Allocution de Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Madame la Présidente,
Chers amis,
- Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui pour ouvrir avec Fadela Amara la deuxième Université que tient votre association. D'abord je veux vous lire un message que le Président de la République m'a demandé de vous transmettre.
Mesdames, Messieurs,
Chère Fadela Amara,
A l'occasion de la deuxième université de votre Mouvement, j'ai tenu à vous adresser un message d'amitié, de respect et de soutien pour l'action exemplaire que vous menez.
Votre Mouvement est né d'une révolte contre les discriminations et les violences faites aux femmes. Il a pris toute sa force et tout son sens, l'an passé, quand vous avez conduit la Marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité. Partis symboliquement de Vitry-sur-Seine, où Sohane est morte brûlée vive parce qu'elle voulait être libre, vous avez parcouru la France entière pour libérer la parole et briser le mur du silence.
Mais votre cri de colère est aussi un message d'espoir dans les valeurs de la République, un appel au sursaut, un appel à refuser l'inacceptable. C'est pour cela qu'il a éveillé tant de consciences et qu'il a été entendu chez nous et par-delà nos frontières, comme l'atteste la présence aujourd'hui, à vos côtés, de personnalités d'Europe et du monde entier.
Grâce à votre mobilisation, plus personne ne peut maintenant nier la situation de détresse de tant de nos concitoyens et la condition révoltante de trop de femmes encore dans notre pays. Plus personne ne peut ignorer l'ardente obligation d'agir.
Agir, c'est ce qui vous motive au premier chef. Vous multipliez les initiatives partout où l'on a besoin de vous, installant des hébergements d'urgence, créant des permanences juridiques, intervenant dans les établissements scolaires, rédigeant un guide d'éducation au respect.
Au-delà de ces actions exemplaires, si votre mouvement, encore jeune, a su si vite et si fort faire entendre sa voix, c'est parce que vous avez rencontré une vérité. C'est parce que votre combat est celui de la République, un combat pour les valeurs émancipatrices et de rassemblement qu'elle incarne.
Le premier de ces combats, c'est celui de la liberté et d'abord de la liberté de toutes les femmes de pouvoir choisir leur vie et d'occuper la place qui leur revient dans la société.
Face aux forces obscurantistes qui voudraient soumettre les femmes, il faut réaffirmer le rôle essentiel de la mixité qui enrichit et qui rassemble. Il faut lutter sans merci contre les violences faites aux femmes, contre ces violences qui abaissent, qui salissent, qui oppriment, qui détruisent. Ni les progrès de la société, ni ceux de l'éducation, ni les prises de conscience qu'ont favorisé les mouvements d'émancipation des femmes n'ont totalement suffi à les éradiquer.
Face à l'inacceptable, il fallait, comme vous l'avez fait, briser la loi du silence. Il fallait que l'Etat -la police, la justice- se montrent implacables. Il fallait assurer une meilleure protection aux victimes, en permettant notamment l'éloignement des conjoints violents du domicile conjugal. Il fallait se donner les moyens de punir, avec la plus extrême rigueur, les auteurs de ces actes abjects. Ce combat est engagé, mais c'est un combat de tous les instants et c'est un combat de longue haleine, car dans la France d'aujourd'hui, chaque semaine, des femmes meurent encore de ces violences. Chacune et chacun de nos concitoyens doit en avoir conscience et prendre toute sa part à la mobilisation de l'Etat et des mouvements associatifs.
Votre combat, c'est aussi et bien sûr le combat pour l'égalité qui passe par la lutte contre toutes les formes de discriminations et par le refus des communautarismes.
La France est une terre d'accueil et d'ouverture. Elle est riche d'une diversité qui est au cœur de son identité. Diversité des cultures, des croyances, des origines. Diversité des femmes et des hommes qui, à chaque génération, sont venus rejoindre la communauté nationale et pour qui la France a été d'abord un idéal avant de devenir une patrie.
Mais cette diversité, qui fait notre richesse, ne saurait être synonyme de morcellement et d'inégalités. Face aux tensions qui traversent notre société, je le réaffirme solennellement, jamais la France ne sera une juxtaposition de communautés. Jamais elle ne tolérera qu'il y ait des " territoires perdus " dans notre République.
C'est pour cela qu'il est si indispensable de réaffirmer et de défendre les valeurs de la République et d'abord à l'école. Car c'est à l'école que sont transmises ces valeurs que tous nos concitoyens ont en partage, par-delà la diversité de leurs croyances et de leurs convictions. L'école publique doit être et rester un lieu de neutralité qui permette à chaque enfant de s'approprier notre héritage républicain et de se construire librement, à l'abri de toute pression et de toute contrainte. C'est pour cela que le principe de laïcité est si essentiel. Et vous avez été en première ligne pour expliquer que loin de diviser il rassemble, pour expliquer qu'il est l'une des conditions de l'égalité des chances.
