13.10.2005 - Déplacement de M. Nicolas Sarkozy à Perpignan

13 octobre 2005

Intervention de M.Nicolas Sarkozy Ministre d'Etat, de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de sa rencontre avec les acteurs publics et associatifs à Perpignan


Mesdames et messieurs,

Comme je l'avais promis, me revoici à Perpignan. Lors de mon précédent déplacement, j'avais indiqué que la situation exigeait la plus grande fermeté. Face aux dérapages inadmissibles et dramatiques dont cette ville fut la cible, l'Etat se devait d'imposer le respect de la loi.

Le maintien de l’ordre public à conduit les services de police et l’institution judiciaire à une réponse déterminée, appuyée sur des moyens exceptionnels. Je tiens à rendre hommage aux services de police, et à remercier monsieur Dreno, procureur de la république, et monsieur Brunet, président du tribunal, dont l'action immédiate a démontré son efficacité.
Je voulais également remercier de leur présence l'ensemble des représentants du parquet.

Devant une telle poussée de violence collective, il convenait de replacer chacun devant ses responsabilités individuelles, car dans ce qui s'est passé, nul n'a d'excuses. Chacun est comptable de ses actes.

Aujourd'hui, le climat s'est apaisé, les tensions semblent s'être réduites même si elles ne sont pas totalement dissipées dans les esprits et les cœurs. Dans certains des quartiers de Perpignan, la confiance est brisée. Il faut tenter de la reconstruire !

C'est pourquoi, je suis particulièrement heureux de pouvoir vous rencontrer car c'est ensemble, en faisant converger nos efforts, que nous pourrons rétablir ici un climat de sécurité et de fraternité.

Le défi est collectif, car chacun connaît les problèmes qui sont en toile de fond de cette flambée de violence, même si ces problèmes ne justifient strictement rien, ni n'excusent absolument rien. Ces problèmes éclairent d'une lumière crue certains des échecs de notre pacte républicain. La liberté, l'égalité, la fraternité, toutes ces valeurs se sont essoufflées dans certains de nos quartiers au sein desquels se concentrent le chômage, les problèmes d'intégration, de logement, de délinquance.

Cet état de fait nous interpelle tous, car la France à plusieurs vitesses n'est pas la France, et la République n'est pas elle-même si elle est une mosaïque éclatée. Je veux ici parler des communautarismes.

Vous le savez, je crois à la France ouverte. Je sais que son visage est multiple, dessiné par des traditions et des cultures variées, et qu'il ne faut ni le regretter, ni en avoir peur. Mais le repli communautaire est un danger pour nous tous. Il est contraire à l'altérité et est donc un appauvrissement individuel et collectif. Il est une négation de la vie en commun.

Ici, gitans, maghrébins, français depuis une génération ou depuis plusieurs générations, tous sont français.

Il n'y a pas plusieurs catégories de citoyens. Je vous le dis avec force : nous n'avons pas de destins séparés ! Nous sommes ensemble sur la même "barque", avec le respect mutuel pour exigence absolue.

Ce respect mutuel se fonde sur l'observation des règles communes, et lorsqu'elles sont bafouées, l'autorité de l'Etat est et sera sans faille. Mais la sécurité ne se limite pas à la sanction. Elle s'appuie aussi sur un travail de prévention, un travail de terrain, un travail quotidien et parfois ingrat, dont beaucoup d'entre vous sont les acteurs dévoués et imaginatifs.

Lors de mon premier passage au Ministère de l'Intérieur, je n'avais pas disposé du temps nécessaire pour engager un plan national de prévention de la délinquance. L'urgence de l'insécurité m'appelait sur d'autres fronts… De retour aux affaires, je proposerai ce plan, début décembre.

Il sera fondé sur un triple diagnostic.

Premier diagnostic : les violences aux personnes, même si elles ne représentent que 10% de la délinquance totale,  constituent le noyau dur de la délinquance. Les violences physiques ont connu une progression constante depuis 10 ans. L'année 2004 constitue la première année de stabilisation.

Second diagnostic : la délinquance des mineurs a quasiment doublé en une décennie. 21% des personnes mises en cause ont entre 13 et 17 ans !

Troisième diagnostic : la politique de prévention est essoufflée et se heurte à de véritables carences :

- absence de doctrine nationale définissant les objectifs, les moyens, les publics et les territoires visés. Entre le "répressif" d'un côté, et le "tout social" de l'autre, je veux recadrer et recentrer notre stratégie de prévention ;

- insuffisance de coordination, de partage d'information et de continuité dans l'action. Je veux clarifier le rôle de chacun – collectivités locales, acteurs publics et sociaux - et multiplier les collaborations ;

- faiblesse de l'évaluation. Nous devons disposer d'un système qui recense et irrigue les bonnes pratiques et les expériences réussies;

- inadaptation face à la violence en milieu scolaire. Il faut instituer entre la communauté éducative, les familles et les forces de police et de justice un partenariat plus dense ;

- démotivation des professionnels du travail social, dont la formation et la carrière méritent d'être réévaluées.

