18.12.2006 - Déplacement de M. Nicolas SARKOZY dans les Ardennes

18 décembre 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, à Charleville-Mézières, lors de son déplacement dans les Ardennes


Mesdames et Messieurs les élus des Ardennes,
Mesdames, Messieurs les chefs d'entreprise,
Mesdames, Messieurs,

Je suis sincèrement heureux d'être aujourd'hui parmi vous dans les Ardennes. C'est un département que je connais bien et depuis longtemps : je me souviens d'être venu ici peu après les terribles inondations de 1995. Depuis 2002, je suis déjà venu trois fois dans les Ardennes et c'est toujours avec le même plaisir, car c'est un département où les gens sont entiers, authentiques et droits. Ce sont des qualités que j'apprécie par-dessus tout. Cultivez-les longtemps. Et puis, je me devais d'être ici, en ce moment précis, avec vous. Je ne suis pas venu ici par hasard.

A l'issue de cette table ronde, j'en sais davantage sur les difficultés qui sont les vôtres. Bien sûr, je suis tenu régulièrement informé de la situation de votre département par certains de mes proches. J'ai compris que, depuis plusieurs mois, les Ardennes traversaient une passe difficile. Les syndicats de salariés des Ardennes - dont je salue ici la présence et que je remercie pour la franche discussion que nous venons d'avoir -, les syndicats viennent encore de me faire sentir à quel point les pertes d'emplois récentes dans l'industrie ardennaise non seulement ont frappé durement des milliers de familles, mais ont été ressenties par chacun comme le signe implacable d'un déclin pour les Ardennes. Chacun, je le sais, y a vu le spectre de la « Vallée verte ».

Je sais, comme vous, à quel point l'industrie et la puissance économique d'une Nation sont liées. Si je suis venu ici, c'est pour vous dire que la fatalité, cela n'existe pas. La fatalité c'est le mot dont se parent ceux qui veulent excuser leur impuissance. Mais, pour moi, il n'y a pas de fatalité, ni en France, ni dans les Ardennes.

Les Ardennes sont un concentré des difficultés certes, mais aussi des chances de notre pays. Les Ardennes, comme la France, sont dans la mondialisation. On peut le regretter, on peut le combattre, on peut s'en féliciter, c'est un fait. Il faut le reconnaître. Se résigner, c'est croire que parce que nous sommes dans la mondialisation, cela signifie que les délocalisations vont se multiplier toujours, que le pouvoir d'achat va continuer à stagner, que la précarité va continuer à s'accroître. Il n'y a pas de fatalité. Sinon, comment expliquer que certains pays nordiques ou que le Royaume-Uni, encore plus ouverts que nous aux échanges internationaux, bénéficient d'une croissance plus forte, d'un chômage plus bas et d'une richesse par habitant supérieure à la nôtre ? Je ne me résigne pas, moi, à considérer que la mondialisation sonne le glas du progrès économique et social dans notre pays. Mais si nous voulons que la France redevienne un pays prospère, dynamique et juste, il nous faut agir avec détermination.

Il y a tout d'abord des comportements économiques que nous ne pouvons pas accepter. Notre pays doit s'organiser pour détecter et empêcher d'agir des actionnaires qui, comme chez Thomé-Genot à Nouzonville ou chez Metalleurop dans le Nord, ne sont pas des entrepreneurs mais, je le dit comme je le pense, des voyous. Du reste, notre droit actuel permet de les punir. Ce n'est pas cela qui rendra un emploi aux 300 ex-salariés de Thomé-Genot, mais il faut absolument que la Justice passe. L'instruction ne pouvant se faire rapidement à Charleville, un juge d'instruction de Reims a été saisi en urgence - vendredi dernier, je vous l'annonce -. Le Ministère de l'Intérieur, croyez-moi, mettra à sa disposition tous les moyens d'enquête nécessaires.

Au-delà, le vrai combat à venir pour éviter le pillage technologique, financier, humain de nos entreprises, c'est de réformer notre droit des faillites et c'est de muscler notre outil d'intelligence économique, c'est-à-dire de détection des menaces qui planent sur nos entreprises. J'ajoute que, quand je pense aux salariés de Thomé-Genot, je n'ai aucun état d'âme à ce que les pouvoirs publics assument les conséquences de tels désastres sociaux, lorsqu'ils se sont révélés aussi défaillants et impuissants à les prévenir.

