21.02.2005 - Institut National des Hautes Etudes de Sécurité

21 février 2005

Allocution de Dominique de Villepin, Ministre de l'Interieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales - Institut National des Hautes Etudes de Sécurité - le lundi 21 février 2005


Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,

C'est un plaisir et un honneur d'être avec vous aujourd'hui pour évoquer ensemble les objectifs stratégiques et les priorités du nouvel Institut National des Hautes Etudes de Sécurité que j'ai créé par décret du 27 juillet 2004.

Nous ne partons pas de rien. Le nouvel institut reprend l'héritage de l'Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure qui a apporté des contributions importantes au débat sur les phénomènes de la délinquance et sur les défis de la sécurité intérieure.

1. L'INHES est le point de départ d'une nouvelle démarche.

Il doit éclairer l'action des décideurs de ce ministère et d'abord le ministre lui-même.

Car dans un contexte de mondialisation et d'ouverture, une meilleure connaissance de la réalité des risques dans notre pays est plus que jamais nécessaire, pour bâtir une véritable stratégie nationale de sécurité. Cette stratégie ne peut pas être figée :
• Les évolutions politiques, diplomatiques, technologiques ou culturelles modifient sans cesse notre environnement ;
• Elles font apparaître aussi de nouvelles fragilités et donc de nouveaux risques : qu'il s'agisse des nouvelles formes de violences ; qu'il s'agisse de la structuration en réseaux du crime et de la drogue ; qu'il s'agisse des nouveaux vecteurs du racisme et de l'antisémitisme comme la cybercriminalité ou encore du risque terroriste qui mobilise à la fois les armes les plus rudimentaires et les plus sophistiquées.

C'est pourquoi j'ai souhaité que le ministère de l'Intérieur, qui est en charge de la protection des Français, puisse désormais s'appuyer sur un niveau d'expertise, mobilisable rapidement et faisant appel à toutes les compétences disponibles en France comme à l'étranger. C'est la première mission que j'assigne à l'INHES : votre rôle au sein du Conseil d'Administration, sous la présidence du préfet Michel BESSE, et grâce à l'animation du directeur, le préfet Régis GUYOT, sera d'être constamment à la hauteur.

Pour cela, vous devrez suivre trois règles de conduite :
• D'abord, disposer en permanence de l'expertise la meilleure et la plus actuelle, ce qui suppose largement d'aller la chercher à l'extérieur ;
• Ensuite, la réactivité et l'urgence: vous devez répondre présent à chaque fois que le ministre vous sollicite ;
• Enfin la rigueur et la crédibilité, qui sont indispensables pour faire de l'INHES un des grands instituts publics de référence sur la sécurité intérieure, comme il en existe pour la défense.

3. D'ores et déjà, je vous fixe aujourd'hui quatre objectifs prioritaires.

Premier objectif, l'anticipation.

Nous devons reprendre la main par rapport au principe de précaution :
• Malgré leur compétence et leur engagement, les préfets sont trop souvent obligés d'appliquer le principe de prudence, faute d'avoir été en mesure de prévoir et anticiper la crise.
• Je pense en particulier à la canicule en 2003, mais aussi, demain, au risque de grandes pannes numériques, téléphoniques ou électriques, ou au risque de saturation totale des axes principaux de circulation.

Vous devez donc jouer un rôle de vigie sur les conséquences pour la sécurité des évolutions de la société, comme sur l'apparition de nouveaux risques et de nouvelles menaces.
• Vous devez en analyser les formes et les manifestations,
• Et proposer les mesures de prévention et d'adaptation les plus pertinentes ;

Ce rôle d'alerte du Ministre et du gouvernement représente une orientation nouvelle pour l'institut qui devra adapter en conséquence ses ressources humaines et faire appel à ses réseaux partenaires.

Votre deuxième objectif, c'est l'approfondissement de la connaissance de la réalité.

