13.07.2005 - Conseil du JAI (terrorisme )

13 juillet 2005

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire - Conseil du JAI


 Nous sommes réunis ici pour témoigner à nos amis britanniques notre total soutien face aux attaques criminelles dont ils ont été victimes. Le cœur de tous les Européens bat au rythme de celui des Londoniens, comme il a battu l'année dernière au rythme de celui des Madrilènes.

 Mais ce qu'attendent plus que tout nos amis britanniques aujourd’hui, c'est que nous prenions des décisions pour renforcer notre coopération dans la lutte contre le terrorisme. Car nous n'avons pas atteint les objectifs que nous nous étions donnés il y a un an.

 Je remercie la Présidence britannique pour le projet de Déclaration qu'elle nous a présenté et qui me convient. Il est indispensable que nous mettions en œuvre tous les outils possibles pour nous prémunir des menaces venues de l'extérieur.

Il nous faut développer au plus vite les équipements de prise des empreintes digitales des demandeurs de visas dans tous les consulats Schengen à travers le monde, et il me semble que chacun de nos pays devrait participer à cet effort, par exemple en équipant un ou deux consulats rapidement et en permettant aux agents consulaires des autres Etats de venir prendre les empreintes digitales de leurs propres demandeurs de visas.

La décision cadre sur la rétention des données de connexion électronique doit être adoptée de toute urgence : elle nous permettra d’obtenir des opérateurs de téléphone et d’Internet qu’ils conservent la trace de ces connexions dans des conditions telles que ces informations puissent être utilisées par les services de sécurité dans leur travail d’enquête. Comme vous le savez, ce sont ces enregistrements d’appels, souvent sur des portables, qui permettent de remonter la piste des terroristes, quand ce ne sont pas des connexions téléphoniques qui sont directement à l’origine du déclenchement des bombes, comme à Madrid.

La lutte contre le cyberterrorisme doit être prioritaire à nos yeux : nous voulons encourager le développement des « cyberpatrouilles », c'est-à-dire la création de pôles nationaux de signalement des sites dangereux pour mieux partager nos informations, afin de mieux surveiller ensemble le réseau Internet et nous mettre en mesure d'interdire les sites qui, par leurs messages, menacent la sécurité de nos compatriotes.
Il nous faut aussi mieux contrôler les armes et les explosifs présents dans nos pays. Les terroristes recourent à tous les moyens pour s'en procurer. C'est pourquoi nous avons décidé à 5 de mettre en place un système d’alerte, avec des points de contact nationaux, pour tous les vols d'explosifs ou d'armes. Ce système d'alerte, je crois indispensable que nous l'étendions aux 25. Mais nous devons aussi progresser dans notre connaissance technique des explosifs. Nous pourrions mener pour cela un programme de recherche commun.
Enfin, pour que nos services de police puissent travailler, ils doivent aussi avoir accès aux bases de données européennes, qu’il s’agisse du futur Système d’Information sur les Visas (VIS) ou du Système d’Information Schengen (SIS) : c’est ce que nous avions décidé après les attentats de Madrid. Il nous faut le mettre en œuvre rapidement, dans le strict respect des libertés individuelles, évidemment.
Toutes ces mesures sont indispensables, mais si j'en crois les éléments de l'enquête donnés par les services de police britannique, elles sont désormais insuffisantes. Si les auteurs des attentats de Londres sont effectivement des kamikazes, alors nous devons prendre acte, avec effroi, du fait que la menace a changé de nature. Nous devons repenser nos modes d'action contre le terrorisme. Charles Clarke nous propose d'arrêter d'ici à la fin de l'année une stratégie de lutte contre la radicalisation idéologique, le prosélytisme et le recrutement par les groupes ayant des activités terroristes. Je ne peux que soutenir cette proposition.
 
Cette stratégie devra reconnaître l'importance de l'activisme prosélyte, des stratégies de déstabilisation des lieux de culte musulmans et des techniques de recrutement habituelles. Nous devons mettre en œuvre un plan d'actions commun pour assurer des échanges opérationnels entre pays sur les prédicateurs et imams radicaux dont les activités troublent l'ordre public par leur soutien à la violence, la haine et la discrimination. Nous devons aussi organiser des échanges opérationnels sur les filières de djihadistes récemment libérés de prison et sur les filières d'acheminement des combattants en Irak. Nous devons empêcher les ressortissants étrangers à l'Union européenne impliqués dans ces filières de venir dans nos pays, et éloigner systématiquement ceux qui profitent de leur séjour pour mener de telles activités. Là encore, la coordination est essentielle pour éviter que ceux qui ont été écartés d'un Etat membre ne trouvent refuge dans un autre.
Mais plus encore, et c'est l'enseignement des attentats de Londres, nous devons nous donner des stratégies nationales de lutte préventive contre le prosélytisme radical :
- nous devons surveiller les lieux de culte, dans le respect de la liberté religieuse, mais aussi les établissements pénitentiaires  ;
- nous devons nous donner les moyens juridiques et administratifs de contrôler les associations sociales, sportives ou culturelles servant de paravent à des activités idéologiques radicales ou terroristes ;
- nous devons enfin lutter contre la propagande incitant à la haine, la violence et la discrimination, quel qu'en soit le support. J'ai déjà souligné cette nécessité pour ce qui concerne internet.

Je voudrais conclure sur l’importance de l'intégration pour lutter contre la radicalisation et le recrutement des terroristes : en France nous avons joué un rôle précurseur dans ce domaine avec la mise en place d’un dialogue étroit avec la communauté musulmane, la reconnaissance de l’Islam de France avec la création du Conseil Français du Culte Musulman, et la priorité donnée à l’intégration. Et même si, à en croire la presse britannique, les auteurs présumés des attentats de Londres étaient bien intégrés, nous avons encore des efforts à faire en matière d'intégration. Et prenons garde dans les circonstances actuelles à ce que nos compatriotes de confession musulmane ne se sentent pas rejetés ou humiliés. Une identité humiliée est une identité radicalisée. Nous devons éviter toute dérive de ce type. Aujourd'hui moins que jamais, la place des musulmans dans nos sociétés n'est pas dans la clandestinité.