30.06.2003 - Rencontre avec les responsables départementaux de la sécurité routière

30 juin 2003

Intervention de Monsieur Nicolas SARKOZY Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés locales


Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir et surtout de vous rencontrer. Vous effectuez une mission difficile mais absolument essentielle. Votre engagement et votre détermination ont permis de sauver très exactement 1329 personnes depuis un an.

Nous ne pourrons jamais mettre de visages sur ces victimes évitées. Nous savons seulement qu'elles n'auront pas celui de la douleur familiale.

Votre mission est juste. Elle est essentielle pour nos concitoyens qui risquent plus de mourir d'un accident de la route que d'un homicide ou d'un accident d'avion.
Soyez fiers de votre action. Je conçois fort bien qu'elle puisse être difficile. Vous interpellez et vous sanctionnez des personnes qui bien souvent refusent absolument d'être confondues avec des délinquants et trouvent de nombreuses explications à leurs infractions.
Et pourtant, existe-t-il une loi molle, celle du code de la route, qui aurait moins de force que toutes les autres lois ? Enfreindre une loi, n'est-ce pas un acte de délinquance ? Et cet acte de délinquance n'est-il pas particulièrement dangereux ?

Nos concitoyens ont sans aucun doute perçu ce message. Ils ont pu constater que trop de familles ont vu leurs enfants finir entre quatre planches ou dans un fauteuil. Les jeunes de 18 à 24 ans représentent encore plus de 26 % des tués sur la route. Ils ont certainement compris que ces morts sont injustes. 60 % n'étaient pas responsables de l'accident et dans 90 % des cas, l'accident n'était pas une fatalité. Il résultait d'abord d'un défaut de comportement.
Je suis d'ailleurs heureux de constater que 99 % des Français affirment qu'ils sont plus prudents qu'auparavant et que leur changement d'attitude est durable.

Pour autant, je sais fort bien que ces résultats nous vous les devons. Et si j'ai voulu vous recevoir aujourd'hui, c'est aussi pour vous témoigner toute ma satisfaction. Vous avez fait un travail formidable depuis un an, et tout particulièrement depuis le mois de septembre dernier.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis le début de l'année, les infractions constatées à la vitesse ont progressé de 28 %. Les dépistages d'alcoolémie augmentent de 29 %. Les infractions constatées aux règles de port du casque et de la ceinture sont en hausse de 41 %. Cela tout simplement parce que la Police et la Gendarmerie ont accru leurs contrôle dans les mêmes proportions.

Il y a un lien évident entre votre mobilisation et le recul de la délinquance routière. La France, dont les routes étaient les plus dangereuses d'Europe, rejoint progressivement les rangs des pays sûrs.

Pour autant, il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Je sais fort bien que la France a le réseau routier le plus dense d'Europe. Je sais aussi qu'au Royaume Uni le nombre de tués sur les routes est de l'ordre de 3500 par an. Nous sommes encore à plus de 6000. Pourquoi les Français ne deviendraient-ils pas les conducteurs les plus responsables et les plus prudents d'Europe ?

Il n'y a pas de spécificité française ou de fatalité qui puisse laisser croire que la mortalité routière est inéluctablement plus élevée en France qu'ailleurs. Telle est ma conviction qui fonde ma détermination.

Depuis un an, le discours porté par le Gouvernement est clair. Nous sommes confrontés à de la délinquance routière plus qu'à de l'insécurité routière. En d'autres termes, cette lutte s'inscrit pleinement dans la politique de sécurité intérieure, elle exige la même détermination et la même volonté de faire respecter en tout lieu et à toute heure la loi de la République.
S'il est des cités où la loi de la force tente de s'imposer à celle de la République, il est trop de routes où la loi de l'inconscience tente de s'imposer aussi à celle de la République.
Faire appliquer la loi est une mission juste et légitime. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne peux tolérer que certains s'estiment en droit de demander que l'on fasse "sauter des PV". A quoi servirait-il de vous demander de contrôler plus, si dans le même temps les sanctions ne sont pas appliquées.

Je crois également nécessaire de mieux prendre en compte les victimes. Comme pour la délinquance générale, considérer la victime, l'écouter et la soutenir, doivent être votre première priorité. En liaison avec les maires, je vous demande de veiller à ce que les familles des personnes décédés soient prévenues personnellement, avec humanité et délicatesse, et non par un simple appel téléphonique. Et chaque fois que cela est possible, faites de même lorsque la victime est très gravement blessée.
Je sais que beaucoup d'entre vous le font. Je souhaiterai cependant que cela soit systématique. Ces drames sont trop lourds pour faire l'objet d'un simple appel téléphonique. C'est une demande des associations de victimes. Je la trouve parfaitement justifiée.