Mesdames, Messieurs, ces drames sociaux sont d'autant plus terribles que le chômage est d'ores et déjà à des niveaux inacceptables. Pour stimuler une croissance forte, créatrice d'emplois, il nous faut libérer le travail dans notre pays. Car c'est le travail qui crée le travail. Dans le respect de la liberté de chacun, plus nous serons nombreux à travailler, plus les fruits de la croissance seront beaux et nombreux pour tous, plus il y aura de grain à moudre pour tous. Le gouvernement précédent a fait les 35 heures. Je veux pas que notre pays revienne uniformément à 39 ou 40 heures. Je suis catégorique : celui qui veut poursuivre à 35 heures doit pouvoir le faire. En revanche, celui qui veut travailler plus pour gagner plus, parce qu'il construit sa maison ou qu'il envoie ses enfants à l'université, celui-là doit pouvoir le faire aussi. Et l'entreprise doit être incitée à lui offrir de faire des heures supplémentaires. C'est pour cela que je souhaite l'exonération des charges fiscales et sociales sur les heures supplémentaires, pour la part salariale et pour la part patronale. C'est comme cela que nous rendrons du pouvoir d'achat aux Français.

Le combat pour une croissance forte, c'est le combat pour l'innovation, tout d'abord, et pour la formation, ensuite. C'est pour cela que j'ai lancé la démarche des pôles de compétitivité dans notre pays. Nous en avons créé 67 à travers toute la France, pour stimuler la recherche appliquée, nous nous efforçons de faire se rencontrer les enseignants, les étudiants, les chercheurs et les entreprises. Il s'agit de faire monter en gamme l'ensemble des secteurs de notre économie : l'industrie bien sûr mais aussi les services et l'agriculture : les Ardennes sont associées au pôle à vocation mondiale sur les industries et les agro-ressources. C'est peut-être là que seront conçus les biocarburants que nous utiliserons demain dans chacune de nos voitures ? J'insiste aussi sur la formation des hommes et des femmes. Elle constitue une dimension primordiale de notre richesse nationale. Il nous faut la cultiver. C'est pour cela que je n'effectue pratiquement jamais de déplacement sans me rendre, comme ce matin au lycée agricole de Rethel, dans un établissement scolaire ou dans un centre de formation. La qualité de notre formation est aussi une clé de l'attractivité d'un territoire : à l'instant, nous évoquions le formidable travail de formation réalisée ici pour permettre à de jeunes Ardennais d'acquérir les compétences pour travailler chez Hermès.

Enfin, je veux dire d'un mot que je pense que la France, dans la mondialisation, a besoin de l'Europe. Je sais que je m'exprime dans un département qui a très massivement rejeté le projet de constitution européenne. Mais je crois que beaucoup de ceux qui ont voté « non » n'ont pas voulu dire qu'ils refusaient l'Europe, mais tout simplement qu'ils refusaient cette Europe-là qui se construit aujourd'hui. Car cette Europe-là a effectivement cessé d'être un espoir et une protection pour les Français qui ne la voient plus aujourd'hui que comme une menace. Je veux, là aussi, qu'on en revienne à des principes simples et fondateurs de la construction européenne : l'harmonisation fiscale et sociale, en interne, entre pays européens, et la préférence européenne, vis à vis des autres Nations qui veulent commercer avec nous. Je souhaite que nous rétablissions cette préférence européenne, tant qu'il n'existe pas de réciprocité entre les règles qui s'appliquent à nos entreprises et celles que les pays émergents ou les Etats-Unis s'appliquent à eux-mêmes. Je suis favorable à la concurrence, mais à la condition qu'elle se fasse à armes égales. Je ne vois pas pourquoi nous laisserions entrer chez nous comme s'ils venaient d'autres pays européens des produits venus de pays qui ne respectent pas l'environnement ou qui font travailler des enfants.

