09.01.2003 - Aides aux victimes

9 janvier 2003

Intervention de Monsieur Nicolas SARKOZY, Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des libertés locales


Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de cette rencontre avec vous, même si je ne peux ignorer qu'à son origine il y a toujours un drame humain.
Votre frère, votre sœur, votre conjoint ou votre enfant a été tué ou grièvement blessé par un chauffard, par un criminel ou dans une catastrophe comme nous en avons trop souvent connue récemment. Personne ne pourra jamais ressentir la douleur que vous avez éprouvée. J'ai aussi une famille et je mesure avec effroi cette douleur.
Pour autant, je voudrais que cette année commence sous le signe de l'espérance. Et, nous sommes réunis pour cela.

Cette nouvelle année sera meilleure si nous réussissons ensemble à la marquer d'une double rupture.
D'abord et naturellement, une rupture dans la progression du nombre de victimes. Ensuite, une rupture dans la considération qui vous est accordée. Vous avez été victime d'un crime ou d'une catastrophe. Vous ne devez pas être, en plus, victime de l'impuissance ou de l'ignorance des pouvoirs publics.

Je souhaite que les victimes de demain n'aient plus le sentiment de faire peur, d'être "jetées de partout", d'être "oubliées" ou traitées avec mépris.
L'Etat a été défaillant dans sa mission première qui est de défendre les plus modestes. Et dans une singulière inversion des valeurs, il faudrait qu'en plus ces derniers s'excusent de se plaindre d'une situation inacceptable.

Nous devons demain réduire le nombre de victimes de la délinquance et le nombre de victimes des carences coupables de l'Etat.
Ces deux objectifs sont très exactement les priorités de la politique de sécurité intérieure. Il ne suffit pas de faire reculer les chiffres de la délinquance. Encore faut-il que chacun ait la conviction que dans notre République les lois ne se négocient pas.
Il n'est plus question de compromis entre les droits de la victime et ceux des délinquants. Dans mon esprit les choses sont claires, les victimes méritent plus de considération que les coupables. Force est de constater que tel ne fut pas toujours le cas.

Soyons réalistes. Cessons de tout excuser à force de vouloir tout expliquer y compris l'inexcusable et donc l'inexplicable. Arrêtons de croire que la violence est un phénomène passager. Ne méprisons pas ceux qui souffrent quotidiennement. Ne leur dénions pas le droit de souffrir, s'ils souffrent !
La délinquance, notamment la plus violente, a augmenté dans des proportions considérables ces dernières années.
En une année, plus de 4 millions de faits constatés, ce sont plus de 4 millions de victimes dont beaucoup ne verront plus l'avenir avec autant de joie et d'insouciance qu'auparavant. Je pense notamment aux plus de 300 600 victimes de crimes et délits. Je pense également aux parents des 7000 personnes tuées chaque année par la délinquance routière.

Ces chiffres sont inadmissibles. Ne nous berçons pas de l'illusion de les réduire à zéro. Mais, je me suis engagé à les faire baisser durablement et dans des proportions significatives.
Nous avons le devoir de rendre la quiétude à nos concitoyens et la dignité aux victimes.

Aujourd'hui, le Gouvernement s'est engagé à faire baisser le nombre de victimes.
La délinquance reculera grâce à de nouveaux moyens humains, matériels mais aussi juridiques. Leurs principes ont été fixés dans la première loi adoptée par le Parlement : la loi de programmation et d'orientation pour la sécurité intérieure. Ces principes ne resteront pas lettre morte. Le budget 2003 garantit déjà que 40 % des moyens prévus seront engagés sur les cinq prochaines années. Et, le projet de loi sur la sécurité intérieure, en cours de discussion, doit donner à la Police et la Gendarmerie les moyens juridiques d'intervenir.
 Je voudrais aujourd'hui insister plus spécifiquement sur les mesures concernant les victimes.