C'est vrai pour la délinquance contre les personnes :
• Nous devons affiner nos informations pour adapter sans cesse l'action des forces de sécurité sur le terrain.
• Pour cela, il faut analyser en profondeur les causes et les modes d'expression de cette délinquance, en particulier celle qui touche les plus fragiles de nos concitoyens, ses lieux de manifestations les plus graves : aux abords des écoles et des lieux de culte, dans les gares et les transports, dans les centres commerciaux et les enceintes sportives.
• Cela implique, en amont, d'élargir notre connaissance statistique bien au-delà de l'état 4001, de croiser les données de celui-ci avec celles des  autres producteurs de données. Je sais que l'Observatoire national de la délinquance, qui est rattaché par son statut, sera le lieu de débats et d'expertise pour de tels travaux :
o J'ai lancé par exemple dès 2005, sur la recommandation d'Alain Bauer, une importante étude sur la victimation et les corrélations avec les données du 4001 ;
o La rigueur statistique et la transparence sont pour moi en effet des priorités : c'est pourquoi j'ai décidé la publication mensuelle in extenso du 4001 sur internet. ;
o S'ils sont conduits avec le souci d'une approche scientifique, ces travaux ne pourront qu'être utiles aux progrès de la sécurité dans notre pays.
• Mais analyser en profondeur la délinquance implique aussi de travailler avec les services et d'autres partenaires. Je pense tout particulièrement au phénomène de la primo-délinquance, pour laquelle un atelier de travail est déjà à pied d'œuvre. Trouvons des solutions durables, en partenariat avec la justice, les spécialistes de l'éducation et de la pédo-psychiatrie, pour protéger les jeunes des violences dont ils sont à la fois les victimes et les auteurs. Ce travail nous est indispensable dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la prévention des violences.

Nous devons aussi approfondir notre connaissance des risques de natures diverses.
• Mieux évaluer la situation permet de mieux organiser et de mieux coordonner nos réponses, pour agir sans délai en cas de crise.
• Les préfets doivent pouvoir disposer à tout moment, même au premier jour de leur prise de fonction, d'un diagnostic des risques sur leur territoire et de schémas d'intervention type. Je pense en particulier aux installations SEVESO, notamment sur le couloir rhodanien de la chimie ;
• L'adossement du Conseil national de sécurité civile sur l'INHES donnera à votre institut un partenaire essentiel, lui-même fédérateur de compétences.

L'INHES doit donc être ce lieu de la réflexion aboutie et de la diffusion de connaissances et de méthodologies aux services de l'Etat comme aux acteurs économiques.

Votre troisième objectif est de concevoir des outils pratiques d'action pour les services.

Cette action était déjà menée par l'ancien IHESI :
• Vos équipes ont donc la culture nécessaire ;
• Mais il vous faut identifier les sujets prioritaires et en préciser l'articulation avec les services opérationnels.

Quels types d'aides pouvez-vous leur offrir ?
• D'abord des experts d'autres disciplines que les leurs : je pense par exemple à la normalisation en matière de protection des citoyens ;
• Ensuite un lieu où pourront être conçues, avec d'autres Ministères ou partenaires, des mesures nouvelles, des méthodologies communes, mais aussi des guides de bonnes pratiques, à partir des expérimentations mises en oeuvre.
• Vous aurez à développer ces outils de votre initiative ou bien à la demande des services, mais toujours avec leur participation.

Je vous encourage également à créer des ateliers sur mesure et temporaires sur des sujets très précis.
• L'une des priorités est de concevoir et d'expérimenter une méthode de détection précoce et de traitement préventif de la délinquance juvénile.
• Je pense aussi à un groupe de travail qui doit réfléchir à une méthode d'évaluation des objectifs chiffrés d'action des services de sécurité, à partir de celle mise en œuvre à la Préfecture de Police, pour la généraliser à la province.
• L'ensemble de ces initiatives permettra d'éviter un écueil : le risque d'écart entre la production de l'INHES et les besoins des services, en tenant compte de leurs préoccupations sur le terrain.

Enfin, le quatrième objectif que je vous assigne, c'est d'être à la fois un lieu de partenariats, un lieu de partage des cultures et un lieu de formation ouvert.

