19.05.2006 - Déplacement de M. Nicolas SARKOZY au Bénin

18 mai 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, sur le thème de la politique de la France en Afrique - Palais des congrès, Cotonou, Bénin


Mesdames et Messieurs les ministres et les parlementaires,

Je suis venu vous dire aujourd'hui mon respect. Respect, parce que vous avez bâti en quelques années, au Bénin, une démocratie forte et vivante, prouvée par trois alternances réussies. Nous, les Français, qui sommes si fiers d'être la patrie des droits de l'Homme, il nous a fallu plusieurs siècles pour cela.

Le Bénin a été et reste plus que jamais un exemple pour l'Afrique toute entière. Vous avez été les premiers à tirer les conclusions de la chute du mur de Berlin, en tournant pacifiquement le dos au communisme dès 1989 (bien plus rapidement que certains intellectuels français !). Et c'est à la transition démocratique déjà engagée au Bénin que le président Mitterrand pensait lorsqu'il prononça son désormais célèbre discours de La Baule en juin 1990.

Chacun sait que les Béninois ont participé à près de 70% à l'élection présidentielle de mars dernier. C'est une nouvelle preuve de la vitalité de votre démocratie : votre peuple est profondément, fondamentalement démocratique. Personne n'a pu réussir à le manipuler. La lutte a été forte, car la démocratie c'est aussi la compétition, et le combat politique est parfois un combat rude. J'en sais quelque chose. Mais c'est librement que le peuple béninois a pu se déterminer entre des candidats de grande valeur.
J'ai déjà eu l'occasion de dire au président Boni Yayi toute l'admiration dans laquelle je tiens son engagement sincère de nommer aux responsabilités des hommes neufs, choisis pour leurs compétences. Avec lui, le Bénin a choisi de prendre le chemin de la bonne gouvernance, qui est la condition du développement. Et vous, les Béninois, comme les Maliens ou les Ghanéens, vous avez asséné une solide leçon à tous ceux qui ne cessent de répéter que la démocratie n'est pas faite pour les Africains. Il n'y a pas d'exception africaine, pas de prétendue spécificité culturelle qui justifierait je ne sais quelle incompatibilité entre l'Afrique et la démocratie. Vous démontrez le contraire. Vous démontrez que la démocratie, ici comme ailleurs, est non seulement possible, mais surtout souhaitable. Seule la démocratie peut répondre aux aspirations des citoyens. Seule la démocratie peut permettre à un pays de se sortir d'une crise interne, aussi grave et longue soit-elle. Quoi qu'on ait pu penser pendant si longtemps, la dictature, ce n'est pas la stabilité. Seule la démocratie peut créer les conditions de la stabilité en profondeur. Qu'il me soit donné ici l'occasion de rendre hommage à Helen Johnson-Sirleaf, première femme élue présidente en Afrique, à qui les Libériens ont confié, avec une grande maturité politique, la si difficile mission de sortir leur pays d'une guerre civile de 15 ans, qui a fait 250 000 morts, et dont les effets se sont fait sentir dans toute la sous-région. Je veux lui dire que la France sera à ses côtés pour redonner l'espoir au peuple libérien.

La démocratie, vous et nous le savons bien, car nous le vivons, cela ne se résume pas à des élections. On ne peut s'arrêter à ce premier pas, sinon la démocratie reste de façade. Il faut aller plus loin : faire vivre la démocratie, c'est bâtir un état de droit, où l'administration est neutre, les circuits financiers transparents, où la presse est à la fois responsable et indépendante, où l'autorité judiciaire est libre de travailler sans influence extérieure. Et ce seul fait rend nécessaire une vigilance de tous les instants. Le projet démocratique place l'individu au cœur du projet de société : il impose le respect des libertés individuelles, le refus des communautarismes, et notamment de l'éthnicisme. Et vous, les Béninois, vous avez en plus montré qu'en Afrique, la démocratie n'a pas nécessairement de base ethnique. C'est aussi le principe de l'égalité des citoyens, et notamment la parité, et le respect de l'intégrité physique et morale des femmes, qui sont les égales des hommes et qui "portent l'Afrique sur leur dos", comme le dit un proverbe africain.

