Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et l'intégration, au Sénat
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Le projet de loi qui a été voté le 17 mai par l'Assemblée nationale est désormais entre vos mains.
Lors de la convention sur l'immigration de l'UMP le 9 juin 2005, j'avais annoncé une nouvelle politique d'immigration pour la France, rompant avec des décennies de faux-semblants.
Un an plus tard, presque jour pour jour, le texte que je vous présente consacre cette nouvelle politique, autour d'une idée fondamentale : celle de l'immigration choisie.
A ceux qui me déconseillaient de déposer un projet de loi sur l'immigration en raison de la proximité des élections, je réponds que, bien au contraire, dans une démocratie, la responsabilité d'un Gouvernement est de traiter les questions fondamentales qui préoccupent nos compatriotes !
A ceux qui me disaient qu'il ne fallait surtout pas parler d'immigration, je réponds que, dans notre République, il est impératif de débattre afin de mieux agir. Précisément, depuis plusieurs semaines, un débat s'est tenu dans notre pays.
Je mesure, tout d'abord, que le projet de loi répond à une attente profonde des Français.
Oui, la réforme est comprise et acceptée par une grande majorité de Français.
Un sondage paru dans Le Figaro du 10 mai dernier montre que, selon 60% des Français, les règles fixées pour encadrer l'immigration ne sont pas satisfaisantes. 56% des Français de sensibilité de gauche partagent ce point de vue.
C'est une évidence. C'est le bon sens même. Les Français ont parfaitement raison. Qui pourrait dire, aujourd'hui, que la situation de la France est satisfaisante en matière d'immigration ? Personne ne peut le soutenir de bonne foi.
Aurais-je dû me contenter du statu quo depuis 2002 ? C'était la solution de facilité : celle de la politique de l'autruche ! J'ai choisi une toute autre voie. En plein accord avec les Français. La voie du changement profond. Celle de la rupture. Non pour des calculs électoraux comme certains me l'ont reproché. Mais parce qu'il n'y avait pas d'autre solution au regard de l'intérêt national.
Et que proposent les opposants à mon texte ? Rien ! Un vide sidéral ! Le projet du parti socialiste se contente de vouloir abroger la réforme. C'est-à-dire le retour au statu quo. Comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cette absence de propositions est surtout révélatrice du profond malaise de l'opposition face au sujet de l'immigration. Tout comme d'ailleurs l'invraisemblable cacophonie des leaders du parti socialiste concernant les régularisations.
Du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale et qui se poursuit au Sénat, je tire une deuxième grande leçon, qui tient à la méthode de la réforme.
J'ai souhaité, en amont du projet de loi, dialoguer avec des personnalités d'horizons différents. J'ai entendu les propositions qui se sont exprimées, qu'elles viennent du monde universitaire, syndical, associatif, économique, religieux.
Et j'ai souhaité que le Parlement prenne tout le temps nécessaire à un examen approfondi du projet de loi.
A l'Assemblée nationale, nous avons consacré pas moins de 14 séances et 54 heures de débat à la discussion de ce texte. 610 amendements ont été présentés. 189 ont été votés – dont 15, je tiens à le souligner, venaient des bancs de gauche.
En France, aucun sujet n'est plus complexe, plus sensible que l'immigration. C'est l'honneur de notre démocratie que d'avoir su en parler de manière sereine.
Cela prouve que, dans notre pays, la réforme est possible. A deux conditions :
- une condition de fond : la réforme doit avoir un profond soutien des citoyens ; elle doit donc être juste et nécessaire ;
- une condition de méthode : un véritable débat doit avoir lieu, ouvert, sans tabou, sans restriction, en prenant tout le temps nécessaire à l'échange démocratique.
Oui, la réforme est possible dans une démocratie vivante.
J'ajoute que ces dernières semaines m'ont conforté dans une troisième conviction : la réforme de l'immigration passe par le renouveau de nos liens avec l'Afrique.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, j'ai été, comme vous tous, profondément bouleversé par l'image de centaines de migrants africains qui tentent de gagner les îles Canaries dans des conditions effroyables et bien souvent au prix de leur vie.
Comment rendre confiance à la jeunesse d'Afrique et la persuader qu'il existe un avenir pour elle en dehors de l'émigration ?
