18.05.2006 - Déplacement de M. Nicolas SARKOZY au Mali

18 mai 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, sur le thème du partenariat entre l'Afrique et la France dans le domaine du développement, à Bamako, au Mali.


Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

C'est pour moi un honneur et une très grande joie que d'être accueilli aujourd'hui parmi vous au Mali. Je voudrais profiter de l'occasion que m'offre votre chaleureuse hospitalité pour vous faire part de quelques convictions et réflexions sur la manière dont la France, l'Europe et l'Afrique pourraient resserrer et enrichir leurs relations mutuelles.

Je crois pouvoir dire qu'aucun pays du Nord ne porte autant d'attention à l'Afrique que la France. Aucune nation n'a autant à cœur la stabilité, le développement, la réussite des pays du continent africain. Ce qui est vrai pour la France doit l'être plus largement pour l'Europe tout entière. Les destins de nos continents sont indissolublement liés par l'histoire, par la géographie et de plus en plus aussi par la démographie. J'ai la conviction que l'Afrique et l'Europe, et avec elles la France, réussiront ou échoueront ensemble face aux deux autres grands pôles que sont à l'Ouest, l'Amérique, et à l'Est, l'Asie.

La France doit demeurer aux avant-postes de cette relation indispensable entre les deux rives de la Méditerranée. La France, même si elle ne doit pas prétendre à l'exclusivité, a noué au fil du temps une parenté particulière avec le continent africain. En plus de ce lien historique et, je l'espère, affectif, qui nous unit toujours, je n'oublie pas évidemment la francophonie. Quel trait d'union plus vivace que le partage d'une même langue ! Au delà de ce qui naturellement nous rapproche, c'est en faisant de nos différences et de notre écart de richesse un défi commun que nous pourrons resserrer nos liens davantage encore. La relation entre l'Afrique et la France, l'Afrique et l'Europe doit s'affirmer comme l'un des principaux axes de stabilité de la planète et comme un exemple pour la relation Nord-Sud.

Le premier fondement doit naturellement être une ambition partagée de développement. L'histoire nous a démontré que la pauvreté n'était pas une fatalité et que le développement pouvait être une affaire de décennies. J'ai pour habitude, vous le savez, de dire les choses avec franchise : les pays d'Afrique n'ont avancé que lentement sur ce chemin, pour des raisons qui tiennent d'abord à la politique, la nôtre comme la vôtre, à des choix parfois hasardeux de stratégie de développement, et à des coups du destin tels que la pandémie de SIDA. Ce ne sont pas là des handicaps définitifs. Dans chacun de ces domaines, l'évolution récente nourrit l'espoir et je suis intimement convaincu qu'il n'y a de fatalité africaine que pour ceux qui ne veulent rien faire, ou pour commencer ne rien voir.

Car nous devons en premier lieu œuvrer à changer le regard que le monde porte sur l'Afrique. L'Afrique bouge, l'Afrique évolue, l'Afrique se stabilise et se modernise. Sa diversité, son énergie et ses talents méritent mieux que les stéréotypes qui la réduisent à la somme de ses malheurs. Cessons d'assimiler l'Afrique à un ensemble de pays ravagés par l'effondrement des Etats, les conflits ethniques, les guerres, les famines et les pandémies. L'Afrique, c'est aussi -et de plus en plus- des pays en expansion qui affichent des taux de croissance élevés depuis plusieurs années. C'est un continent où l'espérance de vie, malgré le SIDA, a progressé de plus de vingt ans en moins d'un demi-siècle. Et contrairement à beaucoup de préjugés, c'est également une région du monde où les exigences de l'Etat de droit et de la démocratie pluraliste gagnent du terrain. Le Mali, Messieurs les Ministres, grâce à la clairvoyance du Président ATT et à la sagesse de votre peuple, en fournit la plus éclatante illustration.

Bien sûr, je n'oublie ni la faim dans certaines régions du Sahel et dans la Corne orientale, ni la guerre au Soudan, ni la tension en Côte d'Ivoire. Je n'oublie pas le SIDA et le paludisme. Je n'oublie pas la pauvreté et la sécheresse. Mais j'aimerais que la presse internationale, nos médias, l'opinion française et européenne n'oublient pas de temps à autre de regarder l'autre facette de l'Afrique. Celle d'un continent qui croît et qui crée. Celle de jeunes démocraties en progrès. Celle d'une jeunesse extraordinaire qui regarde devant et non derrière elle. Or, c'est le continent qui attire le moins d'investissements directs étrangers. Voilà pourquoi nous devons nous employer à donner une autre image de l'Afrique. Comme le dit un proverbe africain, "quand un arbre tombe, on l'entend; quand la forêt pousse, pas un bruit". Je veux travailler avec vous à faire entendre "la forêt qui pousse".

