Intervention de M. Nicolas SARKOZY Ministre d'Etat Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire Clôture de la Vème Conférence des Villes Paris
Cher Jean Marie Bockel,
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui, nous sommes réunis pour parler des villes .Il y a six mois, ou même trois mois, nous aurions parlé d'urbanisme, de transports, d'environnement, de fiscalité, et bien évidemment de "politique de la ville". Depuis quelque chose a changé. La réalité de la France s'est révélée brutalement, au mois de novembre, pendant vingt cinq jours d'affrontements dans ce que l'on appelle "les cités" … mais aussi tout simplement dans les villes. Le malaise urbain dont on parle savamment depuis vingt cinq ans, le voici sous nos yeux .Il n'est plus question de théorie, mais de travaux pratiques et d'urgences .Le fait d'avoir ramené l'ordre dans nos banlieues , c'était évidemment indispensable. Mais il y a aujourd'hui un immense travail à entreprendre, celui de faire des grandes villes, qui ont toutes des quartiers difficiles, sensibles, des endroits où on a envie de vivre. Et cela concerne aujourd'hui un Français sur dix.
Pour moi cela passe par deux politiques complémentaires. Une politique des territoires mais aussi une politique des personnes.
Une politique des territoires. L'aménagement du territoire, il faut bien le dire a été surtout rural. Il doit aujourd'hui aborder aussi la problématique des villes et des cités.
Il y a lieu d'agir sur des problèmes précis que nous n'avons plus le droit d'ignorer : l'enclavement total de certains quartiers ; il faut une heure et demie pour aller en voiture de Clichy sous Bois à Paris : que fait-on ? Le peuplement des agglomérations: si on reconstruit le même nombre de logements avec les mêmes habitants, même si l’urbanisme est plus accueillant, le problème restera. Chacune de ces opérations doit s’accompagner d’une politique volontariste de mixité sociale, en s’appuyant sur les vacances du parc HLM dans l’ensemble de l’agglomération, avec pour priorité de reloger une part significative de la population hors de ces quartiers difficiles, sans augmenter leurs loyers.
Lançons aussi des concours d'urbanisme faisant appel aux meilleurs spécialistes pour repenser la ville et l'habitat dans certains quartiers. Je pense à la fois que les spécialistes de la sécurité doivent donner un avis sur les opérations d'urbanisme, pour éviter de recréer des situations d'isolement et de confrontation ; mais aussi que les habitants pourraient utilement participer à la conception et à la réalisation des projets. Il est temps de jeter les bases d'un urbanisme plus participatif, qui favoriserait l'avènement d'un cadre de vie choisi et non subi. On ne peut laisser les architectes et les experts des cabinets d'études continuer à décider seuls de la configuration de quartiers dans lesquels ils ne vivront pas.
Je crois aussi que la mixité sociale est une clé des problèmes que nous connaissons avec l'école. Non seulement nous concentrons la pauvreté et les difficultés dans un petit nombre de quartiers, mais un découpage scolaire rigide renforce encore la ségrégation et fait fuir toutes les familles soucieuses de la réussite scolaire de leurs enfants. Pourquoi ne pas imposer des objectifs de mixité sociale dans le découpage scolaire, du moins à partir du collège, et organiser les transports en conséquence ?
Enfin, il faut anticiper sur demain : toutes ces zones rurales périurbaines, situées à quelques kilomètres des villes ne doivent pas devenir les cités de demain. Elles peuvent en revanche, selon des schémas d’aménagement maîtrisés, offrir des possibilités nouvelles, à condition de rompre avec les schémas du passé .C'est aujourd'hui que tout cela doit se préparer.
Cette nouvelle politique des territoires, je veux la lancer dès maintenant. Mais elle ne pourra pas suffire. Elle doit s'accompagner d'une aide aux personnes. Aussi pertinente qu'elle soit, la définition des territoires difficiles ne doit pas servir de base à des financements aveugles mais à une politique individuelle qui donne à celui qui y habite, qui travaille dur et veut s’en sortir, les mêmes chances d’y arriver que s’il habitait ailleurs. Ce qui n'est pas acceptable c'est que ceux qui ont des talents, qui veulent réussir, ne peuvent pas le faire du simple fait de leur origine ou de leur adresse.
Dans mon champ de compétence, celui de la sécurité, j'avais préparé un premier plan de prévention de la délinquance avant de quitter le ministère de l'intérieur en 2004 ;j'avais aussi lancé l'opération des "25 quartiers" les plus sensibles, dans laquelle la ville de Mulhouse s'était pleinement impliquée d'ailleurs. Aujourd'hui, je tire les premières leçons de ces expériences et je veux aller plus loin.
