09.06.2005 - 5ème rencontre avec les Associations de victimes

9 juin 2005

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire lors de la 5ème rencontre avec les Associations de victimes - Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale de Melun


Mesdames, messieurs,
 
Cette journée des victimes, je l'avais initiée en janvier 2003, à votre demande, bien sûr. Mais aussi parce que j'étais convaincu que l'on ne fait jamais assez pour les victimes. Au cours des vingt deux mois que j'ai passés au ministère de l'intérieur, je leur ai donné une priorité absolue. J'entends bien réaffirmer cette priorité. La violence  n'est pas excusable, et  vous êtes  là pour en témoigner. Je sais qu'il est plus facile d'expliquer la violence que de la combattre. Mais j'entends bien la combattre, c'est ma responsabilité, même si je ne doute pas que d'autres seront toujours  là pour l'expliquer.

Vous tous, vous toutes, avez eu à subir cette violence ou à la connaître. Il est primordial que les victimes soient reçues, écoutées et entendues. Deux choses sont importantes : soutenir ceux qui souffrent  et prévenir d'autres souffrances  Grâce à vos associations, vous n'êtes pas seuls, vous vous exprimez, vous proposez, et c'est un grand progrès. Nous sommes ici, Pascal Clément et moi-même, pour vous écouter, et aussi pour vous dire quelle est notre vision des choses. 
 
Que voulons nous faire aujourd'hui, au mois de juin 2005, pour les mois qui viennent ?
 
Il y  a deux ans, en arrivant au ministère de l'intérieur, j'ai voulu  avant toute chose faire reculer la délinquance. Aujourd'hui, avec Pascal Clément, je veux développer une véritable politique en direction des victimes. Non pas par nécessité, ni par démagogie, mais parce que chacun de nous est concerné, tout le monde a été ou pourra être un jour frappé, voir sa vie brisée, abîmée, de la façon la plus injuste qui soit. Il n'y a donc pas  d'un côté un lobby des victimes, et de l'autre un ministère chargé de les plaindre. Il y  a tous les Français qui doivent être, tous les jours, solidaires  contre la violence et ses méfaits, solidaires avec ceux qui ont  eu à en souffrir. Les victimes méritent mieux que des rendez-vous, même s'ils sont réguliers, elles méritent un véritable programme national.

Que doit être ce programme ?
 
La première des choses est évidemment d 'éviter de nouvelles souffrances, de nouvelles victimes. La lutte contre la délinquance entreprise depuis 2002 a porté des fruits. On peut considérer que nous avons pu  épargner près de 300 000 victimes potentielles. La violence routière aussi a fortement diminué : le nombre de tués et de blessés a diminué  de près d'un tiers. Tout cela n'est  pas rien même si c'est encore très insuffisant.
 
 La baisse de la criminalité et de la délinquance reste ma préoccupation majeure. Beaucoup a été fait, mais il serait indécent de se satisfaire  de résultats partiels,  je le dis devant vous. Comment pourriez vous comprendre que l'on se contente d'un recul de la violence, alors que des milliers de gens continuent d'être atteints dans leurs biens ou dans leur intégrité ? Je réaffirme devant vous que c'est la tolérance zéro qui doit  nous guider. Je l'ai dit à Perpignan vendredi dernier, je n'aurai aucune complaisance envers les voyous. J'aurai l'occasion de le redire.
 
Des progrès ont été faits depuis trois ans dans le travail de la police et de la gendarmerie, c'est indéniable. Il a fallu dégager des moyens, mais aussi  redonner confiance aux forces de sécurité. Elles ont été au  rendez-vous de cette confiance. Je veux leur rendre hommage. J'ai introduit au sein de ce ministère la culture du résultat ; les policiers et les gendarmes sont désormais évalués sur leurs résultats en matière de lutte contre la criminalité et la délinquance, sur l'efficacité des actions qu'ils entreprennent. Mais je veux aussi leur dire que leur travail n'est pas fini, loin de là. La violence reste une réalité beaucoup trop présente, et nous devons entamer une deuxième phase de lutte sans merci contre la délinquance.
 
