04.12.2008 - Réunion des directeurs généraux des pays européens et méditerranéens

4 décembre 2008

Intervention de Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et des Collectivités Territoriales, lors de la réunion des directeurs généraux des pays européens et méditerranéens


Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à l'Hôtel de Beauvau, au Ministère de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et des Collectivités territoriales.
Bienvenue à vous tous qui représentez notre communauté méditerranéenne et à vous qui représentez la volonté de l'Europe et des pays de la Méditerranée de s'unir ensemble pour mieux protéger nos concitoyens.
Pays européens, pays méditerranéens, nous partageons beaucoup, nous partageons d'abord un passé largement commun, nous partageons aussi un héritage culturel commun qui fait que pour nous la personne humaine doit être respectée, doit être protégée contre les atteintes qui pourraient y être portée.
Nous partageons une histoire commune, faite de lumières et de certaines ombres. Nous partageons surtout un destin commun, qu'il nous revient d'élaborer ensemble et dans ce destin il y a beaucoup de défis, qui sont représentés par des menaces globales, protéiformes. Des menaces qui transcendent toutes nos frontières.
Les attentats du 11 septembre 2001 nous on fait entrer dans l'ère d'un terrorisme de masse internationalisé qui peut frapper sur nos concitoyens sur chacun de nos territoires et dans ses déplacements en dehors de son territoire pour son travail ou pour ses loisirs. Les attentats de Bombay soulignent tragiquement l'actualité de cette réalité.
Mais au delà du terrorisme de masse nous voyons également le trafic des stupéfiants qui se développe. Il déstabilise nos sociétés, il porte atteinte à la santé publique, il pervertit nos économies. Le crime organisé investit aujourd'hui de nouvelles potentialités qui sont celles des nouvelles technologies.
Le défi est aussi pour nous de ne pas nous laisser dépasser par une utilisation plus généralisée et plus pointue par le crime organisé des nouvelles technologies et tout particulièrement d'internet.
Alors, face à ces menaces qui pèsent sur chacune de nos sociétés et sur chacun de nos pays, il est évident que notre réponse ne peut qu'être globale.
Aujourd'hui aucun pays ne peut se protéger seul contre le terrorisme, ne peut seul se protéger contre le trafic de drogue, ne peut se protéger uniquement à l'intérieur de ses frontières contre les manifestations du crime organisé.
Mais vis-à-vis de ces défis qui nous sont imposés, nous devons également prendre en compte les attentes de nos populations, il est vrai que les citoyens, aujourd'hui, quelque soit le pays, sont de plus en plus exigeants pour leur protection contre toutes ces formes d'atteintes.
Nous sommes, sinon dans des sociétés où l'on appelle au risque zéro, du moins dans des sociétés où les citoyens exigent de plus en plus que l'Etat et ses représentants le protègent au maximum contre les atteintes.
Cette première réunion des directeurs généraux de police de l'Union européenne et des pays méditerranéens doit marquer une nouvelle étape dans notre coopération, indispensable pour répondre à la fois aux menaces et aux attentes. Une coopération que nous devons fonder sur l'échange c'est ce que vous ferez largement ce matin, sur une meilleure compréhension des exigences et des contraintes des autres, sur une meilleure capacité de travail en commun, non seulement de vous mais également de tous ceux que vous diriger. A ce titre, je suis persuadée que la formation des policiers est la condition d'une coopération efficace sur le terrain, une coopération qui intègre à la fois les savoirs faire technique de la profession mais aussi la capacité de dialoguer avec les autres.
Je crois vraiment que la formation est l'une des clés de la coopération policière et judiciaire entre l'UE et les pays du Sud de la Méditerranée
L'international fait désormais partie intégrante du métier de la police.
Ce n'est certainement pas à vous, qui êtes les cadres de police venus de tout le continent européen et du bassin méditerranéen, que je l'apprendrai. Cela fait partie de votre quotidien.
La création puis l'élargissement, il y a encore jusqu'à ces derniers jours à la Suisse de l'Espace Schengen a conduit à une coopération quotidienne entre les Etats de l'Union Européenne.
