Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de sa rencontre avec les élus et des socio-professionnels de Corse au Palais des Congrès à Ajaccio
Bonjour à tous
j'ai tenu à cette rencontre parce que dans mon esprit elle marque un tournant. Nous arrivons à la fin d'une législature, au cours de laquelle la Corse a été un sujet d'attention soutenue. Je suis loin de penser que tous les problèmes ont été réglés, mais nous avons abordé et traité ensemble beaucoup de questions. C'est le moment de nous retourner sur ce qui a été fait pour mieux envisager la suite.
Quel a été le moteur de cette action, depuis juillet 2002 ? Une conviction forte, et je crois de plus en plus largement partagée. La conviction que la Corse allait trouver son chemin vers le développement ; et que le rôle de l'Etat était de l'aider sans se substituer à elle.
Je ne vais pas entonner la litanie traditionnelle des handicaps, mais il reste évident que la géographie, l'insularité, la montagne peuvent être autant des écueils que des atouts. Et il est évident aussi qu'un fossé s'est creusé avec la France continentale après les années 60. Pour les corses de la diaspora, il était normal de partir, de réussir, et de revenir pour les vacances. Pour les corses d'ici, c'était une tout autre affaire. Faire des études supérieures et trouver sa voie ici, en Corse, était devenu aux yeux de tous une totale utopie.
Pour ma part, je n'ai jamais considéré ce projet comme une utopie, mais plutôt comme un défi. Un défi d'autant plus compliqué à relever, que les corses eux mêmes sont autant rebelles que fatalistes, et qu'ils ont souvent revendiqué la désolation. Mais j'ai toujours pensé et je pense encore que la Corse n'est pas condamnée à la désertification de ses montagnes, au ravage de son environnement, à l'exil de ses jeunes. Et j'ai toujours pensé aussi que la seule façon de faire partager cette conviction était d'agir sur la réalité.
En 2002, j'ai rencontré en venant ici beaucoup d'espoir, un espoir que j'ai voulu accompagner. On venait de transférer massivement des compétences à la Corse, à l'issue des accords de Matignon. Mais on ne s'était pas toujours inquiété des problèmes récurrents depuis des décennies, et qui pouvaient compromettre totalement cette autonomie nouvelle. J'ai voulu m'attaquer à ces problèmes, même si on m'a souvent fait remarquer que ce n'était pas raisonnable. J'ai aujourd'hui le sentiment sincère d'avoir avancé sur ce chemin avec vous.
Nous n'avons pas depuis quatre ans et demi réglé tous les problèmes de la Corse, j'en conviens tout à fait. Mais ma satisfaction et surtout mon espoir, c'est que nous avons pu en régler plusieurs, et de très importants. Des problèmes dont tout le monde me disait qu'il ne fallait même pas les nommer, parfois. Tellement ils étaient sensibles! Et nous avons pu les régler sans que la Corse ne cède un pouce de son identité, bien au contraire. Ce ne sont pas des mots, mais des faits.
En témoignent à mes yeux plusieurs réalisations importantes :la mise en place – réussie- d'un plan régional de prévention des incendies ; le désendettement bancaire des agriculteurs, l'amorce de leur désendettement social ; le plan de relance de l'agriculture; le démarrage du programme exceptionnel d'investissement; l' augmentation du taux plafond des subventions d'investissement aux collectivités ; l'obtention à Bruxelles d'une sortie progressive de la zone franche, et de l'extension du crédit d'impôt pour investissement ; la sortie de l'université de Corte des normes San Remo ; la création d'un pôle de compétitivité sur les énergies renouvelables ;
Tous ces projets ont été des réponses à vos questions et à vos suggestions. J'ai préféré suivre cette méthode, consistant à venir régulièrement pour écouter, constater, et entreprendre, plutôt que de concocter à Paris une grande loi sur la Corse et de laisser sa réalisation à d'autres. Mais au total le bilan ne me paraît pas négligeable.
Et surtout, ce bilan montre que tout- ou presque -est possible si la confiance est là. Je le dis devant les professions agricoles, je le dis devant le président de l'université de Corse. Nous revenons de loin ensemble, vous le savez. Le dialogue a été parfois rugueux, mais chacun de nous a eu confiance en l'autre et nous avons avancé.