C'est là, me semble-t-il, l'un des enjeux fondamentaux de notre siècle.
Je n'ai eu de cesse, dans ces dernières semaines, de m'adresser aux Africains pour préciser, à leur endroit, les objectifs de la réforme et lever des malentendus.
J'ai rencontré plusieurs hauts responsables africains, en particulier M. Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie et M. Abdoulaye Wade, président du Sénégal. J'ai reçu, place Beauvau, les ambassadeurs de quinze pays francophones. Nos échanges ont été francs et constructifs. C'est dans cet esprit que je me suis rendu au Bénin et au Mali, à la rencontre des chefs d'Etat et de gouvernement, mais aussi à la rencontre des citoyens de ces pays.
J'ai écouté nos partenaires africains. Je suis convaincu qu'ils attendent de nous un discours franc et responsable sur l'immigration, débarrassé des scories du passé.
Ce discours, je le leur ai tenu, en ami de l'Afrique.
Je leur ai dit que le destin de la France et celui de l'Afrique étaient indissociables.
Je leur ai rappelé que la définition des fondements de la politique française de l'immigration incombait au seul Parlement français.
Mais je leur ai dit, aussi, que la mise en œuvre de cette politique devait impérativement donner lieu à une concertation étroite entre le pays d'origine et le pays de destination, dans l'intérêt partagé des deux partenaires.
L'augmentation des flux migratoires est le reflet d'un monde en pleine transformation. Le nombre de migrants dans le monde est passé de 75 millions en 1965 à plus de 175 millions aujourd'hui. L'Europe est devenue la première terre d'accueil des flux Sud-Nord.
L'immigration s'impose comme un enjeu politique fondamental dans toutes les grandes démocraties européennes. Nos partenaires de l'Union européenne ont tous fait le choix de la réforme.
Le gouvernement travailliste de Tony Blair a réformé à quatre reprises la législation britannique sur l'asile et l'immigration. L'Espagne a changé trois fois sa loi depuis 2000. Une profonde réforme du système allemand, conçue par le gouvernement social-démocrate de M. Schröder, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.
Face à cette réalité, la France pouvait-elle se cantonner dans l'immobilisme, à l'inverse de tous les Etats européens ?
Ma réponse sera directe : non, il n'est pas permis d'attendre !
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le temps est venu d'engager la France, à son tour, dans la voie d'une réforme profonde de sa politique de l'immigration.
Nos compatriotes savent que l'immigration est une chance, pour des raisons économiques et démographiques. Elle constitue un facteur d'ouverture et d'apprentissage de la différence.
Nos difficultés ne proviennent pas de l'immigration en soi mais de la manière dont l'immigration s'est déroulée en France depuis trente ans.
Il faut dire la vérité. Nous n'avons pas connu de véritable politique de l'immigration depuis trente ans.
Oui, depuis trente ans, la France laisse entrer chaque année sur son territoire, à l'aveuglette, plusieurs centaines de milliers de personnes, sans se préoccuper de leur devenir.
Le drame de l'immigration en France, c'est que beaucoup de nouveaux arrivants se trouvent sans logement décent et sans emploi : il manque à notre pays 500 000 logements sociaux. Le taux de chômage des personnes originaires de certaines nationalités atteint 30 à 40% !
Les conséquences de cet état de fait peuvent conduire à de véritables tragédies. Je pense bien sûr aux incendies des 25 et 29 août 2005 à Paris qui ont entraîné la mort de 24 personnes originaires d'Afrique, dont de nombreux enfants, logés dans des squats et des taudis insalubres.
Et que dire des indulgences coupables qui ont trop longtemps conduit à tolérer les pratiques les plus contraires à nos valeurs ? Que dire d'un pays qui compte environ 20 000 familles polygames, ce qui représente environ 120 000 personnes ?
Comment des populations qui n'ont ni travail, ni logement dignes de ce nom, et qui maîtrisent à peine la langue française, pourraient-elles réussir à s'intégrer en France ?
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous ne devons pas nous cacher la vérité.