Je me suis aussi engagé à remettre à niveau vos moyens de lutte, des moyens plus modernes et qui vous laissent plus de souplesse d'emploi.

Conformément aux dispositions de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, il est prévu sur les trois prochaines années d'acquérir 910 radars lasers, 15 143 éthylotests électroniques, 1500 éthylomètres et 333 véhicules banalisés.

La loi de lutte contre la violence routière du 12 juin 2003 renforce les moyens d'action et la sanction des infractions les plus graves. Elle nous permet surtout d'installer en France des systèmes de contrôle et de sanction automatisés.
L'idée est simple. Des radars enregistrent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les infractions à la vitesse. Les données sont transmises numériquement à un centre national de traitement qui envoie dans les 48 heures la contravention.

Vous percevez bien les avantages de ce système. Le premier est que le contrôle est permanent. Le second est qu'il est particulièrement "économe" en moyens humains puisqu'il est presque totalement automatisé. Le troisième est que nous pouvons ainsi effectuer des contrôles sur des lieux où votre propre sécurité l'interdisait.
Je souhaite vous préciser quelques points. Dans mon esprit, l'idée n'est surtout pas de "piéger" les conducteurs. Il a été demandé aux préfets d'identifier avec vous les lieux les plus accidentogènes pour être sûr que le seul fait de ralentir à cet endroit précis permettra déjà de faire baisser les accidents. Je souhaite également que la liste des emplacements soit très officiellement diffusée par le Gouvernement. Mon seul objectif est, en effet, de faire baisser le nombre de victimes.
Je veux aussi vous dire que ces contrôles automatisés ne se substituent en rien à votre action. Bien au contraire, ils la complètent en vous permettant d'accentuer vos contrôles sur d'autres  infractions particulièrement dangereuses telles que le non-respect des distances de sécurité.

C'est un projet sans précédent que nous engageons. Dès le mois d'octobre, 100 premiers radars seront installés dans 21 départements. L'année prochaine, 450 radars supplémentaires seront implantés à compter du mois de février. Et en 2005,  ce sont encore 450 radars qui sont programmés.

La Direction générale de la Gendarmerie nationale m'a fait part de son souhait de disposer de radars automatisés embarqués. Il est vrai que la densité et l'importance du réseau routier que vous couvrez, plus de 930 000 kilomètres, exigerait de pouvoir installer rapidement beaucoup plus de radars. C'est un objectif que nous nous sommes fixé et qui n'est pas illogique puisqu'à titre de comparaison, il y a presque 10 000 radars automatiques aux Pays Bas.
Dans l'immédiat, je crois effectivement que les systèmes de radars automatiques embarquables dans des véhicules vous permettront de couvrir un nombre plus important des points. Aussi, j'ai demandé que le prochain appel d'offres permette l'achat de 150 de ces radars pour la Gendarmerie Nationale.
Je souhaite surtout évoquer avec vous la période estivale qui commence.

Auparavant, je souhaite insister sur les principaux changement de la politique de lutte contre la délinquance routière.
Le premier changement est un fait. A l'évidence, les conditions de circulation ont énormément évolué. Les départs sont plus étalés dans le temps, notamment en raison de la réduction du temps de travail. Les prévisions sont, par conséquent, de plus en plus difficiles. Et surtout, le nombre de journées où les risques sont accrus a considérablement augmenté.
Vous avez un rôle essentiel pour réguler le trafic routier pendant ces journées dites "rouges", et éviter ainsi que des conducteurs trop énervés ne prennent des risques inutiles pour rattraper un temps qu'ils estiment perdu.
Je ne suis pas favorable à ces effets d'annonce déclarant que "20 000 policiers et gendarmes" seront sur les routes durant les journées dites "rouges". Ces chiffres ne correspondent à rien. Je préfère les stratégies de présence permanente et systématique afin que les conducteurs sachent qu'ils peuvent être contrôlés à tout moment.

Le second changement est dans notre conception même de la lutte contre la délinquance routière. Il s'agit bien d'une lutte contre la délinquance et non d'actions contre "l'insécurité routière". Pourquoi ? Simplement parce que le risque n'est pas aléatoire mais directement lié au non respect des règles de sécurité par les conducteurs. La fatalité est trop souvent une excuse pratique et facile.
Et dans mon esprit, cette lutte quotidienne, au plus près du terrain, vous appartient. Je ne vous considère pas comme des plantons ou des exécutants, mais bien comme des "chasseurs d'irresponsables" et des "décideurs". A Paris, nous ne sommes pas les mieux placés pour apprécier l'opportunité et les modalités des contrôles. J'ai confiance entre votre connaissance du terrain et votre intelligence des situations.

