01.06.2006 - Rencontre avec les acteurs publics et associatifs à Perpignan

1 juin 2006

Intervention de M. Nicolas SARKOZY, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire lors de sa rencontre avec les acteurs publics et associatifs, à Perpignan


Mesdames et Messieurs,

Me voici parmi vous, à nouveau, à Perpignan. Je suis venu ici, il y a un an exactement, hélas dans un climat de tension extrême. Mohamed Bey Bachir, âgé de 28 ans, avait été battu à mort  le 22 mai 2005, par un groupe qui le poursuivait. Une semaine plus tard, Driss Ghaïb, âgé de 43 ans, était tué devant chez lui, quasiment à bout portant. Une vague de violence collective avait ensuite éclaté dans la ville, à laquelle les forces de sécurité avaient du faire face pendant plusieurs jours.

Je suis revenu comme promis, il y a huit mois, et j'ai annoncé des mesures, qui me paraissent très importantes pour travailler en profondeur à la prévention de la violence. J'ai voulu les mettre en œuvre ici, avant même que ne soit élaboré le projet de loi entièrement dédié à la prévention de la délinquance, que j'ai présenté devant le Premier Ministre et les ministres concernés, il y a tout juste une semaine.

Aujourd'hui je suis venu voir, avec vous, où on en était ici, à Perpignan, un an après le drame. Personne n'a oublié ce drame, et c'est normal ; mais les choses ont bougé dans le bon sens

D'abord, un point rapide sur les mesures que je vous ai annoncées en octobre 2005 et pour lesquelles j'ai obtenu les financements nécessaires. Elles ont toutes pour objet de prévenir la délinquance.

Première mesure, le développement de la vidéo-protection Si cet équipement avait existé, il aurait certainement facilité l'enquête sur le second meurtre de mai 2005, à défaut de témoignages. Je vous avais indiqué que le ministère de l'intérieur débloquerait 265.000 euros pour cette opération, avec un programme d'implantation de 15 nouvelles caméras et le remplacement de 8 caméras obsolètes. A une exception près, il a été quasiment totalement exécuté : 14 nouvelles caméras sont effectivement opérationnelles, 8 ont été remplacées. Le renvoi d'images avec l'Hôtel de police sera effectif dans le courant de ce mois.

D'une façon plus large, le projet de loi sur la prévention de la délinquance envisage d'étendre, vous le savez, les moyens de vidéo-surveillance… J'estime que c'est un outil de dissuasion au service de la liberté et non une atteinte aux libertés  comme certains le prétendent. C'est tout simple : si on se comporte normalement, sans agresser qui que ce soit ,on n'a strictement rien à craindre de la vidéo surveillance .

La deuxième mesure, c'est l'instauration d'une prévention de proximité.
D'abord avec la création de la brigade départementale de prévention de la délinquance juvénile mais aussi avec la création d'équipes de prévention spécialisée, constituées d'éducateurs. Ils devront intervenir rapidement et travailler en partenariat avec les autres acteurs sociaux. En effet, il n'existe pas à l'heure actuelle à Perpignan d'équipes de prévention spécialisée, qui relèvent normalement de la compétence du département. La convention entre l'Etat et la ville, signée le 13 octobre 2005, a prévu le recrutement de 4 éducateurs spécialisés pendant une période de deux ans renouvelable. Ils concentreront leur travail sur des quartiers identifiés et sur un public de 15 à 25 ans. Ce projet est maintenant très avancé, puisque la mise en place sur le terrain de 3 éducateurs recrutés sera effective avant la fin du mois, – dès qu'ils auront signé leur contrat. C'est un changement de méthode, je le souligne, par rapport à la tradition des "grands frères" qui a montré ses limites. Etre Educateur Spécialisé, ça ne peut s'improviser, c'est un métier.

Troisième mesure :  La maison d'Accès au Droit a été créée à Perpignan. Je remercie encore le procureur de la République, Jean-Pierre Dreno, d'avoir soutenu et défendu ce projet auprès de sa hiérarchie.

Cette Maison d'accès au droit devra rendre la justice plus visible et plus proche des citoyens en facilitant leur accès au droit et à l'information juridique. Les rendez-vous des délégués du procureur, des médiateurs, des conciliateurs seront organisés dans ce local mis à disposition par la mairie, et qui sera situé au sein du quartier Saint-Jacques. Cette structure d'accueil et d'information juridique, sera aussi le siège des organes judiciaires de proximité.

La ville a proposé un lieu d'implantation dans le quartier St Jacques. Un cahier des charges et un projet de convention ont été établis avec les associations et les intervenants potentiels.

Deux axes vont se développer : la mise en réseau des initiatives et des actions existantes en matière d'accès au droit, la mise en rapport entre les actions de terrain et la justice.

Quatrième mesure, qui porte sur un sujet difficile, celui du repérage des troubles de comportement. Il s'agit d'instaurer une coordination des professionnels afin d'assurer un repérage précoce des troubles psychologiques et psychiatriques. La convention que j'ai signée avec le Centre Hospitalier, dont je remercie le directeur, Jean-Claude Gaches, a un objet tout simple: il s'agit d'aider. Aider les familles désemparées devant des enfants qui ont des difficultés. Et prévenir l'aggravation de ces difficultés.