La Cour des Comptes a parfaitement analysé la gravité de la situation dans son récent rapport sur l'accueil des migrants : "La situation d'une bonne partie des populations issues de l'immigration la plus récente est plus que préoccupante. Outre qu'elle se traduit par des situations souvent indignes, elle est à l'origine directe ou indirecte de tensions sociales ou ethniques graves, lourdes de menaces pour l'avenir."
Après trente ans d'aveuglement et de renoncement devant l'enjeu crucial de l'immigration, il ne faut pas s'étonner de subir des violences dans nos banlieues.
La vérité, c'est que les vingt-sept nuits d'émeutes, que nous avons connues en octobre et novembre, sont directement le produit de la panne de notre système d'intégration !
La vérité, c'est que les petits-enfants des immigrés arrivés dans les années 60 sont Français, mais qu'ils se sentent souvent moins Français que leurs grands-parents, qui pourtant ne l'étaient pas !
Face à cette réalité, les Français ne supportent plus, j'en suis convaincu, les combats idéologiques d'arrière garde, qui n'ont pas de sens.
L'immigration zéro est un mythe dangereux. Il est temps de parler clair : la France n'a pas vocation à être repliée sur elle-même, derrière on ne sait quelle ligne Maginot ! La consanguinité serait synonyme de déclin national.
Mais pas plus que l'intolérance et l'irréalisme des partisans de l'immigration zéro, je n'accepte l'extrémisme des partisans de l'immigration sans limite ! Je ne crois pas que les hommes soient interchangeables, que les frontières soient illégitimes, et que l'on puisse faire table rase de son passé et de sa culture.
A travers l'immigration choisie c'est une troisième voie que je préconise.
Pour la première fois sous la Vème République, un ministre est responsable de l'ensemble des questions de l'immigration. Chargé de coordonner les différentes administrations compétentes dans ce domaine (intérieur, affaires étrangères, affaires sociales), j'ai pu préparer, depuis juin dernier, le texte qui vous est soumis aujourd'hui.
Je n'ai pas la prétention de vous présenter un texte parfait, qui serait à adopter en l'état. Mais j'ai la conviction de vous présenter un texte équilibré.
Ferme à l'endroit de ceux qui ne respecteront pas les règles du jeu. Et juste à l'égard des personnes qui demandent à venir en France en suivant les règles d'admission que nous fixons.
En mai 2002, la situation que j'ai trouvée en arrivant au ministère de l'intérieur était dramatique.
Les flux d'immigration régulière s'étaient accrus d'un tiers en cinq ans : 120 000 en 1997 à 160 000 en 2002.
Les demandes d'asile avaient quadruplé: de 20 000 en 1997 à 82 000 en 2002. La zone d'attente de Roissy débordait de tous les côtés. Le hangar de Sangatte se présentait, dans toute l'Europe, dans le monde entier, comme le symbole honteux du chaos migratoire français. Et aucun ministre de l'intérieur n'avait jugé utile de s'y rendre !
En quatre ans, un travail considérable de remise en ordre a été accompli.
En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l'immigration irrégulière.
Je rappellerai seulement que le nombre des reconduites à la frontière exécutées a doublé en trois ans : de 10 000 en 2002 à 20 000 en 2005 grâce à l'allongement de la durée de la rétention administrative et aux efforts des préfets sur la base d'objectifs chiffrés qui leur ont été assignés.
De même, la généralisation des "visas biométriques", fin 2007, en application de la loi de 2003, va représenter une étape décisive dans la lutte contre l'immigration clandestine en permettant d'identifier à coup sûr les personnes interpellées pour les reconduire à la frontière.
Autre résultat encourageant : le flux global de l'immigration régulière est stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors ressortissants communautaires, a même légèrement baissé en 2005, pour atteindre 164 234 titres (- 2%).
J'ajoute que la réforme du droit d'asile, que vous avez votée avec la loi du 10 décembre 2003, a eu des effets très positifs. Nous continuons à accueillir des réfugiés mais nous décourageons les personnes qui ne demandent l'asile qu'à des fins dilatoires. Ainsi, les délais d'examen des dossiers sont passés de plus de deux ans en 2002 à huit mois aujourd'hui. Par conséquent, le nombre total des demandeurs a chuté : 82 000 en 2002, 65 000 en 2004, 60 000 en 2005. Il continue à diminuer fortement en 2006.