C'est pour cela que j'ai proposé cette semaine au Premier ministre un plan de prévention de la délinquance, conçu comme une politique à part entière, et qui s'adressera à des personnes, à des familles.
Je fais tout d'abord le constat que beaucoup de choses ont déjà été faites mais que rien n'a véritablement "marché" du moins à grande échelle.
Les circuits sont beaucoup trop complexes, car ils font intervenir l'Etat,- c'est à dire dix ministères - les collectivités locales, la Justice ; et la conséquence directe de cet état de fait est que les actions menées même si elles réussissent parfois, sont beaucoup trop ponctuelles .
Je veux donc mettre en place une méthode nouvelle, qui permette de faire travailler tout le monde, pas seulement en même temps, mais ensemble. Je le répète, et Jean Marie Bockel le sait bien, c'est le maire qui doit être le pilote local de prévention de la délinquance. C'est lui qui est le plus concerné, le plus interpellé, le mieux informé .C'est pourquoi je veux rendre obligatoires les CLSPD dans les villes de plus de 5000 habitants ; actuellement il en existe 800, il y en aura plus de 1500.
Mais il n'est pas question pour autant que l'Etat se décharge de sa responsabilité. L'Etat est comptable de la politique de prévention de la délinquance et doit mettre en place les outils correspondants. C'est pour cela que j'ai demandé aux préfets, la semaine dernière, de mettre en place des programmes locaux de sécurité, qui seront élaborés avec les maires et les conseils généraux, qui définiront des objectifs, des moyens, des indicateurs de résultats.
Cela c'est la méthode, qui doit être une organisation rationnelle, en réseau, au sein de chaque département. Je crois que la prévention ne peut se définir valablement qu'au niveau local.
Mais on doit bien sûr fixer des objectifs nationaux qui soient clairs, qui s'appliquent à tout le territoire, et qui permettent d'avancer sans vouloir tout faire à la fois.
Quels objectifs ?
Si l'on veut changer les choses, faire bouger les lignes, il faut reconnaître trois choses :
- tout d'abord qu'il faut agir en amont des difficultés : ne pas attendre qu'un quartier soit invivable , ne pas attendre qu'un adolescent soit délinquant , pour réagir . Avant d'en arriver là , on a laissé l'habitat se dégrader , on a laissé un enfant plonger dans l'agressivité , sans rien faire , on a laissé s'installer les causes de la délinquance.
Je crois donc à ce que l'on appelle un peu doctement la "prévention situationnelle", c'est à dire celle qui agit sur le cadre de vie. Il y a des endroits qui favorisent bien évidemment l'isolement, le confinement, la confrontation, la désespérance.
Il faut savoir être très concret sur ces sujets. Les copropriétés doivent pouvoir être encouragées à engager des dépenses de sécurité. Par exemple, une chose très simple et très utile : le recrutement de gardiens dans les logements HLM doit être encouragé par des allègements de charges sociales .Un immeuble sans gardien, ce n'est pas normal, c'est une situation d'abandon ; je crois aussi qu'il faut être lucide sur l'existence de risques dans les transports Lorsque ces risques seront avérés, les autorités organisatrices de transports collectifs de voyageurs d’intérêt local devront, à leur initiative, élaborer un contrat de prévention de la délinquance dans les transports, concernant à la fois les gares et les trains
Intervenir en amont, c'est aussi intervenir le plus tôt possible dans la vie sociale pour être efficace. La prévention , ça commence à l'école . Et ça n'est pas seulement l'affaire des enseignants. On ne peut pas tout leur demander.
Je crois à la responsabilité des parents .Jean Marie Bockel a mis en place dans sa ville une maison des parents en octobre 2003,et il obtient des résultats . Il faut que des initiatives soient prises vis à vis des familles , et là encore c'est le maire qui est le mieux placé pour le faire .
