12.01.2006 - Voeux à la presse de Nicolas SARKOZY

12 janvier 2006

Intervention de Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Paris 8ème - Salle Gaveau


Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d'abord d'adresser à chacun d’entre vous, ainsi qu’à vos familles et aux organes de presse que vous représentez, des vœux de bonne année 2006.

Plus que jamais, la France a besoin de comprendre que le vaste monde change, bouge, innove, invente. Elle ne peut demeurer immobile ou se contenter de demi réformes.  Pour faire la course en tête, la France doit travailler davantage, se réformer davantage, innover davantage, s'ouvrir davantage.

Le risque ce n'est pas d'oser, le risque c'est de penser que l'on peut survivre à la compétition sans faire les mêmes efforts que les autres. Le risque c'est de ne pas être lucide.

Sans sous-estimer les succès réels que la France a rencontrés au cours de l’année 2005, nul ne peut contester que l’année écoulée a constitué à d'autres égards une année difficile pour notre pays. Le non au référendum a confirmé la profondeur de l’exaspération, des inquiétudes et du désarroi des Français. Les violences dans les banlieues ont pour leur part souligné l’étendue de l'échec de nos politiques publiques depuis trente ans.

Aujourd'hui, les Français aspirent à un nouvel espoir. Cet espoir sera la conséquence des débats politiques nombreux, approfondis, sans tabou que je souhaite pour que notre démocratie soit vivante.

La sécurité reste une préoccupation prioritaire des Français. En 2005, pour la troisième année consécutive, la délinquance a reculé -de 1,30% pour la délinquance générale, de 4,75% pour la délinquance de voie publique- soit, depuis 2002, une baisse de la délinquance générale de 8,2% contre une augmentation de 13,92% entre 1998 et 2001, et une baisse de plus de 20% de la délinquance de voie publique. En quatre ans, la politique du gouvernement aura permis d'éviter plus de 765 000 victimes. Le taux d'élucidation continue pour sa part de s'améliorer, passant de 26,27% en 2002 à 33,21% en 2005.

Pour 2006, j'ai fixé comme objectifs globaux une baisse de 3 % de la délinquance et un taux d'élucidation porté à 35%. Cela fera sur 4 ans une baisse de la délinquance de plus de 11 % et une augmentation du taux d'élucidation de 33 %.

Outre bien sûr l'impératif absolu que représente notre action contre le risque terroriste, j'ai défini six priorités sectorielles, des priorités qui correspondent au besoin d'autorité qu'expriment les Français, à leur désir que la règle soit respectée par tous, qu'ils puissent se déplacer sans être inquiétés, que leurs enfants puissent aller à l'école sans qu'ils soient préoccupés, que la Justice soit rendue comme le législateur l'a voulu, en prenant d'abord en compte le sort des victimes.

- La création d'une police ferroviaire d'abord.
La nécessité d'un renforcement de la sécurité des voyageurs dans les transports en commun m'est apparue dès 2002, puisqu'en arrivant au ministère j'ai constaté que la délinquance dans les transports publics de la région parisienne avait bondi de plus de 30% au cours des deux années antérieures. C'est ce qui m'a conduit à créer un service unifié de sécurité des transports en Ile-de-France doté de 1 200 hommes. En 2005, j'ai étendu cette organisation à Lyon, Lille et Marseille. Ces efforts n'ont pas été sans effet puisque depuis 2002 le nombre des infractions relevées dans les transports ferroviaires a baissé de 34 % passant de 10 150 à 6 679. La réalité de l'insécurité dans les TER, illustrée par les événements survenus dans le Nice-Marseille le 1er janvier, doit conduire à généraliser cette démarche. Une police ferroviaire sera donc créée cette année. Elle sera animée par la direction centrale de la police aux frontières et sera forte, d'ici décembre 2006, d'un total de 2 500 fonctionnaires et militaires de la gendarmerie. Aujourd'hui même, cette présence renforcée est mise en œuvre en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

- Le renforcement de la sécurité à l'école. Cela ne dépend certes pas que du ministère de l'Intérieur. Mais il ne faut pas que nous nous voilions la face. L'actualité nous apporte chaque jour des indications préoccupantes sur l'insécurité à l'école, et cela pour les enseignants aussi bien que pour les élèves. Je veux dire que la police et la gendarmerie sont à la disposition de la communauté éducative. Elles sont prêtes à resserrer les liens avec les enseignants, à faire des permanences au sein des établissements. C'est localement que les formules adaptées doivent être trouvées.