Mais je n'affiche aucun triomphalisme.
Malgré les progrès accomplis, la situation de l'immigration en France est loin d'être satisfaisante.
Les flux restent à un niveau élevé. Ils sont, surtout, très déséquilibrés.
L'immigration "pour motif familial" occupe une place très importante dans les flux migratoires : près de la moitié des cartes de séjour sont délivrées à ce titre (82 000 en 2005). Trop souvent, le motif familial recouvre une régularisation déguisée.
Je ne remets bien sûr pas en cause le droit d'un père à faire venir sa famille en France. Cependant, la vie de famille d'un étranger en France ne se conçoit que si certaines conditions de ressources et de logement sont réunies.
L'accueil de familles en l'absence de ressources et d'un logement adapté conduit à des situations ingérables de détresse et d'exclusion. Aujourd'hui en France, la réglementation permet de faire venir une famille de sept personnes dans un appartement de 61 mètres carrés!
La réforme que je vous propose met fin à de telles incongruités, dans l'intérêt de la cohésion sociale et dans celui des familles.
En parallèle, l'immigration pour motif de travail reste à un niveau marginal: 11 500 cartes de séjour délivrées à ce titre en 2005.
Ce qui signifie que, aujourd'hui, nous ne sommes pas capables d'accueillir en France des migrants qui contribuent à la croissance et qui ont toutes les chances de s'intégrer puisqu'ils disposent d'un emploi.
Cette nouvelle politique s'inspire de quelques exemples étrangers.
Au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, des idées innovantes ont été expérimentées et mises en œuvre. J'ai souhaité en tenir compte. Non pas pour copier tel ou tel système étranger, mais pour retenir les idées qui me semblent pouvoir être adaptées à notre pays. L'histoire et la géographie ont façonné notre rapport à l'immigration. Nous ne sommes pas un Etat-continent comme le Canada, ni une île comme l'Angleterre. Nous sommes un Etat méditerranéen, qui a des liens particuliers avec l'Afrique et qui regarde au loin, vers l'outre-mer et les terres francophones.
Il ne s'agit donc pas pour nous de transposer en France un exemple étranger, mais de définir, ensemble, un nouveau modèle français de l'immigration.
Je vous propose de définir ce modèle en partant de trois principes fondamentaux :
• l'immigration choisie,
• l'affirmation d'un lien entre l'intégration et l'immigration,
• le co-développement.
Je sais que cette expression, parfois caricaturée, a suscité quelques polémiques.
J'y répondrai d'abord par une question: la France peut-elle rester longtemps le seul pays au monde qui n'aurait pas le droit de décider qui s'installe sur son territoire et dans quelles conditions ?
Dans mon esprit, l'immigration choisie, c'est une immigration régulée, organisée, assumée, en tenant compte des capacités d'accueil de la France et des intérêts des pays d'origine.
Mon intention est de bâtir une nouvelle politique par laquelle l'arrivée des migrants en France sera voulue, acceptée, préparée par les autorités de l'Etat :
• soit parce que le migrant aura fait valoir son droit à venir s'installer en France pour des raisons familiales ;
• soit parce que le Gouvernement aura souhaité la venue d'un étranger – étudiant ou professionnel – en raison de sa compétence, de son talent, de sa motivation.
L'immigration choisie, c'est donc, d'abord, la possibilité, pour l'Etat, de se fixer des objectifs quantifiés d'immigration, pour déterminer la composition des flux migratoires, préalable à l'intégration des migrants à la société française.
C'est le deuxième principe de cette réforme : l'affirmation d'un lien étroit entre l'intégration et l'immigration.
Depuis des décennies, des experts nous répètent que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées pour ne pas "stigmatiser" les nouveaux arrivants.
En proposant pour la première fois un projet de loi qui associe l'immigration et l'intégration, j'ai décidé de briser ce tabou.
Ma philosophie est simple : pour moi, il ne fait aucun doute que l'immigration et l'intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués.
Là aussi, je pose une question simple : comment peut-on espérer s'intégrer en France sans parler un mot de français ? Comment trouver un travail, organiser une vie sociale, élever ses enfants ? C'est impossible, bien entendu !
