17.06.2005 - Déplacement à Vitré

17 juin 2005

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire - Vitré


Monsieur le Député, Très cher Pierre,
Madame la Préfète,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

Ce déplacement dans le pays de Vitré est le premier que j'effectue en tant que ministre chargé de l'aménagement du territoire. Pourquoi Vitré? Parce qu'il s'agit d'un territoire remarquable à plus d'un titre. Remarquable d'abord par ses performances en matière d'emploi : ici, le taux de chômage se situe autour de 5%. Remarquable ensuite par la proportion des emplois industriels, qui avoisine les 40%. Remarquable enfin par sa capacité à surmonter les coups durs qui peuvent frapper le bassin d'emploi. Il y a deux ans encore, sur ce site même, travaillaient plus de 1 200 salariés. Autant d'emplois que la fermeture des activités du groupe Mitsubishi a brutalement rayés de la carte. Il était important pour moi de venir à votre rencontre pour mieux comprendre les ressorts du "miracle vitréen". Car a priori, un territoire français à dominante industrielle qui parvient à se maintenir au seuil du plein emploi malgré la disparition d'une très grande entreprise, cela semble tenir du miracle.

En fait de miracle, il y a surtout la formidable volonté des acteurs locaux. Depuis trois décennies, vous consacrez toute votre énergie au développement de l'activité et de l'emploi. Vous savez depuis longtemps que rien n'est acquis, que le développement économique est un combat permanent, un combat contre l'immobilisme, les habitudes et la facilité, un combat qui exige de la part de tous esprit d'initiative et mobilisation collective. Vous savez aussi qu'il n'y a pas de fatalité, que vous avez en vous les atouts et les ressources pour conserver la maîtrise de votre avenir, même lorsque survient le choc d'une restructuration déstabilisatrice.

Qu'on les appelle délocalisations, mutations industrielles ou plans sociaux, la réalité sociale de ces restructurations est la même : des salariés désemparés, des familles meurtries, des territoires fragilisés.  L'échec d'un produit, la disparition d'un marché, des tournants technologiques manqués peuvent conduire un chef d'entreprise à devoir cesser tout ou partie de son activité, et ce n'est jamais une décision agréable ni facile, chacun le sait. Lorsqu'elles concernent une entreprise industrielle, elles touchent en très peu de temps un grand nombre de salariés, aux qualifications comparables, sans solution immédiate de substitution.

Ce n'est donc pas sans raison que les Français  expriment leur grande inquiétude face à ces restructurations industrielles et à leurs conséquences douloureuses.  Les délocalisations, ce n'est pas une vue de l'esprit ou un épiphénomène. C'est bien une réalité avec laquelle il faut compter et qui menace tous nos bassins industriels, même dans un bassin aussi dynamique que celui-ci.

Au ministère de l'économie et des Finances, j'ai revendiqué le fait qu'on ne pouvait rester sans réagir devant les risques avancés de désindustrialisation de notre pays. Je suis profondément convaincu qu'on ne peut être une grande puissance économique sans être à la fois une grande puissance industrielle. C'est pourquoi j'ai plaidé pour que notre pays renoue avec une stratégie industrielle volontariste et ambitieuse. Mais il faut le faire avec discernement, en se méfiant des fausses solutions du protectionnisme : combien d'entreprises, ici rassemblées, travaillent pour l'exportation ? Combien d'emplois dépendent d'investissements étrangers ? La solution ne peut être dans le repli sur soi et la recherche illusoire de l'autosuffisance.

Mais il convient que nous, les Français, les Européens, nous ne soyons pas naïfs et timorés dans l'organisation du commerce international. Il est temps de redonner corps à la préférence communautaire en permettant, par exemple, que nos PME européennes soient mieux traitées dans les marchés publics en Europe que ne le sont les entreprises d'autres continents. Les consommateurs européens pourraient peut-être aussi mettre en pratique la préférence communautaire, si nos produits de consommation indiquaient clairement leur provenance. C'est une exigence de transparence. Chacun pourrait ainsi choisir entre le "made in Europe" et une autre origine. Enfin, il n'est que temps aussi que l'Europe s'oppose plus résolument à certaines pratiques commerciales manifestement déloyales, et qu'elle cesse d'ouvrir ses portes à des biens produits dans des conditions contraires à la dignité de l'homme et aux exigences du développement durable.

