29.04.2004 - Conseil Justice Affaires Intérieures

29 avril 2004

Rencontre de Dominique de Villepin avec la presse dans le cadre du Conseil Justice Affaires Intérieures


Ma première préoccupation c'est bien sûr la sécurité des Français et celle des Européens dans le contexte européen et de terrorisme que vous connaissez. C'est pourquoi il était important pour moi d'être présent à Luxembourg.

J'ai pu rencontrer mes homologues européens et avoir des contacts bi-latéraux avec un certain nombre d'entre eux. Il s'agissait d'abord du premier conseil justice affaires intérieures après la déclaration européenne sur le terrorisme. Il s'agissait aussi du dernier conseil de ce type à 15 avant le prochain qui sera donc en format à 25. Nous avons évoqué trois sujets principaux : d'abord la lutte contre le terrorisme, - je rappelle évidemment la préoccupation qui est la nôtre sur le risque terroriste en Europe après le 11 septembre, il y a eu, chacun le sait le 11 mars, nous sommes dans un contexte international particulièrement difficile avec un certain nombre d'échéances importantes en particulier pour la région du Moyen-Orient, et pour l'Irak qui accroissent ce risque terroriste et nous devons donc être particulièrement vigilants. La déclaration sur la lutte contre le terrorisme adoptée par le Conseil européen des 25 et 26 mars nous donne une feuille de route particulièrement claire. Il reviendra à Javier Solana et à M. De Vries de faire des propositions au prochain conseil européen du mois de juin.

Nous sommes dans le temps de l'urgence, nous devons être en initiative avec trois priorités, d'abord une meilleure protection des Européens qui doit se traduire par un renforcement des mesures de sûreté dans les transports, par un renforcement des dispositifs contre le financement du terrorisme c'est un point dur puisque : qui dit financement dit capacité même des réseaux terroristes à agir.

Cela doit également se traduire par une montée en puissance des capacités de protection civile et vous savez que la France propose la création d'une force de réaction rapide dans ce domaine qui doit nous permettre d'unir nos moyens face à des catastrophes qui peuvent toucher tel et tel des pays européens. Enfin, cela peut se traduire par la mise en place partout dans l'Union, de mécanismes communs d'indemnisation des victimes. De ce point de vue une harmonisation est aussi importante.

 La deuxième priorité c'est une meilleure coopération institutionnelle. Il est urgent de rendre EUROPOL plus opérationnel et c'est bien le sens de la candidature française au poste de directeur des institutions. Nous avons présenté, vous le savez, M. FRANQUET qui a, à la fois, une expérience de terrain, une expérience de policier opérationnel et en même temps une forte expérience dans le domaine de la gestion c'est-à-dire qu'il a tout ce qu'il faut pour relever le défi qui est actuellement celui d'Europol. Nous devons aussi renforcer, dans le respect des libertés publiques, les systèmes d'information, qu'il s'agisse du système d'information Schengen ou de la mise en place de nouveaux systèmes, qu'ils traitent des passeports volés, des données détenues par les opérateurs téléphoniques ou d'Internet ou de l'échange encore des données relatives aux passagers. Un effort particulier dans le domaine du renseignement est enfin indispensable. Nous y travaillons avec la création d'une structure de coordination au sein du secrétariat général du Conseil, nous souhaitons pour notre part qu'il s'agisse bien de centralisation et non de recueil de l'information.

Création également d'un poste de coordinateur pour le contre-terrorisme occupé par M. Gijs de Vries que je recevrais prochainement à Paris. Pour parvenir à des résultats concrets nous devons anticiper sur les échéances, c'est vrai en particulier en ce qui concerne le contrôle des frontières de l'Union, contrôle des frontières extérieur de l'Union. Si nous souhaitons que l'agence européenne soit opérationnelle le 1er janvier, prochain nous devons lancer d'ores et déjà des coopérations que nous élargirons progressivement, je pense par exemple au déploiement d'équipes communes aux frontières.