Cette Afrique en marche peut être, j'en suis convaincu, l'un des acteurs clés du XXIème siècle et une chance pour l'Europe et la France. C'est ensemble que nous pourrons relever ce défi, dans le cadre d'un partenariat rénové. Il nous faut conjointement chasser les vieux démons du paternalisme, de l'assistanat et du clientélisme. Je souhaite que nos relations avec l'Afrique soient l'une des orientations prioritaires de notre politique étrangère prise dans son ensemble. Nous devons créer les conditions de relations adultes, responsables et décomplexées dont nous pourrons être fiers et qui pourront s'épanouir en pleine lumière, sous le regard de tous : celui du peuple français, celui des peuples africains, celui de nos partenaires en Europe et dans le monde. Ce dialogue permanent et ce partenariat exigeant, ils doivent s'inscrire dans le cadre d'un échange équilibré entre nations souveraines et alliées, liées par des liens privilégiés.

Nos efforts communs doivent se fixer une obligation de résultats et plus seulement de moyens. La question de l'aide, ce n'est pas seulement : combien ? C'est aussi : comment et pour quels résultats? En termes de volumes, un tournant a été pris depuis le point bas que nous avons connu en 2001, quand l'aide publique au développement de la France était tombée à 0,32 % de la richesse nationale. Sous l'impulsion résolue du Gouvernement et du Président de la République, elle a depuis augmenté de 75 % en 5 ans pour atteindre aujourd'hui plus de 8,2 milliards d'euros. L'engagement financier est donc là et doit même s'accroître encore, mais je ne vois pas pourquoi l'aide au développement échapperait aux principes qui gouvernent selon moi l'utilisation de l'argent public : la fixation d'une stratégie précise, des exigences réciproques clairement définies, et la culture du résultat. Plus d'aide doit impliquer plus d'efficacité, de part et d'autre.

Pour cela, je crois d'abord qu'en dehors des cas de force majeure motivés par l'urgence humanitaire et la défaillance des Etats, l'aide doit toujours renforcer et jamais remplacer les institutions des pays en développement, qu'il s'agisse de l'État ou de la société civile. Le premier geste de l'aide doit être un geste de confiance envers une nation, son administration, ses gouvernants, ses entrepreneurs. Car il est un peu vain de prétendre aider une nation si celle-ci ne prend pas pleinement en mains son destin. Et je ne suis pas de ceux qui pensent que l'on peut faire le bonheur des gens à leur place : le développement de l'Afrique dépend avant tout des Africains eux-mêmes.

Ce dont je suis sûr en revanche, c'est que le bonheur des Africains ne passe pas par des formes de gouvernement tyranniques, des pratiques politiques arbitraires ou des institutions délabrées. Nous ne devons plus accepter que l'aide au développement puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance et aux régimes prédateurs. Comme nous ne devons plus tolérer les détournements auxquels elle donne encore trop souvent lieu et qui constituent une double spoliation parfaitement inadmissible : spoliation des contribuables dans les pays donateurs, spoliation des populations dans les pays récipiendaires. La corruption doit cesser d'être regardée avec complaisance comme un mal nécessaire. Son éradication permettrait déjà à coût budgétaire constant d'accroître mécaniquement les montants de l'aide effective. La question lancinante du volume de l'aide n'est pas seulement l'affaire des donateurs. C'est aussi celle des bénéficiaires.

Il faut, naturellement, que les pays donateurs connaissent et évaluent l'usage qui est fait de l'aide. Mais ceux qui doivent d'abord demander des comptes à l'aide au développement, ce sont les Africains et les Africaines. Ils doivent savoir à quoi elle est affectée et quels doivent être les résultats concrets qu'on en attend. Alors, ce sera la population qui vérifiera par elle-même si les fonds ont bien été utilisés par les pouvoirs publics nationaux comme locaux.

