20.03.2008 - Forum International de la Cybercriminalité

20 mars 2008

Intervention de Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'Outre-mer et des collectivités territoriales, lors du forum international de la cybercriminalité à Marcq-en-Baroeul


Mesdames, Messieurs,

Ce deuxième forum international de la cybercriminalité contribuera, j'en suis sûre, à une meilleure connaissance de ce phénomène complexe qu'est la cybercriminalité, pour mieux agir ensemble.

Internet est, pour les individus comme les entreprises, un formidable espace de liberté.

Son corollaire délinquant, la cybercriminalité, porte de multiples atteintes à la sécurité de chacun.

Face aux nouvelles menaces pesant sur l'espace numérique, nous devons adapter notre action dans la volonté de protection.

Les réseaux numériques sont devenus un terrain d'action pour la pédopornographie, les attaques racistes et antisémites, les atteintes à la vie privée.

Les terroristes utilisent Internet pour diffuser des modes d'emploi d'explosifs ou pour pirater des sites stratégiques.

La cybercriminalité vise aussi la sécurité économique de notre pays.

L'espionnage industriel par Internet et l'ingérence dans les systèmes informatiques sont des phénomènes de plus en plus répandus dans une économie concurrentielle et mondialisée.

La mission de sécurisation de l'espace numérique est un enjeu majeur de sécurité nationale. Elle nous oblige à nous adapter sans cesse afin de posséder toujours un temps d'avance sur la cybercriminalité.
C'est pourquoi j'ai lancé un plan d'ampleur de lutte contre la cybercriminalité.

J'en rappellerai les axes principaux (1), avant de revenir plus particulièrement sur la question de l'intelligence économique (2).

1. Agir contre la cybercriminalité exige modernisation et ouverture.

A) La mobilisation de l'ensemble des acteurs est la condition de notre réussite.

Comme le rappelle le thème de votre forum, il importe que nous agissions "ensemble pour un espace numérique plus sûr".

Comme toujours en matière de sécurité, la lutte contre la cybercriminalité suppose une chaîne d'acteurs.

Elle implique la police et la gendarmerie, mais aussi les entreprises, les fournisseurs d'accès à Internet, les hébergeurs de site, les opérateurs, les associations d'utilisateurs, les familles.

L'Office Central de Lutte Contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication, qui regroupe policiers et gendarmes, est un exemple concret de coopération.

Mais la mobilisation doit aller au-delà de ces acteurs.

J'ai décidé d'engager un dialogue que je souhaite constructif avec les fournisseurs d'accès à Internet.

Une commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne réunira les pouvoirs publics, les opérateurs et les associations d'usagers.

B) La deuxième exigence est la modernisation.

- Modernisation de nos méthodes d'investigation pour les mettre en phase avec les pratiques contemporaines de la cybercriminalité.

Je souhaite, dans le cadre de procédures judiciaires, faciliter l'identification des utilisateurs d'Internet, en précisant les modalités de leur géolocalisation.
Je souhaite adapter rapidement notre législation en vue d'une modernisation globale de nos méthodes.

La future Loi de Programmation et de Performance pour la Sécurité Intérieure (LOPPSI) créera un délit d'usurpation d'identité sur Internet, passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Elle autorisera sous contrôle du juge la captation à distance de données numériques se trouvant sur un ordinateur ou transitant par lui.

- Je veux renforcer nos moyens humains de lutte contre la cybercriminalité.

Nous formerons deux fois plus d'enquêteurs en technologie numérique de la gendarmerie (N'TECH) et d'enquêteurs spécialisés en criminalité informatique (ESCI) au sein de la police.

J'entends accentuer l'implication de la police et de la gendarmerie dans les programmes de recherche comme dans les pôles de recherche et de développement de l'industrie française.
Les cursus à vocation technologique en partenariat avec l'université contribuent à la qualité de la formation des gendarmes. Je veux créer des cursus similaires au sein de la police nationale.

C) La lutte contre la cybercriminalité doit aussi s'inscrire dans une perspective européenne et internationale. C'est ma troisième exigence.

La cybercriminalité ne connaît pas de frontière.

Il faut donc élargir notre lutte contre la cybercriminalité, au plan européen, comme au plan mondial.

J'entends profiter de la présidence française de l'Union Européenne pour proposer la mise en place d'accords internationaux permettant de procéder à la perquisition à distance informatique sans autorisation préalable systématique du pays hôte du serveur.

Je proposerai à mes homologues la création d'une  plate-forme européenne d'échanges d'informations sur la cybercriminalité, dans le cadre d'Europol.
Au-delà du cadre strictement européen, je veux aussi approfondir nos échanges internationaux et notre coopération policière, notamment avec les Etats-Unis, la Russie ou la Chine.

Le renforcement de la lutte contre la cybercriminalité englobe également la protection du patrimoine intellectuel et matériel des entreprises, contre la prédation et les manœuvres illicites.