Ma troisième conviction, sans doute la principale, est que vous ne devez jamais perdre de vue votre seul objectif. Il n'est pas de faire du chiffre, encore moins de "piéger" les Français, mais bien de faire baisser le nombre de victimes.
Lorsque nous effectuons des évaluations sur la performance des départements, nous regardons d'abord l'évolution du nombre d'accidents et de victimes. S'il augmente, alors seulement nous vérifions si la politique de poursuite des infractions est suffisamment dynamique.
Nous connaissons tous les pratiques faciles qui consistent à installer un radar là où "cela rapporte". Je préfère qu'il soit installé là où les risques d'accidents sont les plus importants. Dans le même esprit, je m'intéresse plus à l'évolution du nombre de dépistages positifs d'alcoolémie, qu'au nombre total de dépistages qui ont été effectués.

Dans ce contexte, quelles sont vos priorités ?

La première d'entre elles, est de définir une stratégie de contrôle de sorte que les conducteurs aient la certitude qu'ils peuvent être contrôlés en tout lieu et à tout moment.

La seconde concerne le type d'infraction. Naturellement, les contrôles doivent porter prioritairement sur les infractions les plus meurtrières : la vitesse, l'alcool, le port de la ceinture et du casque, les interdistances. J'attire également votre attention sur l'usage du téléphone portable dont nous avons chaque jour la preuve macabre de la dangerosité.
Pour autant, je vous demande de ne pas effectuer des "mono contrôles". Si vous recherchez les infractions à la vitesse ou si vous effectuez des dépistages d'alcoolémie, ne laissez pas un scooter passer au feu rouge devant vous. Dans le même esprit, n'hésitez pas à poursuivre toutes les formes d'infractions qui ne sont pas directement liées au code de la route. La police de la route est aussi la police sur la route. Ne laissons pas passer un trafiquant sous prétexte qu'il a respecté les limitations de vitesse !

Votre troisième priorité, je vous l'ai déjà dit, est de vous refuser à tout quota de contrôle. Il vous appartient d'effectuer un diagnostic local précis et déterminer, dans le cadre des plans de contrôle départementaux, votre stratégie. Je m'intéresse au nombre de victimes évitées. Par contre, les moyens d'y parvenir vous appartiennent.

Vous avez une mission essentielle qui exige de plus en plus de professionnalisme. L'époque est aux "contrôles intelligents", bien ciblés, bien réfléchis. Cela est d'autant plus important que nos concitoyens doivent bien comprendre que notre objectif est bien de les protéger, parfois d'eux même.

Aussi, je vous demande de communiquer le plus souvent possible sur vos résultats et sur vos actions. N'hésitez pas chaque mois à annoncer le nombre de victimes évitées, à mettre en avant les contrôles qui ont été effectués, pourquoi ils l'ont été à tel endroit et à telle heure.

Je vous fais confiance pour relever ce défi. Naturellement, je ne vous laisserai pas seuls.
Je souhaite multiplier les opérations de contrôles mixtes avec des policiers étrangers dans les départements frontaliers. Plusieurs ont d'ores et déjà été programmées dans le cadre de TISPOL, l'action européenne coordonnée par la Commission. Je souhaite que le nombre d'opérations menées en France soit très nettement augmenté car nous sommes la première destination européenne.

A l'avenir, je crois indispensable de réfléchir à de nouveaux modes opératoires et de nouveaux équipements pour améliorer encore vos capacités d'action. Outre les radars automatisés, nous pouvons développer les surveillances aériennes, l'enregistrement des comportements dangereux, les opérations de contrôle dans des véhicules banalisés. Cet été, 50 missions de surveillance par hélicoptère sont programmées pour la Gendarmerie et cinq missions de la Police aux Frontières pour le seul mois de juillet. C'est un mode de contrôle extrêmement efficace qu'il nous faudra sans doute développer.
Et je suis persuadé qu'il nous faut regarder ce qui se fait à l'étranger car nous n'avons pas le monopole des bonnes idées.

Cette réflexion, nous devons l'avoir ensemble car vous connaissez mieux que quiconque la réalité du terrain et vos besoins.

Aussi, j'aimerai vous entendre sur deux points :

 - le premier concerne vos résultats. Ils sont bons. Ils sont même excellents. Pourquoi ?
 - le second concerne l'avenir. Quels sont les nouveaux modes opératoires qu'il nous faut développer ?

 Encore une fois, je vous félicite pour le travail effectué. La parole est à vous.