11.10.2005 - Délégation aux victimes

11 octobre 2005

Intervention de M. Nicolas Sarkozy, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire - Installation de la Délégation aux victimes


Mesdames et messieurs,

Dans le cadre de la lutte contre l'insécurité, nous devons porter nos efforts sur celles et ceux qui furent longtemps, et trop souvent, négligées par les pouvoirs publics : je veux parler des victimes.

Moins que jamais, la victime ne peut être traitée comme la simple et regrettable "cible" d'une fatalité sociale ! Derrière la personne violentée dans ses droits et sa chair, il n'y a pas qu'un dossier administratif enclenchant un processus policier et judiciaire, il y a un drame humain qui doit être apprécié avec plus de dignité, d'exigence et d'efficacité.

C'est fort de cette conviction, que je suis heureux de vous retrouver pour procéder à l’installation de la délégation aux victimes.

Lors de notre rencontre du 9 juin dernier, je vous avais annoncé la création de cette nouvelle instance. Nous y sommes, et j'ai des ambitions pour elle. Sa tâche est immense et passionnante. Il lui revient de développer et d'enrichir un nouveau programme national en faveur des victimes.

1. Ce programme, je l’ai, dès à présent, engagé.

Vous connaissez notamment mes efforts pour lutter contre la récidive et mon engagement particulier dans ce combat.

Ce combat répond à un souci de cohérence.
 
On ne peut, d'un côté, tout mettre en œuvre pour briser et dissuader la violence, et de l'autre, continuer d'expliquer aux victimes que notre droit n’est pas adapté ou mal appliqué au regard des libertés individuelles. On me parle souvent des droits de l'homme. J'aimerais que l'on considère désormais que les droits de l'homme, c'est également les droits de la victime.

Pour empêcher tout nouveau passage à l’acte, il faut changer notre droit et il faut l’appliquer à la lettre.

Vous le savez, la proposition de loi de prévention de la récidive sera débattue, dés demain, à l’Assemblée Nationale. Vous pouvez compter sur ma détermination pour faire aboutir ce texte, enrichi des propositions du ministère de l’intérieur.

Parmi ces propositions, j’insisterai, tout d'abord, pour que les conditions de l’accès à la libération conditionnelle soient durcies pour les criminels les plus dangereux.

J'entends également faire en sorte que les réductions de peine ne soient plus automatiques et en nombre plus limité. Dans cet esprit, je propose qu’aucune réduction de peine ne puisse être accordée si le condamné refuse de se soigner pendant sa détention. Car face à un tel refus, on ne peut considérer que le condamné présente des gages sérieux de réadaptation sociale.

Par ailleurs, je demande une aggravation des peines pour les violeurs en série, de même que je propose de supprimer la possibilité d’accorder à un condamné une suspension de peine pour raison médicale, en cas d’atteinte particulière à l’ordre public. Je vise ici les auteurs de crimes odieux ou en série, pour lesquels les soins devraient être pratiqués sous le régime de la détention.

La loi du 17 juin 1998 a mis en place, comme vous le savez, un suivi socio-judiciaire des condamnés allant jusqu’à l’injonction de soins. Mais ce suivi repose exclusivement sur le volontariat du condamné. Ce n’est pas acceptable, ni pour les victimes, ni pour la société ! Je veux que ces soins soient plus systématiquement mis en œuvre, pour devenir une condition suspensive à la sortie de prison.

Quant au suivi socio judiciaire des délinquants, il doit être rendu plus opérationnel avec l’extension du bracelet électronique.

Dans le même ordre d’idée, j'estime que le contrôle des délinquants sexuels récidivistes ne doit pas s’exercer qu’une seule fois par an. Il faut qu’il soit plus régulier, et devienne un contrôle de proximité afin que les services en charge de cette mission soient particulièrement sensibilisés et l’individu dissuadé de récidiver.

Enfin, il m'apparaît indispensable dans toute décision, de prendre en compte l’environnement proche de ces personnes. Il n'est par exemple pas pensable qu’un parent incestueux conserve l’autorité parentale sur son enfant.

Ces situations ne sont pas comprises les Français et je souhaite que le gouvernement y mette un terme. Ils attendent des responsables politiques de ne pas tergiverser sur ces questions aux résonances si dramatiques. Cette requête, je l'entends chaque fois que je reçois une famille dans la douleur.

Je veux également donner la possibilité aux victimes, par l'intermédiaire de leurs représentants, de s’exprimer lors d’une libération conditionnelle et cela dès la première instance. Il ne s’agit pas de leur faire endosser la responsabilité de la décision qui sera prise, quelle qu’elle soit, mais d'éclairer pleinement cette décision à l'appui d'une écoute des victimes. J'estime que la situation de victime ne saurait s'arrêter à la fin du procès. Je veux que les victimes soient systématiquement prévenues avant la sortie de détention de leurs agresseurs. C'est la loi, elle n'est encore que trop rarement appliquée.