Je veux encourager les maires à prendre des initiatives en ce sens – Je propose d'instituer des « conseils pour les devoirs et droits des familles » présidés par le maire au sein desquels des mesures seront proposées ou décidées, allant de stages de soutien à la parentalité à des familles, indépendamment de toute procédure judiciaire, jusqu'à la demande au juge des enfants de l’ouverture de la tutelle aux prestations familiales. Le maire est aussi responsable du recensement des enfants en âge scolaire .Eh bien je propose que le maire puisse mettre en place avec les CAF un dispositif d’accompagnement à l’utilisation des prestations familiales, et faire des représentations aux familles devant ces "Conseils des droits et des devoirs".Il faut créer ces instances qui doivent être suffisamment solennelles pour effectuer les rappels à l'ordre , mais suffisamment proches pour s'adapter à la diversité des situations des gens .Je crois aussi, que le maire est celui qui peut organiser le partage des informations entre travailleurs sociaux autour de l'enfant, ce qui peut éviter des situations parfois tragiques. Cela paraît simple, mais c'est une révolution des mentalités , qui ne peut se faire qu'autour d'un référent , en dehors des circuits administratifs classiques .
J'estime que l'école ne peut pas tout faire , mais j'estime aussi qu'elle doit être associée pleinement à la prévention de la délinquance . Il est évident qu'elle a un rôle à jouer , à condition de lui en donner les moyens et de lui donner des partenaires .A ce titre, je propose de rendre obligatoire dans tous les établissements, y compris privés sous contrat, la création d'un comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté et l'élaboration d'un plan de sécurité et de prévention de la délinquance dans l'établissement.
Il faut aussi que l'école soit le lieu où l'on suit la question de la santé et du comportement des enfants ; si on ne le fait pas à ce moment l à , c'est beaucoup plus difficile par la suite .
Il faudra permettre au service de PMI d'intervenir sur le plan médical jusqu'à la fin de l'école primaire et organiser un suivi entre la PMI et la médecine scolaire. Attention aussi au moment crucial ou un jeune sort du système scolaire en échec : aujourd'hui il n'y a rien après. Tout élève exclu d’un établissement scolaire ne devrait pouvoir l’être définitivement sans qu’il soit prévu au préalable une structure d’accueil adaptée .
Deuxième objectif de la politique de prévention : ne plus séparer prévention et répression . Autant il faut être actif pour prévenir , autant il faut sanctionner si on n'a pas pu prévenir , sinon c'est l'efficacité de l'ensemble de notre action qui risque d'être remise en cause . Pour cela ,il faut introduire la culture de la prévention au sein même de nos forces de sécurité .
Ce sont les mêmes policiers qui doivent pouvoir écouter quand il le faut, sanctionner quand il le faut, si l' on veut que la prévention soit efficace. Je pense par exemple que
La « Réserve civile de la Police nationale », pourra être utilisée pour procéder à des rappels à l'ordre ou à la loi auprès de parents, de mineurs et de jeunes majeurs dans le cadre de faits "d'incivilités", d'absentéisme scolaire, de manquements à la responsabilité parentale, de troubles de voisinage….
Je crois aussi nécessaire la présence de travailleurs sociaux dans les commissariats et les unités de gendarmerie Il y en a 29 aujourd'hui , c'est évidemment très peu . Cette présence doit être considérablement étendue en partenariat avec les collectivités locales
Troisième objectif : il faut intervenir au coeur des situations les plus difficiles , sans fermer les yeux comme on l'a fait trop longtemps . Je pense à trois choses plus particulièrement :
Les violences conjugales et intrafamiliales : une femme sur dix en France , on le sait , est victime de violences chez elle .Ce qui a des conséquences tragiques et sur les victimes et bien sûr sur leurs enfants .Cela pose des problèmes très concrets qu'il faut résoudre car il n'est plus question de s'en désintéresser. Bien sûr il faut aider les victimes .Mais il faut agir à la racine du mal : c'est à dire soigner et dissuader. D'abord en créant des mesures alternatives aux poursuites , qui peuvent être plus efficaces : l'injonction de soins, l'injonction de quitter le domicile conjugal; étendre les mesures de suivi socio-judiciaire à l'obligation de suivi thérapeutique des violences ; adapter la réponse judiciaire , en créant une incrimination de violences habituelles au sein du couple ; permettre aux mineurs victimes de bénéficier automatiquement de l'aide juridique, et à toutes les victimes de bénéficier du concours d'un avocat spécialement formé à cet effet.
La deuxième chose à laquelle je pense, c'est l'usage de stupéfiants. Un adolescent sur quatre en France consomme du cannabis. Là encore, il n'est plus question de fermer les yeux. On sait que le cannabis a des effets graves sur le comportement , qui vont de l'échec scolaire jusqu'aux accidents de la route . Il faut donc dissuader de consommer , et pour cela faire de l'usage de la drogue ,non pas un délit passible d'emprisonnement , ce qui est le cas actuellement et qui fait que l'on n'applique pas la loi .Il convient de moderniser notre dispositif pénal en matière d’usage de drogue. La voie de la contraventionnalisation de l’usage de drogue permettrait de sanctionner de manière plus réelle cette infraction et d'accompagner cette sanction d'un suivi thérapeutique ou éducatif.
