Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, lors de la conférence de presse sur l'immigration, à l'Hôtel de Beauvau
Mesdames et Messieurs,
Merci d'avoir répondu à mon invitation.
J'ai souhaité vous faire part, ce matin, des résultats de la politique d'immigration que j'ai mise en œuvre depuis 2002 et des perspectives de cette action.
Je ferai quelques remarques, avant de répondre à vos questions.
Nous le savons tous : la question des flux migratoires est l'un des enjeux fondamentaux de l'avenir. Les grands mouvements de populations sont devant nous. Chacun garde en mémoire la tragédie des embarquements sauvages sur les côtes africaines. Plus d'un tiers des 900 millions d'Africains vit avec moins d'un dollar par jour ! La moitié de la population de ce continent a moins de 17 ans. Une femme européenne a, en moyenne, 1,5 enfant. Une femme africaine en a 5,2. C'est un potentiel migratoire considérable ! L'un des grands enjeux des années à venir est de redonner à la jeunesse d'Afrique confiance en elle-même et lui faire comprendre qu'il existe un avenir en dehors de l'émigration.
Je le dis franchement : il serait impardonnable de continuer à fermer les yeux sur cette réalité.
Pendant des décennies, celui qui s'aventurait à prononcer le mot « immigration » se voyait taxé d'extrémisme, de populisme, voire de racisme. Entre 1997 et 2002, ce grand enjeu a été totalement occulté, passé sous silence.
En parallèle, l'inquiétude de nos compatriotes face aux carences de l'Etat dans la maîtrise de l'immigration, dont Sangatte fut longtemps le symbole, ne cessait de s'amplifier
Le séisme du 21 avril 2002, j'en ai la certitude, fut le produit direct du sentiment d'abandon ressenti par une partie de la société française. Jamais le fossé n'a été aussi profond entre l'approche de l'immigration qui prévaut chez les élites et la sensibilité dominante dans la population française.
Un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005 montre que 63% des Français estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. 50% des électeurs de gauche le pensent également. Je suis convaincu que l'immense majorité de nos compatriotes ne sont ni racistes ni xénophobes.
Mais la vérité, c'est que beaucoup de Français voient dans l'immigration une menace pour leur sécurité, leur emploi, leur mode de vie, pour la préservation des valeurs auxquelles ils sont attachés, pour l'unité et la cohésion nationales. Il serait totalement irresponsable d'ignorer cette angoisse. Nous avons le devoir d'y apporter une réponse, par la parole et par les actes.
Le débat sur l'immigration a été trop longtemps accaparé par deux idéologies extrêmes : celle de l'immigration zéro et celle de l'ouverture sans limite des frontières.
J'ai toujours rejeté pour ma part le principe d'immigration zéro. Il n'est ni réaliste, ni souhaitable. Appliquer l'immigration zéro reviendrait pas exemple à interdire les mariages mixtes, ou à fermer totalement nos universités aux étudiants étrangers. L'immigration zéro ne se conçoit que dans un régime autarcique. C'est un slogan démagogique, totalement inapplicable dans le monde moderne et pernicieux. Prôner l'immigration zéro, c'est refuser de voir la réalité en face et de s'y confronter. On ne transforme pas la réalité avec des chimères.
Quant à l'idéologie de l'ouverture illimitée, on l'a vue à l'œuvre. Elle était en toile de fond de la politique appliquée de 1997 à 2002 : régularisations massives, ouverture inconditionnelle de l'asile, laxisme généralisé, augmentation massive des flux migratoires en six ans. Elle a produit Sangatte. Elle a favorisé l'exclusion, la ghettoïsation et les phénomènes de révolte et de violence.