L'espionnage et l'ingérence industriels ont trouvé en Internet un nouveau terrain d'action.

Le piratage, l'intrusion sur les sites, l'attaque des Systèmes de Traitement Automatisé de Données sont leurs nouvelles techniques.

La cybercriminalité fait peser une véritable menace sur nos intérêts économiques fondamentaux.

Ce qui est en jeu, c'est l'indépendance économique de notre pays, la compétitivité de nos entreprises et notre politique de l'emploi.

Il est de notre devoir de renforcer la protection du patrimoine informatique de nos entreprises et de nos instituts de recherche.

Il est de notre devoir de défendre nos entreprises stratégiques contre des prises de contrôle par des entreprises étrangères et des transferts indus de technologie.

2. Cette protection ne saurait s'envisager sans une action offensive en matière d'intelligence économique.

Véritable question de sécurité nationale, l'intelligence économique est une des préoccupations majeures des chefs d'entreprises. Votre présence ici en témoigne.

L'intelligence économique fait couler beaucoup d'encre et alimente de nombreux débats, sans qu'il soit toujours aisé de la définir.

L'intelligence économique recouvre la maîtrise et la protection de l'information stratégique utile aux acteurs économiques.

C'est naturellement d'abord la recherche d'informations économiques, financières, techniques ou scientifiques dans le but affiché de conquérir ou de développer des marchés.

Il entre dans le rôle du ministère de l'Economie que d'organiser les réseaux nécessaires à cette bonne information de nos entreprises, sur le territoire national comme à l'étranger.

Le second aspect de l'intelligence économique, et c'est celui qui intéresse directement le ministère de l'Intérieur, c'est la protection de la compétitivité des entreprises, par la préservation de leur capital matériel et immatériel.

Cette protection impose sécurité au quotidien et réflexion à long terme. J'entends que l'action de mon ministère soit beaucoup plus offensive en la matière.

Les entreprises sont actrices à part entière de leur propre protection, c'est une évidence.

Qui mieux qu'elles connaît les données ou les brevets à protéger, les matériels sensibles utilisés, les transferts de technologie à éviter pour conserver leur avantage concurrentiel.

Les entreprises françaises possèdent un savoir-faire innovant ou reposant sur des méthodes qu'elles sont les seules à maîtriser.

Cette responsabilité qui est la leur ne saurait pour autant nous exonérer de la nôtre.

Nous avons l'obligation de les protéger du pillage de leur savoir-faire ou de leur capital humain.

Le ministère de l'Intérieur a un rôle essentiel dans le pilotage de la politique d'intelligence économique.

- Les actions de sensibilisation, menées par la gendarmerie, la police et les services spécialisés seront donc renforcées pour aider les entreprises à mieux protéger leur patrimoine et leurs innovations.

- L'action des services de renseignement demeure plus que jamais décisive.

La DST et les Renseignements Généraux ont une véritable expertise en matière de contre-ingérence informatique et de sécurité des systèmes d'information.

Leur regroupement au sein de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur permettra de mettre en commun leurs compétences, ainsi que celles de la gendarmerie, pour mieux protéger nos entreprises.

- Au plan local, les préfets de région doivent assurer la coordination des acteurs, et des informations qu'il s'agisse d'actions initiées au niveau local ou de remontées d'informations depuis le terrain.

La nouvelle organisation de l'Etat territorial renforcera leur rôle interministériel, en étroite liaison avec les collectivités territoriales et les entreprises.

- La création d'une délégation à la prospective et à la stratégie au sein du ministère permettra de perfectionner notre analyse prévisionnelle des enjeux dans le domaine économique et d'assurer la diffusion d'informations ciblées en lien direct avec les besoins opérationnels.

- Nous devons repenser à plus long terme nos objectifs en matière d'intelligence économique.

Dans la prolongation de l'excellent rapport de Bernard Carayon, j'ai demandé au Premier Ministre la nomination d'un parlementaire à mes côtés.
Il sera chargé de proposer une définition de nos objectifs à l'horizon de dix à quinze ans, tant en matière de recherche du renseignement économique que de protection de nos innovations technologiques.

Cette réflexion s'accompagnera d'une évaluation des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.

Mesdames, Messieurs,

Je veux faire du ministère de l'Intérieur, un véritable ministère moderne de la sécurité intérieure, au service de la protection des Français.

La lutte contre la cybercriminalité s'inscrit dans cette perspective.

Face aux défis de l'insécurité numérique, elle nous oblige à formuler de nouvelles réponses, dans le strict respect des libertés individuelles.

Le renforcement de notre politique d'intelligence économique répond à la même exigence. J'aurai bientôt l'occasion de développer, au-delà des pistes que je viens d'exposer, mon plan d'action en la matière.

Votre soutien m'est indispensable. J'ai besoin de vos expériences, de vos talents et de votre mobilisation. Soyez assurés de ma détermination.

Je vous remercie.