme globale de la loi de 1990, dont le contenu fait actuellement l'objet d'une concertation approfondie avec les professionnels. Parallèlement, nous continuerons à débattre des articles 18 à 24 du projet de loi de prévention de la délinquance. Le Gouvernement s'engage à les disjoindre à la fin de la discussion de ce projet, en commission mixte paritaire, si l'ordonnance a pu être prise d'ici là. L'essentiel est de faire avancer cette réforme attendue depuis 10 ans !

  J'en viens au troisième exemple d'adaptation nécessaire pour protéger nos concitoyens dans leur vie quotidienne : la lutte contre la délinquance sur l'internet.

 L'évolution des nouvelles technologies est plus rapide que celle du droit. C'est pourquoi nous introduisons dans le projet de loi des mesures permettant de protéger les mineurs contre les méfaits du démarchage sexuel sur l'internet par des adultes.

 Je remercie la Commission des lois d'avoir très utilement complété le projet de loi sur ce point, pour faciliter la fermeture des sites internet causant un trouble à l'ordre public ou lutter contre le développement des jeux d'argent "en ligne", qui sont un vecteur privilégié pour le blanchiment et comportent un risque d'addiction pour les publics les plus fragiles.

  Le projet de loi comporte d'autres mesures protectrices pour nos concitoyens.

 A l'initiative du président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, le sénateur HERISSON, une importante réforme des procédures d'évacuation forcée de gens du voyage, en cas de stationnement illicite, vous est proposée. Les gens du voyage ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres Français. Ni plus ni moins. Ils n'ont pas le droit d'occuper indûment des terrains en troublant l'ordre public ! Dans ce cas, le préfet doit avoir le pouvoir de les faire évacuer, sous le contrôle du juge administratif.

De même, le Sénat a eu raison de poser la question des troubles de voisinage, qui peuvent perturber un quartier entier sans que personne ne puisse réagir efficacement ;  le dispositif proposé au Sénat devra sans doute être précisé, comme le propose la commission des lois. 

Enfin, les sénateurs ont eu raison d'introduire dans le projet de loi de nouveaux instruments de lutte contre les chiens dangereux.

Je pourrais prendre d'autres exemples : le projet de loi comporte plusieurs dispositions très utiles pour protéger nos concitoyens dans leur vie quotidienne.

J'ajoute, en un mot, que la création  du service volontaire citoyen de la police nationale relève de cette même logique. Il s'agit de créer, au quotidien, une passerelle entre les fonctionnaires de la police nationale et la population. On a vu l'importance que ce rapprochement pouvait avoir à travers le rôle d'apaisement joué par certains adultes responsables au cours des évènements de novembre 2005. C'est aussi le moyen d'insérer dans la vie sociale et professionnelle des jeunes en leur proposant des valeurs positives.

 Permettez-moi, pour conclure, de vous dire dans quel esprit j'aborde le débat qui s'ouvre  aujourd'hui à l'Assemblée nationale.

Je soumets ce projet de loi à la représentation nationale en ayant la conviction qu'il peut être amélioré.

Pour l'essentiel, le Gouvernement marquera son accord avec les amendements proposés par le président HOUILLON, rapporteur de la commission des lois, et par le président DUBERNARD, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  Je tiens, d'ores et déjà, à les remercier pour le travail considérable qu'ils ont bien voulu effectuer.

J'évoquerai cinq sujets qui me paraissent devoir être soulignés.

 Premier sujet : le financement. La politique de prévention de la délinquance doit disposer d'un vrai levier financier. C'est le sens du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, créé par le Sénat. Un amendement du Gouvernement permettra d'en préciser l'architecture, au sein de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, les sources de financement et les modalités de répartition de crédit. C'est un instrument essentiel.

 Deuxième sujet : la lutte contre la délinquance routière.

Depuis 2002, les Français ont changé leur comportement. Ce sont plus de 8 500 vies qui ont été sauvées et 110 000 blessés épargnés. Nous devons, plus que jamais, poursuivre dans la voie choisie : prévention, formation, répression. Le permis à points et le déploiement des radars automatiques ont incité chacun de nous à mieux respecter, au quotidien, les règles du code de la route.

Certains ajustements techniques, toutefois, paraissent nécessaires. L'amendement que vous propose le Gouvernement consiste à raccourcir le délai de récupération d'un point perdu : les conducteurs commettant une infraction entraînant le retrait d'un seul point récupèreront ce point au terme d'un délai d'un an – et non plus trois ans – s'ils ne commettent pas de nouvelle infraction. Dans le même esprit, nous proposons que le conducteur disposant d'un permis probatoire de six points bénéficie d'une augmentation progressive de ses points, jusqu'à 12. Le ministre des transports, Dominique PERBEN, vous présentera cette réforme.

