02.12.2005 - Forum mondial du développement durable

2 décembre 2005

Intervention de Monsieur Nicolas SARKOZY, ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire - Forum mondial du développement durable - Sénat


Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de participer à ce troisième forum mondial du développement durable. Le sujet qui nous réunit, le climat, est profondément politique. Il l’est car les enjeux sont géopolitiques. Il l’est parce que les réponses sont d’abord politiques.

Je sais combien cette question est aujourd’hui le domaine des experts. Les débats portent sur les origines des événements climatiques extrêmes, sur l’importance du réchauffement climatique et sur ses conséquences - les effets de chaîne, la libération possible du méthane enfermé dans les sols gelés, le Gulf stream, la migration des espèces et des épidémies. Les experts s’opposent également sur la définition du développement durable. Il est d’ailleurs difficile de tenir un colloque sans de vifs débats sur ce point. 
Ces questions ont souvent été des sujets de colloques. Elles ont rarement été des sujets du débat politique.

Les grandes formations politiques, parfois rebutées par les positions écologiques les plus extrêmes, ont accordé peu de place à la demande de nos concitoyens d’un environnement sain. De fait, la confiance appartient aujourd’hui aux experts plus qu’aux politiques.

Or, je vous le disais, les enjeux sont géopolitiques.

Jean Michel VALANTIN, docteur en études stratégiques, titrait récemment : « Menaces climatiques sur l’ordre mondial ». Quelles que soient nos convictions, force est de constater que certains souffriront plus que d’autres.
Certes les événements climatiques violents peuvent toucher n’importe quel pays. Pour autant, nous savons que le réchauffement attendu de 2 à 6 degrés, affectera plus spécifiquement certains continents. Nous savons que l’épuisement des ressources énergétiques traditionnelles sera un facteur de tension mondiale. Les événements climatiques pourraient renforcer les clivages mondiaux.
Nous savons aussi que les milieux les plus modestes qui vivent dans des appartements mal isolés et qui peinent à payer leur essence, seront les plus touchés. L’écologie est aujourd’hui une question de justice sociale.

C’est pourquoi les réponses sont également politiques.

Les hommes ont créé les conditions des modifications climatiques. Ils doivent trouver les réponses.
Ces réponses sont naturellement mondiales. L’enjeu dépasse nos frontières et seule la négociation internationale peut avoir un sens.  C’est là que se jouent les questions les plus difficiles, à commencer par celles du climat. Kyoto a été un grand progrès. Il faut aujourd’hui aller plus loin et les Etats Unis doivent s’engager sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce domaine, l’Union européenne est exemplaire mais elle est trop silencieuse. Quant à la France, elle n’a pas su développer une stratégie d’influence à la hauteur de cet enjeu.

Face aux catastrophes climatiques, de l’ampleur du tsunami ou de Katrina, la solidarité internationale s’impose également. C’est tout l’avenir d’un pays, c’est l’équilibre d’un continent qui peut être balayé en moins d’une journée. Nous avons tous été frappés par les images du tsunami. Des lieux de rêve pour nombre d’entre nous sont aujourd’hui des lieux dévastés, menacés. Tous les continents sont des victimes potentielles.

Aucun pays, ni aucune collectivité, ne peut s’abstenir d’agir au motif que le climat et ses enjeux sont mondiaux.

C’est dans notre développement quotidien que nous devons trouver les réponses. Je pense naturellement à toutes les mesures qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La première priorité est bien de réduire à la source nos besoins d’énergie. Deux mesures essentielles doivent être privilégiées : l’isolation des logements anciens qui permettrait de réduire de 10 % nos émissions et l’incitation au covoiturage.

La deuxième priorité est de développer les énergies renouvelables pour dépasser en France le seuil de 10 % de notre consommation. Et naturellement, il faut autant que possible privilégier les énergies propres.
La troisième priorité est de se doter au niveau européen d’un programme de recherche, aussi ambitieux que le programme Airbus, qui permette demain de remplacer les combustibles fossiles. Je pense notamment à la pile à hydrogène. Ce sont l’indépendance énergétique et notre potentiel de croissance qui sont en jeu.

Enfin, il faut avoir le courage de repenser notre politique de transport sans pénaliser la croissance. Cela passe notamment par les transports en commun et le transport ferroviaire de marchandises. Il est temps de privilégier la construction d’une rame de métro ou de tramway accueillante sur celle d’une autoroute. Aujourd’hui, les personnes qui travaillent dans les métropoles, et je pense naturellement à Paris, ont pour seule alternative des heures d’embouteillages ou l’entassement dans des métros sales où il n’est même pas possible de déplier un journal. Finalement, ce sont les plus aisés, ceux qui peuvent vivre dans Paris qui sont les bénéficiaires de ces choix politiques.