Alors la confiance bien sûr ne se décrète pas ; mais moi je continue d'avoir confiance en la Corse. Je ne vous ai pas oubliés malgré le foisonnement de l'actualité, et je peux le prouver très simplement. D'abord par quelques bonnes nouvelles budgétaires, que nous devons garder en tête parce qu'elles n'allaient pas de soi, et qu'elles vont permettre de grands progrès ; et puis par la poursuite des projets concrets
Les chiffres d'abord. A la demande du président Ange Santini, j'ai fait étudier de manière approfondie les perspectives financières de la collectivité territoriale de Corse, et cela notamment parce qu'elle cofinance de façon soutenue les opérations du programme exceptionnel d'investissement. La perspective budgétaire allait donc sérieusement s'assombrir à partir de 2008, malgré les transferts de ressources déjà effectués. J'ai demandé et obtenu à la fin du mois de novembre dernier que la collectivité de Corse puisse retrouver des marges de manœuvre financière. La Corse sera donc dotée- à titre permanent, j'insiste, car dans le contexte budgétaire qui est le nôtre c'est très important – de 14 millions d'euros supplémentaires pour 2007, reconductibles chaque année, libres d'emploi pour la collectivité.
Pour continuer sur les perspectives du programme exceptionnel d'investissement, qui nous amène jusqu'en 2017, j'ai également obtenu, il y a quinze jours du premier ministre qu'un mandat de négociation soit donné au préfet de Corse pour une nouvelle convention cadre de sept années, et pour un montant de travaux qui va s'élever à 1,02 milliard d'euros. J'ai un souvenir très précis de la signature ici même en juillet 2002de la première convention cadre du "PEI". Tout le monde n'y croyait pas. J'ai aussi entendu les critiques de certains devant la lenteur des réalisations. Mais il faut bien reconnaître le succès du programme exceptionnel d'investissement, dont la programmation sur quatre ans a même un peu dépassé les 481,6 millions d'euros prévus.
Enfin, sur les autres programmations, je rappelle aussi que 30 millions d'euros de fonds structurels européens supplémentaires ont été accordés à la demande du gouvernement français, à la Corse pour la période de sortie de l'objectif n°1, ce qui lui a permis de conserver son niveau de FEDER, et d'avoir la perspective de 250 millions d'euros sur la période de sept ans à venir.
Et je terminerai par la discussion à venir du contrat de plan Etat région, pour lequel l'Etat propose, aujourd'hui, une enveloppe de 132 millions d'euros, accompagnés d'un dispositif contractuel unique sur le logement social et l'accession sociale à la propriété qui portera sur 18 millions d'euros. Soit un total de 140 millions d'euros, et je considère que la collectivité de Corse ne s'en sort pas si mal, si on considère que l'offre de départ faite par l'Etat était de 86 millions d'euros au début des négociations, au mois de juillet 2006. Je suis même sûr qu'aucune autre région n'est parvenue à une telle progression.
Aucune de ces décisions n'a été facile à obtenir, mais aujourd'hui elles sont toutes là. Et ces décisions ne constituent en rien des cadeaux, pour faire plaisir. En face de chaque crédit nouveau, est inscrit un projet. Et lorsqu'on me fait remarquer à Paris, si souvent, que la dépense publique par habitant en Corse est trois fois plus importante que dans la France entière après toutes ces décisions, ma réponse est simple : ces crédits correspondent à des projets qui vont permettre un décollage de la Corse, dans les années à venir, et c'est cela qui est important.
