20.10.2005 - Visite de M. Nicolas Sarkozy dans l'Essonne

20 octobre 2005

Intervention de M. Nicolas Sarkozy, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, Corbeil-Essonnes


Mesdames et messieurs,

En regardant cet extrait du "Bourgeois Gentilhomme", je me disais que Molière aurait aimé ! Il aurait aimé voir que la jeunesse française, au XXIème siècle, continue de s'appuyer sur ses textes pour mieux comprendre la comédie sociale de la vie. Il aurait aussi aimé constater  - lui qui s'était attaché à rendre le théâtre populaire ! - que c'est dans un quartier qui n'a précisément rien de huppé que les choses se font dans le partage et la passion. Je félicite très chaleureusement tous les acteurs ainsi que Mlle Woimant pour son engagement car c'est elle qui a guidé leur flamme.

Quand je vois des adolescents, issus de toutes origines, s'emparer d'un projet commun, quant on sait les efforts sur soi même que réclame l'exercice auquel nous venons d'assister, je me dis que la République pour tous est possible et que l'égalité des chances est une nécessité vitale pour notre pays. La France a plusieurs vitesses, la France des discriminations raciales ou sociales, cela n'est pas la France que nous aimons et que nous voulons ! 

En disant cela, j'ai conscience du scepticisme que ces mots peuvent faire naître dans les esprits, car depuis une trentaine d'années un fossé s'est creusé entre la France qui avance et la France qui est à la peine.

Qu'on le veuille ou non, notre système est grippé. On ne dira jamais assez combien le chômage de masse, qui pèse depuis des décennies et qui est ici quatre fois supérieur à la moyenne, a provoqué comme dégâts. On ne dira jamais assez combien la perte de certaines valeurs collectives a entraîné comme fractures.

Tous ces problèmes qui traversent notre pays se répercutent sur certains quartiers au sein desquels se concentrent les malaises et les dérapages de notre société contemporaine. Chômage, violences, trafics, communautarismes, racismes, problèmes de logement, tous ces fléaux ont convergé vers les territoires trop longtemps délaissés de la République.

Dans ces territoires, l'immense effort de rattrapage doit continuer de s'amplifier. Cela prend du temps, cela est difficile car les défis sont si nombreux, mais cet effort – j'en ai la conviction ! - peut être payant s'il est poursuivi sur la longueur, s'il n'est pas dispersé, si tous les acteurs travaillent de concert.

Dans cette salle, beaucoup d'entre vous agissent quotidiennement sur le terrain, notamment par le biais associatif. J'ai lu toutes les notes d'information qui décrivaient votre action. Derrière chacune d'entre-elle, il y a du courage, de la détermination, il y a, je l'imagine, des succès mais aussi des revers qui sont cruels.

Chaque fois qu'il m'est donné de discuter et de travailler avec des acteurs sociaux et des associations, un même message m'est adressé.

D'abord, il y a la demande de soutien des pouvoirs publics. Ce soutien - parce vous savez qu'il ne peut être extensible - doit être bien ciblé et surtout assuré dans la continuité car rien n'est pire en la matière que les "coups d'accordéon".

Ensuite, il y a la demande d'un regard juste sur la situation qui prévaut dans certaines villes ou quartiers dits sensibles. Dans ces lieux, tout – me précise-t-on avec ferveur - n'est pas sombre, tout n'est pas voué à l'échec. Il existe des réussites formidables et une énergie positive qu'il faut soutenir et mettre en exergue.

Oui, malgré les difficultés, il y a des succès exemplaires ! Il y a des initiatives qu'il faut saluer, épauler et généraliser ! Il y a dans les quartiers une jeunesse qui n'est pas condamnée à la passivité ou à la délinquance, mais qui est pleine d'audace et de créativité !

Cette jeunesse de France, dont les origines sont variées, n'attend qu'une chose : qu'on lui tende la main et qu'on lui offre une porte de sortie pour montrer ce qu'elle peut faire.

On rejoint là, la question de l'intégration. Vous le savez, je crois à la France ouverte. Je sais que son visage est multiple, dessiné par des traditions et des cultures différentes, et qu'il ne faut ni le regretter, ni en avoir peur. Ceci étant dit, la réalité est là : l'intégration est en panne.

Quand je vois que certains jeunes, qui sont plein de bonnes volontés, se voient fermer la porte au nez parce que leur nom ou la couleur de leur peau sont jugés comme un problème, je dis que la République ne remplit pas son rôle !

Quand je vois que les enfants issus des familles les moins aisées ont six fois plus de risques d'arrêter leurs études avant 16 ans, je dis que la République ne remplit pas son rôle !