- Une lutte résolue contre les bandes qui font régner leur loi dans certains quartiers.
Les trafics de tous ordres rendent dans certaines cités la vie impossible. Il faut les faire reculer de façon plus radicale. Le renforcement permanent des effectifs de police qui y sont affectés par 20 compagnies républicaines de sécurité et sept escadrons de gendarmerie mobile, soit environ 2 000 hommes, est une première réponse. Une deuxième réponse réside dans l'intensification du travail de police judiciaire. Les GIR ont obtenu d'excellents résultats. Leurs méthodes de travail doivent être développées à l'échelon des quartiers. Le rapprochement des données de la police, de la douane, des services fiscaux, met en évidence les suspicions d'enrichissement irrégulier et permet d'orienter les enquêtes. Une troisième réponse est à rechercher dans la création d'une réserve citoyenne de la police nationale. D'ores et déjà, il existe une réserve opérationnelle faite de jeunes retraités de la police. La réserve citoyenne sera constituée de citoyens, qui comme les sapeurs pompiers volontaires veulent donner un peu de leur temps pour apporter leur contribution à la création d'une meilleure sécurité. Ils seront agréés par la police, porteront des signes distinctifs. Bien sûr ils n'auront aucune prérogative de puissance publique, ne seront pas armés, ne participeront à aucune mission de police, mais ils effectueront des missions de médiation, de relation avec la population, de sensibilisation à la loi et à la bonne conduite. Je propose que dès cette année nous ayons 1 000 volontaires.

- La lutte contre les violences aux personnes.
Elles ne représentent qu'un peu plus de 10% de la délinquance générale. Elles sont élucidées à plus de 57%. Les plus graves d'entre elles sont en baisse : les homicides, les violences sexuelles (- 9%), les vols à main armée (- 11, 92%). Globalement, cependant, elles ont augmenté l'an dernier de 4,97%, notamment du fait des coups et blessures volontaires. Nous sommes là face à deux phénomènes : la montée de l'agressivité dans les rapports entre les personnes et les violences intrafamiliales. Je souhaite que nous nous attaquions en 2006 à ce type de violences. A cette fin, je compte doubler le nombre de travailleurs sociaux dans les commissariats. Ils sont 25. Ils seront 50 à la fin de l'année. J'ai également décidé d'expérimenter la création dans les départements d'Ille-et-Vilaine, de Seine-Maritime et des Yvelines d'emplois de psychologues afin d'aider nos agents à réduire les situations de tension et d'agressivité auxquelles ils ont à faire face. Cette expérience débutera la semaine prochaine. Si dans les trois mois, les résultats sont concluants, la démarche sera généralisée à tous les grands services. Pour ce qui est des violences à l'intérieur du cercle familial, des services spécialisés sont en cours de développement depuis l'automne sur l'ensemble du territoire. Je crois cependant que des mesures nouvelles s'imposent. Des mesures pratiques : c'est le sens de la circulaire que le Garde des Sceaux et moi-même nous apprêtons à adresser aux préfets et aux procureurs afin qu'en cas de violences conjugales, ce soit l'auteur des faits qui quitte le domicile et non la victime. Des mesures législatives aussi. La loi adoptée le 15 décembre en première lecture va dans le bon sens, mais elle ne suffit pas. Mon projet de prévention de la délinquance sur lequel je reviendrai dans un instant prévoira la répression aggravée des violences habituelles au sein du couple, l'injonction de suivi thérapeutique pour le conjoint violent, l'injonction d'éloignement du domicile dans le cadre de l'alternative aux poursuites. Même au sein du cercle familial, une victime est une victime. Elle doit être notre priorité.

- La recherche 'une nouvelle réponse à la délinquance des mineurs.
Là encore, il faut être réaliste. Les mineurs d'aujourd'hui ne sont plus ceux qui étaient visés par l'ordonnance de 1945. L'ordonnance de 1945 aboutit de fait à l'impunité dans de trop nombreux cas. Il ne s'agit pas d'envoyer les mineurs en prison. Je dis seulement que si un mineur ne reçoit pas, et très rapidement, un signe que ce qu'il a fait est contraire à la règle, il aura bien des difficultés à distinguer le bien du mal, le droit de l'interdit. Ce n'est jamais rendre service à un enfant ou à un adolescent que de ne pas lui apporter de limites. C'est prendre le risque de l'ancrer dans la délinquance. Je propose d'abord que les mineurs délinquants comparaissent dans des délais très brefs, immédiatement même lorsque les circonstances de l'infraction sont claires. Je propose ensuite qu'ils reçoivent systématiquement une réponse de la société après un acte délictuel. Pour cela, il faut diversifier la gamme des décisions à la disposition des juges : placement en internat, sanction éducative, centres d'éducation adaptés permettant une action pédagogique et civique, rappel à la loi, réparation. Il faut aussi remplacer la succession sans fin des admonestations. Le mineur qui revient plusieurs fois devant le juge pour des dégradations de véhicules doit faire l'objet d'une décision qui ne peut plus se limiter à un avertissement sans frais.