C'est au nom aussi de cette égalité des chances que nous avons le devoir d'agir pour lutter contre toutes les formes de discriminations, qui sont un véritable poison pour notre société et un déni des valeurs de la République. C'est la mission et la vocation de la Haute autorité qui sera installée avant la fin de l'année.
Mais notre combat n'est pas seulement celui des valeurs et du droit. Il faut aussi agir sur le quotidien. Il faut apporter des réponses concrètes et de l'espoir pour l'avenir à nos concitoyens qui sont aujourd'hui enfermés dans de véritables ghettos. Les moyens traditionnels ont montré leurs limites, beaucoup d'espoirs ont été déçus. Mais il n'y a pas de fatalité si nous nous attaquons simultanément à l'ensemble des facteurs d'exclusion. Cela passe par une action résolue de rénovation urbaine, de revitalisation économique des quartiers. Une action qui donne à tous les jeunes les mêmes chances de réussite et d'accès à l'emploi. C'est l'ambition du plan de cohésion sociale que j'ai voulu pour la France et qui disposera de moyens sans précédent.
L'engagement des pouvoirs publics est essentiel. Et je veillerai à ce qu'il soit toujours à la hauteur des enjeux. Mais pour réellement changer les choses et pour redonner toute leur force aux valeurs de la République, la France a besoin de l'énergie, de la révolte et de la force de proposition de sa jeunesse. Elle a besoin de vous.
Chers amis,
Vous avez souhaité dédier ces journées à la mémoire de Samira Bellil, une jeune femme au courage exemplaire, disparue il y a quelques semaines, à l'âge où l'on a encore la vie devant soi. Avec une détermination qui forçait l'admiration de tous, elle avait dénoncé l'enfer des tournantes et fait prendre conscience d'une réalité inconcevable en France à l'orée du XXIème siècle. Elle avait su puiser dans la terrible épreuve qu'elle avait traversée, l'énergie nécessaire pour aider les autres. Aujourd'hui nous avons tous une pensée émue pour elle. Son nom restera gravé dans nos mémoires.
Sa générosité, son esprit de résistance, sa foi dans la vie et dans l'avenir, vous les avez en partage. Votre combat honore la France. Et dans ce combat, je serai toujours à vos côtés.
Signé Jacques CHIRAC
Chers amis,
- Après ce message du Président de la République, je veux saisir cette occasion pour vous dire toute l'admiration et l'estime que je porte à votre engagement.
· Votre action c'est d'abord un cri du cœur, qui ne peut laisser personne indifférent : elle marque un refus et une prise de conscience en France, mais aussi à l'étranger ;
· Votre action c'est la volonté de défendre la dignité de la femme et l'égalité des sexes : c'est une leçon et un exemple.
- Il s'agit de l'un des grands défis d'aujourd'hui et tout particulièrement pour nous Français:
· Car la France est une terre de diversité : diversité des cultures, des religions et des croyances, diversité des identités.
· Soyons conscients que cette diversité, loin d'être un handicap, constitue notre chance, notre atout.
· Il nous appartient donc, ensemble, de nous situer résolument à l'avant de ce combat pour tracer un chemin nouveau.
- Et je veux vous dire ma reconnaissance, à vous et à toutes les autres associations qui travaillent chaque jour sur le terrain à vos côtés :
· Vous avez su briser la fatalité devant des comportements inacceptables.
· Nul ne peut ignorer les humiliations, les souffrances qu'il y a derrière les actes de violence et de mépris envers les femmes.
- Au point de départ de tout il y a bien sûr ce terrible électrochoc, cet acte odieux : le meurtre de Sohane qui a plongé notre pays dans la stupeur :
· En prenant la tête d'une marche à travers tout le pays, vous avez rappelé l'urgence du sursaut.
· Vous avez su trouver les mots pour évoquer ces jeunes filles des quartiers difficiles qui souffrent en silence, qui s'enferment et se replient sur elles-mêmes :
o elles servent d'exutoire à ceux qui se défoulent de leur propre frustration, de leur propre ressentiment, de leur propre désarroi.
o la violence est alors le moyen qu'utilise le faible pour prouver sa force : c'est inacceptable.
- Mais ne l'oublions pas : la violence contre les femmes existe dans tous les milieux et partout elle doit être combattue avec la même détermination :
· Parce que battre une femme, la harceler moralement, porter atteinte à sa liberté c'est le pire des crimes : c'est manquer aux exigences fondamentales de notre condition d'hommes.
· Parce que ces violences ont des répercussions souvent irréversibles :
o des répercussions psychologiques, sur la femme mais aussi sur les enfants ;
o des répercussions sociales avec la perte de statut et un sentiment de dévalorisation;
o des répercussions économiques enfin, avec des engrenages tragiques, la perte de l'emploi et la situation d'échec qui frappe toute la famille.