Mais dans l'économie actuelle, chaque salarié perçoit bien aussi, j'en suis sûr, la nécessité permanente de l'évolution de nos activités. Mais lorsque ces évolutions s'accélèrent, à l'échelle d'une vie professionnelle, elles suscitent naturellement l'inquiétude : pourra-t-on renouveler ses compétences ? Faudra-t-il déménager ? Retrouvera-t-on le même salaire ? C'est pourquoi je souhaite que les salariés retrouvent confiance en eux-mêmes, en leur capacité à se former, à retrouver un emploi, à changer de secteur ou de métier s'il le faut. Et c'est à nous, acteurs publics et acteurs économiques qu'il incombe de redonner confiance aux salariés français. Nous devons garantir à chacun une capacité à rebondir et à retrouver rapidement un emploi.

Ce n'est pas l'exemple de SVA qui me démentira : voilà une entreprise qui embauche à tous les niveaux, offre de réelles perspectives de progression salariale et de promotion sociale, et où les postes de travail ont été adaptés pour faciliter la féminisation d'emplois qu'on aurait pu, hâtivement, croire réservés aux hommes. Des emplois disparaissent et des emplois se créent. La sécurité de l'emploi, c'est garantir à chacun qu'on lui donnera les moyens de s'adapter aux changements et de passer, s'il le faut, d'un emploi à un autre..

La mobilisation individuelle et collective est fondamentale. L'exemple de la fermeture de Mitsubishi, vécue ici à Vitré, le démontre parfaitement : quelle devait être l'inquiétude des salariés et de leurs familles lorsqu'en février 2002 Mistubishi annonce la fermeture du site ? Dans un petit bassin d'emploi, 541 licenciements, c'est un choc important et un défi majeur pour la collectivité comme pour chacun des salariés concernés. Ce passage difficile, vous l'avez remarquablement franchi. Dès début 2004, 86% des salariés avaient retrouvé un emploi, un CDI dans neuf cas sur dix. On compte aussi 9 créateurs d'entreprise parmi les anciens de Mitsubishi ! Au total, plus de 95% des salariés ont trouvé une solution de reclassement.

Ce succès est aussi le fruit, je n'hésite pas à le reconnaître, de la mise en œuvre de deux articles de la loi de modernisation sociale -(peut-être les seuls articles pertinents…) votée  sous un gouvernement de gauche. Les dispositifs de réindustrialisation et de reclassement prévus par cette loi ont ici donné, grâce à la qualité du travail de la cellule et de la mobilisation du tissu économique, des résultats particulièrement probants. Ces dispositifs ont été complétés par la loi de cohésion sociale qui élargit l'obligation de reclassement aux entreprises de moins de 1 000 salariés, soit 80% des salariés. Désormais, la convention de reclassement personnalisé offre à ses bénéficiaires la garantie du niveau de leur revenu durant le temps consacré à leur recherche d'un nouvel emploi.

Mais toutes les entreprises ne disposent malheureusement pas des moyens qu'avait Mitsubishi. Beaucoup sont trop petites ou dans une situation financière délicate, voire tout simplement en faillite. Le degré d'engagement de l'État est alors déterminant. La participation de l'Etat au reclassement est actuellement conditionnée par les engagements de l'entreprise et par la qualité du plan de sauvegarde de l'emploi. Je suis, pour ma part, attaché à ce que l'engagement de l'entreprise soit apprécié à l'aune des moyens de l'entreprise et à ce que l'État réponde présent dans les cas difficiles,  ceux précisément où l'entreprise a peu de moyens. Ce qui est en jeu, c'est l'égalité des salariés confrontés à l'impact d'une restructuration.

L'implication et la qualité de la prestation de reclassement est, elle aussi, décisive. On ne peut se satisfaire des résultats médiocres de certaines cellules de reclassement où pourtant beaucoup de moyens publics ont été investis. Je serais partisan que la rémunération des cabinets de reclassements soit davantage indexée sur les résultats obtenus plutôt que sur les moyens mobilisés. Le reclassement ne peut pas seulement être une formalité administrative. Là comme ailleurs, il s'agit d'imposer une culture de résultat. Je demande aux préfets et aux administrations compétentes d'y veiller avec la plus grande attention.

L'État doit, dans tous les cas, assumer ses responsabilités. C'est ce que fait le gouvernement qui consacre des moyens croissants au retour vers l'emploi des salariés licenciés. Je regrette simplement qu'on consacre encore en 2005 près d'un demi-milliard d'euros à financer des politiques malthusiennes de retrait d'activité et de pré-retraites.

Arrêtons de financer à grands frais la réduction de notre population active, politique qui échoue depuis 20 ans, politique qui a abouti à la croissance molle, au chômage de masse et au creusement des déficits. L'absolue priorité est de consacrer les moyens de l'État au maintien des salariés dans la vie professionnelle, et au redressement du taux d'activité, quel que soient leur âge et leur qualification. A 50 ans, on n'est pas fichu. On peut encore apporter beaucoup à la collectivité.