La deuxième chose importante est de sanctionner les auteurs de violence. Les sanctionner avec rapidité et avec certitude. Il ne peut être question  d'autre chose. En 3 ans le taux d'élucidation des affaires a progressé de plus de cinq points : près d'une affaire sur 3 est désormais élucidée. J'en tire deux observations.
 
La première, c'est qu'une affaire élucidée sur trois, cela signifie qu'il en reste deux  qui ne le sont pas ! Là aussi, nous aurons l'occasion  d'en reparler très vite, je veux que l'on aille beaucoup plus loin.
 
La deuxième c'est que - souvenons-nous, ce n'est pas si ancien - que pour parvenir à  ces résultats, il a fallu vaincre des réticences. Aujourd'hui je crois que tout le monde trouve normal de se donner les moyens de lutter contre la violence, c'est déjà un immense progrès qui n'allait pas de soi il y  a deux ans. Je prends l'exemple du  fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles  destiné à prévenir le renouvellement des infractions sexuelles et de faciliter l'identification de leurs auteurs. Il sera opérationnel dans les prochaines semaines. Je l'avais annoncé aux familles de victimes il y  a deux ans, je suis particulièrement heureux de cette promesse tenue. C'est un outil qui sera évidemment très précieux dans la lutte contre la récidive. C'est aussi un changement dans nos mentalités. Cela veut dire qu'enfin nous donnons la priorité absolue aux victimes, existantes et potentielles. C'est leur liberté qui compte, et non pas celle de leurs agresseurs ! C'est cela qui doit nous guider dans notre action.
 
La troisième orientation est de connaître la situation  des victimes
 
Cette connaissance ne ressort pas directement des statistiques, loin de là. En novembre 2003, j'ai créé l'observatoire national de la délinquance afin d'améliorer la connaissance statistique des phénomènes criminels. Mais mieux connaître la délinquance c'est aussi s'intéresser à celles et ceux qui sont victimes de ces actes de délinquance.
Cela nécessite de ne pas retenir exclusivement les informations officielles sur les faits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie. En effet, on le sait, de très nombreuses victimes ne déposent pas plainte auprès des forces de police. Il est donc capital, comme cela est le cas en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis depuis de très nombreuses années, de mener des enquêtes de grande envergure auprès des personnes qui ont pu subir des atteintes à leur intégrité physique ou leurs biens. Pour ce faire, j'ai demandé, dès 2003, à l'observatoire national de la délinquance de lancer un programme d'enquête annuelle dite de victimation.
La première enquête de ce programme a été menée par l'INSEE en janvier 2005. Elle a permis d'interroger près de 13 000 ménages et plus de 24 000 personnes de 15 ans et plus.
Les résultats de cette enquête, qui ne seront disponibles qu'en septembre, montrent déjà que, sur cet échantillon, un peu moins de 1 000 personnes ont déclaré avoir subi au moins une agression physique au cours des années 2003 et 2004. Pour ces victimes, la mesure de la gravité de l'atteinte et les réactions qu'elle a suscitée est recherchée. On sait ainsi qu'environ un tiers des victimes d'agressions physiques ne se signalent pas aux autorités compétentes. Connaître les raisons de cette absence de déclaration est essentiel afin d'améliorer nos politiques publiques de sécurité et les dispositifs d'accueil et de prise en charge des victimes. Et, c'est uniquement grâce à ce type d'enquête, que ces informations sont disponibles. Je  ferai connaître, et j'utiliserai très largement les résultats de cette enquête, en recherchant  précisément les raisons de ces réticences à  se déclarer comme victime.
 
