13.06.2003 - GIR - Discours anniversaire de Nicolas Sarkozy

13 juin 2003

Intervention de Monsieur Nicolas SARKOZY Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés locales - Economie souterraine -Bilan des Groupes d'Intervention Régionaux


Mesdames et Messieurs
 Permettez-moi avant toute chose de vous remercier très personnellement et très chaleureusement. Que vous soyez policiers, gendarmes, douaniers ou agents des services fiscaux, votre engagement personnel a été la clé de la réussite des Groupes d'Intervention Régionaux, les GIR.

Avec Monsieur GODIVEAU et le Colonel MOULINIE, j'aimerais saluer individuellement chacun d'entre vous pour lui témoigner ma satisfaction. La tâche est rude, je le sais. Sachez que j'apprécie d'autant plus à la lecture quotidienne des affaires réalisées, la détermination et l'engagement qui sont les vôtres.

La mission qui vous a été confiée est à mes yeux absolument prioritaire.

L'objectif de la lutte contre l'économie souterraine est de rétablir la loi de la République dans des quartiers où s'est imposée la loi du plus fort, la loi de l'argent et de la violence.

C'est une exigence à l'égard de nos concitoyens qui vivent honnêtement et parfois avec peu de moyens dans ces quartiers. Chaque jour, ils sont témoins du sordide spectacle de trafics en tous genres. Chaque jour, ils sont victimes des actes d'intimidation ou même de violence de ceux qui souhaitent éloigner les regards indiscrets. Chaque jour, ils voient des individus sans travail qui se pavanent dans de grosses cylindrées, alors qu'eux ont eu des difficultés à payer leur voiture.

Ces hommes et femmes ne doivent pas être en plus victimes des carences ou de l'indifférence de l'Etat. Nous nous devons d'agir pour eux, pour qu'ils ne craignent pas que leurs propres enfants soient victimes ou coupables de cette délinquance.

L'économie souterraine est faite de trafics en tous genre, de commerce de produits stupéfiants, de proxénétisme, d'exploitation des personnes. Il ne peut y avoir de complaisance à l'égard de cette délinquance qui est toujours à la source de drames humains, et qui détruit les valeurs fondamentales de notre société, celles de l'honnêteté, du travail, du respect des autres.

Un quartier où l'économie souterraine se déploie en toute impunité est aussi un quartier où les jeunes sont moins enclins à suivre la bonne voie, celle des études et du travail honnête.
Il ne faut pas craindre d'affirmer cette évidence. Lutter contre l'économie souterraine, c'est aussi redonner du crédit au discours de la prévention et de l'espoir aux familles.

Chacune de vos actions contribue à redonner cet espoir.
Et c'est cette réalité qui est à l'origine de la création des Groupes d'Intervention Régionaux.

Notre objectif était bien de créer des équipes de spécialistes capables de mener ensemble une enquête méticuleuse pour "faire tomber" même les plus astucieux des malfrats.

Je dois dire que les bonnes volontés se sont rapidement manifestées. La circulaire a été signée le 22 mai 2002. Le 22 juillet 2002, lors de notre première rencontre, les 28 groupes étaient opérationnels. Depuis, votre action a même dépassé nos ambitions.

Et pourtant, les mauvaises volontés se sont également rapidement mobilisées.
A l'évidence, cela dérangeait beaucoup que l'Etat fasse ce qu'il ne faisait plus jusqu'ici, et qu'il retourne dans les quartiers dont il s'était absenté. Je crois qu'aujourd'hui, les mêmes sont bien plus dérangés qu'ils ne pouvaient l'imaginer !
Les critiques ont commencé avec les capacités d'intervention judiciaire des Groupes d'Intervention Régionaux. La volonté de réussir a permis de trouver avec le ministre de la Justice des solutions intelligentes. Aujourd'hui, l'extension des compétences territoriales des officiers de police judiciaire ayant été clairement posée par la loi pour la sécurité intérieure, la question ne se pose plus.