Mais cela implique effectivement aussi un certain nombre de savoir faire supplémentaires ; l'européanisation des procédures exige désormais la maîtrise des langues et d'une certaine façon aussi la maitre des cultures européennes dans l'exercice du métier de policier et de gendarme. Il faut pouvoir se parler, ce n'est pas toujours facile, il y encore des progrès à faire en la matière, mais il faut également comprendre la raison de l'attitude des uns et des autres.
Au-delà de l'Europe, la mondialisation des problématiques de la sécurité, que j'évoquais il y a un instant nous oblige à créer les conditions d'une meilleure compréhension et d'un meilleur échange, alors il faut que la formation des policiers et des gendarmes s'adapte en conséquence. Le Collège européen de police nous en donne un certain nombre de moyens.
le collège européen de police a maintenant  8 années d'existence, il est devenu la pierre angulaire de la formation des cadres de la police en Europe.
Il favorise le partage des idées, il favorise le partage des expériences et le partage des savoir-faire, Il apprend à améliorer l'action à la lumière de celle de nos partenaires, il s'agit jamais de reproduire exactement ce qui ce passe dans un pays, mais il s'agit de tires toutes les conséquences des réussites de l'autre et parfois de savoir utiliser les échecs de l'autre pour éviter de s'engager dans les mêmes voies.
Bref, par ces échanges, le Collège joue un rôle essentiel dans le développement d'une approche commune de la sécurité intérieure.
Et je crois vraiment aujourd'hui en tous les cas cela me semble reconnu par l'ensemble de mes confrères, l'expertise du Collège Européen de police profite à tous les Etats membres de l'UE.
Je souhaite que cette expérience soit totalement mise au service de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée.
Vous le savez, le projet EUROMED dans lequel le Président de la République  s'est beaucoup  investi, est une traduction concrète de notre volonté de travailler ensemble pour mieux protéger l'ensemble de nos populations.
L'objectif du projet est de former les responsables des neufs pays de la zone sud de la Méditerranée à la coopération internationale en matière de lutte contre la grande criminalité : terrorisme, trafic de drogue, trafic d'êtres humains, trafic d'arme, cybercriminalité, criminalité financière.
Inscrit dans une durée de 3 ans, ponctué de rencontres des directeurs généraux, le projet nous permettra d'apprendre à mieux communiquer, à mieux échanger pour finalement mieux agir car c'est toujours cela qu'il faut avoir à l'esprit, c'est l'action au-delà du plaisir de la rencontre.
Le projet EUROMED s'inscrit dans la dynamique de l'Union pour la Méditerranée que j'évoquais il y un instant, souhaitée, voulue par le Président SARKOZY qui a mis beaucoup d'énergie et qui fédère aujourd'hui l'ensemble des pays européens.
Ce que l'on veut faire, ce ne sont pas simplement des grandes réflexions, ce que nos concitoyens attendent aussi bien de l'Europe que d'un projet Euro-méditerranéen c'est qu'il  apporte des réponses concrètes qui dans leur vie quotidienne leur donne le sentiment d'être mieux protégées.
Ce que nous avons donc à élaborer ce sont des projets concrets, des projets efficaces, en lien direct avec les préoccupations de nos populations. C'est d'ailleurs dans la ligne de ce que j'ai réalisé dans le cadre de la présidence française de l'Union Européenne en matière de sécurité.
J'en ai la conviction, j'en ai la volonté : c'est comme ca que nous réconcilierons nos concitoyens et avec l'Europe mais aussi avec cette idée qu'il y a une unité qui se forme, une unité d'intérêt entre l'ensemble des pays de ce bloc européo-méditerranéen.
Cela est vrai dans tous les domaines. C'est probablement encore plus vrai dans la sécurité intérieure.
Parce que la sécurité est le domaine qui est le plus préoccupant pour  les gens, c'est finalement leur vie, qui est en jeu, c'est là où ils se sentent à la fois les plus fragiles les plus démunis et où ils sont le plus de besoins de se sentir soutenus.
L'Union pour la Méditerranée permettra de donner encore plus d'envergure à nos actions communes de partages d'expérience et de formation. Le soutien du CEPOL nous paraît indispensable.
Si la formation des policiers nous permet de renforcer notre action sur le terrain, on peut en voir une application dans le domaine que vous avez choisi comme sujet essentiel de votre séminaire, c'est à dire, la lutte contre la drogue.