Sur le terrain, je donnerai aux policiers et gendarmes la possibilité de confondre les délinquants en série en donnant un cadre législatif aux fichiers d’analyse criminelle et au SALVAC (système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes).

J’agirai aussi dans le domaine réglementaire, en créant un fichier national des convocations par officier de police judiciaire qui permettra de centraliser et de recouper toutes les informations sur un récidiviste, en soutenant la mise en place de tuteurs qui veillent réellement sur les multirécidivistes lors de période de probation, et en rendant plus efficace le suivi opérationnel des mineurs délinquants réitérants.

Ces pistes seront poursuivies dans le cadre du Plan national de prévention de la délinquance, que je présenterai avant la fin de cette année.

Enfin, je rappelle que le secret médical n’est pas opposable aux victimes d’agression sexuelle. La loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 l’a expressément prévu. Je crois que les victimes doivent pleinement utiliser les possibilités données par ce texte. Sur ce point, je vous engage à jouer un rôle de relais auprès d’elles.

Voilà, mesdames et messieurs, les principaux axes de notre programme national en faveur des victimes qui doivent être au cœur de notre politique de sécurité.

2. La création d’une délégation aux victimes s'inscrit dans cette ambition.

Elle est chargée de piloter la politique d’aide aux victimes au sein du ministère de l’intérieur.

Il s’agit d’une structure permanente commune à la police et la gendarmerie. Elle sera en lien permanent avec mon cabinet et nous continuerons avec les deux directeurs généraux à vous rencontrer bien sûr chaque année dans le cadre des manifestations habituelles.

Pourquoi ai-je voulu cette structure? Pour qu'il y ait un lien permanent, étroit et confiant entre mon ministère et les victimes.

Je connais vos difficultés, qu'il ne s'agit pas d'occulter. Vous savez que je n'ai pas l'habitude de fuir mes responsabilités.

Je sais combien il peut être difficile de se trouver en position de prouver à un enquêteur que son enfant a été victime d'abus sexuel de la part de son père quand on est une mère de famille bouleversée par ce qui arrive. Je sais combien les analyses psychologiques sont éprouvantes, pour ne pas dire traumatisantes pour les enfants victimes et souvent suspectés de mentir. Je sais combien il est douloureux, après des années de procédure, une fois que l'autre finit par avouer son geste, de ne recevoir aucune explication, simplement un courrier administratif indiquant la date du procès.

Je sais aussi combien l'accueil dans les commissariats ou les gendarmeries peut devenir une épreuve, avec de longues files d'attentes, avec des conditions de discrétion et de confidentialité qui laissent souvent à désirer, avec parfois, pourquoi ne pas le dire, quelques remarques déplacées, "juste pour rire", avec aussi un traitement qui peut tourner à l'infantilisation. Ce n'est heureusement pas la règle partout, ce n'est même pas la règle dans la majorité des commissariats, mais il faut dire que ces situations existent, et qu'elles ne sont plus ni tolérables, ni tolérées. Je sais combien les gendarmeries et les SRPJ ont fait des efforts remarquables, et je veux les en féliciter et les encourager à faire encore mieux. Malheureusement, il arrive que les choses se passent moins bien ailleurs. C'est en priorité à ces endroits que porteront les efforts de la délégation aux victimes.

Je sais combien, victime une première fois d'une infraction pénale, on devient parfois victime une deuxième fois en devant affronter les regards au moment du dépôt de plainte, puis l'extrême longueur de la procédure judiciaire. Et puis on devient souvent victime une troisième fois après le procès, parfois rejeté par ceux à qui l'on s'est confié, comme si avoir été victime était "contagieux". Je connais votre courage, c'est pourquoi je ne peux me contenter de lui rendre hommage sans également tout mettre en œuvre pour alléger autant que faire se peut votre fardeau.

Les victimes ont un droit : celui d'une reconnaissance pleine et entière. Ceux qui ont traversé l'épreuve le savent : la victime est projetée dans un abîme creusé par l’inhumanité du crime. Reconnaître, c’est considérer à sa juste mesure la souffrance ; c'est contribuer à faire renaître la personne frappée par l'injustice.

Mais reconnaître, ce ne peut être simplement faire preuve d'une attention fugitive. Il faut aussi accompagner la victime, c'est à dire se joindre à elle et à ses angoisses, respecter ses doutes et ses questions.

Cet accompagnement doit être assuré très tôt, dès la première intervention de la police ou de la gendarmerie que ce soit au domicile, sur la voie publique ou au commissariat.

Voilà pourquoi, la mission première de cette délégation sera d’agir sur l’accueil réservé aux victimes par les policiers et gendarmes.

Un socle existe : c'est la charte d’accueil affichée depuis le 15 janvier 2004 dans tous les services de police et de gendarmerie. Des instructions ont été données.

Mais cela ne suffit pas !