Je suis heureux qu'ici on ait su ne pas tomber dans le débat idéologique qui consiste à dénoncer cette démarche comme étant intrusive, voire répressive. Je salue tout particulièrement ici le Docteur Soumille, porteur du projet, qui a su résister à ce débat. Vous avez compris une chose simple, c'est que des parents peuvent être dépassés par les difficultés de leurs enfants. Et une deuxième chose simple, c'est qu'on peut les aider si on en a la volonté.

La convention avec le Centre hospitalier prévoit une mise en réseau des acteurs spécialisés afin de garantir une meilleure prise en charge des difficultés sociales et psychologiques. Toute l'équipe est désormais en place : un psychologue, une assistante sociale, 2 infirmières, une éducatrice spécialisée. Pour ce projet expérimental - ciblé dans un premier temps sur les quartiers Saint-Jacques, Saint Matthieu et Bas Vernet – j'ai pu débloquer une aide de l'Etat de plus de 100.000 euros.
La vraie bonne nouvelle, c'est que le travail sur le terrain a commencé effectivement début avril. Cette équipe va à la rencontre de plusieurs dizaines de familles qui ont déjà fait connaître leur intérêt pour cette initiative.

La  cinquième mesure,  c'est la création d'un lieu de rencontre en direction des jeunes. Ces échanges  sont vitaux  si on veut créer une société qui cesse de se déchirer. Cet espace se situe dans le quartier St Gaudérique. Le Ministère de l'Intérieur a engagé 30 000 euros dans ce projet. Les travaux viennent de s'achever. Le local est opérationnel. Il permettra aux jeunes de s'y retrouver, d'exercer des activités, de participer à des animations. Vous me l'avez demandé c'est chose faite. Maintenant la balle est dans le camp de l'Association "Tous ensemble" avec Jeanne Ibrahim et Ali Hanifi.

Enfin, un mot sur la dernière mesure, qui me tient à cœur, il s'agit de l'internat de la réussite éducative. Pour les jeunes qui  ont des carences graves, qui peuvent être aussi bien culturelles, que matérielles, ou familiales, l'internat c'est un cadre de vie stable et  un encadrement. Là encore, rien d'intrusif, ni de répressif, mais le souci d'aider. C'est curieux  comme ce souci de tendre la main, qui me paraît essentiel, parfois vital, est mal accueilli par ceux qui préfèrent penser que les problèmes se résoudront tous seuls. Hélas, si de tels problèmes pouvaient se résoudre par eux-mêmes, on le saurait depuis longtemps.

Alors, je le dis encore une fois: cet internat pourrait accueillir 24 enfants dès la rentrée prochaine. Tout est prêt pour son démarrage et cela depuis le mois d'octobre 2005. Le Ministère de l'éducation a prévu le personnel nécessaire au fonctionnement. Le Ministère de la cohésion sociale a débloqué les crédits nécessaires. La communauté éducative est motivée et prête à relever le défi. Le collège Jean et Alice Olibo et les locaux sont identifiés, à Saint Cyprien… Ne manque plus à l'appel que le Conseil Général, responsable de l'aménagement des locaux. Je veux croire que l'intérêt général l'emportera et que le projet se fera.

Voilà quel est le bilan de la mise en place des mesures annoncées  en octobre 2005.

Mais ce n'est pas tout.

D'autres initiatives ont été prises ici, et je veux les saluer : des associations se sont créées, développées, avec le souci de permettre une vie sociale commune, ce qui ne va hélas pas de soi. Je pense  à l'association de jeunes, mineurs, "Association Maillols", qui a travaillé sur la citoyenneté, et a obtenu le prix "Talents des cités" grâce notamment à l'action et à l'engagement de deux animateurs socio culturels, Mr Boutouba et Mr Kaouki, qui sont très appréciés.

Je pense à l'association "Tous ensemble", qui donne la parole à de jeunes parents. C'est un premier pas vers une responsabilisation, un pas qui est essentiel. Je pense aussi aux associations de femmes "Femmes espoir", au Centre d'Information sur les Droits des femmes et des familles, qui veulent trouver des solutions aux violences conjugales, et qui d'ailleurs appartiennent au réseau d'associations, avec lequel j'ai signé le 7 mars une convention de travail en commun. Cette association cherche aussi à agir en direction des jeunes parents et des familles monoparentales.

D'une façon générale, je veux saluer le travail  fait ici par les jeunes, par les femmes telles que les associations "Femmes de Saint-Jacques" et "Femmes sans frontière", qui bougent énormément pour faire changer les choses.
 
Et je veux aussi souligner que le préfet, à ma demande, rencontre les associations, ce qui est parfaitement normal. Tout le monde doit avoir accès à l'Etat, dans de bonnes conditions. Je demande  au préfet, pour démultiplier son action, de désigner des délégués de l'Etat qui iront au contact de la population. Dans le même esprit j'ai demandé au Préfet de mettre en place pour le mois de septembre un travailleur social et un psychologue au Commissariat central pour un accueil adapté des victimes.