- La fin de la violence dans les stades.
Les comportements de violence, de haine raciale que l'on peut observer dans les stades, notamment de football ou à leurs abords, sont insupportables. Dans quelques jours, la loi permettra d'appliquer une interdiction administrative de stade, à l'initiative des Préfets. D'autres dispositions seront, en 2006, ajoutées à notre arsenal législatif : celle d'assortir automatiquement la condamnation d'interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords d'une enceinte sportive, de l'obligation de se rendre dans un service de police au moment du match afin que l'interdiction soit bien suivie d'effet, celle d'une obligation des clubs de veiller au bon fonctionnement des systèmes de vidéo-surveillance, celle de l'interdiction d'introduire ou d'utiliser des fusées à l'intérieur des stades. Je souhaite également généraliser les dispositifs techniques permettant le contrôle des personnes et de la billetterie à l'entrée dans les stades. J'ai décidé, enfin, de nommer au sein du ministère un "Monsieur football". Ce sera Michel LEPOIX, commissaire divisionnaire, qui aura la charge des relations avec le milieu sportif.

Pour inscrire dans la durée le retour à la sécurité, une seconde étape, complémentaire, est nécessaire : la mise en œuvre d’une politique globale et cohérente de prévention de la délinquance. Une telle politique n’a jamais été développée en tant que telle. Elle est indispensable.

Je présenterai dans les semaines qui viennent un plan national de prévention de la délinquance et je me réjouis de l'accord que m'a donné le Premier ministre d'en proposer au Parlement la déclinaison législative. J'aurai l'occasion d'y revenir. Permettez-moi de citer à titre d'exemples des avancées à mon sens importantes que ce projet comportera :

- Les moyens d'assurer le respect de l'obligation scolaire sans lequel un enfant perd toute chance de réussir et de s'épanouir. Comment ? En rappelant aux caisses d'allocations familiales l'obligation qui est la leur de ne verser les allocations familiales que sur présentation d'un certificat de scolarité, et en leur demandant de transmettre aux maires qui ont la charge de recenser les enfants d'âge scolaire toutes les informations dont elles disposent. Il faut savoir en effet que si certains enfants ne sont pas assidus à l'école, certains n'y sont même pas inscrits.

- La détection précoce à l'école des troubles du comportement. Toutes les études prouvent le lien entre ces troubles, le plus souvent dus à l'environnement de l'enfant du reste et la délinquance. Pour cette raison et pour l'épanouissement de l'enfant, il faut donc détecter les troubles et les soigner. Comment ? Eh bien, les enseignants doivent être formés à cette détection et des services médicaux doivent être investis d'une mission de prise en charge. Ces services sont la P.M.I et les structures de pédopsychiatrie qui sont en mesure d'apporter le soutien psychologique nécessaire. Ce n'est pas le cas. Ce doit l'être.

- Une meilleure préparation des sorties d'essai des personnes hospitalisées en milieu psychiatrique. La sortie d'essai s'inscrit dans le parcours médical. Trop d'incidents cependant conduisent à penser que s'agissant de personnes hospitalisées d'office, donc après une atteinte à la sécurité, elle doit s'accompagner de prescriptions médicales précises et d'une information du maire.

- Une extension aux supports audiovisuels de la protection des mineurs prévue pour les publications écrites à l'égard de la pornographie, du crime et de la haine raciale. Les éditeurs de publications écrites apposent sur les ouvrages comportant ces risques une mention d'interdiction de mise à disposition des mineurs. Il semble normal que les professions de l'image s'organisent pour faire de même.

Autre grand projet du ministère en 2006 : l'immigration.

Dans les grandes démocraties occidentales, l'immigration est le plus souvent considérée comme un facteur de dynamisme. Elle évoque la possibilité de faire venir des talents et des compétences. Chez nous, l'immigration garde une connotation négative parce qu'elle n'est pas suffisamment régulée, trop peu liée à nos besoins économiques, et non assortie d'une politique d'intégration ambitieuse.

La loi du 26 novembre 2003 a permis de mettre un premier frein à la dérive des flux d'immigration créée par la loi Reseda de 1998 et d'augmenter significativement le taux des reconduites à la frontière, tout en réformant la double-peine. Nous sommes passés de 10 000 reconduites à la frontière en 2002 à 20 000 en 2005. J'ai fixé un objectif de 25 000 pour 2006, que la mise en œuvre progressive des visas biométriques devrait permettre d'atteindre.