Depuis plusieurs décennies, la France reçoit des centaines de milliers des migrants chaque année sans se préoccuper sérieusement de leur insertion par le travail, le logement, l'éducation. La fermeture de l'immigration de travail en 1974 a eu un impact catastrophique : les flux se sont poursuivis au même rythme mais dans le cadre du regroupement familial, de l'asile, de l'immigration clandestine et des régularisations. Aujourd'hui encore, l'immigration de travail représente seulement 7% des flux. Ce qui domine, c'est l'immigration de personnes sans qualification, sans emploi, donc sans revenu de travail !
Nous subissons encore les conséquences des politiques de régularisations massives décidées par les gouvernements de gauche en 1981, en 1991 et 1997. Parce qu'elles ont entraîné un appel d'air profond et durable ! La régularisation de 80 000 clandestins en 1997 a donné un grand signal d'ouverture dans le monde entier. Le nombre de demandeurs d'asile est passé de 20 000 en 1997 à 82 000 en 2002 et 2003. Nous connaissons aujourd'hui les ravages de la politique de régularisation massive. La régularisation espagnole de 2005 – près de 600 000 personnes – a précipité dans les bras des filières criminelles des milliers de jeunes africains attirés par les sirènes de la régularisation.
Or, la France n'a pas les moyens d'accueillir tous ceux qui voient en elle un eldorado. Il manque encore à notre pays 500 000 logements sociaux ; le taux de chômage moyen des étrangers en France se situe à 20%. Quant aux personnes originaires de certaines nationalités africaines ou maghrébines, leur taux de chômage atteint 30 à 40% !
Le résultat du renoncement a été la ghettoïsation des populations migrantes, la constitution de 700 "cités sensibles" marquées par l'exclusion, le chômage massif des étrangers, l'essor de l'habitat en squats et taudis insalubres, la délinquance, la violence, la révolte telle qu'elle s'est exprimée en octobre et novembre 2005.
Le décalage ente les flux migratoires et les capacités d'accueil de notre pays a conduit à des situations dramatiques. Je pense bien sûr aux incendies des 25 et 29 août 2005 à Paris qui ont entraîné la mort de 24 personnes originaires d'Afrique, dont de nombreux enfants, logés dans des squats et des taudis.
Qui ne s'en souvient ? En 2002, le sinistre hangar de Sangatte était devenu, dans toute l'Europe, le symbole du laxisme et de l'irresponsabilité du gouvernement de M. Jospin en matière d'immigration. 2 000 à 3 000 migrants s'y entassaient, dans des conditions indignes de notre pays, avec l'espoir de passer en Grande-Bretagne.
L'une de mes premières décisions de ministre de l'Intérieur a été de fermer ce site en décembre 2002.
L'immigration clandestine dans le Calaisis se traduit aujourd'hui par la présence d'environ 150 migrants en moyenne, d'après les chiffres des associations qui délivrent des repas. C'est encore trop bien sûr. Mais il faut bien voir que le nombre de migrants illégaux dans cette région a été divisé par 20 ou 30 en quatre ans.
En 1997, la France était le septième pays du monde pour le nombre des demandes d'asile. En 2002, elle avait pris la première place en Europe. En 2004, sur cette lancée, nous étions les premiers au monde ! Singulier record !
La loi du 10 décembre 2003 a considérablement assaini la situation. Les délais d'examen des demandes sont passés de plus de deux ans à douze mois. La suppression de l'asile territorial a mis fin à de nombreux abus. La « liste des pays d'origine sûrs » permet de traiter en procédure accélérée les demandeurs venus de pays où les droits de l'homme sont respectés.
Grâce à ces mesures, le nombre total de demandeurs d'asile s'effondre. Il a baissé de près de 10% en 2005 (passant de 57 000 en 2004 à 52 000 en 2005). La diminution est spectaculaire en 2006 : sur les 10 premiers mois de l'année, nous avons enregistré une diminution de 35% !
Cela signifie que les filières d'immigration clandestine et les passeurs, qui conseillaient à leurs victimes de venir en France demander l'asile, ont compris le message que nous leur avons envoyé : la France refuse l'immigration clandestine, la France entend choisir ses flux migratoires.