Enfin, je voudrais vous dire quelques mots du projet de loi sur la prévention de la délinquance, qui sera présenté avant l'été en Conseil des Ministres. De quoi s'agit-il ?  Il s'agit d'abord de prendre conscience des réalités, telles que vous les vivez ici, à Perpignan, et que les vivent tous les habitants des  quartiers dits "sensibles ".

En fait de "sensibles", il s'agit tout simplement de quartiers où les difficultés se sont accumulées, depuis le chômage des parents, jusqu'à l'échec, voire l'absentéisme scolaire des enfants. Tout cela sur fond d'urbanisme inadapté et dégradé, et de difficultés réelles d'intégration d'immigrés, mais surtout d'enfants et de petits enfants d'immigrés, pourtant parfaitement français. Ces difficultés, elles ne sont pas marginales, elles ne sont pas exceptionnelles, elles  concernent des millions de nos concitoyens.

Le projet de loi sur la prévention de la délinquance, c'est une méthode nouvelle et des objectifs nouveaux ; Pourquoi ? Parce que depuis vingt cinq ans, tous les gouvernements ont essayé de résoudre ce problème, sans y parvenir.

Il faut d'abord une politique qui s'adresse à des personnes, et je dirai même  à des situations. Je m'explique : pour un jeune qui ne va plus à l'école, peu importe hélas que l'on rénove son immeuble; mais peu importe aussi que l'on aide ses parents financièrement. Le problème se situe ailleurs, et le tout est d'arriver à le cerner assez tôt pour pouvoir, ensuite, le traiter. C'est toute l'ambition  de ce projet de loi. Et c'est pour cela que nous avons fait le choix de faire du maire le pivot de la prévention de la délinquance. Ce n'est pas habituel. Mais c'est le seul moyen de toucher ceux qui sont concernés. Le maire connaît les gens et les situations. Il connaît aussi tous les acteurs de terrain. La ville de Perpignan en est d'ailleurs un bon exemple.

L'Etat restera responsable des moyens et des résultats obtenus. C'est  à dire que le préfet devra faire toutes les mises en relation nécessaires, notamment sous forme de conventions, pour faire travailler ensemble les collectivités locales, les travailleurs sociaux, l'Education nationale, la justice, les associations. Mais c'est le maire qui sera chargé de déclencher l'action : par exemple de veiller activement à la lutte contre l'absentéisme scolaire ; ou bien de sensibiliser les familles à leurs obligations.

Au-delà de cette méthode nouvelle, le projet de loi sur la prévention de la délinquance, c'est aussi des objectifs nouveaux.

D'abord, prendre en compte le vrai visage de la délinquance, tel que les violences conjugales, la toxicomanie, deux phénomènes où la France détient de tristes records. Nous devons sortir absolument de l'accoutumance à ce type de violence, souvent feutrée, souvent cachée, mais dévastatrice.

Nous devons aussi admettre, et je me tourne vers les magistrats, que la délinquance des mineurs exige une réponse adaptée. Cette délinquance, elle a augmenté de 80% en dix ans, parce qu'elle ne rencontre aucune sanction véritable. Les sanctions sont souvent aussi dérisoires qu'un avertissement, et elles tardent indéfiniment. Dans les Pyrénées orientales, je vois que le délai de jugement des affaires pénales concernant les mineurs est de 25 mois. Et ce n'est pas du tout exceptionnel. Aujourd'hui, nous vivons dans une situation d'impunité de fait qui ne peut pas durer, car elle ne peut mener qu'à une aggravation des choses.

On ne peut plus admettre cela, alors que des mineurs commettent hélas des actes de plus en plus violents. Le projet de loi propose donc des mesures qui reposent sur deux principes : toujours apporter une réponse  rapide à la délinquance des mineurs, mais  toujours avoir le souci de faire la part de l'éducatif dans cette sanction.

Enfin, le projet de loi sur la prévention de la délinquance  comporte des mesures sur l'égalité des chances – ou sur la discrimination positive, selon le langage que l'on emploie. Là aussi, le principe est simple. Autant on doit être ferme avec ceux qui refusent toute règle et toute contrainte, autant on doit être juste avec ceux qui veulent s'en sortir. Aujourd'hui, nous ne sommes ni l'un, ni l'autre. Il faut mettre en place des dispositifs exemplaires, qui fassent sauter des verrous. Ces dispositifs, de recrutement et  de formation dans la fonction publique, qui s'adressent à ceux qui le veulent, qui le méritent et qui n'en ont pas les moyens, au-delà de leur effet direct, auront un effet d'entraînement. Et il est essentiel, pour qu'une société soit harmonieuse, que chacun puisse espérer y trouver sa place en fonction de ses efforts, en fonction de son mérite. Bien sûr, la sanction fait partie de la prévention de la délinquance, mais elle ne suffit pas. Ce n'est bien évidemment pas la crainte de mal faire qui doit être le ressort profond de la vie sociale, mais ce doit être l'espoir de vivre mieux. Ici, on a commencé à faire vivre cet espoir, et même si rien n'est encore gagné, je suis heureux de pouvoir m'en réjouir avec vous. Je vous remercie.