Pour l'heure, l’accueil n’est pas toujours satisfaisant. Nous avons encore une grande marge de progrès. Je constate parfois des dysfonctionnements graves. C’est pourquoi j’ai décidé d’inclure une évaluation de la qualité de l’accueil dans l’évaluation générale du fonctionnement des services.

Je veux que l’accueil des victimes devienne une véritable mission de police et non pas une tâche plus ou moins ingrate, plus ou moins effectuée à la va-vite dans un coin obscur d’un commissariat ou d’une brigade, sans aucune confidentialité.

C'est une "révolution" culturelle et organisationnelle que les forces de sécurité doivent entreprendre.

J'attends de la délégation qu'elle crée, dans le domaine de l’aide aux victimes, une véritable professionnalisation des comportements des policiers et des gendarmes.

L’accueil des victimes doit être assuré par du personnel bien formé, bien équipé et volontaire. Parce que je veux donner à cette mission ses lettres de noblesse, il y aura des méritants en la matière comme il existe des méritants dans toute autre action de police.

J'ai évoqué à l'instant le terme de "révolution" culturelle et organisationnelle. Cela en est une !

Policiers et gendarmes devront se mobiliser, repenser leur fonctionnement et leurs pratiques.

Je souhaite que les victimes ne soient plus accueillies dans les mêmes locaux que leurs agresseurs, je souhaite qu’elles ne soient pas abandonnées après leur déposition, je souhaite qu’elles soient informées des suites données à leur plainte. C'est bien toute une nouvelle approche qu'il convient d'ancrer au cœur de l'institution.

J'en ai conscience, les victimes ne constituent pas un "univers" homogène. Les différences de chacun doivent être prises en compte, car on n’accueille pas de la même façon une femme battue ou un enfant victime d’inceste, comme on accueille une personne victime d’un vol à la tire. Il faut un traitement particulier pour les personnes dites vulnérables : personnes âgées, femmes enceintes, mineurs….

Bien évidemment tout doit être fait en faveur des victimes d'atteintes aux personnes. De la même manière, une dame âgée victime de cambriolage dans la soirée doit faire l'objet d'un réel accompagnement et d'un suivi constructif : la rassurer, où va-t-elle dormir, faire intervenir un serrurier. On ne lui dit pas qu'on va venir le lendemain.

Je développerai, chaque fois que cela sera possible, un accueil particulier dédié à certaines catégories de victimes, et j’invite les associations d’aide aux victimes à nous apporter leur expertise et leur soutien (il peut s'agir par exemple de victimes d'actes de terrorisme, de violences de la route, comme de violences sexuelles ou familiales). J'ai bien conscience, en effet, qu'il y a des problématiques bien particulières à chaque type de traumatisme.

Sachez aussi que j'ai demandé aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales de mettre en place dans chaque département des enquêteurs spécialisés dans le domaine éminemment sensible des violences infra familiales. Naturellement, ils seront en lien avec la délégation.

Mesdames et messieurs,

Avant l’été prochain, nous dresserons ensemble un bilan des progrès réalisés et du travail restant à mener.

Dans la concrétisation de nos objectifs, vous aurez votre rôle car c'est un défi commun.

Je vous demande de nous aider en dialoguant, en nous alertant, en nous proposant des pistes. Je demande aux associations de victimes et d’aide aux victimes d'approfondir avec nous cet échange constructif afin que la prise en compte des victimes dès la première minute soit un début de réparation.

Sachez que dans chaque département, les correspondants départementaux d’aide aux victimes ainsi que les bureaux d’aide aux victimes sont à votre service. J’ai demandé que ce réseau soit animé par la délégation en concertation avec les directions d’emplois afin que la cohérence du dispositif soit assurée.

La délégation aux victimes entretiendra des relations étroites et permanentes avec l’ensemble des associations de victimes ou d’aide aux victimes, analysera et relayera vos attentes.

Vous disposerez désormais d’un point d’entrée unique au Ministère de l’intérieur.

Enfin, je vous indique que la délégation aux victimes sera chargée d’inscrire l’action du ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire dans une démarche partenariale tant au niveau national qu’international. A cet égard, j’ai demandé à la délégation d’explorer toutes les bonnes pratiques à l’étranger, notamment au Canada, afin que rien ne soit laissé de côté. Je veux que nous fassions preuve d’imagination et d’audace.

En résumé, les membres de la délégation seront votre point de contact quotidien. Vous leur ferez remonter vos témoignages, et ils s'investiront au plus près du terrain pour vérifier et analyser ce qui existe. Ils organiseront des rencontres locales, serviront d'aiguillon aux administrations et se rapprocheront de nos partenaires du monde médical ou judiciaire afin de vous offrir un service de qualité, attentif à vos parcours et prenant en compte votre traumatisme.

Mesdames et messieurs, voilà les réflexions et indications que je souhaitais vous livrer aujourd’hui.

Les victimes ont des droits dont il est légitime de penser qu'ils sont supérieurs, au regard des circonstances, à d'autres droits. Sachez que je mettrai toute mon énergie pour défendre cette cause.