D'autres se sont inquiétés des éventuelles atteintes à la vie privée qu'engendrerait l'échange d'informations entre les services. Je trouve extraordinaire que l'on craigne plus l'Etat que les délinquants. C'est une suspicion quelque peu choquante. Nous avons d'abord trouvé des solutions de bon sens grâce à la coopération des magistrats. Et aujourd'hui, il n'est plus besoin de réquisitions pour échanger des informations dans le cadre d'enquêtes. La loi autorise clairement l'échange de données extraites des fichiers de la Police et de la Gendarmerie, comme elle l'autorise avec les services de police des pays européens

Les critiques m'impressionnent peu. Elles se sont d'ailleurs faites fort discrètes face aux résultats obtenus.
Le 22 juillet, je vous disais que la population avait confiance dans notre volonté de donner un coup de pied dans les fourmilières en devenir.
Aujourd'hui, je peux ajouter que nos concitoyens ont la preuve de votre engagement.

Depuis leur création, les Groupes d'Intervention Régionaux ont participé à 372 opérations.

Les résultats quantifiables sont significatifs  :
· 3076 personnes ont été interpellées – je note au passage que c'est trois fois plus qu'il y a d'agents dans les GIR. 1009 ont été écrouées.
· Les saisies effectuées s'élèvent à 300 armes, 360 voitures volées, 1030 kilos de cannabis, 32 kilos d'héroïne et de cocaïne, 26 000 comprimés d'ecstasy et 4,87 millions d'euros.
· 486 procédures de vérification fiscale sont en cours, de même que 248 poursuites douanières.

Cet exposé suffit à imaginer que nombre de délinquants voient aujourd'hui leur avenir sous un nouveau jour !

Je souhaite aussi insister sur la nature des trafics auxquels vous avez mis un terme.
Il s'agit principalement de trafics de drogue (34 % des affaires). Ceci n'est pas pour vous surprendre. La France détient un triste record, celui de la consommation de cannabis chez les jeunes de 16 ans. Le discours trop complaisant de ces dernières années se traduit aujourd'hui par une banalisation de la drogue. Et pourtant, est-il des drogues douces ? Est-il des drogues non nocives ?

Vos investigations vous ont également amené à démanteler des trafics de biens volés lors de cambriolages et des réseaux de receleurs (15 % des affaires). Bien évidemment, un grand nombre d'affaires (14 %) concerne des trafiquants de véhicules volés.

Le bilan serait cependant partiel et incomplet s'il s'arrêtait aux résultats.
De mauvaises langues pourraient en effet se demander si les Groupes d'Intervention Régionaux ont réellement changé les ambitions de la politique de lutte contre l'économie souterraine. En d'autres termes, qu'est-ce les GIR ont apporté ? Ces 372 opérations auraient-elles eu lieu de toute façon ?
Je ne crains pas d'affirmer que sans les Groupes d'Intervention Régionaux, nous n'aurions pas créé cette nouvelle peur parmi les spécialistes de la criminalité organisée, ceci pour plusieurs raisons.

Incontestablement, l'appui aux services locaux apporté par les GIR a été la condition du déclenchement de plusieurs opérations.
Ils ont apporté aux petites circonscriptions de police, comme à des brigades de gendarmerie une capacité d'analyse des phénomènes renforcées, et aussi un supplément d'expertise juridique sur des infractions très spécifiques. Sans cet appui, les procédures auraient été plus longues, plus difficiles, voire impossibles à finaliser. Je pense notamment à quelques affaires qui ont eu lieu dans le Bordelais.
Je suis heureux de constater qu'aujourd'hui, les inquiétudes sur la concurrence entre les GIR et les services locaux se sont apaisées. La nouvelle guerre des polices" qui aurait ravi tant de voyous n'a pas eu lieu. Je vous demande de toujours respecter avec la même rigueur ce principe. Vous ne pouvez être les concurrents des services judiciaires locaux, ni d'ailleurs leurs antennes. Ce que vous apportez c'est en plus, c'est de la valeur ajoutée.

Votre valeur ajoutée fut également d'aborder sous un angle nouveau la lutte contre l'économie souterraine.

Auparavant, le trafic dans une cité était traité uniquement sous l'angle pénal. Aujourd'hui, toutes les infractions sont recherchées tant par la police et la gendarmerie que par les services des douanes, les services fiscaux, les services de la consommation et de la répression des fraudes ou ceux du Travail. De fait, l'affaire est menée sous le meilleur angle qui soit pour réussir. C'est toute la gamme des procédures dont disposent les différentes administrations qui peut être utilisée, au lieu que ce soit une seule, forcément limitée.