Aucune collectivité locale ne peut non plus s’abstenir d’agir. Si chaque commune, chaque département, chaque région prévoit de remplacer tous ses véhicules par des véhicules propres, nous créerons un véritable marché qui permettra de réduire leur coût.
C’est bien au niveau local que doit avoir lieu la concertation. Face aux enjeux du développement durable, il n’est plus question de décider des mesures jugées rationnelles dans des bureaux clos. Il faut modifier les modes de vie, et même les valeurs de chacun.
Renoncer à se déplacer en voiture, trier ses déchets, fermer ses lumières y compris au bureau sont des choix qui relèvent de la seule bonne volonté de nos concitoyens. Il ne sert à rien de multiplier les discours sur le bien fondé de ces mesures, il faut qu’elles soient décidées et choisies par les intéressés. Ceci exige une nouvelle forme de concertation qui ne peut, naturellement, pas relever de la seule compétence des associations. Il appartient au politique d’être imaginatif pour développer de nouvelles formes de conférences de consensus.

La France n’a pas à rougir de son bilan.

Nous sommes l’un des pays qui émet le moins de gaz à effet de serre. Un Américain émet 6 tonnes de carbone par an quand un Français émet moins de 2 tonnes. L’Europe s’est engagée à réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2012. L’objectif français est de stabiliser ses émissions car nous sommes en deçà de la moyenne européenne.
Le poids du nucléaire dans l’énergie électrique a été un atout considérable pour une croissance écologique. C’est une réalité incontestable. S’il faut améliorer la transparence sur le nucléaire, comme sur l’ensemble des questions d’environnement, il ne faut pas renoncer à cette technologie.
Notre gouvernement a été particulièrement actif pour le développement durable. Il a adopté une Stratégie nationale très conséquente, peut être trop. Il a adopté un plan canicule, un plan climat, un plan asthme, un plan santé, un plan bruit et je pourrais poursuivre cette liste. Certains ont reproché la multiplication de priorités et d’objectifs.

Il faut, sans doute, donner plus de lisibilité et un axe structurant à cette politique.

Je suis convaincu que la question du réchauffement climatique, qui renvoie à celle de l’énergie, doit être la première priorité. Il s’agit bien là de la menace principale qui pèse sur le développement des générations futures.
 
J’ai posé un principe : engager en cinq ans les actions nécessaires pour résoudre la question du climat en deux générations – et même une génération pour les autres enjeux écologiques.
Il existe des pays qui ont montré la voie. Je pense au Japon dans le domaine de l’énergie, à la Suède, à l’Allemagne ou encore à la Suisse. Nous devons nous inspirer de leurs expériences pour ne plus laisser ces questions aux mains des extrêmes. A défaut, c’est une lourde dette que nous transmettons à nos enfants.

Il en est de même au niveau mondial. Une logique de résultat et un principe de justice doivent guider notre réflexion.

 Les pays pauvres n’ont pas à payer le prix de nos abus. Il est évident que dans  nombre de pays, la première priorité est la survie alimentaire. Nous ne pouvons pas leur imposer le surcoût de notre développement. Pour autant, nous ne pouvons pas, non plus, admettre qu’ils reproduisent nos erreurs. Il existe des voies de développement propre.

Je veux, cependant, apporter une précision. Les enjeux du climat concernent des pays que je ne considère pas comme pauvre : la Chine, l’Inde et le Brésil.  Dans ces pays, de la taille de continents, le développement économique doit rimer avec un développement écologique. A défaut, c’est bien l’équilibre mondial qui pourrait être remis en question.
Nous pouvons, par nos technologies, participer à cette nouvelle croissance saine. La France, comme l’Europe, ont dans ce domaine un temps d’avance.

Plus fondamentalement, nous devons concevoir une politique du développement durable qui rassemble plutôt qu’elle n’oppose. Trop de discours extrêmes ont créé des tensions où chacun s’exonère de ses responsabilités. C’est vrai en France comme au niveau mondial.
Il est absurde d’opposer les pays riches – qui auraient consommé leur droit à polluer – aux pays pauvres – qui auraient aujourd’hui le droit de polluer autant que les pays riches. Il appartient aux nations développées de transmettre leur savoir-faire pour que le développement ne rime pas avec la pollution.
Il est absurde d’opposer l’écologie, la croissance et le progrès. Il existe un développement économique et social durable attentif à l’environnement. La fiscalité écologique, le marché des droits à polluer ont réussi à intégrer l’environnement dans le développement économique, et ce bien mieux que les réglementations.

La communauté internationale a réussi à se doter d’une Organisation mondiale du commerce, d’une organisation internationale du travail. Il existe des valeurs communes qui font sens. Il n’y a pas de raison d’échouer sur la question du climat qui est un enjeu fondamentalement mondial.  L’OMC doit intégrer les questions environnementales dans la négociation des accords commerciaux.

Mesdames et Messieurs, voici le défi que je soumets à votre réflexion : concevoir un développement durable qui ne se résume pas à un débat entre les extrêmes, entre les adeptes de la régressions et ceux de l’opposition.

Je vous remercie.