17.11.2005 - Journée d'étude : "Les Français face au terrorisme"

17 novembre 2005

Intervention de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire au centre de conférences internationales Kléber


Mesdames, Messieurs,

Certaines périodes de l'histoire exigent de chacun d'entre nous une détermination et un sang-froid particuliers.

Elles requièrent le courage d'une analyse lucide, d'une anticipation du risque, d'une adaptation permanente.

Il faut alors sans dramatisation excessive, mais aussi sans fausse pudeur et sans tabou, savoir regarder la réalité en face. Il faut, sans précipitation et sans reniement, s'engager dans un combat résolu pour ce que l'on pense juste.

C'est ici et aujourd'hui le sens de la lutte que nous menons contre le terrorisme.
Le risque d'actions violentes sur notre sol est réel. Pas plus que les autres Etats démocratiques, la France ne peut se sentir à l'abri ou protégée.

Contrairement à ce que nous avions pu espérer, la disparition du système bipolaire issu de Yalta n'a pas, comme certains ont pu l'espérer, marqué "la fin de l'histoire", "le point final de l'évolution idéologique de l'humanité, et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de gouvernement humain".

Nous sommes au contraire entrés dans une phase de déstabilisation globale et insécurisante.

Le monde connaît la guerre et toutes ses régions sont concernées. Les distances sont abolies ; une zone de chaos à l'autre bout de la planète peut menacer la sécurité de n'importe lequel de nos Etats démocratiques.

New York, Madrid, Londres… le terrorisme n'a pas de frontière.

La France en a malheureusement, à plusieurs reprises, vécu la douloureuse expérience, sur son sol, et à l'étranger.

Face aux menaces, nous nous sommes progressivement dotés de moyens juridiques, administratifs et matériels.

Les textes votés en 1986 ont ainsi permis la centralisation et la spécialisation des poursuites et de l'instruction des infractions terroristes.

Ils ont aussi créé les possibilités d'un démantèlement judiciaire préventif des réseaux.

A travers l'UCLAT, une meilleure coordination de l'action des services a été mise en place.

Des plans spécifiques, au premier rang desquels figure le plan Vigipirate, ont renforcé nos moyens de prévention.

Nous n'avons pas pu, dans les années 1990, éviter les victimes de la phase algérienne du terrorisme islamiste, mais nous avons certainement réussi à en limiter le nombre.

L'intervention du GIGN à Marignane sur l'Airbus d'Air France détourné à Alger et la neutralisation des réseaux responsables des attentats de l'été 1995 constituent de réels succès.

La lutte contre le terrorisme a également bénéficié de la politique générale de sécurité intérieure menée depuis 2002.

Les effectifs du RAID de la DST, de la Division nationale antiterroriste, de la Police Judiciaire, des services spécialisés des Renseignements généraux ont été sensiblement renforcés.

Aujourd'hui, l'évolution de la menace nous oblige à consolider notre dispositif, à l'adapter aux nouvelles exigences. Il nous faut de nouveau préparer nos forces, savoir envisager le pire pour mieux nous protéger.

C'est notre responsabilité parce que l'Etat ne peut manquer à son premier devoir qui est d'assurer la sécurité de ses citoyens. Et nous devons le faire avec le souci de l'efficacité, mais aussi en respectant nos valeurs. Il ne faut pas que nous y perdions notre âme.
 
Le terrorisme pose à vrai dire en termes nouveaux la question de la sécurité intérieure en renvoyant à un concept de sécurité globale combinant quatre facteurs : le territoire, les flux qui le traversent, le respect de l'ordre public et le renseignement.

De même, la distinction intérieur/extérieur ne résiste plus à l'épreuve des faits. Le terrorisme rend intenable le cloisonnement entre des missions de protection interne des personnes et des biens, et une mission de défense nationale uniquement tournée vers l'extérieur. Les aspects locaux sont souvent la répercussion de facteurs internationaux et ce qui est hors frontières est susceptible de représenter un enjeu national.

Mais, lutter contre le terrorisme, c'est aussi et peut être surtout gagner sur le long terme la bataille des idées.

A ce titre, nous devons repenser notre communication. Elle ne peut se contenter d'avoir comme unique objectif le concours actif de la population à la détection de ce qui paraît suspect.

Elle doit aussi intégrer un message clair non seulement sur l'horreur des actes terroristes, mais aussi sur la façon dont les terroristes détournent les causes qu'ils prétendent servir.