L'exemple de Vitré est là pour nous montrer combien il est illusoire de croire réduire le chômage en décourageant les gens de travailler. Avec 1 200 jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail quand 300 le quittent, quel ne devrait pas être le chômage ici ? Il était de 4,9% fin 2004. La vérité, c'est que l'activité crée l'activité et que l'activité crée l'emploi. Non loin d'ici, à SVA, une crèche d'entreprise permet à des parents de concilier vie professionnelle et vie de famille. Ici, dans le pays de Vitré, un service innovant de garde à domicile commençant à 4h30 du matin et terminant à 22h permet à des parents d'élever leurs enfants, tout en faisant les 2x8 ou les 3x8. Y a-t-il pour autant plus de chômeurs ? Non, il y a plus de salaires, plus de revenus, plus de consommation, plus de services de proximité et moins de chômage. Ces initiatives concrètes se confortent réciproquement et nourrissent la vitalité du marché du travail sur un territoire. Il faut les laisser s'exprimer dans chacun de nos territoires, avec souplesse et pragmatisme, en évitant de les décourager avec des réglementations tatillonnes et des dispositifs uniformes.

Au niveau national aussi, un vaste chantier de réhabilitation de l'effort et du travail nous attend. Nous devons nous inspirer de votre exemple. Ici, le travail est une  valeur forte qui a été placée au centre de l'organisation du territoire et de sa stratégie de développement. Ici, ce qu'on veut, ce n'est pas les 35 heures, c'est travailler plus pour gagner davantage et préparer un avenir meilleur pour ses enfants.

Mais la performance économique et industrielle, elle aussi, dépend plus que jamais de l'étroite coopération des acteurs, de la qualité des relations personnelles et de la volonté d'entreprendre ensemble. L'innovation naît de la confrontation de métiers et de talents divers : quand une nouveauté technologique rencontre un besoin concret, quand  un ingénieur rencontre un designer, quand plusieurs entreprises se découvrent une volonté d'innovation commune. Cette confrontation, c'est la proximité d'un territoire qui la rend possible.

Pourquoi la France, où l'État dépense proportionnellement plus que l'Allemagne pour la recherche publique, dépose-t-elle deux fois mois de brevets par habitant que ce pays ? C'est parce qu'enfermés dans des logiques verticales cloisonnées, l'univers de la recherche publique et le monde de l'entreprise s'ignorent. C'est la proximité que créent les territoires qui peut les rapprocher. L'atout économique essentiel aujourd'hui, ce n'est plus la planification, c'est la réactivité. La force de l'organisation locale, c'est cette réactivité qui manque souvent aux structures nationales.

A cet effet, j'ai lancé l'année dernière, en tant que ministre des Finances et de l'Industrie, l'appel à projets sur les pôles de compétitivité. Je sais que la Bretagne y a répondu avec talent et enthousiasme. Sur l'avis des experts et des personnalités qualifiées qui ont étudié les 105 dossiers qui nous ont été remis, je proposerai au Premier Ministre, lors du comité interministériel d'aménagement du territoire qui se tiendra en juillet, une liste de pôles qui rendra justice à l'impressionnante mobilisation des acteurs locaux et à la richesse des coopérations qu'ils se proposent de nouer. Plus encore que dans les aides qui soutiendront aux pôles, ce sont les liens de confiance et de partenariat de proximité qu'ont d'ores et déjà développés les entreprises entre elles et avec la formation continue et supérieure, les organismes de recherche et les collectivités locales, qui créeront la richesse les produits et les activités de demain.

Si une entreprise trouve sur un territoire les compétences professionnelles, les techniciens et chercheurs, les centres de formation, la stimulation de ses concurrents et les inflexions de ses marchés, elle saura, n'en doutez pas, ce qu'elle aurait à perdre à délocaliser. N'allez pas croire que je ne parle là que de bureaux d'études ou de laboratoires. La proximité entre recherche et production est essentielle, et beaucoup d'emplois ouvriers ne peuvent durablement s'éloigner des lieux d'innovation et de conception. L'organisation des territoires est au centre du maintien de la puissance industrielle de la France.

L'Etat, quant à lui, doit réviser son approche de l'aménagement du territoire. Il faut mettre un terme au saupoudrage à l'identique. Les choix d'implantation des équipements publics doivent tenir compte de la polarisation des activités sur le territoire, c'est-à-dire des atouts de chacun des territoires afin de les valoriser. Efforçons-nous par exemple de mettre en cohérence la localisation de laboratoires de recherche ou de filières de formation avec la carte des pôles d'activités appelés à en bénéficier.