Alors, existe-t-il un lieu mieux choisi que Cotonou, le "quartier latin de l'Afrique", pour parler des relations que la France doit avoir avec l'Afrique ? Nos relations sont amicales, constructives, décomplexées : nous nous disons les choses franchement, et, je le crois, nous nous comprenons. Alors permettez-moi de vous parler très franchement, comme on ne le fait sans doute pas assez souvent entre Français et Africains.

Car en m'adressant à vous, vous qui faites vivre la francophonie, c'est à l'Afrique d'aujourd'hui et de demain que je veux m'adresser, à l'Afrique ancrée dans le XXIème siècle, qui refuse les archaïsmes et qui regarde l'avenir avec confiance. A l'Afrique qui sait que son destin est entre ses mains, et qu'elle est pleinement responsable de ses choix, de ses actes, et de son avenir. A l'Afrique qui a choisi d'assumer cette responsabilité et de relever les défis auxquels elle doit faire face.

Ces défis, quels sont-ils ?

- bâtir la démocratie, en respectant les échéances électorales, mais aussi l'état de droit et la bonne gouvernance ;
- construire des institutions solides ;
- construire une économie qui offrira à votre jeunesse, nombreuse, motivée, des débouchés et un avenir, la promesse d'une vie meilleure ; et chacun sait que c'est un défi majeur, car la moitié des Africains ont moins de quinze ans.
- s'insérer dans un monde globalisé, alors même que l'Afrique apparaît aujourd'hui comme le perdant de la mondialisation : cela passe par le développement du commerce intra-africain et l'émergence des marchés régionaux.
-  faire la paix, en créant les conditions de la stabilité.

Ces défis ne sont pas minces. Mais ils sont à votre portée. La réussite, votre réussite, dépend d'abord et avant tout de vous-mêmes. La responsabilité du succès ou de l'échec est d'abord la vôtre. C'est cette responsabilité, celle de son destin, que le Bénin a choisi d'assumer. C'est un choix courageux, un choix lucide, un choix intelligent. C'est le seul choix viable : les autres options sont des impasses.

Mais si cette responsabilité est la vôtre, elle peut se nourrir du dialogue avec des partenaires. La France veut être le premier de ces partenaires.

La relation entre l'Afrique et la France est une relation ancienne et dense ; une histoire partagée, qui a aussi connu des épisodes de violence et parfois, des épisodes tragiques. Je le sais et je respecte le nécessaire devoir de mémoire que nous avons tous à l'égard de cette histoire commune, y compris de ses heures sombres. Ensuite est venu, pour les anciennes colonies françaises, le choix des indépendances, en 1960, il y a déjà près d'un demi-siècle. Ce passage à l'indépendance s'est fait dans le dialogue, dans la paix, dans la confiance. Il n'en pas été ainsi partout sur le continent : ailleurs, des indépendances ont été conquises dans le sang et dans les troubles. Je salue les qualités visionnaires du général de Gaulle, qui a su comprendre les aspirations de l'Afrique à l'autonomie puis à l'indépendance, les respecter et faire de l'ancienne métropole un partenaire, même si d'un côté comme de l'autre nous considérons que ce partenariat est imprégné d'une dimension affective qui est unique.

Il faut aujourd'hui refuser le poids des habitudes. La poursuite de relations fortes entre deux partenaires repose sur deux conditions de base : une volonté commune et un respect mutuel.

Au Bénin, je constate que l'Afrique aime la France. Mais malgré tout je ne veux pas esquiver mes responsabilités. Je veux aborder franchement la question des relations de la France et de l'Afrique.

Je crois indispensable de faire évoluer, au-delà des mots, notre relation. L'immense majorité des Africains n'ont pas connu la période coloniale. 50% des Africains ont moins de 17 ans. Comment peut-on imaginer continuer avec les mêmes réflexes ?

Il nous faut construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d'autres de la Méditerranée. Cela implique plusieurs changements de fond, dont certains sont heureusement à l'œuvre.