Le trafic de drogue représente en effet, aujourd'hui, au plan international, un chiffre d'affaires estimé entre 300 et 500 milliards de dollars.
Au moment où l'on parle de crise financière de plan de relance on voit aussi l'importance que cela joue dans les économies y compris dans la déstabilisation des économies.
Sur l'ensemble des pays méditerranéens, les services de police et de gendarmerie ont saisi, pour la seule année 2006, puisque c'est celle pour laquelle nous avons des statistiques pour chacun, 64,9 tonnes de cocaïne 14,8 tonnes d'héroïne et 661,3 tonnes de cannabis.
C'est une réalité dont il faut avoir conscience, c'est au-delà de ces chiffres, et vous plus que quiconque, que derrière, ce sont des drames humains, ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont atteintes par cela, atteintes directement par la consommation, mais atteintes également par les conséquences de l'économie souterraine qui est générée par ces trafics et par la déstabilisation d'un certains nombre de quartiers dans nos villes, et la déstabilisation du lien social qui atteint très largement nos sociétés.
Notre responsabilité c'est donc d'agir. D'agir d'abord dans nos Etats, car c'est là que nous avons la première responsabilité. Et c'est d'ailleurs ce que j'ai fait en France avec les services de police et de gendarmerie, j'ai fait de la drogue l'une des mes toutes premières priorités. Dès le début de l'année 2008, j'ai relancé l'action des groupements d'interventions régionaux pour tarir les profits du trafic de stupéfiants, pour mieux déterminer grâce à la participation des services fiscaux, des services douaniers des services de police et de gendarmerie, où sont les vrais responsables des trafics, et aller les toucher jusque dans le domaine patrimonial.
C'est ainsi, qu'au premier semestre 2008, à la suite de la relance de ces groupements, 88 000 infractions à la législation sur les stupéfiants ont été constatées, soit une hausse de 12 % le voyons notamment ces dernières semaines, il y a une augmentation, une augmentation non seulement des saisies, mais surtout des interpellations de réseaux entiers, car il est évident que c'est ça qui est intéressant, ce sont les hommes qui participent au réseau  qu'il faut neutraliser car c'est comme cela que l'on peut couper le trafic.
Cela n'a pas empêché aussi des saisies importantes, 5,4 tonnes de cocaïne ont été saisies. C'est deux fois plus qu'au premier semestre 2007. Vous avez un doublement sur les premiers mois de l'année, des saisies de l'année précédentes, mais là-encore ce sont les arrestations des personnes et les démantèlements des réseaux qu'il faut privilégier.
Nous avons les premiers résultats, je crois qu'il faut aller plus loin, car c'est une lutte qui exige une permanence dans le durée, c'est la seule façon d'agir.
Mais aller plus loin, cela veut dire aussi qu'il ne faut pas travailler le dos au mur. Nous savons bien, que dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine de la police, de la gendarmerie ou dans le domaine militaire, que quand on est acculé et nous ne sommes pas en position d'être véritablement efficace.
Et donc ce qu'il faut aussi c'est essayer de reculer le plus possible les limites de la coopération contre ces trafics, plus nous nous rapprochons de la source et plus nous pouvons être efficace. Alors en travaillant ensemble nous avons la possibilité à la fois de conforter nos moyens mais également de faire reculer les lieux où nous pouvons commencer à intervenir, pour cela il nous faut des outils juridiques.
Un Plan d'action drogue a été initié par la Présidence Française de l'Union Européenne.  Il devrait être adopté le 8 décembre prochain
Il va nous permettre  de renforcer la coopération et la coordination entre les Etats européens notamment
- en facilitant les échanges de renseignements opérationnels,
- en améliorant la coopération judiciaire, c'est également un point important pour que le trafiquant ne puisse pas profiter des différences de législation ou des différences de procédures en passant d'un Etat à l'autre pour se soustraire aux poursuites,
- en développant les techniques de profilage des drogues dans le domaine de la police technique et scientifique,
- en élargissant le recours aux réseaux d'officiers de liaison,
- en soutenant un développement alternatif à la production de drogue dans les pays producteurs.
Nous savons bien que c'est là aussi le plus loin, c'est-à-dire là ou l'on produit qu'il faut agir, d'ailleurs, nous aurions sans doute moins de problème avec l'Afghanistan si nous avions pu empêcher, et si nous pouvions empêcher que la culture du pavot ne vienne entretenir financièrement des réseaux talibans.