Vous savez que l'aide aux victimes a été ma première préoccupation.
J'ai été choqué à mon arrivé de constater que les victimes ne pouvaient pas savoir quel policier ou quel gendarme suit leur dossier. J'ai été choqué de voir que la présentation de leurs droits dans certains documents administratifs équivalait à un tiers de celle des mis en cause. J'ai était choqué de devoir conclure qu'au-delà de la constatation des faits, il n'y avait pas de considération de la victime.

C'est pourquoi, la première instruction que j'ai envoyée aux services de police et de gendarmerie - une instruction du 20 mai 2002 - a été que l'accueil des victimes dans les commissariats et brigades de gendarmerie soit enfin personnalisé.
Cette mesure vous la réclamiez très légitimement depuis longtemps. Une victime doit être personnellement accueillie par un policier ou un gendarme. Sa première obligation n'est pas de remplir un formulaire mais d'aider une personne. Et, c'est la moindre des choses que de pouvoir connaître l'identité de celui ou celle qui suit votre dossier, de l'appeler pour lui demander un conseil, une information sur vos droits ou l'état d'avancement de la procédure.

Cette seule mesure témoigne d'abord d'un nouvel état d'esprit. Recueillir une plainte ne suffit pas. Policiers et gendarmes ont pour premier devoir d'aider la victime. C'est la notion même de service et d'intérêt général qui retrouve ainsi toute sa place.

Nous irons plus loin et je souhaite maintenant vous présenter les principales mesures.

Chaque année, près de 44 500 personnes sont signalées disparues dont 6800 dans des conditions inquiétantes. Trop souvent, nous ne pouvons dire aux familles si ces personnes ont été assassinées à l'autre bout de la France ou simplement retrouvées dans le département voisin. Nous les laissons dans une ignorance qui les transforme en victimes.

C'est pourquoi, le précédent gouvernement avait pris l'initiative de créer l'Office central chargé des disparitions inquiétantes de personnes. Encore fallait-il lui donner les moyens financiers et humains de fonctionner.
C'est ce que nous avons fait. Au total 17 policiers et gendarmes viendront aider les services dans leurs recherches de personnes.  Ses moyens juridiques d'intervention ont été améliorés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. Elle créé, par exemple, pour les services saisis l'obligation d'enquêter sur une disparition.
D'ores et déjà, près de 450 dossiers sont traités par l'Office qui a fait la preuve de son efficacité. En retrouvant au Portugal une enfant, en récupérant dans un squat de banlieue une jeune fille mineure disparue dans le Nord, en retrouvant l'identité d'une femme amnésique, l'Office a mis plus rapidement un terme à l'attente angoissée de parents. Il doit être demain toujours plus performant.

Et, vous avez sans doute constaté que le Directeur de l'Office, Daniel DOUGUET, regorge d'idées pour se doter de moyens scientifiques et techniques les plus modernes.
Parmi ceux-ci, je compte beaucoup sur le projet d'intégrer des photographies dans le fichier des personnes recherchées. Il permettra à la Police et à la Gendarmerie d'améliorer l'identification des personnes recherchées, dont les personnes disparues et notamment les mineurs.
J'ai demandé que ce projet soit expérimenté au second semestre de cette année, le temps de procéder aux nécessaires modifications techniques et réglementaires. Et, je veux qu'il soit pleinement opérationnel l'année prochaine.
Nous y verrons plus clair sur les personnes disparues dans des conditions inquiétantes. Et ce sont autant de familles qui ne seront plus victimes par ignorance.