Voilà, brièvement, les principes autour desquels j'entends refonder notre politique de prévention. Ce que nous voulons faire à Perpignan en la matière, préfigure ce que je propose de développer sur une plus large échelle à l'avenir.

Mesdames et messieurs,

Les événements qui se sont déroulés dans votre cité appellent deux réponses : le maintien de l’ordre public et la prise en compte de celles et ceux qui ressentent un sentiment d’exclusion afin de dégager avec eux des pistes d'espoirs.

Cette démarche complémentaire fait l'objet de trois conventions précises, fixant nos objectifs et nos mesures. Avec Jean-Paul Alduy, Monsieur Dreno, Procureur de la République, Jean-Claude Gaches, directeur du centre hospistalier de Thuir, et nous allons les mettre scrupuleusement en application.

La première de ces conventions prévoit quatre axes d'action.

Premier axe : c'est celui du développement de la vidéo-protection afin de mieux prévenir les troubles et la délinquance de voie publique. Cet équipement de sécurisation des quartiers commence à être mis en oeuvre… Si cet équipement avait existé, il aurait certainement facilité l'enquête sur le second meurtre à défaut de témoignages. Je vous indique que le ministère de l'intérieur débloquera 265.000 euros pour cette opération.

D'une façon plus large, le projet de loi que je présenterai le 19 octobre envisage d'étendre, vous le savez, les moyens de vidéo-surveillance… J'estime que c'est un outil de sécurité et de dissuasion au service de la liberté et non un outil "liberticide" comme certains le prétendent inopportunément.

Le second axe d'action, c'est l'instauration d'une proximité de soutien. La création d’équipes de prévention spécialisée, constituées d’éducateurs, doit répondre à cet objectif. Ils devront intervenir rapidement et travailler en partenariat avec les autres acteurs sociaux. Cette convention prévoit le recrutement immédiat de 3 éducateurs spécialisés pendant une période de deux ans renouvelable. Ils concentreront leur travail sur des quartiers identifiés et sur un public de 15 à 25 ans. Je vous précise que l'Etat a co-financé ce projet en débloquant, sur ma demande, tous les financements nécessaires au recrutement rapide de ces éducateurs spécialisés.

Le Conseil Général, dont c'est pourtant l'une des compétences, a pour l'heure refusé de soutenir ce projet pour des motifs qui m'échappent au regard de la situation. Qu'importe, avec Jean-Paul Alduy nous avons décidé d'avancer !

Le troisième axe d'action : c'est la création d’un lieu de rencontre et d'échanges, destiné à valoriser les initiatives de quartier et à favoriser la mixité sociale, intergénérationnelle et culturelle. 

Cet espace se situera dans le quartier St Gaudérique, dans des locaux de plus de 200 m2 que la Mairie est en train d'acquérir et que nous co-finançons. Il sera opérationnel à la fin du premier semestre 2006. Il permettra aux jeunes de s'y retrouver, d'exercer des activités, de participer à des animations. C'est une demande unanime que nous allons satisfaire.

Parce que la prééminence de la loi est une priorité, une Maison d'Accès au Droit sera, par ailleurs, créée. C'est l'objet de la deuxième convention. Et je remercie encore Le Procureur de la République d'avoir soutenu et défendu ce projet auprès de sa hiérarchie.

Cette Maison d'accès au droit devra rendre la justice plus visible et plus proche des citoyens en facilitant leur accès au droit et à l’information juridique. La justice est perçue comme plus équitable lorsqu'elle elle est expliquée, transparente, éclairée par sa rapidité.

Les rendez-vous des délégués du procureur, des médiateurs, des conciliateurs seront organisés dans ce local mis à disposition par la mairie, et qui sera situé au sein du quartier Saint-Jacques. Cette structure d'accueil et d'information juridique, sera aussi le siège des organes judiciaires de proximité.

Bref, ce sera un lieu d'accueil, d'informations et d'échanges pour les victimes, afin de les aider dans leurs démarches, au contact d'avocats, de notaires, d'huissiers, d'associations. Je sais que le Procureur de la république est attaché à cette nouvelle structure car l'accueil au tribunal, pour les renseignements et les conseils, est inadapté.

Mesdames et messieurs,

La troisième convention liera le Ministère de l'Intérieur et le Centre Hospitalier, dont je remercie le directeur, Jean-Claude Gaches. Il s'agit d'instaurer une coordination des professionnels afin d'assurer un repérage précoce des troubles psychologiques et psychiatriques.

Les acteurs sociaux qui sont ici parmi nous le savent mieux que quiconque : il y a des déréglements sociaux qu'il faut aborder en amont, en ciblant notamment les efforts sur la jeunesse.

Un gamin qui part à la dérive, c'est un gamin qui perd ses repères, et derrière lui, c'est très souvent une famille qui les a déjà perdus ou qui est en passe de les perdre. La prévention des situations de rupture suppose donc la mise en place d’un dispositif de détection et de prise en charge précoce des difficultés de socialisation des enfants et de leurs parents.