Notre réflexion doit porter sur la communication en temps de crise. Il nous faut anticiper en éclairant la population, il nous faut préparer la gestion de l'événement. De la qualité de notre communication dépendent  la cohésion nationale et nos capacités de résistance.

Le gouvernement a choisi d'élaborer un livre blanc pour tenir un langage de vérité aux Français, aux citoyens, mais aussi aux élus, aux entreprises, aux associations.

Le livre blanc poursuit un objectif stratégique. Il s'agit, à partir d'une analyse prospective de la menace de définir les priorités et l'organisation de la sécurité intérieure, mais aussi d'en tirer toutes les conséquences pour notre politique étrangère et pour notre coopération internationale.

Le livre blanc a aussi une dimension opérationnelle. Le constat s'énonce simplement : la réactivité et la capacité d'action de nos services nécessitent une adaptation constante des moyens de renseignement, de prévention et de lutte.

Il faut donc évaluer sans concession l'adéquation des moyens techniques et juridiques aux enjeux puis traduire le cas échéant le résultat en termes de programmation.

Le livre blanc a enfin une visée pédagogique. Informer clairement les citoyens et les relais d'opinion qui participent à la lutte contre le terrorisme.

Il faut à la fois affirmer les valeurs fondant la cohésion nationale et  améliorer l'adhésion citoyenne à la politique de défense civile, voire à l'esprit de défense.

La menace terroriste actuelle nous impose une réflexion globale. Elle nous contraint à modifier notre posture et à repenser nos modes de protection.

Le changement de nature de la menace met notre outil antiterroriste à l'épreuve.

Plus précisément, la question fondamentale qui se pose est de savoir si les attentats terroristes perpétrés au cours de la dernière décennie manifestent l'émergence d'une mutation fondamentale des phénomènes terroristes.

En d'autres termes, adhère-t-on au diagnostic de l'existence, et malheureusement pour longtemps, d'un "terrorisme global"? Représente- t-il pour la sécurité et la défense de la France, et plus généralement l'Europe, une menace au niveau stratégique?

Tout incline à répondre par l'affirmative.

Un saut qualitatif et quantitatif a été franchi :

- dans l'attractivité idéologique et la capacité fédératrice de mouvements contestataires divers.

- dans l'élévation du niveau de violences infligé à l'adversaire.

- dans l'extension mondiale des attentats : tous les continents sont touchés.

Ce qui fait la funeste force de ce terrorisme global, c'est tout d'abord qu'il prône une idéologie contestatrice globale des sociétés occidentales.

Il nous impose de lutter en écartant les idées fausses, les amalgames, les remèdes qui seraient pires que le mal. Parmi eux, le piège le plus important à éviter serait d'assimiler l'Islam et le terrorisme.

La lutte contre le terrorisme n'est en rien un combat contre l'Islam, mais contre les filières, les groupes et les réseaux qui en dévoient la tradition humaniste, qui détournent la religion au profit d'objectifs idéologiques et politiques.

L'idéologie des terroristes est d'autant plus dangereuse que, contrairement à son discours critique de la modernité, elle en épouse parfaitement les contours en calquant son organisation sur le modèle de l'internet.

Elle adopte un comportement de prédation vis-à-vis des problèmes régionaux ou mondiaux, afin de se parer d'une légitimité qu'elle ne saurait puiser dans son idéologie meurtrière. Elle s'efforce de récupérer et de se parer de l'énergie mobilisatrice d'autres combats : anticolonialisme, combat Nord-Sud, crises régionales.

Aujourd’hui, la principale menace stratégique réside dans ce phénomène que les experts appellent – ils le discuteront aujourd’hui – « le jihadisme global », dont tout porte à croire qu’il vient encore de frapper à Amman.

Contrairement aux formes de terrorisme plus anciennes, ancrées territorialement et organisées de façon plus ou moins structurée sur un mode hiérarchique, les nouvelles figures du terrorisme sont beaucoup plus souples, beaucoup plus furtives.

Elles développent des modes d’actions complexes nettement plus difficiles à déjouer (stratégie d’implantation de petites cellules autonomes, division du travail entre doctrinaires, logisticiens, financiers et auteurs, raccourcissement des trajectoires entre le recrutement et le passage à l’acte par une véritable dépersonnalisation des individus recrutés).

La menace qui pèse sur nous provient de mouvements ou de groupes implantés à l'étranger. Les déclarations de l'émir du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat en sont la triste illustration.