J'ai donné instruction aux préfets d'agir avec fermeté. Je leur ai aussi demandé de faire preuve de discernement et d'humanité, en les invitant par exemple à permettre aux enfants scolarisés d'achever leur année scolaire. Mais, en ce domaine comme dans d'autres, l'humanité ne peut se départir de la responsabilité.

Une nouvelle étape doit être mise en œuvre : celle d'une immigration choisie et d'une intégration réussie.

Je dis d'intégration réussie car nous avons lieu de nous réjouir des réussites de toutes ces personnes issues de l'immigration, d'Afrique ou d'Asie, qui, malgré les difficultés objectives de leur condition, réussissent dans leur vie en France et nous apportent leur différence, leur créativité et leur joie d'être Français ou d'espérer le devenir.

Le projet de loi sur l'immigration et l'intégration que je présenterai au conseil des ministres dans le courant du mois de février comportera les cinq mesures principales suivantes : la fixation d'objectifs chiffrés en matière de flux migratoires, déterminés en fonction des capacités d'accueil de la France ; des mesures facilitant la venue de travailleurs qualifiés dont nous aurions besoin, d'étudiants, de chercheurs et de professeurs d'université ; une réforme du regroupement familial conforme au bon sens, c'est-à-dire permettant réellement aux migrants de s'intégrer (respect des procédures ; conditions de logement et de ressources adaptées à la composition des familles) ; la généralisation et l'intensification du contrat d'accueil et d'intégration, dont le respect deviendra une condition obligatoire au séjour en France ; des moyens d'éviter les détournements du mariage à des fins d'immigration clandestine.

En aucun cas, cette politique d'immigration choisie ne doit aboutir à la fuite des cerveaux des pays d'origine. Ceux que nous accueillerons devront rendre à leur pays d'origine, sous une forme ou sous une autre, le bénéfice de la formation ou de l'expérience professionnelle qu'ils auront acquise en France. Et nous tiendrons compte de l'intérêt des pays d'origine dans les autorisations de séjour que nous accorderons. C'est une différence majeure avec la politique de certains de nos partenaires développés et je souhaite que la France porte ce débat dans les instances européennes et internationales. Le développement des pays pauvres doit rester un objectif majeur.

J'ajoute que le texte que je prépare ne modifie pas les dispositions relatives aux étrangers malades.

Au seuil de cette nouvelle année, mes vœux s’adressent aussi à nos compatriotes d’outre-mer, qu’ils se trouvent dans leurs territoires d’origine ou en métropole. Permettez-moi, aussi, d'avoir une pensée toute particulière pour les victimes de la catastrophe aérienne du 16 août 2005 qui a endeuillé la Martinique et la France dans son ensemble.

La France et les départements et territoires d'outre mer entretiennent des relations souvent passionnées et qui ont pu être marquées de malentendus alimentés par une histoire douloureuse qui avive les questions identitaires. Malgré les différences, nous appartenons à une même nation. Les départements et territoires d'outre-mer ont besoin de la France, et la France a tout autant besoin d'eux. Ils font partie de nous mêmes. Eh bien il faut parler des malentendus et dialoguer dans le respect mutuel. Ceux qui sont nés à l’occasion des débats sur la loi du 23 février 2005 doivent être levés. Ce débat aura eu le mérite de nous permettre de condamner à nouveau sans appel l'horreur de l'esclavage ; esclavage que Victor Schoelcher qualifiait justement de "crime de lèse-humanité".

Pour moi, la réécriture de l'article 4 doit avoir, au moins, deux objectifs. Le premier est celui d'écarter la référence ambiguë à "l'outre-mer" puisque le texte ne vise pas l'outre-mer au sens de notre actuelle Constitution, mais des territoires qui ne sont plus rattachés aujourd'hui à notre pays (anciens départements français d'Algérie, Maroc, Tunisie notamment). Le second objectif est de préciser que les programmes scolaires accordent à l'histoire de la présence française dans ces territoires la place conséquente qu'elle a eu ; pas plus, pas moins.

Il ne faut pas, en tout état de cause, que ces questions nous empêchent d’avancer sur les sujets qui touchent à la vie quotidienne des ultramarins et pour lesquels les attentes sont fortes : la sécurité, l'emploi, l'immigration, le logement ou encore la santé.

Il faut poser les bases d'une nouvelle politique pour l'Outre-Mer. Elle doit être éloignée du clanisme, de la compassion et de l'assistanat pour faire place au respect, à la dignité et au développement. C’est dans cet état d'esprit, que je me rendrai en Guadeloupe et en Martinique, au mois de mars, afin d'apporter des réponses concrètes aux problèmes quotidiens des Antillais, à commencer par celui de la sécurité. Je n'évacuerai pas des sujets sensibles tels que celui de la continuité territoriale ou celui des zones franches.