Je pense enfin à la santé des adolescents qui elle aussi est devenue un problème de société sérieux, et qui ne peut pas laisser les adultes que nous sommes indifférents . Il faudrait viser la création d'une maison des adolescents par département, située dans un quartier difficile, en commençant par les grandes villes où se posent les problèmes de violence
Enfin, et je ne ferai qu'évoquer le sujet car il nous emmènerait très loin, je crois que de nouvelles réponses judiciaires sont indispensables : à la fois pour faire face aux agressions en bandes, face auxquelles nous n'avons que des réponses destinées à des individus - mais aussi pour tenir compte du fait que ce sont de plus en plus de jeunes mineurs, parfois très jeunes, qui commettent des délits de plus en plus graves. Et souvent, la prison n'est pas la bonne réponse Le principe doit être qu'aucune infraction dont l’auteur est identifié ne doit rester sans réponse. Il faut donc avoir recours à des mesures d'éloignement temporaire, au travail d'intérêt général, qui doit reprendre tout son sens. Il faut avoir des réponses adaptées et rapides, alors qu'aujourd'hui c'est tout le contraire.
Et il faut aussi , ce qui nous emmènerait encore plus loin, se pencher sur la réinsertion après la prison, qui est un élément indispensable de prévention. Il faut diffuser en prison la formation, les soins, le recours à la semi liberté, tout ce qui peur redonner des chances de s'en sortir Autant de sujets qui vont exiger de nous un changement de raisonnement à mon avis indispensable .
Car si nous voulons être fermes, nous devons aussi être justes. Et je finirai là dessus. La prévention doit véhiculer des valeurs positives. Si on veut qu'elle ait un sens, la prévention doit ouvrir à la vie en société et favoriser la récompense du mérite personnel. Il est temps de promouvoir l'instruction civique comme une matière à part entière, sanctionnée par le baccalauréat .C'est aussi important que les mathématiques et les sciences naturelles .Un engagement civique de courte durée , centré sur des missions au service de la collectivité nationale peut aussi utilement être créé, et être créé pour tous sans distinction.
Je pense enfin, et c'est essentiel à mes yeux , que la prévention est une politique par laquelle on doit donner plus à ceux qui ont moins ; elle doit ouvrir des portes qui sans elle resteraient fermées
Il faut répondre aux demandes d'enfants et de jeunes très différents, sans les exclure du système scolaire. Il faut laisser une chance aux jeunes jusqu'à ce qu'ils sortent de la scolarité obligatoire.
- Certains élèves, seuls ou dont les conditions de vie ne permettent pas le travail scolaire au domicile, doivent pouvoir bénéficier après les cours obligatoires d'études du "soir" soit sous forme d'une aide individualisée aux devoirs (cours particuliers) soit sous forme collective. Cessons de faire comme si des enfants qui travaillent parfois sur le palier de l'appartement faute de place avaient autant de chances que ceux qui ont une chambre et un bureau .C'est aussi simple que cela ,mais c'est déterminant .C'est aussi pour cela qu'il faut relancer les Bourses au mérite
- Il faut aussi organiser des passerelles avec l'emploi, y compris avec l'emploi public et nous devons donner l'exemple, avec l'abaissement de l'âge d'intégration dans le corps des cadets de la police, la mise en place de « classes préparatoires intégrées » dans toutes les écoles de préparations aux concours de la fonction publique Le Ministère de l'intérieur expérimentera dès janvier 2006 ces classes préparatoires intégrées pour les préparations aux concours d'officiers, de commissaires et de sapeur-pompiers.
Voilà les réflexions que je voulais vous livrer, un mois après les évènements que nous avons traversés. Ce doit être pour nous une invitation à agir sans plus tarder. Beaucoup d'entre vous l'ont fait, comme Jean Marie Bockel, et ont déjà obtenu des résultats. Eh bien J'invite tous les maires à en faire de même, et je les assure du soutien sans faille de l'Etat. Contrairement à ce que disent beaucoup de défaitistes, nous avons devant nous la possibilité de changer les choses, j'en suis persuadé, à condition d'agir ensemble et de commencer tout de suite.