07.12.2006 - 4ème Forum Mondial du développement durable

7 décembre 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, au sénat, à l'occasion de la séance d'ouverture du 4ème Forum Mondial du Développement Durable sur le thème "Les Mobilités : Handicap ou Facteur d'un Développement durable ?"


Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président, Cher Emile MALET, c'est la deuxième année que vous m'invitez pour ouvrir le Forum Mondial du Développement durable et j'en suis heureux. Heureux car le développement durable est au cœur débat politique. Heureux car l'enjeu de la mobilité est déterminant et il faut bien se garder de le laisser aux idéologies.

Lorsque, avec nos amis de l'UMP, nous avions organisé une convention pour débattre de l'écologie et du développement durable en octobre 2005, nous étions bien seuls parmi les partis politiques. Chacun en mesurait l'importance mais rares étaient ceux qui en mesuraient l'urgence.

Plusieurs interpellations ont été nécessaires : Le film de AL GORE que nous avons diffusé en avant première devant les jeunes de l'UMP en septembre ; l'engagement de Nicolas HULOT et notamment le Pacte écologique ; le récent rapport STERN en Grande Bretagne, un rapport particulièrement remarqué puisque son auteur n'est autre que l'ancien économiste en chef de la Banque Mondiale.

Nous avions besoin de ces avis d'experts reconnus, d'experts exempts de parti pris idéologique, pour faire émerger l'écologie dans le débat. Aujourd'hui la classe politique, mais aussi les médias et la population se sont saisis de la question. C'était indispensable car aucune politique n'est possible sans débat préalable, sans prise de conscience de la gravité des enjeux.

Premier enjeu: le réchauffement climatique. Si rien n'est fait, 50 millions de réfugiés climatiques viendront s'ajouter aux 200 millions de migrants à travers le monde. La grande majorité sera issue des régions d'Afrique devenues invivables. C'est une mobilité subie qui, à l'évidence, fera voler en éclat toute tentative de maitriser notre immigration et toute tentative de paix durable.

Deuxième enjeu lié au premier : l'épuisement des réserves de pétrole. La majorité des experts concluent que le pic de production se situera vers 2030. Chacun peut imaginer les conséquences : la hausse des prix, les tensions géopolitiques, les tentations de relancer l'économie du charbon qui est une énergie extrêmement polluante.
Ces enjeux sont des menaces s'ils se traduisent par l'idéologie de la décroissance et de l'immobilisme. Ils sont une opportunité s'ils accélèrent la naissance d'une nouvelle croissance et d'une nouvelle mobilité. Le libéralisme, le capitalisme et la liberté des capitaux n'ont pas toujours été un progrès pour l'homme.

L'enjeu du développement durable est bien de réintroduire un peu d'humanité et de prospective dans le débat. Nous n'avons d'ailleurs pas d'autre alternative car le réchauffement climatique et l'épuisement des réserves de pétrole ne sont pas des hypothèses. Ce sont des réalités.

D'abord au niveau international. La création d'une organisation mondiale de l'environnement et d'un droit mondial de l'environnement s'imposent pour équilibrer les positions de l'OMC. La mobilité des capitaux et le commerce international ne fondent pas une politique internationale. Et même si le protocole de Kyoto n'est pas à la hauteur des enjeux, les Etats-Unis ont eu tort de ne pas le soutenir. C'était un message d'irresponsabilité délivré aux pays émergents.

Ensuite au niveau européen. Je suis convaincu que l'Europe, qui est trop souvent présentée comme l'excuse à nos propres défaillances, peut être un nouvel espoir si elle se saisit de cet enjeu. L'identité européenne peut être écologique. Elle est aujourd'hui pionnière dans ce domaine. Elle doit le rester et renforcer sa position. L'Europe a créé un système de quotas d'émissions de gaz à effet de serre. Elle doit exiger des pays importateurs, qui ne respectent pas le protocole de Kyoto, qu'ils acquittent une taxe. Les émissions de gaz à effet de serre sont un problème mondial. Il n'est pas juste que les contraintes pèsent uniquement sur nos entreprises. Et nous avons besoin de l'Europe pour créer le programme Airbus de demain : l'Europe de la recherche de nouvelles énergies.

Enfin, en France. Il est temps de profondément réformer notre société et de réaffirmer les valeurs qui font notre fierté : plus qu'un enjeu écologique, c'est une question d'identité. Nos valeurs sont la confiance dans l'homme, la confiance dans le progrès, la confiance dans l'avenir. La France doit être porteuse de la révolution écologique en Europe comme dans le monde ; une révolution positive qui ne se résume pas au rationnement et à l'angoisse.

La France doit donner aux Français les moyens d'imaginer leur propre révolution écologique. Il est révolu le temps où quelques responsables de L'Etat dictaient l'avenir de la société.
Je ne souhaite pas une politique de la contrainte qui interdise ou qui taxe à outrance. Je souhaite une politique qui récompense la vertu de l'effort et qui pénalise la facilité de la pollution. Nous devons sur cinq ans doubler le poids de la fiscalité écologique et réduire les charges pesant sur le travail. Je souhaite une politique qui incite. Nous devons créer un crédit d'impôt écologique pour les particuliers comme les entreprises pour que l'investissement écologique soit plus intéressant que l'investissement polluant.