  Troisième sujet : nous devons mieux répondre aux violences dont sont victimes les forces de l'ordre. Depuis le début de l'année, ce sont 3 662 policiers qui ont été agressés dans l'exercice de leurs fonctions. Dans le même temps, les pompiers doivent maintenant intervenir sous la protection des forces de l'ordre dans certains quartiers. Les agents des transports publics, eux aussi, sont menacés.
Nous devons mettre un terme à cette spirale de violences. Il faut les réprimer plus sévèrement. Il faut cesser de considérer l'agression contre les forces de l'ordre comme une simple "circonstance aggravante" parmi d'autres. Une nouvelle échelle des peines est nécessaire, pour traduire devant la cour d'assises les auteurs des agressions les plus graves. Si on ne le fait pas, on n'arrivera pas à endiguer la surenchère des violences contre la police, contre les pompiers. Ce choix est entre nos mains. A nous de l'assumer ! C'est l'objet de l'amendement que vous présentera le Garde des Sceaux.

 Je voudrais faire une dernière remarque, après avoir pris connaissance de plusieurs amendements très intéressants, qui concernent la question des peines prononcées et celle de l'excuse de minorité.
Il me paraît naturel que la représentation nationale puisse en débattre sans tabou ! Si le débat est interdit dans l'Hémicycle, où se tiendra-t-il ? Dans la rue ?
Oui, je comprends fort bien que l'on puisse poser la question de la durée des peines. J'observe que le code pénal, pardon de cette évidence, définit des peines encourues et qu'il laisse au juge le soin de prononcer une peine qui peut être inférieure à cette durée encourue. Personne ne songe à remettre en cause le principe de l'individualisation des peines, au contraire ! Mais qui pourrait nier qu'il convient de réprimer plus fermement et plus certainement celui qui commet pour la deuxième fois, la troisième fois ou la quatrième fois une agression violente contre les personnes ?
J'entends bien que nous avons fait un premier pas dans cette direction, l'année dernière, lors de l'adoption de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Mais j'ai la faiblesse de penser que cette loi, pour importante qu'elle soit, n'a pas entièrement répondu à la question de la lisibilité des peines.
Faut-il définir une peine minimale, dite "peine plancher" ?
J'ai eu l'occasion de dire mon sentiment à cet égard. Il faudra un jour le faire. Mais je ne suis pas certain que tous les esprits soient mûrs pour cela ! Alors, cherchons une solution qui puisse faire consensus !
D'autres options existent. J'en citerai une, qui me paraît extrêmement intéressante : face à un récidiviste, le tribunal correctionnel serait tenu de motiver le choix de la peine lorsqu'il décide de prononcer une peine d'une durée inférieure à celle qui est encourue. Autrement dit : le législateur fixe une peine, le juge a la faculté de l'adapter à la baisse, mais il doit alors s'en expliquer par une motivation. Quoi de plus transparent ? Quoi de plus simple ? Quoi de plus compréhensible par les délinquants comme par les victimes ? Quoi de plus conforme, enfin, au principe constitutionnel  de l'individualisation des peines ?
J'aborde dans le même esprit la question de l'excuse de minorité.
Nous devons réfléchir à la meilleure manière de concilier le principe d'atténuation de la responsabilité des mineurs avec l'exigence de répression des actes les plus graves.
Aujourd'hui, l'excuse de minorité consiste à diviser les peines par deux. Certes, en droit, les juges ont aujourd'hui la faculté, à titre exceptionnel, de ne pas retenir l'excuse pour les mineurs âgés de plus de 16 ans. Dans les faits, ils ne font presque jamais jouer cette possibilité et retiennent l'excuse de minorité.
Comment s'étonner, dès lors, que des mineurs de 16 ou 17 ans puissent commettre des actes de barbarie en ayant un sentiment de parfaite impunité ?
Les Français ne le supportent plus et ils ont raison. Lorsqu'un mineur de 16 ou 17 porte atteinte à l'intégrité d'une personne et qu'il récidive, il doit être puni comme s'il était majeur.

Voici, Monsieur le Président, Messieurs les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Députés, la présentation que je voulais faire devant vous de ce texte important.

Il ne faut pas craindre de heurter certains conservatismes, certains corporatismes, certaines habitudes.

Car l'enjeu, nous le connaissons : il s'agit de reconstruire, étape après étape, une société apaisée.

Pour atteindre cet objectif essentiel pour nos compatriotes, le plus large rassemblement est nécessaire. Je suis convaincu que, face aux réalités de la délinquance, face aux enjeux de la sécurité,  l'idéologie n'a pas sa place !

Je ne doute pas que, sur la plupart des bancs, chacun saura faire montre d'un esprit de responsabilité. Car les Français demandent à leurs élus, à tous leurs élus, de faire reculer durablement la violence.

Ce projet de loi répond à cette attente, en nous donnant de nouveaux instruments pour mieux agir sur le terrain, mieux protéger nos concitoyens et punir plus fermement ceux qui ne respectent pas le contrat social.