Désormais, pour obtenir un droit au séjour durable, il faudra manifester sa volonté de s'intégrer, en faisant l'effort nécessaire pour apprendre notre langue.
Il faudra aussi, c'est bien le moins, s'engager à respecter les lois et les valeurs de la République.
Et il faudra respecter cet engagement.
Les étrangers ont des droits. Ils ont aussi des devoirs.
Le premier de ces devoirs est d'aimer le pays qui les accueille, et de respecter ses valeurs et ses lois.
Pour choisir l'immigration, pour réussir l'intégration, la France doit construire de véritables partenariats avec les pays d'origine.
Je réfute totalement l'idée selon laquelle l'immigration choisie serait synonyme de "fuite des cerveaux".
Aujourd'hui, les migrants les plus compétents, les plus talentueux, partent vers le continent américain tandis que les moins formés sont accueillis en Europe. D'après la Commission européenne : "54% des immigrés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, titulaires d'un diplôme universitaire, résident au Canada et aux Etats-Unis, tandis que 87% de ceux qui n'ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se trouvent en Europe".
Je ne me résous pas à cette situation.
La France a longtemps entretenu une tradition d'accueil des élites des pays du Sud. Je souhaite renouer avec cette tradition, fondée sur le dialogue et l'intérêt mutuel entre le pays d'origine et le pays d'accueil.
Je vous propose donc de faciliter la venue en France d'étudiants et de personnalités (artistes, intellectuels, sportifs, créateurs d'emplois…) qui pourront apporter à notre pays leurs talents et acquérir, en retour, une expérience utile à leur pays d'origine.
Cette politique devra bien entendu tenir compte de la situation des pays d'origine.
Accueillir en France quelques ingénieurs chinois ou informaticiens indiens ne va certainement pas ralentir la croissance phénoménale de ces deux pays, les plus peuplés de la planète.
En revanche, je suis résolument hostile, par exemple, à toute forme d'immigration définitive des médecins et professionnels médicaux des pays d'Afrique, qui ont tant besoin d'eux.
Selon un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé, "l'Afrique supporte 24% du fardeau des maladies et ne possède désormais plus que 3% du personnel sanitaire".
L'honneur de notre pays, c'est de lutter contre ce pillage scandaleux et de participer à la formation de médecins africains.
Tel est mon objectif : contribuer à former les élites des pays en développement, dans la perspective d'un retour.
L'avenir est aux migrations de mobilité, qui permettront aux migrants d'acquérir en France une formation, une expérience professionnelle, et de la mettre ensuite au service du développement de leur pays d'origine.
J'ai donc l'intention de placer au cœur de mon action une grande politique de co-développement, pragmatique et ambitieuse, qui permettra de fournir aux jeunes des régions les plus démunies une alternative à l'émigration, et de contribuer ainsi à la modernisation et au décollage économique de leur pays. A la suite de plusieurs contacts avec le président Wade, je lancerai prochainement une expérience pilote avec le Sénégal.
Je veux souligner que nous avons été très attentifs à ce que, comme c'est le devoir de tout Républicain, le projet de loi respecte les exigences constitutionnelles. Tel qu'il a été soumis à l'Assemblée nationale, le projet de loi est celui qui a été approuvé par l'assemblée générale du Conseil d'Etat. C'est une garantie.
Il poursuit cinq objectifs.
De nouveaux instruments nous permettront de mieux réguler les flux migratoires.
Pour y voir clair, il faut d'abord prévoir. C'est pourquoi, dorénavant, le Gouvernement définira chaque année, dans un rapport au Parlement, des objectifs chiffrés sur le nombre des migrants que la France souhaite accueillir, en distinguant les grandes catégories de titres de séjour, par motifs : travail, études, séjour familial.
La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel ne nous permet pas d'inscrire expressément dans la loi que le rapport au Parlement comprendra de tels objectifs, dès lors qu'ils ne sont pas normatifs mais seulement prévisionnels. Aussi, au nom du Gouvernement, je prends devant vous un engagement solennel : le prochain rapport au Parlement comprendra pour la première fois ces objectifs quantitatifs prévisionnels définis en fonction des capacités d'accueil de notre pays et de ses besoins.