Je pense, par exemple, à ces équipes d'origine étrangère spécialisées dans les vols en tout genre. Non seulement, vous avez mis un terme à leurs activités, mais vous avez pu remonter toute la filière pour identifier les passeurs, les personnes qui organisaient les mariages blancs ou qui fournissaient des attestations de logement pour mieux récupérer une partie du butin.
Le résultat est simple. Auparavant, il restait encore quelque chose aux trafiquants après une procédure judiciaire. Aujourd'hui, il ne leur reste plus rien.

Plus encore, vous avez donné une nouvelle confiance à tous ceux qui se sont engagés au service de la loi. Aujourd'hui, ceux qui travaillent avec les GIR savent que les affaires vont réussir.
Les enquêtes fiscales ont permis d'identifier des fortunes inconnues, jamais déclarées aux services fiscaux. De fait, c'est une vague inattendue de redressements fiscaux qui s'est engagée.
Les brigades de contrôle et de recherche du fisc ont pu travailler sur de nouveaux publics de trafiquants, tels que des antiquaires peu scrupuleux, des sociétés privées de gardiennage spécialisées dans le cambriolage (Vitry-le-François) ou certains voyous parmi les gens du voyage (Lille). J'attends d'ailleurs avec impatience le résultat de belles opérations programmées dans les prochains jours….

Vous avez permis à l'Etat de retourner là où il n'allait plus. Vous avez permis de repérer les trafiquants qui prospéraient en toute impunité. Vous avez éradiqué jusqu'aux racines de ces réseaux.

Tout cela n'aurait pas été possible sans l'étroite collaboration que vous avez su créer entre vos services. Naturellement, chacun garde sa culture et sa spécificité. C'est d'ailleurs l'une des conditions de l'efficacité des Groupes d'Intervention Régionaux. Pour autant, vous avez bien créé une "culture GIR", une "méthode GIR" et finalement un esprit d'équipe qui ne peut que susciter des vocations.

Cette première évaluation est, pour le moins, encourageante. Que peut-on faire de plus pour améliorer encore l'efficacité des Groupes d'Intervention Régionaux ? Telle est la question dont vous allez débattre cet après-midi.

Mon premier souci a été de vous donner les moyens humains, matériels et surtout juridiques nécessaires. Vous savez d'ailleurs que le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité contient des dispositions sur les infiltrations et les livraisons surveillées qui vous permettront d'agir au cœur de l'économie souterraine. Les trafiquants ne seront plus "à l'abri" nulle part.

Au-delà des textes, vous avez été les laboratoires de nouvelles méthodes de travail. Vous avez pu repérer les difficultés telles que les différences de procédures ou la méconnaissance de certaines dispositions répressives.
Je sais aussi que vous souhaiteriez intégrer dans vos équipes permanentes les représentants d'autres services. Je pense notamment à ceux trop discrets encore du travail et de l'emploi, mais aussi à ceux de la concurrence, de la consommation et des fraudes. Je partage effectivement votre conviction que l'économie souterraine se nourrit du travail illégal. Or, dans ce domaine, il nous faut à l'évidence être beaucoup plus actifs.

Je puis vous assurer que toutes vos propositions seront étudiées de manière approfondie. Mon soutien vous est acquis, vous le savez. Comme vous, je suis convaincu que l'impératif de la modernisation de l'Etat s'impose à tous. Comme vous, je suis certain que l'Etat peut se moderniser. Pour cela, il faut qu'il se décloisonne, que les services travaillent ensemble. Et dans le champ d'activité qui est le vôtre, vous avez fait la démonstration que c'est possible.

En un an, vous avez redonné espoir à beaucoup de nos concitoyens qui croyaient que l'Etat avait définitivement abandonné certains quartiers.
Vous avez été les exemples de l'efficacité de l'Etat, dès lors que les réflexes de repli des services cèdent devant la volonté d'agir.
En une phrase, vous incarnez les ambitions de la politique de sécurité intérieure que le Gouvernement a voulu.

Depuis un an, vous avez lieu de nourrir bien des motifs de satisfaction. Les critiques se sont tues. Les opposants se font plus rares. Mais votre première satisfaction est, je l'imagine, les manifestations de soutien des habitants de ces quartiers à qui vous redonnez l'espoir d'une vie normale.

C'est en soi le bilan le plus émouvant de l'action des Groupes d'Intervention Régionaux.