Il revient maintenant à vous, élus, à vous acteurs de l'économie, de la société, d'orchestrer l'avenir de la Corse avec cet appui financier. Quelles sont les priorités ? Cette question vaut naturellement pour la négociation du programme exceptionnel d'investissement, car on ne dépense plus en 2007 comme en 2002. On peut considérer par exemple, que tout ne doit pas aller en priorité aux routes. Mais qu'on peut aussi penser – et je sais que les élus de la collectivité y pensent - au sport, à la culture, à l'environnement. On va continuer de faire des routes, du chemin de fer, on va rattraper le retard pour l'eau, pour l'assainissement, pour l'élimination des déchets, parce que c'est indispensable. Mais le programme exceptionnel d'investissement doit aussi légitimement ouvrir l'accès à des stades, des piscines, des musées, des cinémas, des théâtres. Certainement pour favoriser le tourisme, notamment le tourisme que l 'on dit "vert", parce que le tourisme c'est très bien et c'est même essentiel pour votre économie. Mais aussi parce qu'il faut qu'on vive bien ici toute l'année. Il faut que des emplois se créent dans tous les secteurs possibles. Car il est vrai que globalement l'économie de la Corse va mieux, mais il est vrai aussi que la précarité est devenue, ici aussi un vrai sujet. Or, ici plus qu'ailleurs ce phénomène est difficile à supporter car on ne vit pas dans une société de masse, anonyme, et que la pauvreté choque l'esprit. C'est bien de ne pas le supporter, ce qu'il faut, c'est trouver tous les moyens de la résorber. Il faut donc, dans tous ces projets qui vont être aidés par les programmations à venir, et qui sont une chance à saisir, donner une priorité aux créations d'emplois.
Et c'est pour cela que je voudrais insister sur la poursuite des projets à venir. Ces projets doivent à la fois protéger la Corse et la faire avancer.
Je voudrais insister devant vous sur un projet très important. Il s'agit de la création d' un groupement d'intérêt public pour reconstituer les titres de propriété en Corse. Un projet qui va réunir l'Etat, la collectivité territoriale, les associations de maires, les notaires, et toutes les autres professions du droit concernées
Je m'exprime devant des spécialistes du sujet :Alain Spadoni, président du conseil régional de l' ordre des notaires, et André Valat, ancien président de la chambre régionale des comptes. Cela fait des années, voire des décennies que Alain Spadoni mène ce combat pour la reconstitution des titres, et il a été rejoint par André Valat. Je ne veux pas rivaliser de technique juridique avec eux sur le sujet mais je souhaite faire quelques mises au point sur ce projet.
Ce problème des titres de propriété est ancestral, une commission présidée par le garde des sceaux Badinter l'a étudié à fond en 1999, alors pourquoi le traiter aujourd'hui?Pourquoi ne plus attendre?C'est simple.
Lorsque j'étais ministre de l'économie et des finances, au printemps 2004, on m'a parlé des travaux entrepris par les notaires en Corse avec mes prédécesseurs. Les services fiscaux ne voulaient pas croire qu'il existait des problèmes particuliers à la Corse, du moins pas à ce point. Ils estimaient que depuis la loi de finances pour 1999, qui avait supprimé le principe de l' arrêté Miot, soit l'absence de sanction de non déclaration des successions, on devrait entrer progressivement, ici comme ailleurs dans le droit commun fiscal. Encore une fois j'ai du démontrer que la situation corse était particulière, et je les ai envoyés en mission sur place, avec l'inspecteur général des finances Hirel, excellent connaisseur de la Corse. Et ils ont découvert la réalité du terrain. D'où un rapport de mission, que j'ai demandé et qui m' a été présenté à l'été 2004, préconisant un traitement spécifique pour la Corse, c'est à dire la création d'une administration de mission pour reconstituer les titres de propriété.
Car en effet, la loi du 22 janvier 2002, dont je ne suis pas l'auteur, prévoit de caler l'application du droit commun des successions sur le droit commun à partir d'une reconstitution parallèle des titres de propriété. Or cinq ans se sont écoulés depuis et que s'est-il passé ?Rien, ou presque rien du côté des titres. Techniquement, on n'y arrive pas On est donc en décalage entre le fiscal et le juridique, puis qu'on veut commencer à appliquer des droits à des successions que l'on n'arrive pas à régler. Cela n'est pas normal.
Alors en quoi la création d'une structure chargée de la reconstitution des titres va-t-elle être un progrès ?J'entends dire que l'on s'inquiète parce que cette structure serait un moyen de pression sur les corses pour vendre leurs biens. Il n'en est rien, bien entendu.