Quand je vois que la promotion sociale – c'est à dire la possibilité de faire mieux que ses parents – est inférieure aujourd'hui à ce qu'elle était dans les années soixante, je dis que la République ne remplit par son rôle !  

Face à cette situation (qui dépasse les interprétations partisanes et conjoncturelles), j'estime que les slogans égalitaires sont vides de sens. A force de répéter que tout le monde a les mêmes droits pour aller de l'avant, on oublie de préciser que tout le monde ne part pas sur la même ligne !

J'estime que nous n'allons pas assez loin pour assurer une véritable égalité des chances.

Face à l'uniformité de façade, il faut une approche fondée sur l'équité, c'est à dire qu'il faut donner plus à ceux qui ont moins et moins à ceux qui ont plus. C'est ce que j'appelle la discrimination positive à la française, qui n'est rien d'autre qu'une justice compensatrice.

Cette justice compensatrice n'est pas sans conséquences puisqu'elle consiste à bousculer des situations acquises afin de trouver des marges de manœuvres pour agir mieux et plus fort sur les publics, les territoires et les dossiers qui le justifient vraiment.

Un soutien plus précis et plus continu, un regard juste accordant plus de confiance à celles et ceux qui se battent pour s'en sortir : voilà les deux principaux messages qui me sont généralement adressés par les acteurs de terrain.

En tant que Ministre de l'intérieur, je suis, mesdames et messieurs, pour partie, au cœur des défis que je viens à l'instant d'évoquer.

Derrière la lutte sans répit que je livre à la violence, il y a une certaine idée de la liberté et de la citoyenneté. Car on ne peut construire son existence et s'épanouir en collectivité lorsque l'on vit avec la peur au ventre.

Cette lutte contre la violence, elle est engagée partout sur notre territoire parce que vivre tranquillement et sereinement n'est pas le privilège de quelques-uns. Pendant des décennies, on a laissé pourrir la situation en certains endroits, par peur, par attentisme, mais aussi par dévoiement intellectuel. Au prétexte qu'il y avait des difficultés sociales, on a laissé entendre que la délinquance pouvait être excusée, voire même justifiée. C'est ainsi que des zones de non-droit se sont propagées, des zones au sein desquelles la culture de la violence s'est imposée sur celle du respect.

Au préalable de notre politique de sécurité, il y a, mesdames et messieurs, une clarification que je résume par une formule : chacun est responsable de ses actes ! C'est dire qu'ici comme ailleurs, il n'y a pas d'impunité, ni excuse. Les règles sont les mêmes pour tous, et ceux qui ne les respectent pas sont sanctionnés.

Notre détermination est allée de pair avec une mobilisation des forces de police et de gendarmerie. Les résultats sont là, même si rien n'est en la matière définitivement acquis : en trois ans, la délinquance de voie publique a, en effet, diminué de 17%, et, dans ce département, la baisse au cours des deux dernières années est de 5%, et dans les Tarterêts de 14%.

17%, c'est près de 386.000 agressions en moins, c'est 386.000 actes délictueux dissuadés ou contrecarrés, c'est 386.000 citoyens protégés des pratiques de voyous.

Cette sécurité pour tous que nous nous employons à instaurer, n'est pas exclusive. Pour assurer un climat de fraternité et de progrès partagé, il y a tout un travail de terrain, un travail humain, qui est complémentaire de celui de la lutte contre la délinquance.

Les acteurs publics et associatifs sont ici en première ligne. Je sais que leur mission est difficile et parfois ingrate, je sais qu'il faut souvent avec des "bouts de ficelles" retisser, précisément, les liens d'une société dont les repères sont atomisés… Cette mission est absolument nécessaire.

C'est pourquoi, je suis particulièrement heureux de pouvoir vous rencontrer car c'est en faisant converger nos efforts que nous pouvons créer les conditions de la réussite.

Lors de mon premier passage au Ministère de l'Intérieur, j'avais lancé, en 2004, un projet expérimental de prévention sur 25 quartiers, dont vous avez largement utilisé les outils. Sur cette base, j'entends aller plus loin, en proposant un plan national de prévention de la délinquance dans le courant du mois de décembre.

Il sera fondé sur un triple diagnostic.

Premier diagnostic : les violences aux personnes, même si elles ne représentent que 10% de la délinquance totale constituent le noyau dur de la délinquance. Les violences physiques ont connu une progression constante depuis 10 ans. L'année 2004 constitue la première année de stabilisation.

Second diagnostic : la délinquance des mineurs a quasiment doublé en une décennie. 21% des personnes mises en cause ont entre 13 et 17 ans !