D'abord, cette relation doit être plus transparente. Il nous faut la débarrasser des réseaux d'un autre temps, des émissaires officieux qui n'ont d'autre mandat que celui qu'ils s'inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés.

Il nous faut aussi ne pas nous contenter de la seule personnalisation de nos relations. Les relations entre des Etats modernes ne doivent pas seulement dépendre de la qualité des relations personnelles entre les chefs d'Etat, mais d'un dialogue franc et objectif, d'une confrontation des intérêts respectifs, du respect des engagements pris.

Nous voulons dialoguer sur un pied d'égalité, entre partenaires responsables. Notre relation doit être décomplexée, sans sentiment de supériorité ni d'infériorité, sans sentiment de culpabilité d'un coté ni soupçon d'en jouer de l'autre, sans tentation de rendre l'autre responsable de ses erreurs. A nous Français de renier tout paternalisme, d'exclure toute condescendance à l'endroit des Africains. Et surtout plus de respect. Nous ne savons pas mieux que vous quel est le bon chemin. Je refuse la posture d'une France donneuse de leçons. Mais je refuse tout autant de transiger sur nos valeurs. Ces valeurs de démocratie, de respect des droits de l'homme, de bonne gouvernance, nous les défendons partout, en Asie comme en Amérique latine ou en Europe de l'Est. Nous devons les défendre en Afrique comme ailleurs : ces principes ne s'arrêtent pas aux portes du continent !
Les crises que nous voyons éclater sur le continent, dont les conséquences sont souvent si brutales, ne naissent pas sans cause. Elles se sont nouées parfois bien avant, provoquées par des dérives autoritaires, des écarts par rapport aux lois fondamentales ou par rapport à la morale, des politiques xénophobes, des comportements arbitraires, des humiliations… Pourquoi alors devrions-nous renoncer à nos valeurs et nous taire devant ces dérives ? Pourquoi désespérer les hommes et les femmes de bonne volonté, militants associatifs, hommes politiques d'opposition, entrepreneurs, responsables religieux, tous ceux qui luttent pour la démocratie et la bonne gouvernance, si nombreux mais parfois si vulnérables, qui espèrent dans l'angoisse un geste de soutien de notre part ? Au nom de quel principe supérieur ? Nous mettons-nous à ce point en danger en disant à haute et intelligible voix les torts que causent les excès d'un dictateur à son propre pays ? Mes chers amis, nous devons défendre les valeurs de la démocratie ici comme ailleurs parce que ceux qui luttent pour la démocratie doivent nous trouver à leurs cotés.

A nous aussi de débarrasser la relation Afrique-France de ses fantasmes et de ses mythes qui la polluent. Disons les choses clairement : la France n'a pas les intentions et l'influence qu'on lui prête. On lui prête la faculté de redresser les situations, de rechercher des intérêts économiques que nous n'avons pas et d'être capables d'assurer la stabilité ou de créer l'instabilité dans un pays. Bien souvent d'ailleurs, les deux fantasmes sont mêlés : la politique de la France en Afrique aurait pour seul objectif de s'approprier les ressources géologiques du continent. Où est la vérité ? A ceux qui pensent cela, je veux quand même rappeler qu'il n'existe plus de compagnie minière française, et que les entreprises françaises présentes en Afrique sont surtout spécialisées dans les services.