C'est notre politique de fermeté qui paie. La France se rapproche ainsi des autres grandes démocraties occidentales, en particulier de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, qui ont su en quelques années, avant nous, ramener le nombre de leur demandeurs d'asile a un niveau raisonnable.
J'ajoute que nous continuons à rester ouverts, comme c'est tout à fait normal, à l'accueil des réfugiés politiques, persécutés dans leur pays. En 2005, nous en avons accueilli 15 000 : c'est l'honneur de la France que de maintenir une vraie tradition d'asile politique, tout en luttant très fermement contre l'immigration clandestine.
La loi du 26 novembre 2003 nous a donné de nouveaux outils :
• le renforcement du pouvoir des maires dans la délivrance des attestations d'accueil, indispensables à l'obtention d'un visa ;
• l'allongement de la durée de la rétention administrative de 12 à 32 jours pour faciliter les reconduites à la frontière ;
• la prise d'empreinte systématique des détenteurs de visas de court séjour – destinée à permettre l'identification des clandestins et leur reconduite qui sera généralisée en 2008.
Ce profond travail de réforme s'est accompagné d'une mobilisation intense, au quotidien, de tous les acteurs de la lutte contre l'immigration illégale. De multiples mesures ponctuelles ont contribué tout autant que les changements législatifs, à faire évoluer notre politique de maîtrise des flux.
Les préfets, les forces de police et de gendarmerie, ont été mobilisés sur la lutte contre l'immigration clandestine. Nous avons sensiblement renforcé les contrôles aux frontières, en particulier à Roissy qui se présentait en 2002 comme une véritable passoire pour l'immigration irrégulière dans toute l'Europe.
Ainsi, sur les 11 premiers mois de l'année 2006, nous avons refoulé pas moins de 33 000 migrants illégaux avant leur entrée sur le territoire français.
Et j'ai fixé, vous le savez, des objectifs chiffrés de reconduites à la frontière aux préfets.
Pour tenir ces objectifs, nous avons effectué un effort considérable pour augmenter le nombre de places dans les centres de rétention administrative, qui passera de 1 000 en juin 2002 à 2 400 en juin 2007.
Nous avons développé sur une vaste échelle les vols groupés permettant de reconduire les migrants en situation illégale dans leur pays : 40 en 2006 contre 17 en 2005. Beaucoup de ces vols groupés ont été organisés en coopération avec nos partenaires européens.
Les reconduites à la frontière de migrants en situation illégale ont doublé en trois ans, passant de 10 000 en 2002 à 20 000 en 2005. Elles vont atteindre 24 000 en 2006 pour la seule métropole. Un effort considérable a été également accompli outre-mer, où le nombre de mesures d'éloignement a doublé en 2006 et devrait dépasser les 22 000.
J'ajoute que l'aide au retour volontaire, qui était au point mort, a été profondément remaniée. Son niveau, jusqu'alors dérisoire, a été fortement accru : 3 500 euros pour un couple, auxquels s'ajoutent 1 000 euros par enfant. Cet effort a permis en un an, de doubler le nombre de ses bénéficiaires : 2 000 personnes en 2006.
Nous avons placé la lutte contre les filières criminelles au cœur de toutes les priorités.
Je le dis clairement : il n'est pas question de tolérer le retour de l'esclavage dans notre pays. Les services de police ont été mobilisés sur la répression de cet odieux trafic. En liaison avec les autorités judiciaires, nous avons multiplié les opérations coups de poing contre les filières: les arrestations de passeurs se sont ainsi fortement accrues en trois ans : de 1 400 en 2003 à plus de 3 200 en 2006.
Une centaine de réseaux ont été ainsi démantelés, bien souvent dans le cadre d'une coopération étroite avec nos partenaires européens. Ainsi, le 28 novembre, la branche française d'une vaste filière d'immigration chinoise a été neutralisée. Ses responsables sont aujourd'hui incarcérés.