C'est la raison pour laquelle les fondations même du développement sont la stabilité et la bonne gouvernance. L'histoire montre que l'existence d'un Etat efficace et d'une administration organisée, animés d'une vision stratégique du développement du pays, est un élément décisif de l'essor du secteur privé et du dynamisme de la société civile. L'aide publique au développement doit alimenter la construction d'institutions publiques et privées efficaces, pas s'y substituer. La paix, l'État de droit, le respect des contrats, l'impartialité de l'administration et des tribunaux valent plus que des millions de dollars d'infrastructures pour attirer les investissements, l'expertise et les entrepreneurs. Car l'aide et l'action des Etats n'ont de sens que si elles permettent aux capitaux privés de prendre le relais.

L'avenir économique de l'Afrique se joue dans l'espace aujourd'hui trop vide qui sépare les grandes multinationales du secteur informel. Il faut faire émerger un tissu d'entreprises moyennes qui fourniront le substrat de la diversification et la modernisation de l'économie. En sécurisant le cadre juridique des investissements et de la propriété. En mettant en place des infrastructures publiques performantes, car une PME ne peut pas produire sa propre électricité comme le font les grands groupes. En incitant les investisseurs étrangers à impliquer davantage les acteurs économiques locaux dans la réalisation de leurs projets. Pourquoi les Etats africains n'en feraient-ils pas l'une des conditions à l'agrément de certaines opérations et à la passation de certains marchés ? D'autres pays dans d'autres continents ont mis en place de telles règles, explicites ou implicites. Il faut enfin travailler à construire un système financier local efficace mais adapté aux particularités de l'Afrique : c'est un défi considérable et je souhaite que les filiales d'établissements financiers français y contribuent activement.

C'est de plus peu de chose pour un pays développé de garantir les emprunts d'une institution de microfinance, mais cela lui permet de lever des sommes considérables qui viendront nourrir, au plus près du terrain, l'initiative et l'esprit d'entreprise. Le micro-crédit est une des avancées les plus ingénieuses et les plus importantes dans le renouvellement des outils d'aide au développement. Beaucoup de pays du Nord s'en inspirent désormais dans leurs politiques internes de lutte contre la pauvreté. Nous devons poursuivre les progrès accomplis dans ce domaine, qui doivent beaucoup –cela mérite d'être souligné- au rôle souvent décisif joué par les femmes dans les économies familiales. Le développement, cela passe aussi par une meilleure reconnaissance de la place des femmes et un plus grand respect de leurs droits.

La définition des objectifs du millénaire a donné à la communauté internationale des références précises et un but clair. Nous devons nous attacher plus que jamais à remplir ces objectifs. Mais l'aide au développement ne peut suffire pour les atteindre, quand le seul coût de l'accès à l'eau où à l'éducation de base dépasse la totalité de l'effort mondial d'aide. Le rôle de l'aide est de mettre en place les compétenceset les infrastructures clés. Elle doit d'abord catalyser les efforts pour faciliter la mobilisation des ressources considérables issues des transferts des immigrants et du commerce.

Il faut par exemple encourager le système bancaire, et en particulier des institutions comme la Poste, à prendre leur place dans la gestion des transferts de fonds des migrants, dans le pays du travailleur et dans celui de sa famille. Ces sommes phénoménales sont actuellement grevées de commissions allant jusqu'à 1 euro prélevé sur 6 transférés. C'est aux institutions bancaires et postales de prendre le relais des systèmes actuels pour réduire les coûts et dynamiser les économies locales avec ces flux financiers. Plus de fonds dans les systèmes bancaires africains, ce sera plus de crédits pour les investissements et plus de développement.

Je crois aussi que l'aide peut prendre d'autres formes que le don quand un pays est stable et capable de tenir ses engagements. Et l'Afrique peut offrir des garanties, à condition que les prêteurs sachent se montrer innovants. L'agence française de développement a ainsi lancé des prêts dont les remboursements sont indexés sur les cours, très volatils, des matières premières. C'est une innovation majeure qu'il faut multiplier car c'est la clé d'un endettement soutenable pour beaucoup de pays africains. Le cours mondial du coton a ainsi doublé entre 2002 et 2004 puis baissé de 40 % entre 2004 et 2005. Quel foyer s'endetterait avec une telle variation de ses revenus ?