Dans le même esprit, le projet de loi affirme que la délivrance d'un visa de long séjour, par un consulat, devient la condition préalable à l'immigration en France. C'est un principe fondamental : sans visa de long séjour délivré par un consul, il ne peut y avoir, sauf exception, de carte de séjour délivrée par un préfet.
C'est au pouvoir politique, au Gouvernement, au législateur, de définir dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie privée et familiale !
Je vous invite donc à réformer les règles du rapprochement familial, au service d'un objectif précis : s'assurer que toutes les conditions sont réunies pour que la famille puisse s'intégrer dans notre société.
Cette réforme s'applique d'abord à la procédure du regroupement familial. Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins 18 mois et non plus un an, durée indispensable pour préparer l'arrivée de son conjoint et de ses enfants. Il devra aussi être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail et non des prestations sociales.
Mais cette réforme du regroupement familial n'aurait pas de sens si, dans le même temps, nous ne changions pas les autres voies d'immigration familiale.
Les conditions de délivrance des cartes de séjour pour motifs de "vie privée et familiale" seront donc précisées. L'étranger présent dans notre pays devra justifier de l'ancienneté, la stabilité et l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France ainsi que de son insertion dans notre société.
De même, je vous propose de mieux lutter contre les mariages de complaisance, dont le seul objet est de procurer un titre de séjour et, à terme, la nationalité, au conjoint d'un Français.
Ce n'est pas une vue de l'esprit. Le mois dernier, nous avons interpellé 47 personnes appartenant à une filière d'organisation de mariages de complaisance à Montpellier. Pour mettre en relation des ressortissants nord-africains avec des Françaises en situation précaire, les entremetteuses percevaient 9 000 euros versés par le client étranger. C'est donc le prix d'un mariage de complaisance. C'est le prix d'achat d'une épouse française qui donnera droit automatiquement à une carte de séjour et, quelques années plus tard, à la nationalité française. Il est temps d'en finir avec ces automatismes destructeurs !
Trois mesures principales nous permettront de le faire :
• l'étranger qui n'a qu'un visa de tourisme ou qui est en situation irrégulière pourra toujours se marier avec un Français, mais ce mariage ne lui donnera pas automatiquement droit à vivre en France : avant d'obtenir une carte de séjour, il devra obtenir un visa de long séjour, délivré par le consul dans son pays d'origine ;
• ce n'est qu'après trois ans de vie commune, et s'il fait la preuve de son intégration, que le conjoint de Français pourra obtenir une carte de résident de dix ans ;
• enfin, la durée de vie commune requise avant de devenir Français est portée à quatre ans.
Dans le même esprit, pour mieux lutter contre les détournements des allocations familiales, dans l'intérêt des enfants, les députés ont souhaité, à l'unanimité, prévoir la mise sous tutelle des allocations versées à des familles dont le père vit en état de polygamie.
Ce ne sont que des mesures de bon sens !
Je propose, d'abord, la création d'une carte de séjour "compétences et talents", d'une durée de trois ans. Elle sera délivrée à des personnes dont la présence est une chance pour la France sans être vitale pour leur pays d'origine.
Il est nécessaire, ensuite, de faciliter l'accueil en France des étudiants, en leur donnant la possibilité d'acquérir une première expérience professionnelle dans la perspective du développement de leurs pays d'origine.
Il me paraît impératif, enfin, d'assouplir les conditions de recrutement à l'étranger, dans des secteurs et des bassins d'emploi qui souffrent de pénuries de main d'œuvre, comme l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment. Les organisations professionnelles et les syndicats devront être associés à la définition et à la mise en œuvre du nouveau dispositif.
Il s'agit de définir, de manière cohérente et progressive, un vrai parcours d'intégration, de l'arrivée en France jusqu'à l'installation durable.
Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration doit être rendue obligatoire pour toutes les personnes qui entrent en France légalement afin d'immigrer de manière durable.
Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. L'étranger prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille: apprendre la langue française, respecter les lois et les valeurs de la République. En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'Etat à l'égard de l'étranger : formation linguistique et civique, première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française.
Lorsque l'étranger demandera, après plusieurs années en France, à bénéficier d'une carte de résident de 10 ans, il devra prouver qu'il s'est bien intégré. Cette "condition d'intégration", vérifiée par les préfets après avis des maires, comprendra trois éléments : l'engagement personnel de l'étranger à respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de notre langue.