Je réponds aussi à ceux qui me reprochent cette culture du résultat et qui disent que l'on cherche à " faire du chiffre ".Les chiffres sont un indicateur indispensable. C'est parce que des objectifs chiffrés ont pu être remplis que les forces de sécurité ont pu reprendre confiance dans leur action. Mais il est évident que les chiffres ne sont pas un but en soi. Il ne faut pas uniquement que les chefs de service aient les yeux braqués sur  des courbes. Il faut aussi  qu'ils aient un regard très attentif sur la manière dont le service public de la sécurité est assuré au profit des victimes. Et j'ai décidé que désormais l'évolution de la performance des services se ferait non seulement sur les résultats obtenus dans la lutte contre la délinquance mais aussi sur la qualité de l'accueil des victimes.
 
On doit pouvoir savoir ce que devient la procédure qu'on a initiée, et ce que devient l'agresseur. Or  le plus souvent ce n'est pas le cas. On ne peut pas fermer les yeux sur ce qui se passe après l'acte criminel, après la plainte. Notre objectif doit être d'assurer une "traçabilité" : depuis la plainte de la victime jusqu'à l'aboutissement de la procédure. Nous allons nous y employer avec le Garde des Sceaux.
 
Pour cela, il nous faut changer nos habitudes. La réponse à la violence ne s'arrête pas à l'interpellation. Je donnerai un exemple simple. Trop souvent les convocations en justice sont trop éloignées de l'interpellation. A quoi sert une convocation qui intervient six mois après les faits ?
 
Deuxième exemple : l'effectivité de la peine. Trop de décisions judiciaires ne sont pas exécutées. Il faut que les décisions de justice soient appliquées. Cela aussi c'est une réponse à la soif de réparation et à la dignité des victimes.

Beaucoup de choses ont déjà été lancées. Je ne veux pas toutes les passer en revue, mais rappeler qu'en 2002, une première étape a été franchie avec la création au sein des services de police et des unités de gendarmerie de correspondants départementaux d'aide aux victimes. Une seconde étape importante a été initiée avec la Charte d'accueil du public et d'assistance aux victimes. que j'ai moi-même lancée dans ces locaux, le 15 janvier 2004, lors de notre troisième rencontre. Cette charte est désormais affichée dans tous les services et doit constituer une référence pour chaque fonctionnaire ou militaire de la gendarmerie.
 
Quelle est la réalité des faits depuis ? Une  première prise de conscience collective, ainsi qu'une éclosion d'initiatives locales.
 
Mais ne soyons pas triomphalistes. Ce dispositif de correspondants  a fait l'objet d'une évaluation conduite fin 2004 sur 6 sites différents ; celle-ci a permis de constater que l'assistance aux victimes avait évolué dans le bon sens, mais que l'accueil en général était d'une qualité insuffisante. Ce constat objectif doit nous permettre d'aller plus loin dans la démarche : il en sera débattu cet après-midi à l'occasion d'une table ronde consacrée à ce sujet.
 
D'ores et déjà je tiens à vous dire que je compte utiliser cette évaluation, qui a mis en évidence des insuffisances : La confidentialité des échanges n'est pas systématiquement assurée, le choix et la qualité des personnels affectés à l'accueil laisse à désirer, ils sont insuffisamment formés, les moyens matériels dont ils disposent sont déficients, voire inexistants…Nous ne devons pas l'admettre.  Je ne peux pas admettre  qu'une femme victime de violences soit obligée d'expliquer sa situation en présence de tiers ; je ne peux pas admettre qu'une victime  qui a été  frappée   ait  à  attendre des heures dans un couloir sans assistance ; je ne peux pas admettre qu'une personne qui  a été cambriolée,  se heurte à l'indifférence, à la distraction, au silence, ait du mal à se procurer le document qui lui permettra d'être indemnisée. Il n'y a pas de petite ou grande victime, il n'y a que des personnes qui souffrent de la violence alors qu'elles n'auraient jamais du avoir à en souffrir.
 