L'Afrique jouit depuis deux ou trois ans d'une conjoncture internationale favorable qui donne une grande valeur à ses matières premières. L'expérience a montré que la gestion de cette richesse est pleine de dangers car elle peut être un substitut facile à la création de valeur ajoutée, voire un enjeu de corruption, de guerre et d'instabilité politique. Elle est aussi la source de beaucoup de convoitises de la part de puissances peu scrupuleuses qui n'hésitent pas à engager certains pays dans des voies aventureuses. Les pays africains les plus avancés vers le développement sont d'ailleurs paradoxalement ceux dont le sol est le moins riche. Il faut donc tirer les enseignements du passé pour exploiter ces richesses dans une perspective de développement durable et de répartition équitable.
J'ai beaucoup parlé d'économie. Mais l'économie n'est rien, sinon un levier au service du développement humain, de la liberté des peuples et de l'accomplissement des individus. Dans cette perspective, la seule qui vaille, il me paraît important que la France, et avec elle l'Europe, concentrent leur aide sur les 5 grands défis du continent africain.

Premier défi : celui de la jeunesse, de sa formation et de l'accès à l'emploi.

L'Afrique d'aujourd'hui et de demain, c'est d'abord un continent en explosion démographique : un Africain sur deux a moins de 17 ans. Vous êtes pour de nombreuses années encore la jeunesse du monde. A cette jeunesse, je veux dire qu'elle peut compter sur nous. Son avenir passe d'abord par des formes nouvelles de coopération avec les institutions africaines en charge de la formation. Votre continent ne doit pas relâcher l'effort en matière d'éducation primaire. Comme il a besoin de jeunes professionnels formés aux techniques les plus modernes. L'Afrique qui gagne, elle se construit en premier lieu dans vos lycées techniques, vos universités et vos entreprises. Je sais aussi, et je l'assume, que l'avenir de votre jeunesse s'envisage dans une relation spécifique avec la France et avec l'Europe. Cette relation, nous devons l'organiser ensemble pour ne pas avoir à la subir chacun de notre côté, au détriment de nos intérêts bien compris.

Ce sont, ici et là, des questions sensibles. Comme vous le savez, j'ai proposé au Gouvernement et au Parlement français un projet de loi qui refonde les principes de notre politique de l'immigration. Ce projet, qui vient d'être adopté à une très large majorité par l'Assemblée nationale, a pour ambition de faire à nouveau de l'immigration un atout partagé pour l'économie française et pour les économies des pays d'émigration.

J'ai compris que ce texte pouvait être l'objet d'un certain nombre de malentendus et d'incompréhensions. Je suis heureux que mon déplacement ici à Bamako me donne l'occasion de les dissiper. Entre pays amis et héritiers de grandes civilisations comme la France et le Mali, nous pouvons et nous devons nous parler franchement. La nouvelle loi sur l'immigration ne constitue en aucun cas un recul mais bien un progrès, pour mon pays aussi bien que pour le vôtre. Elle récuse deux idées fausses, aussi irréaliste et dangereuse l'une que l'autre : l'immigration "zéro" d'un côté, l'immigration incontrôlée et sans limite de l'autre. Ma conviction, c'est que l'immigration est une chance, et pour qu'elle reste une chance, elle doit être organisée et concertée entre les pays d'accueil et les pays d'origine.

Ensemble, nous devons mieux prendre en compte les capacités d'accueil et des besoins économiques de la France d'une part, les besoins de développement des pays d'Afrique d'autre part. Je le dis clairement, ceux qui font le jeu du racisme et de la xénophobie, ce sont ceux qui de manière totalement lâche et irresponsable ferment les yeux sur la nécessité d'une régulation des flux migratoires. Ceux là acceptent dans le même temps que des migrants s'entassent dans des taudis et vivent dans des conditions indignes, parfois au péril de leur vie. Ceux là exposent des personnes démunies et vulnérables à des filières clandestines qui font prospérer des trafiquants sans scrupules. La France et la Mali doivent unir leurs forces et travailler ensemble pour lutter contre ces fléaux.

Cela ne change évidemment rien au fait que les Maliens, demain comme aujourd'hui et hier, seront toujours les bienvenus en France. Les 45 000 ressortissants maliens qui vivent en France en situation régulière sont très appréciés. Ce sont des gens honnêtes, respectueux et travailleurs. C'est pourquoi nous souhaitons pouvoir leur offrir les meilleures conditions d'accueil. Je rappelle que 70% des visas demandés aux autorités françaises ont été accordés l'an dernier. Cela représente plus de 15 000 visas à comparer aux 400 reconduites à destination de votre pays. J'ajoute que nous avons décidé de nous montrer plus généreux en matière d'aide au retour et de co-développement, en ouvrant ce dispositif aux personnes en situation irrégulière et en augmentant très significativement les sommes allouées. On est passé d'un montant de 150€ à 2000€ pour un célibataire, 3 500€ pour un couple et 1 000 € par enfant. Si d'autres pays font mieux, qu'on me le dise, je suis prêt à m'aligner sur eux. Mais de grâce, cessons les procès d'intention dénués de tout fondement. J'observe en tout cas que depuis mon dernier passage au Mali, en février 2003, ce sont 300 projets de co-développement qui ont ainsi été financés par la France, avec un taux de succès de 80% et plus d'un millier d'emplois créés.