Le parcours d'intégration comprendra donc plusieurs rendez-vous : le contrat d'accueil et d'intégration à l'arrivée en France, et la vérification de l'intégration effective avant la délivrance de la carte de 10 ans.
La généralisation des cérémonies d'accès à la citoyenneté, pour accueillir les nouveaux Français, s'inscrit dans la même logique. C'est un progrès symbolique important, en faveur de l'intégration.
A situation particulière, réponse particulière ! L'explosion de l'immigration clandestine à Mayotte, mais aussi en Guyane, en Guadeloupe et, dans une certaine mesure, en Martinique, compromet l'équilibre de ces territoires. Tout en respectant l'unité de la République, je suis convaincu que la situation dramatique de l'immigration dans ces collectivités appelle une réponse très vigoureuse. Je laisse, le ministre de l'outre-mer, François Baroin, vous présenter cet important volet de la réforme.
Je me réjouis que des amendements équilibrés, à l'Assemblée nationale, aient d'ores et déjà permis de renforcer les droits des étrangers.
Je pense à l'allongement du délai de recours contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français, qui a été porté à un mois alors que le projet initial prévoyait 15 jours. De même, la carte de séjour délivrée aux salariés ne leur sera pas retirée en cas de rupture du contrat de travail. Nous avons, dans le même esprit, veillé à protéger les femmes victimes de violences et les mères contre des retraits de titres de séjour qui ne seraient pas équitables. Je me réjouis, aussi, qu'un amendement ait permis de régler définitivement quelques dossiers restés en suspens pour l'application de la réforme de la "double peine".
Je suis ouvert aux propositions que le Sénat fera, à son tour, dans un esprit d'équité, grâce au travail approfondi conduit par la commission et votre rapporteur François-Noël Buffet.
Le débat parlementaire est également l'occasion de préciser la question, très délicate, des régularisations.
Je refuse, avec la plus grande fermeté, les opérations de régularisations globales d'étrangers sans papiers, telles que les gouvernements socialistes les ont pratiquées en 1981, 1990 et 1997. Ces opérations sont très dangereuses, car elles ont un effet d'appel d'air. Le migrant régularisé fait venir sa famille. Il indique à ses amis, dans son village, que l'émigration vers la France est possible. Des filières se créent. Et, dans les pays d'origine, le signal est bien reçu : la frontière est ouverte !
Les Espagnols le savent bien, qui ont régularisé 570 000 clandestins au premier semestre 2005. Cela ne fait qu'encourager les milliers de malheureux migrants africains qui traversent le Sahara dans l'espoir d'obtenir des papiers en Espagne, avant de se heurter aux barbelés de Ceuta et Mellila.
Les Italiens le savent, eux aussi, qui régularisent tous les deux ou trois ans des centaines de milliers de personnes. Mais il en entre toujours plus. Et il faut donc régulariser encore davantage… Le nouveau Gouvernement italien vient d'ailleurs d'annoncer une nouvelle régularisation de 500 000 clandestins !
Je déplore ces pratiques qui ne règlent rien et ne font qu'amplifier les problèmes.
Refusant les régularisations globales, je suis tout aussi hostile aux régularisations automatiques.
Je veux sortir des logiques d'automaticité, qui constituent un évident facteur d'appel d'air et un encouragement à la clandestinité. C'est pourquoi j'ai proposé d'abroger le système des régularisations automatiques après 10 ans de séjour illégal.
Je suis convaincu, cependant, que la prise en compte de certaines situations humanitaires est absolument nécessaire !
C'est pourquoi, conformément à un amendement présenté par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, le texte consacre la possibilité, pour le préfet, de délivrer une carte de séjour à titre exceptionnel.
Une Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour, comprenant des fonctionnaires et des responsables associatifs, est créée.
La nouvelle instance pourra être saisie, pour avis, par le ministre de l'intérieur, sur des dossiers individuels, lorsque le ministre est lui-même saisi d'un recours hiérarchique.
J'ai souhaité qu'elle soit, en outre, saisie du cas des étrangers présents illégalement en France depuis plus de dix ans : ces personnes auront droit ce que leur dossier soit examiné par la Commission.