Je suis aussi étonné par l'impuissance de la puissance publique qui se refuse à utiliser les technologies modernes. Il faut dire les choses avec simplicité. Lorsqu'une personne subit les violences d'un criminel en série que l'Etat a été incapable de repérer, elle est doublement victime : elle est victime de ce criminel, mais aussi de l'impuissance de l'Etat.
C'est pourquoi, le projet de loi sur la sécurité intérieure prévoit d'étendre les informations contenues dans le Ficher national automatisé des empreintes génétiques – le FNAEG. Il permettra d'y inclure les personnes condamnées ou objectivement soupçonnées des actes les plus graves tels que les délits de violence contre les personnes.
Le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques est au XXIème siècle ce que le Fichier National des Empreintes Digitales a été au XXème siècle - fichier que vous ont présenté le Commissaire GAILLARDON et le Lieutenant-colonel MISSIAEN.

Améliorer son fonctionnement mettra fin à un Etat aveugle. A quoi peut servir le Fichier Nationale Automatisé des Empreintes Génétiques s'il ne comporte qu'à peine plus d'un millier de noms quand au Royaume Uni, berceau des libertés individuelles, il en comporte plus de 1 700 000 ?

Je ne vois pas le risque créé par un Etat plus efficace. Par contre, j'ai été meurtri, je dois le dire, de devoir expliquer aux parents des jeunes filles tuées dans la Somme qu'il sera difficile de retrouver l'assassin. Et, que cette difficulté résulte notamment de l'absence de fichier adapté en France, alors qu'au Royaume Uni 60 000 affaires sont résolues chaque année grâce aux empreintes génétiques.

Je veux que demain aucun criminel ne se sente à l'abri de l'Etat et qu'aucune famille n'ait le sentiment d'être victime de son impuissance.

A ce titre, j'ai également voulu que la protection des témoins soit mieux assurée. Combien de victimes subissent des agressions sous les yeux terrorisés de passants qui craignent pour leur propre sécurité ? Combien de victimes n'osent pas dénoncer leur tortionnaire ? Quel que soit le chiffre, il est trop élevé.

C'est pourquoi j'ai prévu dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure que dans chaque département des policiers et gendarmes soient spécifiquement désignés pour veiller à la sécurité des témoins avant et après le jugement. 

Nous irons plus loin dans l'efficacité avec la mise en place du Système d'Analyse des Liens de la Violence Associée aux Crimes - en résumé le SALVAC.
L'idée est très simple puisque ce système doit faciliter les rapprochements entre les crimes de violence qui ont un caractère sériel. Les informations recueillies lors d'un homicide, d'un viol, d'une agression sexuelle ou encore d'une disparition manifestement criminelle seront ainsi croisées afin de déterminer s'il s'agit du même criminel.

Ce système a fait la preuve de son efficacité au Canada, mais aussi en l'Allemagne, au Royaume Uni, ou encore aux Etats Unis. Pourquoi en priver la France ? Le SALVAC sera mis au service de la Police et de la Gendarmerie. Et, je peux vous annoncer que la cellule chargée de son utilisation sera opérationnelle avant la fin de premier semestre 2003.
5 policiers, 5 gendarmes et 2 psychologues auront demain la capacité de traiter 20 dossiers par semaine.
Le SALVAC viendra ainsi renforcer l'analyse criminelle qui vous a été présentée par le Service Technique de Recherches Judiciaires et Documentaires.

La technologie offre de formidables potentialités pour lutter contre le crime. Elle ne m'inspire que deux inquiétudes. La première est de savoir combien de personnes seront encore victimes avant que nous puissions les utiliser.

Ma seconde inquiétude est de ne pas rester impuissant face à l'apparition de la cybercriminalité. Je pense plus spécifiquement à la pédo-pornographie sur Internet.

La violence inhumaine des images diffusées est simplement inqualifiable. Notre devoir est de protéger les mineurs de ces actes, mais aussi de ces images.

D'ores et déjà, tout citoyen peut signaler à l'Office Central de Lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication les sites pédo-pornographiques qu'il a repéré. Plus de 6000 signalements ont été traités par l'Office dont 12 % environ à caractère pédo-pornographique.
Nous avons diffusé sur Internet des conseils pour que chaque citoyen sache sécuriser son ordinateur et qu'il connaisse les procédures pour dénoncer les sites. 