Je sais aussi que l'un des grands malentendus porte sur la question du regroupement familial. Je vous le dis solennellement, je suis profondément attaché au droit fondamental à la vie familiale. Mon seul objectif, je le répète, c'est d'éviter que des familles s'entassent dans des taudis avec les conséquences dramatiques dont nous avons été cet été les témoins. Un père doit pouvoir faire venir sa femme et ses enfants dans des conditions décentes de logement et de ressources. C'est tout le sens de la réforme.

Plus largement, nous devons nous employer à conforter l'attractivité de l'enseignement supérieur français : je serais triste que les meilleurs étudiants africains aillent par milliers Outre-atlantique alors que nous avons en France un potentiel scientifique exceptionnel, et dans lequel le Gouvernement entend investir davantage. Mais je crois que pour les pays africains comme pour la France, il est préférable que ces projets d'études se portent avant tout vers les domaines où nos économies ont des besoins de compétences. C'est pourquoi je propose d'organiser désormais l'admission au séjour des étudiants autour de cette nécessité. Nous continuerons bien sûr à accueillir des étudiants africains, en particulier dans les filières identifiées comme les plus utiles au développement de votre pays.

Je crois aussi nécessaire, à titre temporaire, d'autoriser les étudiants qui ont obtenu en France un diplôme de haut niveau à y acquérir une première expérience professionnelle. Chaque médecin compte pour un pays d'Afrique où la densité médicale dépasse rarement 1 médecin pour 100 000 habitants (soit 300 fois moins qu'en France), alors que la Chine et l'Inde peuvent se passer d'un ingénieur de plus. Ce qui implique notamment de prévoir des mécanismes réellement incitatifs pour favoriser le retour et la réussite d'une partie des élites africaines dans leur pays d'origine. C'est pourquoi, par exemple, j'ai proposé la création en France d'une formule de comptes épargne développement. Elle consisterait à exonérer d'impôt sur le revenu les sommes épargnées par les migrants dès lors qu'elles auraient pour finalité de financer ultérieurement des projets économiques dans les pays d'origine. Dans ce même esprit, nous envisageons de proposer à nos partenaires européens la création d'une institution financière spécialisée, dédiée au financement du co-développement.

Voilà la logique de co-développement dans laquelle je conçois la politique migratoire française. Qui ne voit qu'il ne pourra y avoir dans la durée de maîtrise conjuguée des flux migratoires sans un développement mieux partagé entre Nord et Sud.

Second défi, celui de l'urbanisation et du développement des infrastructures.

L'Afrique est hélas la criante illustration des disparités mondiales en matière d'infrastructures primordiales. Ses habitants disposent proportionnellement de dix fois moins de ressources électriques, de 500 fois moins de routes bitumées que les autres habitants de la planète et l'Afrique, malgré ses cours d'eau, reste le continent le moins irrigué au monde.

Face à la persistance de ces déficits capacitaires, je souhaite donc que le financement des infrastructures sous toutes ses formes soit au cœur de l'aide publique au développement de l'Afrique. Les efforts de la France dans ce domaine sont d'ailleurs loin d'être négligeables. Nous consacrons chaque année près de 400 M€ au secteur de l'eau, ce qui permet de donner accès à l'eau à plus de 600 000 personnes et d'améliorer le service de l'eau pour plus d'un million d'entre elles. Il en est de même pour l'accès à l'électricité. Il nous faut amplifier ces efforts et saisir cette occasion pour redonner du crédit aux améliorations permises par l'aide publique au développement. Une façon concrète de le faire pourrait être de publier les chiffres exacts des populations bénéficiaires et des services qui leur ont été délivrés.