Enfin troisième acte, troisième priorité, une meilleure adéquation des législations en vigueur ce qui exige l'harmonisation accélérée des législations européennes en matière de lutte anti-terroriste, la transposition d'ici à juin et la ratification d'ici le 31 décembre prochain des textes européens les plus importants. La France a d'ores et déjà fait le nécessaire en ce qui concerne par exemple le mandat d'arrêt européen et les équipes communes d'enquêtes. Je n'oublie pas pour autant l'urgente nécessité d'agir sur tout ce qui concerne le terreau même du terrorisme et donc en particulier sur le règlement des crises qui conditionne notre capacité, notre efficacité sur cette question.

Le deuxième sujet que nous avons abordé concernait la législation européenne sur l'asile. La discussion va se poursuivre au cours de l'après-midi, nous n'avons fait que l'entamer au cours du déjeuner. Nous voulons aboutir aujourd'hui à un accord sur le dernier des 4 textes sur la législation européenne sur l'asile, qui a trait aux procédures d'octroi et de retrait du statut de réfugié. Il s'agit d'un enjeu majeur pour l'ensemble des européens en terme de sécurité, en terme de maîtrise des flux migratoires et de coopération européenne. L'entrée en vigueur sur une législation européenne doit en effet permettre l'harmonisation de nos législations et donc d'éviter les mouvements secondaires de demandeurs d'asile attirés par des pays plus faciles que d'autres et éviter qu'il y ait comme cela un mouvement flottant qui se constitue en Europe.

Troisième grand sujet, c'est la désignation d'un nouveau directeur d'Europol. Le Conseil européen des 25 et 26 mars a mis l'accent sur la nécessité de faire d'Europol un outil de coopération policière opérationnelle. Le candidat français, M. Franquet, nous semble le mieux à même de pouvoir mener cette réforme, cette évolution d'Europol. C'est pour cela que nous souhaitons qu'une désignation puisse intervenir dans les délais les plus proches. J'ai eu l'occasion d'aborder cette question bien sûr avec mon homologue allemand, mon homologue italien ainsi qu'avec un certain nombre d'autres délégations en insistant sur l'urgence qu'il y aurait à ce que un candidat puisse être désigné dans les délais les plus courts.

Des questions …

La première sur Europol : donc il n'y a pas eu de décision au déjeuner

- Pas encore

C'était prévu au départ …

- Pas encore, c'est un sujet difficile, je crois qu'il y a une large volonté d'essayer d'aboutir mais ce n'est pas encore le cas et notre espoir c'est que dans les prochaines heures les choses pourront se débloquer

Il y a une question sur l'asile, si vous pouviez nous en dire un peu plus, sur le point où en sont les discussions

- A ce stade les discussions ont été très générales, il y a eu un échange de vue à partir des quelques délégations dont les systèmes juridiques sont particuliers ou originaux, je pense à l'Irlande, je pense à l'Angleterre mais il n'y a pas eu véritablement encore de débats sur le fond du sujet concernant des pays sûrs notamment.

En l'état actuel du texte, quelle est sa valeur ajoutée puisque finalement c'est un texte qui est très minimal qui permet aux Etats dans la plupart du temps de garder leur législation.

- Je crois que tout l'intérêt de ce texte, c'est de doter l'Europe d'une législation commune sur un sujet compliqué. Chacun, bien sûr, a ses impératifs, ses traditions, ses exigences. La France est traditionnellement un pays qui se veut respectueux de cette tradition qui est importante pour notre pays mais il y a bien sûr une obligation de sécurité, une obligation de fermeté pour éviter justement que ces systèmes ne soient détournés. Donc ce texte a pour vocation à essayer de trouver le bon équilibre entre cette exigence de protection, éviter les détournements possibles de la part de tel et tel, et d'autre part d'un principe qui est celui des pays qui sont les nôtres et auxquels nous croyons. Donc il faut trouver cet équilibre, on peut placer le curseur plus ou moins haut, ce qui est important et essentiel je crois, c'est que véritablement nous soyons capables d'adopter des règles communes pour éviter justement des distorsions qui pourraient se créer entre tel et tel pays et à partir de là des contournements, des détournements de flux, certains immigrants décidant de rentrer par tel et tel pays ou de profiter de la situation de tel et tel pays ce qui créerait une situation de déstabilisation et d'inégalité entre les pays européens. Donc je crois que l'enjeu est très important c'est de créer justement cette base commune permettant de poser une règle.