Après avoir évoqué le cadre européen et national, j'en viens à la situation particulière du département des Ardennes. Que peut-on faire ensemble pour placer les Ardennes sur la voie du renouveau ? J'en ai longuement parlé avec les Parlementaires du département, Bérengère POLETTI, Benoît HURE et Jean-Luc WARSMANN, et avec Boris RAVIGNON, Ardennais lui aussi, qui fait auprès de moi un travail formidable. Et j'ai lu avec attention le travail très riche effectué pour soutenir la demande d'un « plan Ardennes » sur une durée de 7 ans. J'ai toujours défendu, chacun le sait ici, la discrimination positive, car elle est, pour moi, au cœur de l'idée de justice. La discrimination positive, c'est tout simplement donner plus à celui qui rencontre plus de difficultés, c'est l'égalité réelle des chances, et l'égalité réelle des chances, cela vaut aussi pour les territoires de notre pays. C'est ainsi que j'ai toujours compris ma mission en matière d'Aménagement du Territoire. Ne soyez donc pas étonné que je soutienne entièrement votre démarche pour la revitalisation des Ardennes, en vue du prochain comité interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires. Les Ardennes peuvent compter à 100% sur mon appui.

Je crois en effet qu'il est tout d'abord absolument nécessaire de renforcer les atouts traditionnels des Ardennes. Il existe dans les Ardennes des savoir-faire industriels incontestables dans la métallurgie notamment, et une maîtrise technologique connue et reconnue concernant les matériaux. Je sais que le CRITT des Ardennes est le plus important de France. Cet avantage comparatif, il est crucial de le préserver et de l'amplifier. La démarche des pôles de compétitivité a très clairement cet objectif : aider au financement de projets de recherche issus du terrain, car nés de la rencontre entre les industriels et les unités de recherche locales. Dans des conditions que les acteurs économiques locaux détermineront, j'ai demandé à la délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) de leur apporter un soutien actif, afin que l'industrie ardennaise ne reste pas à l'écart des pôles de compétitivité français, soit de manière autonome, soit en intégrant un pôle existant. Si les travaux étaient rapides, il n'y aurait pas d'obstacle à ce que le Comité interministériel à l'Aménagement du Territoire qui se réunira prochainement constate déjà les progrès effectués dans ce domaine. Par ailleurs, dans l'objectif d'un renforcement des capacités de recherche dans le département, j'ai donné mon accord au financement complémentaire du projet porté par la communauté de communes des trois cantons, présidé par Michel MARCHET, en partenariat avec l'entreprise Faurecia, afin de créer un centre de recherche et d'essais acoustiques à Mouzon.

Par ailleurs, il est indispensable de combler certaines faiblesses structurelles du département : je veux parler des infrastructures et de la faiblesse du secteur tertiaire. Les Ardennes me semblent avoir souffert depuis trop longtemps d'un enclavement qui ne leur a pas permis de tirer profit d'une situation géographique unique, aux portes de l'une des régions économiques les plus riches, non seulement d'Europe mais du monde. Je rejoins tous les élus ardennais qui, depuis des années, ont œuvré au raccordement des Ardennes au reste de l'Europe. Mais il faut désormais passer à la vitesse supérieure : le nouvel axe Rotterdam-Marseille, via les Ardennes, doit voir le jour au plus vite. S'agissant de la branche ouest de l'A34 qui doit relier Charleville à la frontière belge, je vous confirme que le décret déclarant l'utilité publique sera prêt en février. Après avoir obtenu de Dominique PERBEN, ministre de l'Equipement, l'engagement que les équipes en charge du projet seront renforcées, je peux vous confirmer également que le début des travaux aura lieu au deuxième semestre 2007 et que les Ardennais pourront rouler sur ce nouveau tronçon en 2010. Par ailleurs, si le partage du financement de cette autoroute doit se poursuivre, sans changement, sur la base d'un tiers pour l'Etat, d'un tiers pour la Région et d'un tiers pour le département, il apparaît nécessaire de tenir compte des difficultés économiques très graves qui ont touché spécifiquement les Ardennes depuis plusieurs mois. Dans ces conditions, de manière tout à fait exceptionnelle, l'Etat entend signer avec le Conseil général une convention pour le décharger de la moitié de la part de financement qui revient aux Ardennes. Compte tenu des montants en jeu – 330 M€ de coût total –, cet effort de l'Etat envers les Ardennes atteint 55 M€. Cette somme, économisée par le Département des Ardennes, pourra être employée exclusivement à l'impulsion d'une nouvelle dynamique économique.