Aménager le territoire, dans un contexte de compétition internationale accrue, ce n'est pas obérer le potentiel national de développement en organisant une répartition homogène contre-productive. Son objectif doit être d'accroître ce potentiel en accompagnant les logiques de polarisation, voire en les encourageant au besoin. L'aménagement du territoire, comme toutes les politiques publiques, doit dorénavant être mis tout entier au service de la croissance et de l'activité. Au nom de la solidarité nationale et de l'égalité des chances, il doit aussi se mobiliser davantage pour les territoires qui cumulent les handicaps ou qui doivent faire face au surgissement soudain de graves difficultés, telles que la fermeture d'un site industriel majeur. L'aménagement du territoire, dans mon esprit, ce n'est pas le nivellement, l'uniformisation et l'assistance. Nous devons dans ce domaine aussi renouveler nos schémas de pensée et nos outils d'intervention. Nous devons venir en aide aux territoires en difficulté sans brider le dynamisme des territoires les plus performants. Tout comme le partage de l'emploi entre les salariés, le partage de la croissance entre les territoires est une idée fausse. Nous devons au contraire la multiplier, la croissance des uns n'étant pas un obstacle mais bien une chance pour la croissance des autres.

Vitré, à n'en pas douter, compte parmi les territoires les plus performants du pays de Vitré. Je ne doute donc pas, messieurs les co-présidents du pays de Vitré, que vous saurez trouver l'investisseur qui saura valoriser les bâtiments parfaitement opérationnels où nous nous trouvons ce midi. Je demanderai à l'agence française pour les investissements internationaux d'obtenir sur ce sujet des résultats concrets. Plus largement, le délégué à l'aménagement du territoire, présent aujourd'hui parmi nous, va mobiliser, avec l'appoint de la mission interministérielle aux mutations économiques, une équipe de haut niveau pour se battre sur tous les dossiers où une perte massive d'emplois industriels menace un territoire. J'ai montré, avec Alstom à Belfort et à La Rochelle, ou avec Perrier et Nestlé à Vergèze, qu'on pouvait, en ce domaine, obtenir des résultats.

Pas plus que les industries, je n'oublierai les services, non seulement pour l'emploi, mais aussi pour que les habitants des territoires ruraux aient accès, où qu'ils soient, à une offre de qualité. En ce domaine, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a posé un cadre et une exigence : définir d'ici la fin de l'année les objectifs d'aménagement du territoire et de qualité de service.. Je les examinerai avec attention et m'attacherai à ce que les solutions innovantes soient rapidement mises en œuvre. Dans l'intervalle, je souhaite que les projets de fermeture contestés soient provisoirement suspendus.

J'ai vu aujourd'hui, à Marpiré, un point poste qui me semble une réussite parfaite. Là où il n'existait il y quelques années qu'une antenne postale, ouverte quelques heures par semaine, il y a désormais un petit commerce doté d'un point poste, ouvert 6 jours sur 7, même le dimanche. C'est la preuve que lorsqu'on veut être imaginatif, il n'y a pas de fatalité au délitement des services publics en milieu rural. Dans ce domaine comme dans d'autres, une démarche gagnant-gagnant est possible : un service plus accessible pour les usagers, le maintien d'un pôle d'animation pour la commune, à un coût maîtrisé pour le contribuable. 

Face aux besoins des territoires ruraux, je crois que les principes qui doivent nous inspirer sont ceux qui ont si bien réussi ici : proximité, pragmatisme, efficacité. Il ne faudra pas hésiter à se poser sans tabous toutes les questions, même les plus sensibles. Il y a par exemple aujourd'hui en France des zones rurales qui sont des déserts médicaux. Mieux vaut ne pas y être malade, la nuit ou le week-end… L'égalité d'accès à des services essentiels pour la vie des populations, les soins, la garde et la scolarisation des enfants, le commerce de proximité, c'est au moins aussi important que la perception. Il ne faut pas sous-estimer, en ce domaine, les initiatives que peuvent prendre aux côtés de l'Etat  les collectivités, communes, intercommunalités et les conseils généraux

Mesdames et Messieurs, j'ai vu les réussites de votre bassin d'emploi, mais aussi les difficultés que vous rencontrez et la façon dont vous les surmontez. J'y vois un motif d'espoir et de confiance pour tous les salariés et les territoires de notre pays. Je suis convaincu que nous disposons des talents, des infrastructures et de la créativité, pour marquer des points dans la compétition mondiale. En Europe et en France, nous devons maintenant œuvrer aux changements politiques, économiques et sociaux qui lèveront les entraves à l'exploitation des formidables gisements de croissance que recèlent nos territoires.