Qu'est ce qu'il y a de commun justement dans le texte ?

- A partir du moment où nous sommes capables de nous entendre sur un certain nombre de principes, qu'est ce qu'un pays sûr, qu'est ce que l'asile interne, il y a là je crois un certain nombre de règles qui seraient clairement fixées par l'Europe vis-à-vis de l'ensemble de ceux qui souhaiteraient pouvoir demander l'asile. Il importe de dissuader ceux qui ne sont pas fondés à faire cette demande et d'autre part au contraire pour ceux qui ont de vraies raisons de pouvoir instruire leur dossier dans des délais rapides. Donc je pense que la clé c'est d'adresser un message, un message de détermination, un message de clarté, un message d'une règle posée par l'ensemble des Européens, je crois que c'est un pas important qui marque clairement notre volonté d'avancer sur ce dossier.

A propos d'Europol, j'ai entendu que le problème pour la désignation de M. Franquet était qu'il ne parlait pas anglais.

- Vous savez que la procédure qui a été engagée pour essayer de définir et d'évaluer la capacité des candidats a clairement hiérarchisée la situation de ses différents candidats. Je crois que ce n'est pas m'avancer que de dire que le candidat français est sorti clairement distingué, par ses capacités, par ses compétences. Je crois que l'évaluation qui a été faite est une bonne évaluation et dans ce contexte il appartient évidemment à chacun des pays de se déterminer. Ce que nous souhaitons une fois de plus, compte tenu de l'importance de l'enjeu et du message que nous adressons, c'est la volonté de revitaliser, de donner une nouvelle dynamique à Europol. Je rends hommage à l'équipe qui a conduit Europol jusqu'à aujourd'hui, nous entrons dans une autre étape et nous avons besoin d'un nouveau souffle. Je pense dans ce contexte qu'il est important que l'unanimité se fasse, qu'un consensus soit trouvé entre les pays européens, c'est à cela que nous voulons travailler, j'espère qu'aujourd'hui dans cette même journée il y aura le consensus qui pourra se faire en ce sens. Je dois vous dire que du contact que j'ai eu avec nombre de délégations, j'ai senti un très large soutien qui s'exprimait pour le candidat français mais encore faut-il que ce soutien puisse aller jusqu'à une décision. C'est ce que nous souhaitons car il est important de montrer sur un sujet aussi difficile que nous sommes résolus, déterminés à aller de l'avant, déterminés à avancer.

Est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème d'âge, on m'a dit qu'il y avait aussi une limite d'âge à Europol s'il est nommé il ne pourra pas rester longtemps ?

- Mais tout cela a été clairement évalué par ceux qui ont eu en charge d'apprécier la situation des différents candidats, cela s'est fait selon des règles de parfaite transparence. Les 3 candidats en lice sont bien connus de l'ensemble des délégations, chacun peut évaluer les avantages et les inconvénients et je crois pouvoir dire que dans cette évaluation les choses se sont faites plutôt pour mettre en valeur les qualités que représentait le candidat français, ce qui n'enlève rien aux mérites des candidats de l'ensemble des autres pays. Je crois qu'il serait totalement inutile et déplacé de vouloir entrer dans une bataille pour faire valoir les mérites des uns et des autres. Ce qui est important c'est que nous soyons capables de décider pour l'avenir d'Europol, celui qui aujourd'hui dans le cas présent est le mieux placé pour diriger cette institution. Evidemment n'attendez du ministre de l'intérieur français qu'il vous dise que sa conviction c'est que le candidat que nous présentons n'est pas le meilleur, c'est la mienne, c'est la conviction de notre pays, et je suis heureux de voir qu'elle est assez largement partagée.