Il y a bien le pétrole, me direz-vous. Regardons bien les faits : les deux pays africains où Total réalise l'essentiel de sa production sont le Nigeria et l'Angola, deux pays qui ne sont pas parmi les plus proches de la France. Il n'y a en réalité qu'un petit nombre de grands groupes français qui réalisent une part importante de leur activité en Afrique : Bouygues, Air France, Bolloré, et quelques autres. Peut-être les choses ont –elles été différentes par le passé, mais ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui ces grands groupes français n'ont pas besoin de la diplomatie française pour exister et se développer en Afrique. S'ils y sont aussi dynamiques, c'est à l'ancienneté de leur implantation – ils ont cru à l'Afrique avant beaucoup d'autres-, au talent de leur management et de leurs collaborateurs qu'ils le doivent, et à eux seuls. Mais de leur côté, les Africains doivent comprendre que l'aide publique au développement ne peut rien sans les investisseurs privés. Et ceux-là, soyez-en sûrs, ne viendront durablement que si les pays d'Afrique peuvent leur garantir un climat serein et stable pour y mener leurs affaires.
L'immigration est devenue un autre enjeu majeur de la relation entre la France et l'Afrique. Le sujet ne doit plus être tabou. Il est absolument essentiel d'en parler entre nous. Si on laisse aux partis extrémistes le monopole du discours sur l'immigration, il ne faut pas être surpris de voir progresser la xénophobie et le racisme. L'immigration peut être un atout pour la France comme pour les pays africains. Mais elle sera une chance si elle est choisie et non subie. C'est tout le sens de mon projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration en cours de discussion au Parlement. L'immigration doit être pour la France une ouverture sur la diversité, le dialogue des cultures, la tolérance. Or le résultat de plusieurs décennies d'immigration subie est exactement inverse : aujourd'hui, les petits enfants des migrants qui ont la nationalité française se sentent moins français que leurs grands-parents qui n'avaient pas la nationalité française.

A côté de cette réalité, les Africains qui n'ont que des bonnes raisons de venir en France, pour des raisons d'affaire, d'études, de travail, rencontrent aujourd'hui les pires difficultés pour obtenir un visa. Il faut sortir de cette situation. C'est tout l'objectif de la politique d'immigration choisie que je suis en train de mettre en place. Le terme immigration choisie a été beaucoup caricaturé et utilisé à des fins de polémique. Dans mon esprit, immigration choisie ne signifie en aucun cas la mise en place d'un filtre destiné à faire venir les diplômés et à rejeter les autres. Quand je parle d'immigration choisie, c'est une immigration choisie aussi bien par le pays d'origine que par le pays de destination. Immigration choisie veut dire immigration régulée, organisée, négociée entre les pays d'origine et les pays de destination. L'émigration est une richesse pour l'Afrique. Les transferts d'épargne des migrants installés en France représentent une somme presque aussi importante que l'aide publique au développement. En outre, les migrants qui reviennent de France avec une formation et une expérience professionnelle peuvent jouer un rôle déterminant pour le développement de leur pays d'origine. Un grand chantier doit donc s'ouvrir entre la France et les pays d'Afrique pour mettre en place une politique commune définissant les nouvelles règles d'une immigration choisie. Nous devons favoriser la mobilité et la circulation des hommes tout en évitant le pillage des cerveaux. D'après un rapport récent de l'OMS, "l'Afrique supporte 24% du fardeau des maladies et ne possède désormais plus que 3% du personnel sanitaire". La plupart des médecins béninois exercent aujourd'hui en France. Nul ne peut se satisfaire de cette situation dont les conséquences sont catastrophiques pour les Africains. Il est donc urgent de mettre en place une grande politique de co-développement qui facilitera la mobilité des personnes et la réinstallation volontaire en Afrique de migrants. Et c'est ensemble que nous devons organiser les migrations pour sortir de l'impasse actuelle et en faire un véritable atout en faveur du développement, mais aussi de la tolérance et de l'amitié entre l'Afrique et la France.

Il nous faut enfin analyser avec sérénité cette idée obsessionnelle que la relation entre l'Afrique et la France serait une relation d'exclusivité. On ne cesse de dire : "la France perd ses positions en Afrique". Ce vocabulaire n'est pas respectueux des Africains ! Il ne s'agit ni de parts de marché, ni non plus de possessions. Ceux qui tiennent ce discours chez nous se croient des amis de l'Afrique. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils en ont une vision d'un autre âge.

Il arrive que des Africains tiennent également ce discours. Ils l'assortissent en général d'un autre commentaire : "les Américains, les Chinois et les Indiens s'installent partout"… Je vais peut-être vous surprendre, mais je considère que c'est une bonne nouvelle pour l'Afrique. D'abord, je ne vois pas la France dans une compétition pour savoir quel est celui qui aura la "meilleure place" en Afrique. L'Afrique est la patrie des Africains. Ceux qui se plaignent de l'arrivée de nouveaux investisseurs ont la vision passéiste de l'économie des comptoirs, une conception qui a au minimum cinquante ans de retard ! L'Afrique, pour eux, ce serait un gâteau que l'on partage, un champ clos et immuable. Pour tout dire, c'est l'inverse de la réalité africaine d'aujourd'hui, qui voit heureusement de nombreux pays afficher des taux de croissance que nous aimerions connaître en France : l'économie africaine est aussi une économie dynamique, malgré le sous-développement et malgré l'endettement.

Qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous : je souhaite vivement que les entreprises françaises viennent en Afrique, qu'elles y investissent et qu'elles y prospèrent. Je souhaite qu'elles y restent les plus nombreuses, de la même façon que je crois à une relation privilégiée entre mon pays et les pays africains. Mais sincèrement, pour défendre nos intérêts commerciaux et nos parts de marché, comme partout ailleurs dans le monde, je fais confiance au savoir-faire et au dynamisme de nos entrepreneurs. C'est de leur talent que dépend notre puissance économique. L'Etat, notre diplomatie doivent les aider. La relation avec l'Afrique doit même constituer une priorité de notre action diplomatique. Mais il n'y a pas de chasse gardée.
La concurrence est plus forte aujourd'hui qu'hier ? Tant mieux ! C'est la preuve que l'Afrique intéresse, que l'Afrique s'insère dans la mondialisation. On ne peut expliquer que la concurrence est une bonne chose et ne pas l'accepter pour soi-même. La présence des Américains et des Chinois en Afrique n'est pas moins légitime que celle d'autres. Les besoins sont tels que chacun y a sa place.

Je souhaiterais néanmoins que nos amis américains élèvent le niveau de leur aide publique à celui des pays européens, pour montrer que leur approche de l'Afrique n'est pas uniquement motivée par le souci de faire des affaires.
Par ailleurs, tous les pays ne méritent pas d'être aidés de la même façon : le respect des droits de l'homme n'est pas un critère moins important que la localisation des matières premières.
Je ne suis pas ici pour esquiver les interpellations qui sont faites à la France. Je vois bien que certains pays d'Afrique, avec lesquels la France avait depuis toujours entretenu des rapports d'amitié, paraissent aujourd'hui la rejeter. Cette tendance est le plus souvent confuse et ambiguë : parfois les mots contredisent les actes : parfois on dit pis que pendre de la France mais en coulisses on lui demande une aide budgétaire supplémentaire. Parfois les actes contredisent les mots. La France doit reconnaître sa part des torts. Mais ceux qui s'en prennent à la France et l'accusent de tous les maux sont eux-mêmes dans le passé : ils semblent avoir besoin d'un bouc émissaire pour cacher leur propre incurie, et s'inventent par ce nouveau mythe une légitimité de façade.

Cela étant je prends cette évolution au sérieux et avec respect : je comprends tout à fait que certains de nos amis et partenaires aient pu être déçus. Qu'ils trouvent eux-mêmes leur chemin. Peut-être nous retrouverons-nous plus tard, quand les rancœurs réciproques se seront apaisées. Je veux simplement rappeler à ceux qui rejettent aujourd'hui la présence française que les Français d'Afrique dans leur grande majorité ont toujours considéré que ce continent était pour eux leur deuxième patrie, et qu'ils ont contribué à la développer par leur travail. Oui, ils ont travaillé durement et pris des risques qui n'ont pas toujours été payés de retour. Certains, nous le savons, ont souffert physiquement et ont tout perdu. Et aujourd'hui, j'ai une pensée pour les Français de Côte d'Ivoire qui ont été victimes de violences. Et c'est en pensant à eux que je dis ici que la France se fera respecter, et qu'elle n'entend pas que ses ressortissants soient pris à partie dans des pays où ils n'apportent que leur bonne volonté et leur travail.

Il y a d'autres questions dont nous devons parler franchement, entre partenaires et amis. La présence de nos bases militaires dans plusieurs pays du continent est une de ces questions. La première mission de ces bases, c'est d'aider l'Union Africaine, bel exemple d'une intégration africaine réussie, à construire une architecture de paix et de sécurité régionale, qui permettra au continent de disposer d'un outil pour mieux assurer, solidairement, sa sécurité et sa stabilité.