- Dans ce combat, je suis auprès de vous :
· J'ai fait de la lutte contre les violences conjugales et familiales, qui concernent plus de 8 % de la criminalité globale, une priorité pour mon Ministère.
· Pour cela nous devons aider les victimes à réagir et d'abord à porter plainte : trop de femmes hésitent encore à parler, par honte, peur ou manque d'information.
o L'amélioration du dispositif d'accueil dans les commissariats est engagée, notamment grâce à la Charte des Victimes.
o Pour aller plus loin j'ai demandé aux forces de police et de gendarmerie d'être particulièrement vigilants dans la détection des signes et des indices révélateurs de cette violence, lors de leurs interventions quotidiennes.
o Je souhaite qu'ils s'impliquent davantage dans le traitement de ces violences par l'instauration de procédures d'alerte et de dissuasion, par la sensibilisation des autorités judiciaires et par le renforcement des partenariats avec les associations et les services sociaux compétents.
· A vos côtés, avec les moyens qui sont ceux du Ministère de l'Intérieur, je souhaite poursuivre avec vous la concertation pour explorer de nouvelles voies, telle que la présence dans les commissariats de travailleurs sociaux, le recours, lorsque c'est nécessaire, à des interprètes, ou une formation spécifique pour les policiers et les gendarmes, afin qu'ils soient mieux préparés à traiter ce type de violence.
- Mais nous le savons, la violence passe souvent non seulement par les gestes, mais aussi par les mots, les discours insultants, humiliants ou menaçants.
· Nous ne pouvons tolérer aujourd'hui les appels à la haine des femmes, au mépris de leurs droits.
· C'est pourquoi j'ai soutenu le projet de loi visant à réformer l'ordonnance de 1945 : désormais tout ressortissant étranger appelant à la violence contre les femmes pourra être expulsé du territoire national.
- Ce principe est au cœur de notre pacte républicain et social : mais nous voyons tous les jours qu'il n'est pas définitivement acquis, qu'il faut le défendre avec détermination et ténacité face au mépris et à l'injustice. Il faut le défendre surtout face au poids des habitudes: vous le savez mieux que quiconque, c'est un combat de tous les jours, pour gagner peu à peu du terrain, pour faire changer les mentalités, pour renverser la fatalité.
- C'est pourquoi je suis si attaché à la défense du principe de laïcité :
· Il garantit les mêmes droits et les mêmes devoirs à toutes les religions ;
· Mais surtout il garantit, dès l'origine, les mêmes droits aux garçons comme aux filles :
o le droit à la même scolarité et au même savoir ;
o le droit au même regard porté sur chacun ;
- Pour ma part je suis déterminé à faire une place plus importante aux femmes dans les services du Ministère de l'Intérieur :
· La première femme officier de CRS a été nommée il y a quelques semaines : c'est un succès, mais ce n'est pas suffisant.
· Je souhaite aller beaucoup plus loin dans la féminisation des corps de police et de gendarmerie : la réforme des Corps et Carrières va nous permettre d'harmoniser les barèmes physiques et sportifs pour faciliter l'accès des femmes aux métiers de la police.
· J'entends également promouvoir des femmes émérites à des postes de direction.
- C'est la vocation de notre nation :
· Je sais l'attachement qui est le vôtre aux principes de 1789.
· Par votre engagement vous poursuivez le combat des révolutionnaires pour une société dans laquelle tous les hommes, toutes les femmes seraient libres et égaux en droit.
- Et c'est pour moi une grande joie que de voir ici réunies des femmes venues de tous les pays, d'Afghanistan, d'Espagne, des Etats-Unis, d'Arabie Saoudite ou d'Allemagne autour d'un message qui est universel :
· Les principes que nous défendons nous les défendons pour tous les peuples, pour toutes les cultures.
· La différence et la diversité ne sauraient être une excuse pour tolérer l'injustice, l'oppression, la tyrannie.
- Ce message il nous appartient de le faire vivre pleinement en France : la République a le devoir de protéger ses enfants, tous ses enfants : aucune pratique discriminatoire à l'égard des femmes, ou qui porte atteinte à leur intégrité physique n'a sa place dans notre pays, qu'il s'agisse du mariage forcé ou de l'excision.
Chers amis,
- Nous avons un défi à relever au cœur de la République : aujourd'hui nous devons réconcilier l'unité et la diversité, nous devons conjuguer la solidarité et la liberté. Dans notre monde traversé de fractures et d'incompréhensions c'est un gage de paix et de justice.
- Pour relever ce défi, fédérons tous les talents et les énergies : l'action de l'Etat et celle des associations ont vocation à s'appuyer et à se renforcer mutuellement.
- Une fois encore, comme si souvent, ce sont les femmes qui nous montrent la voie, avec lucidité, avec générosité, avec courage.
A chacune, à chacun, Merci.