Cette disponibilité fera l'objet, naturellement, d'une mobilisation des services.
 
Dans ce domaine, ce que je demande ce n'est pas de travailler plus, mais de travailler mieux.
 
 
Je sais  aussi que l'un des problèmes dont vous souffrez est de ne jamais avoir le même interlocuteur. Et si nous continuons de fermer les yeux sur cette question, nous allons passer  à côté de l'essentiel. Pour cela, nous ne pouvons plus laisser les choses au hasard. Il nous faut aussi installer une structure permanente, qui sera dédiée à l'accueil des victimes. J'ai  donc décidé de créer au niveau national une délégation aux victimes,  une structure légère mais permanente qui sera commune à la police et à la gendarmerie. Cette structure sera chargée de piloter la politique d'aide aux victimes au sein du ministère. Elle sera en relation permanente avec les correspondants locaux.
 
En clair, cette nouvelle équipe qui sera mise en place rapidement auprès des directeurs  généraux de la police et de la gendarmerie aura deux missions essentielles :
 
- en interne, de proposer des axes d'efforts, des méthodes et des outils adaptés, de veiller à la cohérence et à la pertinence des actions engagées ainsi que des dispositifs mis en œuvre, d'aider au partage des bonnes pratiques, d'évaluer directement ou de faire évaluer, au travers d'audits internes, l'application des mesures décidées, enfin d'assurer un suivi du traitement des incidents et des réclamations.
 
- en externe, cette équipe s'attachera à entretenir des liens étroits et permanents avec l'ensemble des associations, à analyser et relayer leurs attentes, à faire procéder à des enquêtes de satisfaction mais aussi à inscrire l'action du ministère dans une démarche partenariale tant au niveau national qu'international.
 
Cette nouvelle structure nationale sera relayée à tous les échelons de responsabilités. Elle devra s'attacher à  créer dans le domaine de l'aide aux victimes une  vraie professionnalisation des comportements. Qu'est ce que c'est que cette professionnalisation ?  A la fois  du dévouement, du sang froid et de la rigueur, à l'égard de personnes  qui sont en  détresse. Cela devrait aller de soi, mais pour des fonctionnaires souvent débordés par des tâches quotidiennes, cela doit parfois s'apprendre :
 
- plus de professionnalisme  c'est parfois simple : c'est par exemple éviter de recevoir dans le même local, en même temps la victime et son agresseur. C'est aussi, lorsque l'on prend contact avec la victime, être en mesure de lui préciser l'ensemble des démarches à effectuer avant tout déplacement. Il n'est pas acceptable de renvoyer une victime d'interlocuteur en interlocuteur, pas plus que de la convoquer plusieurs fois pour la même formalité.
 
- plus  de professionnalisme, c'est par exemple prendre d'emblée la mesure du traumatisme subi par la victime, être capable d'aller l'entendre à domicile, de la raccompagner si elle est  démunie, de la mettre en relation avec les associations de victimes ou les travailleurs sociaux qui seront en mesure d'apporter l'aide, le conseil et le réconfort que chacun est en droit d'attendre.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire dès aujourd'hui, une semaine exactement après mon retour au Ministère de l'Intérieur. Ce programme national est à la fois simple dans son principe et ambitieux dans sa réalisation. Ambitieux, non pas en moyens matériels, mais en changement des mentalités. Des progrès ont été faits depuis notre première rencontre. Nous avons lutté contre la délinquance, nous allons continuer et amplifier cette lutte. Mais nous allons lutter aussi  contre la banalisation de la violence, nous serons donc à  votre service pour vous écouter, vous aider, pour informer sur vos difficultés et les résoudre. Vous savez que je n'aime pas les explications sociologiques de la délinquance. Mais je suis sûr que l'indifférence est le meilleur terreau de la violence, et nous  allons combattre,  à vos côtés, cette indifférence sous toutes ses formes.