Dans la période actuelle, le fait d'être présent militairement dans un pays nous conduit parfois à devoir intervenir dans un conflit ou une crise interne, à titre humanitaire, pour préserver la sécurité des populations civiles, ainsi que celle des ressortissants étrangers (et pas seulement des Français). Ces interventions sont parfois mal comprises, en Afrique mais aussi en France. Ce sont toujours des décisions difficiles, qui consistent à choisir entre deux mauvaises solutions. Soit nous n'intervenons pas, et l'on nous accuse de manquer à nos engagements bilatéraux et d'abandonner des gouvernements souverains ! Soit nous intervenons, et l'on nous reproche d'intervenir dans les affaires intérieures d'un Etat souverain !

La vérité, c'est que nous sommes présents, et que nous avons une capacité à agir militairement : il est donc logique que l'on vienne nous solliciter pour rétablir l'ordre et éviter des drames. Car nous devons bannir toute tentative de prise du pouvoir par la force. Cela veut dire intervenir dans une crise qui bien souvent ne nous concerne pas. Nous le faisons pour préserver des vies humaines, et le plus souvent en concertation avec la communauté internationale, avec les Nations Unies et l'Union Africaine. On peut reprocher à la France son interventionnisme, mais je constate que rares sont les candidats pour venir en aide à des Etats d'Afrique en proie à une crise politico-militaire. Quelles qu'aient pu être les insuffisances de la politique suivie par la France au Rwanda avant le génocide, en 1994, il y avait beaucoup de gens pour dénoncer les atrocités et les massacres commis contre les Tutsis, mais bien peu pour intervenir directement afin d'arrêter ce crime contre l'humanité, comme le fit, seule, la France, sous l'autorité d'Edouard Balladur. Sans doute devons-nous réfléchir davantage aux moyens d'anticiper ces crises, aux moyens de les prévenir avec l'Union Africaine. Cela passe par le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, et c'est en cela que la présence militaire française en Afrique doit trouver toute son utilité. Vous les Béninois, avez justement pris vos responsabilités en envoyant des contingents au Libéria et au Congo.
Je le répète, prévenir les crises, cela suppose que nous n'attendions plus pour dire à nos partenaires africains que nous estimons que telle décision ou telle politique ne sont rien moins que des manipulations électorales ou des dérives autocratiques, et qu'à ce titre elles sont porteuses d'instabilité. L'autoritarisme, ce n'est pas la stabilité. Il n'y a pas d'issue hors de la démocratie. Et la conclusion, c'est que nous devons parler de tout, y compris de ce qui est sensible.

Mesdames et Messieurs,

C'est en confiance et en toute amitié que j'ai voulu vous indiquer mes espérances dans la relation entre l'Afrique et la France. Je crois que l'Europe doit continuer à s'impliquer en Afrique, et que la France est la meilleure des passerelles entre nos deux continents. Notre relation est forte, ancienne, historique, elle est faite de sentiments qui dépassent le protocole, qui vont au-delà des relations habituelles entre les Etats. Notre relation est spéciale et doit le demeurer. La modernisation de notre relation, la responsabilisation de chacun permettront d'ouvrir de nouvelles pages, et de construire ensemble nos avenirs respectifs.

Pour avancer dans cette voie, nous disposons d'un outil commun particulièrement précieux : le français. C'est grâce aux Africains que le français reste une des grandes langues de communication internationale. 28 des 63 Etats membres de l'Organisation internationale de la Francophonie se trouvent en Afrique. Je veux saluer ici les efforts déployés par le président Abdou Diouf à la tête de cette Organisation. Je sais que les Africains attendent beaucoup de la Francophonie, sur l'éducation et l'enseignement, le développement des technologies de l'information et la promotion de la culture africaine. C'est aussi une exigence à laquelle nous devrons répondre.

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, c'est à un renforcement de nos relations que j'appelle. Nos destins sont et resteront liés. Vous pouvez compter sur mon engagement pour que ce lien si particulier qui nous unit soit renforcé. Et, plus encore, vous pouvez compter sur mon amitié./.