Mais, il ne faut pas se cacher qu'elle provient aussi de personnes qui vivent chez nous, recrutées par les structures salafistes, formés dans les écoles du Proche ou du Moyen-Orient et qui, lors de leur retour dans notre pays, constituent des sources de danger.

Pour combattre efficacement le terrorisme, il ne suffit pas de modéliser, il faut agir. Et pour agir, il faut une organisation, une stratégie et des moyens.

Agir, c'est d'abord combattre les frustrations extrêmes.

A cet égard, nos choix politiques vers l'extérieur, en direction des pays sources du terrorisme et de leur population sont et resteront déterminants.

En tout état de cause, ils nous imposent la coopération internationale. Elle seule peut nous permettre de réduire les vulnérabilités de nos sociétés que ce soit en matière de sûreté aérienne ou encore de protection des Français à l'étranger.

On ne peut envisager de véritable prévention des attentats sans échanges d'informations ni a fortiori de recherche et d'arrestation des terroristes ou de ceux qui les soutiennent sans actions communes des Etats concernés.
 
Nous ne pouvons pas non plus faire l'économie d'une réflexion et d'une action vigoureuse vers l'intérieur. Le repli communautaire, les difficultés d'intégration, les dérives religieuses sont autant de questions à traiter.
C'est une stratégie globale que nous impose la lutte contre le terrorisme. C'est en son sein que l'action policière pourra durablement et efficacement lutter contre le terrorisme.

Notre priorité opérationnelle immédiate demeure la neutralisation administrative et judiciaire des réseaux et activistes islamistes. Le recours aux outils de détection précoce, centraux comme territoriaux, constitue l'un des axes forts de notre stratégie.

Sur le plan judiciaire, depuis le début de l'année 2002, plus de 367 personnes ont été interpellées et près de 100 ont été mises en examen et écroués.

Nous avons aussi utilisé notre arsenal administratif. Depuis 2002, près de 50 personnes ont ainsi fait l'objet de mesures d'éloignement forcé, dont une dizaine d'imams ayant fait l'apologie du terrorisme ou de la haine.

Cet arsenal sera complété par les dispositions du projet de loi antiterroriste que je présenterai au Parlement dans les jours qui viennent, et qui nous permettrons de développer nos capacités de surveillance, d'améliorer nos dispositifs de connaissance de contrôle des déplacements internationaux, de faciliter l'accès aux données de connexion à titre préventif, de geler les avoirs financiers qui servent le terrorisme.

Sous la direction d'un comité de pilotage que j'ai été chargé de présider, les travaux ont été confiés à un rapporteur général, le Secrétaire général de la défense National, Francis DELON, assisté de quatre rapporteurs adjoints.

Dans une première phase qui a débuté en juin et qui vient de se terminer, six personnalités particulièrement qualifiées ont reçu mission de conduire une réflexion thématique avec l'aide d'un groupe de travail restreint :

- le premier, présidé par Pierre BROCHAND, directeur général de la sécurité extérieure, sur l'évaluation de la menace;

- le deuxième, présidé par Pierre de BOUSQUET, directeur de la surveillance du territoire, sur la stratégie mondiale de lutte antiterroriste;

- Jean-Michel HUBERT, ambassadeur délégué pour le sommet mondial de la société d'information a dirigé le groupe consacré aux questions techniques;

- Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces, celui consacré aux moyens juridiques;

- Stanislas de LABOULAYE, directeur général des affaires politiques et de sécurité du quai d'Orsay a présidé le groupe travaillant sur la coopération internationale;

- François HEISBOURG enfin, de la fondation pour la recherche stratégique celui sur la sensibilisation du grand public et la communication.

Chacun de ces groupes a remis à la fin du mois d'octobre un rapport d'étape.

La seconde phase des travaux doit conduire à la présentation du livre blanc au Parlement et à sa publication au début de l'année 2006.

Nous avons souhaité, avec le Premier Ministre, avec le comité de pilotage, que soit organisée une journée de consultation élargie à des représentants de l'opinion publique, de l'économie et de la société en général.

Ce serait en effet commettre une erreur majeure que de croire que la lutte contre le terrorisme ne concerne que quelques services spécialisés, aussi bien organisés et compétents soient-ils : c'est l'affaire de la société toute entière.

Aujourd'hui, vos travaux vont nous permettre de progresser dans la définition de la stratégie globale de lutte contre le terrorisme dont nous avons le besoin impérieux.

Je vous remercie de votre présence et d'avance de votre concours.