J'observe aussi, et c'est un facteur qui devrait nous inciter à davantage d'optimisme, que les sauts technologiques ouvrent à l'Afrique des raccourcis vers le développement inconnus il y a quinze ou trente ans : la téléphonie mobile permet par exemple au plus grand nombre d'accéder à un moyen de communication essentiel sans attendre comme en France soixante ans pour poser des réseaux filaires. Plus globalement, l'essor vertigineux des NTIC présente l'avantage de mobiliser des technologies relativement flexibles et nécessitant moins d'investissements initiaux pour déployer l'ensemble de leurs fonctionnalités. C'est d'une certaine façon une chance pour votre continent car les efforts et les délais de rattrapage sont réduits d'autant.

Troisième défi, celui du monde rural et du développement agricole.

En l'espace de 30 ans, les terres arables disponibles ont reculé de 30% alors que dans le même temps, la population d'Afrique a, elle, été multipliée par deux. Les projections démographiques font en outre état d'une nouvelle perspective de doublement au cours des trois prochaines décennies, avec plus de 1,5 milliards d'habitants à l'horizon 2040.

En dépit de l'importance manifeste de l'enjeu, la communauté internationale a eu au cours des années récentes le grand tort de négliger l'agriculture. C'est d'abord un enjeu impérieux de sécurité alimentaire alors que les besoins vont croissants. C'est ensuite un enjeu de développement économique et social durable et harmonieux. La maîtrise de l'exode rural et de son corollaire, la croissance urbaine, implique de procurer des revenus supplémentaires aux habitants des campagnes. Malgré cet exode, l'agriculture concerne toujours 60% de la population et emploie 500 millions de personnes. Disons- le sans détour : au delà de l'aide et de la coopération dans le domaine agricole, la question centrale réside dans le protectionnisme des pays du Nord qui consacrent chaque année 300 milliards de dollars au soutien de leur production, soit 3 à 4 fois le montant total de l'aide publique au développement. Je n'ignore pas les difficultés des agriculteurs du Nord, et plus particulièrement de ceux de mon pays. Et je tiens à rappeler ici aux puissances commerciales qui sont promptes à nous donner des leçons que l'Europe est d'ores et déjà la zone économique la plus ouverte aux produits agricoles du Sud en général, et de l'Afrique en particulier. Contrairement à certains professeurs de vertu, nous ne maquillons pas, nous, cyniquement des subventions à nos exploitants en aide alimentaire. Le fait que nous devions nous garder de toute naïveté ne doit pas cependant nous dispenser de promouvoir une conception plus humaine et plus juste de la mondialisation.

Ce qui m'amène au quatrième défi, celui qui consiste à aider l'Afrique à prendre toute sa place dans le commerce mondial.

Pour que l'Afrique puisse gagner, il faut aussi que les règles du commerce mondial soient justes et leur arbitre équitable. Je suis inquiet, je vous l'avoue, des conséquences du cycle de négociations de Doha pour les pays africains. La conférence ministérielle de Hong-Kong a permis grâce à l'Union européenne et à l'action résolue de la France d'effectuer quelques avancées importantes : aucun droit ni quota ne sera plus appliqué à 97 % de vos produits en 2008. Surtout, les subventions à l'exportation de coton qui pénalisaient honteusement la production africaine disparaîtront en 2006. La France sera extrêmement attentive au bon respect de ces engagements.

Mais plus généralement, il faut conforter la préférence pour l'Afrique dans la politique commerciale européeenne. C'est une politique majeure que la France a suscitée puis soutenue en chaque occasion et qui s'est traduite dans les accords de Lomé et, en 2000 de Cotonou. Mais mécaniquement, cette préférence risque de s'éroder à mesure que les droits appliqués aux pays tiers s'effaceront. Il nous faut donc trouver de nouvelles manières de faciliter l'insertion de l'Afrique dans la mondialisation. Cela commence par le démantèlement desbarrières non tarifaires, c'est-à-dire un effort volontariste des pays riches pour que leurs normes ne fassent pas inutilement obstacle aux produits africains. Il est aussi essentiel que la suppression des droits et des quotas sur les produits des pays les moins avancés ne touche plus 97 % mais 100 % de ces denrées. Et les soutiens internes aux productions qui concurrencent le plus les produits des pays les plus pauvres doivent purement et simplement disparaître. Cela vaut pour l'Europe mais aussi pour le coton américain, qui reçoit chaque année près de 4 milliards de dollars de subventions, trois fois le montant de l'aide publique de ce pays à l'Afrique. Et l'expérience de l'Asie montre qu'il est judicieux de renforcer les capacités d'exportation d'un pays avant d'exposer son économie à la concurrence internationale. Rappelons aussi que les Etats-Unis ont mis près de 50 ans pour faire passer leur protection douanière d'une taxation de 50% à 6 à 8% en moyenne aujourd'hui.