Notre objectif est la protection du patrimoine des corses. L'absence de titres est la source de problèmes graves pour la Corse et qui vont aller en empirant. Je voudrais insister sur ce point, l'absence de titre n'est pas une protection. Elle a pu l'être tant que la désertification rurale n'avait pas fait son œuvre. Elle pouvait se justifier lorsque l'appartenance à une famille, à une communauté de village, étaient des remparts suffisants. C'était le temps où l'on pouvait penser que l'absence de titres de propriété était une marque de solidarité collective et aussi disons le, une protection contre les intrus. Et je mesure bien ici la force de ces deux valeurs : solidarité collective, et protection contre les intrus. L'intrus étant d'ailleurs souvent simplement l'étranger au village, tout simplement. Mais aujourd'hui il nous faut raisonner autrement : l'absence de titres est devenue un danger pour la survie même de certains biens. Et de façon générale, elle est devenue un frein à la possession normale des biens.
Je précise tout de suite que la reconstitution des titres n'oblige en rien à la vente, ni même à sortir de l'indivision. . Lorsque je vois que l'on a soupçonné ce projet de favoriser la vente des biens des corses, je me dis qu'il y a un vrai malentendu. Restaurer des titres de propriété, c'est redonner aux corses un droit qui est d'ailleurs constitutionnel, inaliénable. Mais il faut donner aux corses les moyens de transmettre normalement un patrimoine, à leurs familles, et aussi leur donner accès pour cela aux donations partage, qui sont le meilleur moyen de garder un patrimoine dans une famille, et qu'on n'utilise pas faute de titres ! Le groupement d'intérêt public, crée par la loi de juin 2006 sur les successions, à ma demande, permettra de reconstituer matériellement les titres avec l'aide des notaires, des géomètres, des généalogistes, grâce à la prise en charge de cette opération par l'Etat et par la collectivité territoriale. Une convention sera bientôt présentée par le préfet de Corse, à cet effet, à l'exécutif de la collectivité.
Et je profite de ce sujet pour élargir encore mon propos. Il faut que les corses réalisent qu'ils peuvent se donner tous les moyens de faire vivre leur île tout en la protégeant. Il ne faut pas croire que c'est le non dit et la violence qui le feront. La violence ne protège pas, elle paralyse. Elle n' empêche pas une modernisation sauvage de la Corse. Elle stérilise l'activité. Et ce seront des règles claires, dites et écrites, qui protègeront la Corse, pas le silence. Il doit être dit, par exemple, que la loi littoral protège effectivement la Corse, et que c'est tant mieux. Mais aussi que chaque commune doit se doter des documents d'urbanisme qui protègeront son territoire, car un plan d'urbanisme n'est pas fait pour autoriser des lotissements, mais au contraire pour dire précisément ce qui peut être fait et comment, et ce qui ne peut pas être fait. Je voudrais que l'on cesse de faire comme si l'Etat avait l'arrière pensée de laisser dégrader l'environnement de la Corse, alors que là aussi c'est tout le contraire. L'Etat doit être le garant de la protection de l'environnement, sur proposition des élus locaux qui évidemment doivent prendre leurs responsabilités dans ce domaine. Quand je vois comment Ange Santini et Camille de Rocca Serra se mobilisent sur des dossiers comme l'agriculture, l'université, la meilleure utilisation de l'épargne locale, j'ai confiance. Je sais que ce n'est pas facile parce que les pressions sont parfois fortes, mais il faut que nous assumions ensemble cette protection du patrimoine naturel qui est vitale pour la Corse.
Cet après midi, j'irai à Sainte Lucie de Tallano, pour parler d'un nouveau projet, un pôle d'excellence rurale, porté par le conseil général de Corse du Sud qui a été labellisé car il va complètement dans la bonne direction : il s'agit d'aménager des sites, de restaurer des richesses naturelles, comme par exemple les thermes de Baracci. Et au passage, de créer des emplois. C'est le cinquième pôle qui est labellisé pour la Corse, là encore deux fois plus qu'ailleurs. Mais j'y ai tenu parce que c'est ce dont la Corse a besoin : un élan qui vienne de l'intérieur, une mobilisation locale, une mise en valeur des richesses naturelles, ce sont les clés du développement que j'aimerais tellement voir se diffuser partout dans cette île. Et cela me paraît aujourd'hui enfin, à notre portée, une Corse qui avance avec un Etat qui soutient ses projets. Je vous remercie.