Mais pour cela encore faut-il que les paysans qui n'ont que ces ressources aient d'autres perspectives de ressources assurées dans le durée, sinon ils n'ont le choix entre rien n'avoir et cultiver le pavot, ils cultiveront le pavot. La situation est la même en Amérique latine, et notamment en Colombie, avec d'autres conditions puisque le climat n'est pas le même, il y a là d'autres possibilités de culture, nous ne réglerons le problème qu'à condition aussi d'agir à la source et dans ces pays.
Pour revenir sur nos territoires qui sont tous concernés au nord comme au sud de la Méditerranée par ces trafics, il faut aussi  essayer d'agir contre ceux qui sont là, et agir en les touchant au porte feuille si je puis dire.
S'agissant de la saisie des avoirs criminels, des décisions-cadre du Conseil d'octobre 2006 et de décembre 2007 ouvrent la voie à une reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation, et une harmonisation des dispositions sur la criminalité financière ainsi qu'un  partage des biens saisis entre Etats.
Moi je pense qu'il est indispensable d'élargir ces outils très concrets et qui sont psychologiquement et financièrement très efficaces au plus grand nombre d'Etats possibles. Il faut partir de l'idée que les trafiquants sont des gens intelligents et opportunistes et qui savent donc saisir aussi bien l'utilisation possible des nouvelles technologies que l'utilisation possible des lacunes juridiques ou des lacunes policières.
 Il nous faut des outils opérationnels.
Vous le savez, la plate-forme de lutte contre la drogue dans l'Océan Atlantique a donné de très bon résultats depuis un an et demi qu'elle est installée à Lisbonne. 11 navires interceptés durant les douze premiers mois de son activité, c'est un résultat qui a été immédiatement enregistré par les trafiquants, c'est à dire que nous avons les flux, les routes de la drogue se réorienter et augmenter les trafics par le Continent africain, en passant notamment par le Sénégal, le Mali, ou la Mauritanie, et ensuite en repassant par un certain nombre de pays que vous représentez. Ce sont des conséquences sur la santé des habitants et plus particulièrement des jeunes, ce sont des conséquences sur la déstabilisation de l'économie et je dirai même sur la déstabilisation des Etats avec tous les risques de corruption par l'argent de la drogue, il faut aussi dire les choses concrètement.
Sur le modèle de la plate-forme de Lisbonne, le centre de coordination de la lutte anti-drogue en Méditerranée, le CECLAD-M, qui ouvre ces jours-ci avec des officiers de liaison d'un bon nombre de vos pays, nous permettra donc de renforcer les relations entre les partenaires de la rive nord et de la rive sud de la Méditerranée occidentale, parce que c'est dans notre action conjointe que nous pouvons réunir le maximum de renseignement et le maximum de possibilité d'interception des flux.
Je crois que c'est par ce biais d'un certain nombre d'action commune s'appuyant sur des analyses communes que nous renforcerons cette culture commune de la sécurité entre l'ensemble de nos pays.
Ce que je veux vous dire en conclusion c'est ma conviction, c'est que aucun de nos pays n'a la capacité de lutte seul contre les menaces qui transcendent nos frontières et qui viennent porter le doute et souvent la déstabilisation au cœur de nos pays. Vous avez aussi cette analyse de la situation et la volonté que nous puissions travailler ensemble pour la sécurité de tous.
Je compte sur votre travail pour donner une réalité à ces intentions, c'est d'avoir pu de toute façon transmettre des convictions, mis en place des procédures, qui 10 ans après, 15 ans après, vont permettre d'avoir une action concrète et efficace, alors vous êtes là pour assurer une certaine permanence, mais c'est vrai que les directeurs eux aussi passent, mais surtout transmettre dans vos administrations, auprès de vos hommes et de vos femmes la conviction de la nécessité de ce travail en commun, la conviction de la détermination indispensable à une réussite c'est là notre devoir à tous.
Chacun à notre place nous avons une responsabilité qui nous dépasse qui fait la difficulté mais aussi la grandeur des missions qui nous sont confiées parce que finalement ce qui est en jeu c'est le devenir des hommes et des femmes de nos pays, c'est le devenir de nos pays eux-mêmes.
Je vous remercie