De même, la répression contre les employeurs de clandestins s'est fortement intensifiée : 1 300 arrestations en 2003, plus de 2 000 en 2006.
De 2000 à 2003, le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors Union européenne, s'était accru dans des proportions considérables : de 150 000 à plus de 191 000.
En 2005, le nombre de premiers titres de séjour délivrés s'établit à 187 000, soit une diminution de 2,6%.
C'est une rupture, qui est le résultat direct de notre politique de fermeté et de rigueur. Les mesures prises depuis 2002 ont permis d'envoyer un signal fort aux candidats à l'immigration. La France est un pays ouvert, mais sûrement pas un terrain vague où l'on s'installe au gré du vent. La France exerce son droit de Nation souveraine, en choisissant ceux qu'elle accueille, en exigeant d'eux le respect absolu de ses lois et de ses principes, en condamnant tout dérapage communautaire.
2006 a été une année de transition. Nous n'avons pas encore les chiffres des cartes de séjour, qui ne seront connus qu'au printemps prochain.
Nous avons fait preuve de fermeté, mais aussi d'humanité : la question des familles en situation irrégulière ayant des enfants scolarisés a marqué l'été 2006. Il fallait trouver un compromis entre des exigences humanitaires et la volonté de ne pas transformer l'école républicaine en une gigantesque filière d'immigration clandestine.
Arno Klarsfeld a bien voulu apporter sa contribution décisive dans ce dossier complexe, qui a été réglé par la circulaire du 13 juin 2006, prévoyant la régularisation des familles ayant des attaches fortes avec la France.
6 924 personnes ont été régularisées à ce titre. La parenthèse est refermée.
La loi du 24 juillet 2006 a défini les instruments d'une profonde transformation de la politique de l'immigration dans notre pays.
Un étranger en France voulant faire venir sa famille devra satisfaire à trois conditions fondamentales:
• respecter les principes fondamentaux de la République (laïcité, égalité entre les hommes et les femmes) ;
• être en mesure de subvenir aux besoins de sa famille par les seules ressources de son travail (et non les prestations sociales) ;
• disposer d'un logement adapté à la taille de sa famille, comparable à celui d'une famille française vivant dans la même région.
C'est à compter de 2007 que les effets de la nouvelle loi se feront sentir. Les décrets d'application ont été préparés en un temps record, ils sont soumis au Conseil d'Etat et pourront donc être publiés dans les toutes premières semaines de 2007.
J'évoquerai quelques pistes pour l'avenir.
Les Etats membres de l'Union européenne doivent marcher dans la même direction. Il est essentiel de fonder une politique européenne de l'immigration sur une démarche volontaire des Etats et sur quelques grands principes communs: le refus des régularisations massives; la mise en place d'une frontière extérieure efficace et fiable; une règle commune d'asile et de regroupement familial; le principe d'éloignement des migrants clandestins et d'expulsion des étrangers délinquants sauf protections particulières.
Oui, nous devons bâtir une grande politique de co-développement. Elle consistera à mobiliser le dynamisme, la compétence, l'épargne des migrants en France dans l'intérêt du développement de leur pays. Les transferts de fonds des migrants en France dans leur pays d'origine représentent 8 milliards d'euros. Cette somme est consacrée à 80% à la consommation courante. J'ai la conviction que son utilisation même partielle à des fins d'investissement productif pourrait devenir un levier essentiel du développement. L'autre axe de cette politique consistera à généraliser la politique d'aide aux micro-projet en faveur des migrants de retour dans leur pays, à l'image de l'expérience très positive engagée au Mali (300 projets ont abouti en 2003-2005 et permis de nombreux recrutements).
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris, je suis plus que jamais déterminé à transformer la politique d'immigration de notre pays.
Depuis 2002, nous avons redressé la barre d'un navire qui était à la dérive et menaçait de couler.
Je ne regarde pas en arrière. Je regarde l'avenir. J'ai la conviction d'avoir choisi la seule voie possible, celle d'une immigration choisie et régulée.