Un lieu de partenariats d'abord.
• Pour traiter les problèmes de sécurité, nous devons travailler en réseaux, faire intervenir de multiples acteurs, publics ou privés, qui exercent de nombreux métiers, et utiliser des moyens diversifiés et complexes.
• Notre efficacité dans les évènements de grande ampleur dépend largement de la capacité d'articuler ces différents moyens.
• Cela suppose que chaque acteur connaisse et s'approprie les missions, les organisations de crise, les procédures des autres acteurs.
• Beaucoup de progrès restent à faire pour réaliser cette complémentarité : la création au sein de l'INHES d'une division « gestion de crises » devra favoriser l'émergence de méthodologies communes et amplifier les actions de sensibilisation et de formation pluridisciplinaire déjà entreprises au cours de la session nationale. Cette création constituera un plus indéniable à la disposition de nos partenaires.

L'INHES doit être aussi un lieu privilégié de partage des cultures, en particulier entre les services de l'Etat eux-mêmes, mais aussi avec les collectivités territoriales, les réseaux associatifs, les entreprises.
• Vous veillerez en particulier à offrir aux entreprises concernées par les questions de sécurité un lieu de dialogue et de concertation.
• C'est pourquoi il vous faudra développer l'organisation de forums, colloques et séminaires, et des actions de formation avec plusieurs partenaires comme la session nationale.

L'INHES doit être aussi un pôle d'excellence pour la formation continue du corps préfectoral et des haut-fonctionnaires de la police nationale et de la sécurité civile :
• Les moments clefs de leur carrière, comme les passages à la première catégorie pour les sous-préfets, aux grades de contrôleur général pour les policiers et de colonels pour les sapeurs-pompiers, ou encore au grade de préfet, impliquent le partage d'un corps de doctrine et d'éléments professionnels fondamentaux.
• C'est pourquoi j'ai chargé l'INHES de dispenser cette formation. Elle dispose pour cela de deux types d'outils :
o La session nationale, comme point de perfectionnement qui pourrait devenir obligatoire à un moment de la carrière ;
o Mais aussi des séminaires spécialisés, comme celui que je vous ai demandé d'organiser sur la question des violences collectives. L'organisation d'une rencontre autour des préfets de région, de leurs collaborateurs et de leurs partenaires principaux sur l'intelligence économique en est aussi une bonne illustration.

Enfin, l'INHES doit s'ouvrir davantage encore à l'Europe et à l'international, notamment en matière d'études, de recherches et de sensibilisation.
• C'est à cette échelle que naissent et se traitent une part croissante des problèmes à résoudre pour assurer notre sécurité globale : qu'il s'agisse de la menace terroriste ou des filières criminelles, mais aussi des risques environnementaux.
• Une session de formation européenne pourrait être créée à terme.

Pour atteindre pleinement ces quatre objectifs, ma conviction est qu'il vous faut deux outils :
• Un outil technique, en développant progressivement une base de données informatisée, disponible sur l'intranet pour l'ensemble des services du ministère, afin de diffuser vos données et vos études sur la sécurité. Cette base de données va de pair avec une rénovation de vos publications ;
• L'autre outil, ce sont les ressources humaines : le classement des postes mis à disposition de l'INHES par les ministères, en particulier celui de l'Intérieur, sera amélioré, afin d'attirer pendant une période de leur carrière quelques-uns de leurs meilleurs éléments.

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,

Telle est la feuille de route que je donne aujourd'hui à l'Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et à son Conseil d'Administration. Je serai particulièrement vigilant sur sa mise en œuvre.

Car vous êtes bien cette grande école de la sécurité dont la France a besoin.
• Une école de la République, qui veille, alerte, évalue, et mesure, à la fois dans le temps de l'immédiat et celui de la prospective ;
• Une école qui forme, instruit, et promeut ses auditeurs et ses visiteurs ;
• Une école qui conseille et appuie ceux qui s'engagent et agissent pour la sécurité dans notre pays.

«Il n'y a que deux puissances au monde, le sabre et l'esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l'esprit.» disait Bonaparte. Ensemble, contribuons à faire triompher l'intelligence sur le fil de l'épée.