Je souhaite une politique où l'Etat ait une vision stratégique de long terme sur ses investissements structurants. C'est pourquoi nous avons proposé la création d'un grand ministère qui rassemble les directions chargées de l'environnement, de l'eau , des transports et de l'énergie. Vous devez bien mesurer que c'est une révolution dans notre paysage administratif. L'Equipement qui a relevé le défi de la desserte routière de nos campagnes, va demain relever le défi du réchauffement climatique.

Je souhaite aussi une politique plus courageuse qui reconnaisse nos erreurs passées :
L'industrie chimique s'est développée sans contrôle. Elle doit aujourd'hui nous donner des garanties sur l'innocuité des produits qu'elle met sur le marché.
Nous avons demandé aux agriculteurs de toujours produire plus, et donc de toujours utiliser plus de pesticides et d'engrais. Nous devons aujourd'hui les aider à s'orienter vers une agriculture de qualité, raisonnée et de plus en plus biologique.
Il faut avoir le courage de reconnaître qu'investir aujourd'hui dans le « tout routier » n'est pas une garantie d'avenir pour nos villes et nos campagnes. La priorité doit être donnée aux investissements dans les transports en commun, dans le fret ferroviaire et le fer-routage ou encore dans le transport fluvial.
Il faut avoir le courage de dire à nos partenaires européens que les routes françaises n'ont pas vocation à accueillir tous les poids lourds qui évitent la Suisse ou l'Allemagne. Le transport routier, quel qu'il soit, est polluant. Il n'est donc pas normal que seuls les camions Français paient une redevance. Il faut néanmoins mesurer que nous n'avons pas dans l'immédiat d'alternative aux camions pour transporter les marchandises sur de courtes distances. L'autre priorité doit donc être la production de camions peu polluants.

Certains considèrent que la révolution écologique exige de renoncer à la mobilité, de renoncer à la croissance et de renoncer à la consommation.
Il est vrai que la mobilité peut être une source de menaces. Il est également vrai que renoncer à la mobilité revient à se condamner au déclin. Le dernier livre de Jared DIAMOND, "Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie" souligne bien qu'une société qui renonce à la mobilité et aux échanges se condamne. La clé est dans notre capacité  à tenir compte des fragilités de l'environnement.

Renoncer à la mobilité est dangereux et inégalitaire. L'histoire nous montre qu'il n'y a pas de croissance sans développement du transport. L'histoire nous montre qu'il n'y a pas d'avenir sans mobilité des hommes. L'immigration a toujours été un facteur de développement. Renoncer à la mobilité serait profondément inégalitaire. La réalité est simple : plus de 60 % des Français utilisent chaque jour leur voiture pour se rendre à leur travail. Pour la majorité, ce n'est pas un choix. C'est une contrainte qui s'impose à eux. Interdire ou pénaliser la voiture serait une politique profondément inégalitaire qui pénaliserait celles et ceux qui habitent en banlieue ou dans nos campagnes.

Naturellement, il faut se donner les moyens d'un transport propre. Naturellement, il faut se donner les moyens d'une croissance intelligente qui recycle les produits pour moins prélever de ressources naturelles. Et Nicolas Hulot a raison de s'interroger sur l'avenir d'une société qui donne trop de valeur au matérialisme. L'espérance ne se résume pas à la possession d'un patrimoine. Cette réflexion trouve un nouveau sens grâce au développement durable.

Vous comprenez donc que l'enjeu est profondément politique au sens le plus noble du terme. La principale politique, à mes yeux, est aujourd'hui de mobiliser.

Il faut donner plus de voix aux experts. Je souhaite la création d'un Conseil national d'éthique du développement durable.
Il faut donner plus de voix aux jeunes. C'est leur avenir qui est en jeu. Les jeunes se sentent citoyens du monde. Ils ont envie de s'engager pour de grandes causes qui dépassent leur vie quotidienne. Ils ont raison. L'Etat doit porter et encourager le bénévolat et l'engagement civique.
Il faut donner plus de voix à la population. Je souhaite que toutes les grandes politiques d'avenir soient précédées d'un débat public, un vrai débat public.

J'ai lancé une stratégie ministérielle du développement durable au Ministère de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire. Naturellement, ce Ministère doit être exemplaire. Au-delà, je souhaite que sur le terrain il s'organise afin que l'Etat soit au contact de la population, qu'il organise des débats publics ouverts sur tous les sujets, qu'il se mette à la place des habitants et des entreprises pour répondre à leur volonté d'être "écologiques". Cette initiative peut vous surprendre. En réalité, je suis convaincu que c'est dans l'aménagement du territoire et dans notre capacité à stimuler le débat local que nous répondrons aux enjeux du développement durable.
Nous l'avons testé dans les Hauts de Seine. L'engagement du Conseil général pour 5 ans a été construit après que 40 000 personnes et 2000 experts se soient exprimés sur ce qu'ils considéraient prioritaire pour le département. Certains ont eu peur de cette consultation, peur de la profusion de demandes, peur de l'irréalisme des demandes. Vous seriez étonnés de constater combien les réponses étaient marquées de bon sens et de responsabilité. Nos concitoyens ont la vertu d'être pragmatiques et éloignés des idéologies qui ont trop longtemps marqué le débat sur le développement durable.

Ce n'est pas dans le fanatisme écologique que nous relèverons les défis du développement durable. C'est en faisant confiance à l'homme, à sa créativité, à sa capacité d'adaptation, à son réalisme.

Je vous remercie.