Jacques Chirac a dit qu'il fallait changer la législation en matière d'immigration éventuellement, suite à l'affaire de Vénissieux, quelle forme cela pourrait prendre, est ce que ce n'est pas dangereux de changer la législation juste pour un cas.

- Il a été plus précis que cela. Il a dit que, si la nécessité se faisait sentir il faudrait alors évaluer la possibilité de changer la loi. Donc vous voyez il n'a pas affirmé les choses :  il a dit « c'est quelque chose que nous devons considérer » et je crois effectivement que c'est raisonnable. Pourquoi ? Nous sommes aujourd'hui dans une situation particulière en Europe qui est, je l'ai dit, une menace terroriste sérieuse qui doit être encore pris davantage au sérieux  au cours des prochains mois parce que la situation internationale justifie cette préoccupation. Face à ce risque nous devons avoir les moyens d'agir. Nous devons nous doter des moyens d'agir. Il est évident que la capacité que nous avons à prendre toutes les dispositions pour que ces conditions de sécurité soient respectées, c'est bien le premier devoir qu'a un gouvernement. Dans ce contexte,  nous estimons que dès lors qu'il y a des informations qui sont recoupées, dès lors que ces informations permettent d'apprécier une situation de risque, il est de notre devoir d'en tirer toutes les conséquences et c'est pour cela que nous souhaitons, dans le cadre des responsabilités qui sont les nôtres, envisager l'ensemble des options qui nous permettraient dans les meilleures conditions possibles de faire face à cette exigence. Nous affirmons notre détermination aujourd'hui à assumer pleinement cette responsabilité à charge au cours des prochaines semaines de voir quelles sont les meilleures conditions pour le faire.

Pour l'instant c'est une option ?

- Nous avons clairement dit que nous tirerions toutes les conséquences de la situation actuelle et serons amenés à apprécier au vu de la situation s'il est opportun ou pas de le faire mais clairement nous n'excluons pas de modifier la loi si cela est nécessaire parce qu'aujourd'hui notre devoir, une fois de plus j'attire votre attention sur le fait qu'il y a un risque terroriste que nous devons prendre au sérieux, après le 11 mars, c'est évidemment notre responsabilité, la situation internationale marque bien aujourd'hui la nécessité de prendre en compte ce risque et c'est notre responsabilité donc d'étudier l'ensemble des options qui nous permettront dans les meilleures conditions d'y faire face.

Dans le contexte de danger terroriste, est ce qu'on a encore parlé des jeux d'Athènes et aussi par exemple aux Etats-Unis on a vraiment des angoisses pour envoyer les athlètes. En France il y a-t-il des soucis ?

- Le calendrier parle de lui-même, nous avons une multiplication de grands évènements internationaux : les évènements de Normandie le sommet d'Istanbul, la date du 30 juin retenue pour la pleine souveraineté d'Irak, il y a là toute une série de grandes échéances internationales au cours des prochaines semaines qui évidemment marquent bien une intensité de cette vie internationale. On voit bien par ailleurs la multiplication et la dégradation, la multiplication des actes terroristes, la dégradation de la situation en Irak, les tensions qui existent actuellement au Proche-Orient. Nous ne pouvons pas aujourd'hui nous voiler la face devant ces risques, nous sommes donc dans l'obligation de nous mobiliser tous ensemble. C'est tout le sens de l'action que nous menons dans le cadre européen mais bien évidemment aussi dans d'autres instances. Nous devons nous mobiliser, il faut le faire évidemment à l'échelle internationale, nous devons le faire aussi à l'échelle nationale et c'est bien évidemment la responsabilité que nous voulons assumer.