La Commission, de plus, donnera un avis sur les critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Ce faisant, elle permettra d'harmoniser les pratiques préfectorales.
C'est dans cet esprit que j'aborde la question posée par la présence, dans notre pays, de familles d'étrangers en situation irrégulière dont les enfants sont scolarisés.
Cette question difficile appelle une réponse équilibrée.
Je tiens, à cet égard, à indiquer de manière solennelle, devant la Haute Assemblée, que nous devons prendre garde à ne pas encourager des filières d'immigration illégale. Il serait irresponsable d'être le seul pays au monde où la scolarisation d'un enfant, sans autre critère, donnerait automatiquement, aux parents, un droit au séjour. Il suffirait alors d'entrer en France illégalement et d'y scolariser un enfant le lendemain pour avoir droit à un titre de séjour ! Je refuse une telle automaticité.
Mais dans le même temps, le devoir d'humanité nous impose de prendre en compte des situations qui ne permettent pas d'envisager un retour forcé vers le pays d'origine.
A l'automne dernier, j'avais demandé aux préfets de ne pas éloigner, durant l'année scolaire, les étrangers ayant un enfant scolarisé.
Alors que les vacances scolaires approchent, j'ai donné aux préfets deux séries d'instructions.
D'abord, je leur ai demandé de proposer systématiquement à ces familles, au cours du mois de juin, une aide au retour volontaire. Il est nécessaire que, de manière personnalisée, chacune de ces familles dispose de toute l'information utile pour choisir de retourner dans son pays d'origine, si elle le souhaite, lorsque l'année scolaire sera achevée. Le "pécule" proposé n'est pas négligeable (3 500 euros pour un couple, auxquels s'ajoutent 1 000 euros par enfant). Certaines de ces familles choisiront de regagner leur pays au bénéfice de cette aide.
J'ai donné aux préfets une seconde instruction : envisager l'admission exceptionnelle au séjour de certaines de ces familles, au regard de critères d'ordre humanitaire.
Lorsqu'un enfant étranger est né en France ou qu'il y est arrivé en très bas âge, qu'il est scolarisé en France, qu'il ne parle pas la langue de son pays d'origine, qu'il n'a aucun lien avec ce pays, il serait très cruel de l'y reconduire de force ! Car ce pays d'origine, en réalité, n'est pas le sien. Les attaches de cet enfant sont en France et son départ serait vécu comme une véritable expatriation, un déracinement.
Par conséquent, je demande aux préfets d'être très attentifs à la situation des parents de ces enfants. L'admission exceptionnelle au séjour doit alors être envisagée, au cas par cas. La Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour aidera les préfets dans cette démarche nécessaire.
Il me paraît important, enfin, que les débats de la Haute Assemblée nous permettent de disposer de nouveaux outils de co-développement.
Je fais pleinement confiance au Sénat pour être, sur ce sujet essentiel, aussi imaginatif que constructif.
Le système de la carte "compétences et talents" peut être amélioré, de manière pragmatique. Je ne verrai que des avantages à ce que cette carte ne soit délivrée aux ressortissants des pays en voie de développement que dans le cadre d'un accord de partenariat entre la France et le pays d'origine.
Je crois, de même, que le moment est venu de mieux mobiliser l'épargne des migrants à des fins d'investissement. C'est l'une des clés du co-développement. Aujourd'hui les transferts de fonds des migrants sont utilisés à 80% à des fins de consommation. Comment transformer cette épargne pour la diriger vers l'investissement productif ? Il faut envisager la mise en place de produits financiers spécifiques en faveur de l'investissement des migrants dans leur pays d'origine, bénéficiant d'un régime fiscal privilégié.
Je fais confiance au Sénat pour apporter une contribution décisive à la mise en œuvre de cette idée ambitieuse.
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Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs ,
Le débat qui se poursuit au Sénat sera déterminant pour façonner le visage que la France aura dans les 30 ans qui viennent. Car le moment est venu d'assumer, sans tabou, un véritable choix de société.
Je vous propose un chemin ambitieux et exigeant.
Je vous propose de définir un nouveau modèle, celui de l'immigration choisie, pour réussir l'intégration et renforcer la cohésion de notre pays.