Le rapport du délégué à la re-dynamisation des Ardennes soulignait récemment aussi la situation paradoxale du département sur le plan ferroviaire, où le TGV arrive en juin prochain, mais où il n'existe plus de raccordement avec le réseau belge. Tout le monde connaît ici les 22 kilomètres de la ligne Givet-Dinant, aujourd'hui fermés au trafic. Avec le Ministre de l'Equipement, nous avons écrit à nos homologues belges pour les inviter à rouvrir ce projet. Nous avons également inscrit dans le prochain Contrat de projet les crédits nécessaires au financement par l'Etat de sa part dans les travaux de remise en état. Vu la nature du lien transfrontalier qu'il s'agit de reconstituer, des crédits européens INTERREG seront mobilisés sur ce projet. La France et la Belgique pourront se partager le solde à parité. Ainsi encore, par la route et par le rail, nous referons des Ardennes le lieu de passage et d'activité, entre la France et l'Europe du Nord qu'elles étaient dans l'Histoire.

L'un des points faibles des Ardennes tient aussi à l'absence d'un pôle tertiaire important, notamment autour de la ville chef-lieu. Outre les emplois que les activités de services représentent, l'existence même d'un tissu d'entreprises de services est aussi une condition d'attractivité pour le département. Afin que l'Etat donne ici l'exemple, j'ai décidé, dans ce contexte, que l'agence nationale des titres sécurisés, établissement administratif que le ministère de l'Intérieur s'apprête à créer, s'installera dans l'agglomération de Charleville-Mézières, sur un site qui reste à trouver. Cette agence, qui va voir le jour dans les prochaines semaines, prendra en charge la production des passeports. Ses compétences seront progressivement étendues à d'autres titres comme les visas, les titres de séjour pour étrangers, puis les cartes nationales d'identité. Pour les Ardennes, elle représentera plusieurs dizaines d'emplois publics de haut niveau, en lien avec des institutions internationales et utilisant les technologies les plus avancées de l'information et de la communication.

Enfin, fortes de ces nouveaux atouts, je crois qu'il est nécessaire que les Ardennes se tournent vers l'extérieur résolument pour attirer des activités nouvelles. C'est le travail de vos élus. C'est ce sur quoi vous pourrez valablement les juger. Là encore, l'Etat ne peut pas faire les choses à la place des acteurs économiques locaux, mais il prendra sa part dans la recherche d'une plus grande attractivité. C'est ainsi que le Gouvernement vient de décider d'élargir la liste des communes où les investissements des entreprises peuvent être aidées : au total, elle concerne désormais 55% de la population du département. Cette disposition se combinera, demain, avec le mécanisme de zone franche pour les Ardennes, dès lors qu'il sera adopté par le Parlement. J'ai soutenu l'amendement déposé en ce sens par Jean-Luc WARSMANN. Il s'agira d'un outil très puissant pour attirer des entreprises dans les Ardennes. Sachez en profiter ! Pour compléter le dispositif, le Président du Conseil général, l'Agence française des Investissements internationaux et moi-même, nous venons de signer une convention au terme de laquelle l'Agence, présente dans le monde entier, s'efforcera de promouvoir partout les Ardennes et leurs savoir-faire, et de diriger vers ce département des projets d'installation d'entreprises.

Vous le voyez, je ne suis pas venu dans les Ardennes par hasard. Lorsqu'un territoire est en difficulté, c'est le rôle d'un responsable politique de venir sur le terrain pour écouter, bien entendu, mais surtout pour comprendre, pour agir et pour apporter de véritables solutions. Les engagements que j'ai pris ici, devant vous, seront tenus. J'y veillerai personnellement et régulièrement. Et je reviendrai s'il le faut. Mesdames, Messieurs, nous avons la tâche immense de faire renaître l'espoir, ici, dans la population ardennaise. Tous ensemble, je sais que nous pouvons y parvenir.