Troisième diagnostic : la politique de prévention est essoufflée et se heurte à de véritables carences :

- absence de doctrine nationale définissant les objectifs, les moyens, les publics et les territoires visés. Entre le "répressif" d'un côté, et le "tout social" de l'autre, je veux recadrer et recentrer notre stratégie de prévention ;

- insuffisance de coordination, de partage d'information et de continuité dans l'action. Je veux clarifier le rôle de chacun – collectivités locales, acteurs publics et sociaux - et multiplier les collaborations ;

- faiblesse de l'évaluation. Nous devons disposer d'un système qui recense et irrigue les bonnes pratiques et les expériences réussies;

- inadaptation face à la violence en milieu scolaire, qui a augmenté de 80% en dix ans. Il faut instituer entre la communauté éducative, les familles et les forces de police et de justice un partenariat plus dense et plus réactif ;

 - démotivation des professionnels du travail social, dont la formation et la carrière méritent d'être réévaluées. Dans cette perspective, je crois utile de développer des formations adaptées aux réalités actuelles de la prévention. Au niveau universitaire, il faut affiner et clarifier les diplômes sanctionnant la formation aux métiers de la prévention. Au niveau du secondaire, il faut lancer et généraliser un bac professionnel préparant aux métiers de la sécurité et de la prévention, via un partenariat entre les ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur.

Voilà, en quelques mots, les principes autour desquels j'entends refonder notre politique de prévention.

Parmi tous les axes de travail sur lesquels nous devons nous engager, il en est un sur lequel je souhaite insister : c'est celui qui touche à l'éducation. J'ai rencontré ce matin la communauté enseignante du quartier. Dans des conditions complexes, elle fait un travail extraordinaire, notamment sous l'impulsion farouche et innovante de Geneviève Piniau, proviseur du Lycée Robert Doisneau.

C'est un fait incontestable : l'éducation est au cœur de tous nos défis car c'est dès le plus jeune âge qu'il faut agir, c'est à dire instruire, former, susciter la curiosité, suggérer des pistes d'avenir et des modèles de réussites…

Les enseignant le savent mieux que quiconque : en chaque enfant, il existe une lumière qui demande à briller ! Lorsque cette lumière est suscitée, alors tout est possible. Lorsqu'elle est ignorée, tout, en revanche, est à craindre.

Il n'est pas ici de mon ressort d'évoquer notre politique éducative dans son ensemble… Malgré le dévouement de la communauté éducative, chacun sait cependant que notre système rencontre des difficultés. Ce n'est pas surprenant car l'Ecole est sur la brèche. On attend tout d'elle, parfois trop d'ailleurs ce qui amène certaines familles à esquiver leurs propres responsabilités…

A mon sens, l'Ecole a deux enjeux majeurs à relever sur lesquels l'Etat doit mettre "le paquet" afin d'assurer l'égalité des chances :

- un enjeu citoyen d'abord, qui doit conduire la communauté éducative, les familles, mais aussi notre société dans son ensemble, à placer au centre du fonctionnement du système éducatif un certain nombre de valeurs et de principes sur lesquels nous ne pouvons transiger ;

- un enjeu pédagogique ensuite, afin de passer d'une approche éducative relativement uniforme à une approche mieux personnalisée sur l'élève, notamment lorsque ce dernier est en phase de décrochage. Cette approche personnalisée, vous l'avez ici pleinement intégrée. Je pense au principe de la classe relais-réseau qui permet, durant deux à trois semaines, d'accueillir dans des conditions spécifiques les élèves en situation de rupture. Je pense aussi au système des études encadrées ( qui sera prochainement couronné par la signature d'une convention avec l'IEP de Paris ) et qui a accueilli 200 élèves sur le quartier et plus de 2.850 sur le secteur. Il s'agit ici d'offrir aux adolescents qui ne peuvent faire leurs devoirs chez eux pour des raisons matérielles ou familiales, un espace et un soutien pédagogique au sein de l'établissement. Je pense enfin au contrat de réussite, signé par l'élève, les parents et la communauté éducative. Ce contrat doit permettre d'individualiser et de structurer l'engagement et la détermination de toutes les parties.

Pour que l'Ecole puisse assumer pleinement ces enjeux, il est un double combat qui exige d'être parallèlement mené.

Le premier, c'est celui contre la délinquance scolaire car elle "pourrit" la vie de certains établissements, détruit le travail des équipes éducatives, mine le cheminement scolaire des élèves. Dans le cadre du plan de prévention, plusieurs pistes sont prévues dont je vous livre la teneur.

 Pour lutter contre l'absentéisme chronique qui est souvent l'antichambre de la délinquance, je souhaite davantage responsabiliser les familles et les élus locaux. Je vous le dis comme le je le pense :  il n'est pas possible qu'un enseignant soit parfois dans l'obligation de s'y reprendre à dix reprises pour pouvoir contacter des parents !

