10.07.2006 - Déplacement de M. Nicolas SARKOZY à RABAT (Maroc)

10 juillet 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de la conférence Euro-Africaine sur les migrations à RABAT (Maroc).


Je souhaite adresser mes plus vifs remerciements à nos amis marocains pour avoir pris l'initiative de cette Conférence. Je veux en particulier adresser un amical message et l'expression de ma gratitude à Sa Majesté le roi Mohamed VI qui, je le sais, a encouragé ce processus et veillé à la bonne organisation de nos travaux. La France a d'emblée apporté son soutien a l'initiative du Maroc et de l'Espagne, car nous croyons qu'elle est riche de beaucoup de perspectives prometteuses.

Nous avons tous été bouleversés par la tragédie des milliers de migrants africains qui tentent d'entrer dans l'enclave de Ceuta et Melilla ou de gagner les îles Canaries dans des conditions effroyables, bien souvent au prix de leur vie.

Ces images ont profondément ébranlé les consciences européennes.
Notre devoir de responsables politiques est de tout mettre en œuvre pour en finir avec de tels drames. C'est là, je crois, le sens profond de notre présence aujourd'hui à Rabat.

Comment rendre confiance à la jeunesse d'Afrique et la persuader qu'il existe un avenir pour elle en dehors de l'émigration? Telle est, me semble-t-il, l'une des questions fondamentales de notre temps. Car nos destins sont liés : l'échec de l'Afrique aujourd'hui, ce serait le désastre de l'Europe demain.

L'immigration sera inéluctablement l'un des enjeux essentiels du XXIème siècle.

D'après les évaluations de l'ONU, le nombre de migrants dans le monde est passé de 100 millions en 1980 à 200 millions en 2005 et ce chiffre pourrait encore doubler dans les 25 années à venir.

Le potentiel migratoire de l'Afrique est très important. La moitié des 800 millions d'Africains ont moins de 17 ans. Le différentiel des taux de fécondité entre l'Europe et l'Afrique atteint des records : 1,4 enfants par femme en Europe contre 5,4 en Afrique sub-saharienne . L'immense majorité des 540 millions d'hommes qui vivent avec moins d'un dollar par jour, résident sur le continent africain.

La gestion des flux de populations se présente aujourd'hui comme l'une des clés de la relation entre l'Afrique et l'Europe.

J'ai la conviction profonde que l'immigration africaine, sous certaines conditions, peut être une chance aussi bien pour l'Europe que pour l'Afrique.

La France est particulièrement ouverte à l'immigration africaine. Sur 160 000 titres de séjour que mon pays délivre chaque année à des migrants non européens, 65% sont accordés à des personnes en provenance du continent africain.

Il faut écarter une fois pour toute les deux dogmes qui n'en finissent pas de polluer le débat sur l'immigration. L'immigration zéro est un mythe dangereux. Il est temps de parler clair : l'Europe n'a pas vocation à être repliée sur elle-même, à s'ériger en forteresse. Mais je n'accepte pas non plus le discours extrémiste des partisans de l'immigration sans limite ! L'Europe ne peut pas recevoir tous ceux qui voient en elle un Eldorado.

L'ouverture générale des frontières de l'Europe provoquerait, à terme, une déstabilisation politique majeure du continent et le risque d'une arrivée au pouvoir de partis extrémistes et xénophobes. L'Afrique en serait la première victime.

Trois objectifs doivent désormais guider notre action. 

Le premier est celui de l'immigration choisie. Cette expression a été parfois mal comprise, ou caricaturée. Il n'a jamais été question pour moi d'organiser une sélection unilatérale des migrants sur la base de leurs diplômes. L'immigration, dans mon esprit, doit être choisie par le pays de destination comme par le pays d'origine. Elle doit résulter d'un accord de volonté entre le pays de départ et le pays d'arrivée. La loi relative à l'immigration et à l'intégration, votée par le Parlement français le 30 juin dernier s'inspire directement de cette logique. A l'avenir, il nous faut préparer les fondements d'une immigration organisée, régulée, maîtrisée dans le cadre d'une concertation d'Etat à Etat.

L'avenir est aux migrations de mobilité, qui permettront aux migrants d'acquérir en Europe une formation, une expérience professionnelle, et de la mettre ensuite au service du développement de leur pays d'origine. La création d'une carte de séjour "compétences et talents" dans la nouvelle loi française est emblématique de cette volonté de faire des migrations une source d'enrichissement mutuel.

Le deuxième objectif est celui du co-développement. Les transferts de fonds des immigrés africains à leurs pays d'origine atteignent des montants considérables : 8,1 milliards de dollars en 2005 selon certaines estimations. Le fruit du travail des migrants pourrait devenir un formidable levier du développement de l'Afrique. Or, seule une infime partie de cette somme est utilisée à des fins d'investissement productif. L'un des grands enjeux du dialogue entre l'Europe et l'Afrique devrait porter sur les moyens de transformer cette épargne pour en faire un outil du développement économique. Nous venons ainsi de créer en France dans le cadre de la réforme de l'immigration, un produit d'épargne destiné à favoriser l'investissement des migrants dans leur pays d'origine. A terme, le développement de l'Afrique est la seule solution, la seule réponse au défi de l'immigration.

Le troisième objectif est celui de la lutte contre l'immigration clandestine. Je le dis clairement, la situation que nous vivons aujourd'hui en Europe est intolérable. EUROPOL a estimé le nombre de migrants qui entrent illégalement en Europe à 500 000 personnes. Cette immigration clandestine est une atteinte à l'ordre public des Etats européens et à la stabilité de leur pacte social.

Parvenus en Europe à l'issue d'un périple souvent atroce, les migrants sont livrés à l'horreur du travail clandestin, parfois au trafic de drogue et à la prostitution.

Il est grand temps que l'Europe et l'Afrique unissent leurs forces pour éradiquer cet odieux trafic, version contemporaine de l'esclavagisme.

Je souscris sans réserve à la vision globale de la politique d'immigration, qui est le principe fondateur de la conférence de Rabat.

L'adoption d'un partenariat entre pays d'origine, de transit et de destination, constitue une démarche profondément novatrice qui ouvre une ère nouvelle dans la gestion des flux migratoires. La mise en place d'un plan d'action pragmatique représente une étape essentielle dans la voie d'une gestion concertée de l'immigration. Ce plan comporte des mesures de bons sens dont l'objectif est d'améliorer la gestion des flux migratoires entre l'Afrique et l'Europe. Je pense en particulier à la création de l'observatoire euro africain des migrations, aux mesures destinées à favoriser le co-développement, à faciliter l'accès des étudiants africains aux universités européennes, à promouvoir des accords de réadmission pour lutter contre l'immigration illégale.

La conférence de Rabat est une formidable occasion de fonder un nouveau partenariat entre l'Europe et l'Afrique en matière d'immigration. Ce partenariat doit s'organiser sur une base d'égalité, de réciprocité et de confiance mutuelle. Ne laissons donc pas passer cette occasion!