Au-delà du cycle de négociations de Doha, je suis et je demeure profondément attaché à l'idée d'une préférence commerciale pour les produits africains. La France doit continuer à défendre cette vision au sein de l'Union européenne et à l'Organisation mondiale du commerce. Dans ce domaine aussi, je suis favorable à la discrimination positive : le développement de l'Afrique passe par l'acceptation par les pays développés, mais aussi par les puissances émergentes (Brésil, Chine, Inde notamment), de relations commerciales asymétriques avec le continent africain. Il ne s'agit pas de graver un régime dérogatoire dans le marbre de l'éternité. Mais cela reste une étape indispensable si l'on veut donner aux pays africains les mêmes chances que les pays développés dans la construction d'une économie compétitive à l'international.

Cinquième et dernier défi : celui de l'accès aux soins et de la lutte contre les grandes pandémies.

Ce défi est majeur. Au cours des quatre dernières décennies, l'espérance de vie à la naissance est passée de 40 à 63 ans, grâce en particulier à la réduction de la mortalité infantile et à la régression des maladies infectieuses. Songeons à l'éradication de la variole qui faisait autrefois plusieurs millions de victimes chaque année. Nous devons poursuivre et amplifier notre mobilisation pour éviter tout recul et continuer à marquer des points. D'une part, les taux de mortalité infantile sont dans certaines régions encore 10 fois plus élevés qu'en Europe. D'autre part, le SIDA, le paludisme, la tuberculose et les maladies infantiles font toujours des ravages.

Nous devons donc encourager sans réserve les initiatives de la communauté internationale en faveur de la création de fonds internationaux publics et privés destinés à intensifier la lutte contre ces fléaux. Nous devons aussi porter nos efforts sur l'amélioration des conditions d'accès à une eau saine et propre. Une grande part de la morbidité des populations africaines est en effet liée à l'utilisation faute de mieux d'eaux impropres à la consommation. On voit bien du reste que, dans ce cas comme dans d'autres, les élans du cœur rejoignent les recommandations de la raison. Les pandémies sont, elles aussi, en voie de mondialisation. Nous sommes tous concernés. Là aussi, c'est ensemble que nous réussirons ou que nous échouerons.

Je crois en outre que les partenariats publics-privés peuvent également fonctionner dans le secteur de la santé. Les laboratoires pharmaceutiques n'investissent pas massivement dans le traitement des maladies tropicales telles que le paludisme ou la dengue, parce qu'ils ne pensent pas trouver de marchés solvables. C'est à nous et en particulier à la France, récemment frappée outre-mer par le chikungunya et la dengue hémorragique, de donner les aides publiques nécessaires pour couvrir les frais de recherche-développement et accompagner la création de réseaux de distribution. Mais ensuite je crois qu'il sera possible d'organiser, si les prix sont adaptés, des marchés africains où le médicament pourra trouver son équilibre économique.

Ces défis communs, qui sont autant de priorités pour la nouvelle alliance que nous devons sceller avec l'Afrique et les Africains, nous aurons davantage de chances de les relever si nous parvenons à entraîner nos principaux partenaires dans notre sillage.

L'Europe tout d'abord. Elle joue aujourd'hui un rôle prépondérant dans l'aide au développement. Le IXème Fonds européen de développement dispose de 13,5 milliards d'euros, la France restant le contributeur principal avec une participation excédant sensiblement son poids économique relatif au sein de l'Union européenne. Cette situation est pourtant porteuse d'un double paradoxe. Premièrement, alors qu'elle fournit la moitié de l'effort mondial d'aide au développement, l'Europe peine à faire entendre sa voix au sein des instances internationales. Deuxièmement, alors que la France est le premier bailleur de fonds de l'aide européenne, elle ne pèse pas suffisamment sur les choix et les modalités d'intervention. Notre aide bilatérale garde pourtant une capacité d'expertise internationalement reconnue en Afrique. C'est pourquoi du reste, je souhaite qu'elle demeure une composante importante de notre action en matière d'aide au développement.