Il doit se traduire par une présence renforcée dans les quartiers d’équipes de psychologues, de pédopsychiatrie, de travailleurs sociaux mobilisés dans une action cohérente en faveur de l’enfant et de sa famille.

C'est l'objet de ce partenariat avec le Centre hospitalier, qui prévoit une mise en réseau des acteurs spécialisés afin de garantir une meilleure prise en charge des difficultés sociales et psychologiques. Un diagnostic rapide, individualisé et commun, peut permettre d'infléchir les chemins qui mènent à la rupture et à la délinquance.

Nous le savons bien, pour de très nombreuses familles, les psychologues, les conseillers conjugaux, les pédopsychiatres ne leur sont pas accessibles et lorsqu'ils le sont, c'est trop tard ! Ces familles qui voulaient seulement être aidées, ont le sentiment d'être alors "brimées" et stigmatisées.

Ici, à Perpignan, nous voulons offrir, à environ une centaine de familles qui ont déjà fait connaître leur intérêt pour cette initiative, une réponse cohérente, graduée et coordonnée en terme d'accompagnement social, d'aide éducative et de soins.

Pour ce projet expérimental - ciblé dans un premier temps sur les quartiers Saint-Jacques, Saint Matthieu et Bas Vernet - une aide de l'Etat de plus de 100.000 euros est prévue avec une reconduction dans le cadre du nouveau plan "santé mentale". Cette expérimentation débutera au plus tard le 1er décembre 2005.

Voilà l'esprit et les mesures de ces trois conventions.

Un autre axe de travail nous paraît cependant absolument nécessaire: c'est celui qui consiste à sortir l'adolescent de son environnement immédiat, lorsque celui-ci est à la source même de tous les obstacles.

C'est l'objet de notre volonté de créer un internat de réussite éducative. Pour les jeunes qui connaissent des carences sociales, culturelles ou affectives, cette institution aurait pour charge de les dégager de la spirale de l'échec en leur offrant un cadre de vie stable et de nouvelles conditions d’encadrement pédagogique, éducatif et culturel.

Cet internat pourrait accueillir 24 enfants dès la rentrée 2006. Tout est prêt pour son démarrage. Le Ministère de l'éducation a prévu le personnel nécessaire au fonctionnement. Le Ministère de la cohésion sociale a débloqué les crédits nécessaires. La communauté éducative est motivée et prête à relever le défi. Le collège Jean et Alice Olibo et les locaux sont identifiés, à Saint Cyprien… Ne manque plus à l'appel que le Conseil Général, responsable de l'aménagement des locaux. Je ne doute pas qu'il rejoindra la démarche.

J'espère que sur ce dossier important, le bon sens l'emportera.

Enfin, je vous indique la mise en place, en zone de gendarmerie, dès l'année prochaine, d'une brigade spécialisée dans la prévention de la délinquance juvénile qui devra s'appuyer sur l'ensemble du réseau de prévention dont nous posons les bases aujourd'hui.

Voilà, mesdames et messieurs, nos objectifs et nos engagements. Ils sont précis ; ils misent sur une approche collective et volontariste.

Chacun en a conscience, ils ne peuvent cependant, à eux-seuls, bouleverser la donne car les problèmes et les blocages qui traversent notre société sont nombreux.

Pour modifier la donne en profondeur, la République pour tous doit être remise en marche. C'est un vaste débat que je ne puis résumer en quelques mots… Sans doute, les prochaines échéances politiques nous permettront-elles de regarder collectivement les choses en face et de faire jaillir des solutions nouvelles.

J'ai quelques idées sur le sujet que je vous livre en vrac : je crois que nous n'avons pas tout essayé pour briser le chômage de masse qui est une plaie au cœur de notre pacte social ; je crois également que nous n'allons pas assez loin pour assurer une véritable égalité des chances.

Face à l'uniformité de façade, je dis qu'il faut une approche ciblée sur l'équité, c'est à dire qu'il faut donner plus à ceux qui ont moins, et moins à ceux qui ont plus. Cette mobilisation pour l'égalité n'est pas sans conséquences puisqu'elle consisterait à bousculer des situations acquises afin de trouver des marges de manœuvres pour agir mieux et plus fort sur les publics, les territoires et les dossiers qui le justifient vraiment.

Mais changer la donne, c'est aussi un état d'esprit !

Le civisme, la fraternité, la compréhension de l'autre, ce n'est pas une question technique ou financière, c'est une conquête sur nous-mêmes.

Moi je crois que celui qui va vers l'autre, va plus loin en lui même!

Ici, à Perpignan, les esprits et les cœurs de ceux qui se sont affrontés doivent retrouver les chemins du dialogue. Il faut retisser les fils de la confiance. Il faut une volonté de construire l'avenir ensemble.

En venant ici, c'est ce message que je voulais vous adresser.