Mais, je crois nécessaire d'aller beaucoup plus loin. Nous développerons une politique de formation des enquêteurs car l'utilisation des systèmes d'information est appelée à devenir un phénomène de masse.
J'ai également souhaité que soit organisée une rencontre avec les fournisseurs d'accès à Internet pour étudier ensemble les moyens de lutter contre les diverses formes de criminalité sur Internet.

Et, là encore, nous lutterons grâce aux nouvelles technologies. Un nouveau logiciel de reconnaissance et de recherche d'images impliquant des mineurs doit nous permettre non seulement d'identifier les auteurs, mais aussi les mineurs victimes dont le visage apparaît sur les sites pédo-pornographiques.
Il ne s'agit pas d'un gadget puisque nous avons déjà saisi 300 000 images pédophiles qui pourront être utilisées par ce système. Et, je peux vous annoncer qu'aujourd'hui il est opérationnel.

J'en viens à mon dernier point, la nécessité de suivre les victimes avec plus d'attention et d'humanité. Nos concitoyens ne tolèrent plus qu'après l'urgence l'Etat les abandonne. Nous savons tous qu'au-delà des traumatismes physiques, les blessures psychologiques font d'une personne une victime.

Naturellement, il est nécessaire d'améliorer nos capacités opérationnelles pour mieux prévenir les risques, pour donner rapidement l'alerte, pour s'organiser dans des temps toujours plus courts et surtout pour mieux informer nos concitoyens.

Il faut surtout moderniser notre conception de la victime pour l'accompagner pendant et après la crise. Vous avez pu mesurer cet après-midi les actions développées par les sapeurs pompiers et celles conduites par les gendarmes de l'Institut de Recherches Criminelles.
Force est de constater que la prise en charge des victimes ne peut plus être seulement physique. Elle doit aussi être psychologique. C'est pourquoi, je veux qu'avant la fin de l'année il existe dans tous les départements des cellules d'urgence médico-psychologiques pour prendre en charge les victimes de grandes catastrophes.

Je souhaite aussi que notre organisation soit repensée pour accompagner les victimes jusqu'à ce que le retour à la vie normale soit possible. Après une inondation, ne laissons pas les personnes seules dans leur maison dévastée. Aidons-les à la nettoyer. Après une tempête, veillons à ce que les moyens de communication ou les voies d'accès soient déblayées plus rapidement.
Les secours d'urgence doivent être versés dans les plus brefs délais, comme cela a été fait dans le Gard. Les procédures d'indemnisation des catastrophes naturelles doivent être simples et rapides.

Entre la responsabilité privée et le secours d'urgence, un vide existe qu'il appartient à l'Etat de combler pour ne pas laisser des personnes dans l'état permanent de victime.

Vous constatez que ces diverses mesures ont un point commun : considérer la victime.
C'est une nouvelle culture et une véritable inversion des valeurs à laquelle je souhaite aboutir.

Dans mon esprit, les choses sont claires. Avant de penser aux droits des délinquants, il faut penser et préserver ceux de la victime. Est-ce déraisonnable d'affirmer qu'elle mérite plus de considération et d'attention que celui ou celle à l'origine du drame ?

Il n'est pas question de porter atteinte à la présomption d'innocence et aux droits fondamentaux. Pour autant, n'oublions pas que les lois de la République ont d'abord pour vocation de protéger les honnêtes citoyens.

Cette nouvelle culture replace la victime au centre des préoccupations de l'Etat. Je tiens, en effet, à ce que vous soyez aidés, et aussi écoutés. Le débat public ne peut plus feindre d'ignorer vos voix. Car, nous partageons tous votre volonté que d'autres personnes ne subissent pas vos souffrances. Ce qui est arrivé ne doit pas se reproduire. Tel est bien l'objectif que je compte poursuivre avec vous.

Je vous remercie.