La France doit par ailleurs veiller à mieux faire prévaloir ses vues, ses concepts et ses priorités d'action dans l'utilisation des fonds européens. Nous devons affirmer notre vocation naturelle à être au sein de l'Europe le fer-de-lance de ce nouveau partenariat avec l'Afrique que j'appelle de mes voeux. Et nous devons continuer à défendre  l'engagement de l'Union européenne dans le développement. La France doit demeurer à chaque instant l'avocat inlassable de la cause africaine. A Bruxelles, mais aussi à Washington. Je suis de ceux qui pensent que l'Afrique doit d'ailleurs être mieux représentée au sein des institutions financières internationales que sont la Banque Mondiale et le FMI. L'amélioration de l'aide et de son impact exige aussi que la voix des principaux bénéficiaires puisse se faire mieux entendre, qu'il s'agisse de prendre davantage en compte les spécificités des sociétés africaines ou d'œuvrer à la simplification de procédures parfois bureaucratiques à l'excès.

Je crois enfin que cette nouvelle alliance avec l'Afrique doit sortir du champ clos des appareils d'Etat et des experts de l'aide au développement. Elle doit être aussi une alliance entre les peuples et pour les peuples. Beaucoup de gens croient la France trop inquiète de son avenir pour penser aux autres et demeurer ouverte au monde. Je crois pour ma part que c'est d'abord en s'ouvrant au monde, en œuvrant à un destin collectif plus large, qu'elle retrouvera le sens de sa destinée. Par son histoire, ses liens affectifs, l'origine de ses citoyens, la France doit assumer un rôle clé dans le développement de l'Afrique et remobiliser sa société civile et sa jeunesse vers cet objectif. Il existe dans notre pays un immense réservoir de talents et de générosité qui ne demande qu'à être mis en mouvement.

Pourquoi ne pas restaurer à grande échelle un « service civil » d'une année, sur la base du volontariat, qui fournirait aux jeunes Français à la fois une expérience professionnelle, la connaissance de l'Afrique, et l'occasion de servir la cause du développement ? Il faut sans doute restaurer la grande idée gaulliste qui était celle des volontaires du progrès, mais sous une forme plus décentralisée, en partenariat étroit avec nos universités et nos entreprises, pour que l'expérience humaine et professionnelle unique d'une année en Afrique soit reconnue dans un cursus et dans les droits sociaux. Nous démultiplierons ainsi les moyens d'une assistance technique tout en l'inscrivant résolument dans une logique de transmission et non de substitution de compétences. Symétriquement, cette idée pourrait s'enrichir d'un mouvement dans l'autre sens : pourquoi ne pas imaginer la possibilité pour de jeunes Africains de venir en France durant quelque semaines pour acquérir des compétences en assistance technique qu'ils pourraient ensuite mettre au service de leur pays d'origine?

Chers Amis,

Comme vous le voyez, je ne suis pas un adepte de l'afro-pessimisme. Je ne mésestime pas les handicaps de votre continent. Mais je mesure surtout votre potentiel et vos atouts. Je dirai même que l'Afrique constitue aujourd'hui le plus grand potentiel inexploité de notre planète. Je suis convaincu qu'ensemble nous pouvons en tirer le meilleur parti, au plus grand bénéfice des jeunesses d'Afrique, de France et d'Europe. L'arrivée de nouvelles générations de part et d'autre de la Méditerranée doit être l'occasion d'un profond renouvellement de notre partenariat. La coopération entre nos pays et nos ressortissants doit redevenir un enjeu de tout premier plan. Dans le prolongement du dernier Sommet entre la France et l'Afrique organisé ici même à Bamako, un grand débat pourrait être organisé qui impliquerait non plus seulement les spécialistes et les experts, mais serait ouvert à l'ensemble des composantes de nos sociétés respectives. Au terme de ce grand débat populaire, nous pourrions ensuite nous retrouver tous ensemble pour un Sommet extraordinaire qui jetterait les bases de ce partenariat renouvelé. Ne serait-ce pas là la meilleure manière de célébrer le cinquantième anniversaire des indépendances?

Nous ne sommes pas condamnés à subir les désordres d'une mondialisation qui tend parfois à exacerber les antagonismes et à ignorer les besoins fondamentaux des populations. Ensemble, l'Afrique, la France et l'Europe, j'ai la conviction que nous pouvons agir pour recouvrer la maîtrise de notre destin et prendre toute notre part dans la construction du monde nouveau. Le monde a besoin de nous. Il nous attend. Je vous propose de ne pas le décevoir et d'être au rendez-vous.