 A l'avenir, le maire ( dont il faut restaurer la mission de recensement des enfants en âge d’être scolarisés dans sa commune ) pourra effectuer auprès des familles des rappels à leurs droits et devoirs, notamment en cas d'absentéisme scolaire. Chez vous, l'échange d'informations entre les services de police, l'éducation nationale et la mairie, produit, depuis 2004, des résultats : depuis la mise en place de cette démarche, il n'y a pas eu – me dit-on – de situations d'absences injustifiées conduisant les enfants à errer dans les rues. 

D'une façon plus globale, j'estime que le partenariat police-gendarmerie-Education nationale, qui est de plus en plus solide ( ce qui démontre que les barrières d'antan sont en train de disparaître ! ) mérite au plan national d'être encore renforcé et affiné.

Dans la logique de ce partenariat qui doit être naturel et mutuellement constructif, je veux développer, dès la troisième, des stages d’observation dans les services de police qui seraient ouverts aux élèves volontaires. L’encadrement de ces élèves sera individualisé sous forme de tutorat exercé par des réservistes de la police nationale.

Le second combat - qui est conforme au souci d'équilibre que je recherche entre la fermeté et la justice - consiste à ouvrir les portes qui libèrent l'avenir de celles et ceux qui le méritent. Le système éducatif est, bien sûr, présidé par l'objectif de l'égalité des chances… Mais chacun sait qu'il existe des freins. C'est pourquoi, notre plan en faveur de la prévention ouvrira et élargira des pistes. 

Il en est une qui m'est chère : c'est l'accès aux internats. Ce sont des structures que je souhaite voir se développer et au sein desquelles un accompagnement pédagogique particulier doit permettre à l'adolescent de progresser et de se dépasser.

L'objectif de cette structure est simple : il s'agit de sortir les jeunes qui le souhaitent de leur environnement quotidien et de la spirale de l'échec, en leur offrant un cadre de vie stable et de nouvelles conditions d’encadrement éducatif, social et culturel.

L'autre mesure à laquelle je crois, c'est celle des bourses scolaires au mérite. Elles existent, mais en nombre encore insuffisant. Il faut instaurer un dispositif de repérage des jeunes élèves qui sont motivés et brillants. La réintroduction du brevet national, prévu dans le cadre de la loi Fillon, peut être le socle sur lequel nous pouvons généraliser ce dispositif de soutien pour les plus méritants. Ce soutien est d'autant plus nécessaire que certains jeunes – pour des raisons matérielles compréhensibles – travaillent parallèlement à leur scolarité. En classe de seconde, ils sont ici 10% à 12% dans cette situation qui peut être préjudiciable à leur réussite scolaire. Il faut aider les plus méritants, il faut leur offrir – comme vous l'avez envisagé ici ! - un parcours de réussite vers les grandes écoles et universités que la majorité d'entre eux croient inaccessibles.

Enfin, au sein même du ministère dont j'ai la charge, j'estime de mon devoir d'ouvrir les portes de la chance. La police doit être à l'image de la France. Elle doit réunir tous les milieux sociaux et doit rassembler, en son sein, toutes les origines et toutes les cultures.

C'est l'objet du corps des cadets de police qui a vocation à sensibiliser les jeunes de 16 à 18 ans qui sont attirés par l'institution policière mais qui hésitent parce que les obstacles culturels ou scolaires leurs paraissent infranchissables. Je sais que le Lycée Robert Doisneau compte en son sein quelques cadets dont j'ai plaisir à saluer la démarche

Voilà, mesdames et messieurs, nos objectifs.

Lutter sans état d'âme contre la violence, prévenir la délinquance en la dissuadant à sa source et en offrant des chemins de réussites, c'est l'esprit de ma stratégie ! Cette stratégie réclame une approche volontariste et collective car les problèmes sont imbriqués et les solutions transversales.

J'ai parfaitement conscience des limites de certaines de nos actions tant les handicaps et les fêlures de notre société sont nombreux…

Pour modifier la donne en profondeur, nous ne pourrons échapper à un examen lucide des outils, des pratiques et les principes qui caractérisent le modèle français depuis plusieurs décennies. C'est un vaste débat dont les principaux choix sont politiques.

En attendant, il y a une chose que je veux vous dire : ce que je sais, ce que je sens et ce que je vois, me conduit à croire que l'on ne relance pas un pays en utilisant des idées anciennes et des méthodes classiques. Sur l'emploi, sur la solidarité, sur la vie en société, le débat doit être sans tabou et sans faux-semblants. Il doit avoir pour seule exigence d'agir plus efficacement et plus fortement pour la République.