Projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales

19 janvier 2010

Intervention de M. Brice Hortefeux, Ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à l'occasion de la présentation, au Sénat, du projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales - Sénat, le mardi 19 janvier 2010.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Alors que nous nous apprêtons à débuter nos travaux sur le projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales, je souhaiterais partager avec vous le triple sentiment qui m'anime au moment de prendre la parole cet après-midi devant vous.
Un sentiment de solennité tout d'abord. Car, une nouvelle fois, notre pays a rendez-vous avec son histoire institutionnelle. L'organisation territoriale de la France puise ses racines dans une histoire forgée au cours des siècles. Au fil du temps, notre pays a su dégager un modèle original d'administration locale. Rester fidèle à cet héritage, tout en adaptant notre organisation territoriale aux défis de notre temps : telle est notre responsabilité.
   
Un sentiment de fierté ensuite. Car nous engageons ce débat au Sénat, dans cet hémicycle où bat le cœur de la République des territoires. L'histoire de la Haute assemblée, son mode d'élection comme la qualité de ses travaux, tout concourt à faire du Sénat le premier représentant des collectivités territoriales au sein de nos institutions républicaines, ainsi que l'affirme notre Constitution. Vos travaux, j'en suis sûr, en porteront une nouvelle fois témoignage. 
Enfin, et si vous me permettez ce propos plus personnel, un sentiment de fidélité au parcours qui est le mien. Car cet après-midi, ce n'est pas seulement le ministre de l'intérieur et des collectivités territoriales qui s'adresse à vous mais c'est aussi l'élu local, le conseiller régional d'Auvergne, conscient des atouts mais également des faiblesses de nos institutions locales, respectueux du dévouement des femmes et des hommes qui s'y consacrent au quotidien, désireux de contribuer à améliorer la performance de nos territoires.
Cette expérience locale est pour moi essentielle. C'est cette fidélité à un mandat local de proximité et c'est cette volonté de prendre part au développement concret d'un territoire qui, aujourd'hui, me ramène chaque semaine en Auvergne. Je crois que chacun d'entre nous, dans cet hémicycle, quelle que soit son appartenance politique,  partage cet attachement singulier à un territoire et une population.
Alors, c'est tout cela, je crois, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, qui m'autorise cet après-midi à vous exposer aux côtés du ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire Michel Mercier –, l'ambition renouvelée que le Gouvernement vous propose de partager pour notre République décentralisée.

I – Car notre ambition est d'engager avec vous une profonde réforme territoriale, près de trente ans après les premières lois de décentralisation.

Longtemps, la centralisation a dominé l'histoire politique et administrative de notre pays. Ce fut d'abord le lent et patient effort de la monarchie pour réduire les féodalités et installer un Etat fort, indépendant et centralisé.
De la Révolution, nous avons hérité des institutions qui allaient dessiner pour plusieurs siècles l'administration locale. C'est aussi à ce moment charnière que sont apparues les lignes de partage qui ont longtemps marqué la vie politique : jacobins contre girondins, partisans des départements aux contours géométriques contre défenseurs des réalités géographiques, Mirabeau contre Sieyses.  
Du Consulat et de l'Empire, et de la volonté d'ordre, de rapidité et d'efficacité dans l'action, nous avons hérité du corps préfectoral, l'une de ces "masses de granit jetées sur le sol de France" selon la formule du Premier Consul, et qui constitue encore aujourd'hui, après bien des évolutions, un pilier de l'organisation institutionnelle de notre pays.
Tout au long du XIXème siècle et durant une bonne partie du XXème siècle, la France resta marquée du sceau de la centralisation et même de l'uniformité, toutes deux vécues comme des garanties pour l'unité de la Nation.
Peu à peu, pourtant,  il y eut la lente progression des libertés locales mais jamais de manière linéaire. Je pense à la Monarchie de Juillet et, surtout, aux deux grandes lois du début de la IIIème République, celle de 1871 sur le département et celle de 1884 sur la commune.
Mais il fallut attendre 1946 pour que les collectivités territoriales se trouvent consacrées dans la Constitution.
Tant est si bien qu'à la naissance de la Vème République, les collectivités locales étaient encore très proches de celles qui furent créées à la mort de l'Ancien Régime. En deux siècles, notre organisation territoriale n'avait finalement que peu évolué.
Le Général de Gaulle, le premier, eut la conviction qu'il fallait moderniser l'organisation territoriale. Chacun garde à l'esprit la formule du discours de Lyon sur la réforme régionale, le 24 mars 1968 :

L'effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais.
Sans doute avait-il eu raison trop tôt.
Le septennat du Président Valéry Giscard d'Estaing prépara  l'évolution des esprits.
Mais l'histoire retient que c'est le Président Mitterrand, en 1982, qui enclencha de manière décisive le mouvement de la décentralisation dans notre pays avec les lois Defferre. Le Président Sarkozy l'a dit dans son discours de Saint-Dizier, le 20 octobre dernier :

"

Il y a trente ans, beaucoup d'élus de l'opposition de l'époque ont regretté de ne pas avoir voté les lois historiques de 1982.

"

Je le cite devant le Premier ministre Pierre Mauroy.
C'est la droite qui, quelques années plus tard, avec la loi d'orientation de 1995, s'efforça de tirer les conséquences de la décentralisation sur l'aménagement du territoire. Je le dis devant le Ministre d'Etat Charles Pasqua.
C'est la gauche, qui, en 1999, contribuera à amplifier le mouvement de l'intercommunalité, véritable "révolution silencieuse" et complément pragmatique à l'émiettement communal qui est une caractéristique de notre pays. Encore doit-on à la vérité de reconnaître que tout le monde n'y était pas favorable à l'époque. Je le dis devant le Ministre d'Etat Jean-Pierre Chevènement.
Mais c'est la droite et le centre, en 2003, qui ont modifié l'article 1er de la Constitution pour proclamer solennellement que : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. (…) Son organisation est décentralisée". C'est la droite et le centre encore qui ont inscrit la région dans la Constitution. C'est la droite et le centre enfin qui ont affirmé dans notre loi fondamentale les principes de subsidiarité et d'autonomie financière. Je le dis devant le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin.
La vérité, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est qu'au terme de ces trois décennies, la décentralisation n'est plus de gauche, de droite ou du centre. C'est le patrimoine commun des Républicains.
La décentralisation était absolument nécessaire. Elle a contribué à la vitalité démocratique de notre pays, renforcé les libertés locales, libéré les énergies et consacré une nouvelle forme de gestion publique, plus proche des citoyens. Chacun mesure combien la France a changé depuis une trentaine d'années. Personne aujourd'hui ne peut sérieusement songer à revenir sur cet acquis fondamental.
Pour autant, doit-on s'interdire d'en relever certaines faiblesses ? La décentralisation serait-elle à ce point fragile ou le débat politique à ce point appauvri que toute tentative d'en dresser un bilan honnête et lucide soit condamnée à être caricaturée comme une tentative de recentralisation ? Je crois au contraire que la force d'une institution se mesure précisément à sa capacité d'adaptation.  
Mesdames et messieurs les Sénateurs, depuis plusieurs années déjà, des travaux se sont multipliés pour attirer l'attention des décideurs publics et des citoyens sur la nécessité d'engager une réforme de notre organisation territoriale.
Dois-je rappeler dans cet hémicycle l'impressionnante liste des rapports publics sur le sujet ? Outre le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Monsieur Balladur, je pense aux rapports Mauroy, Pebereau, Richard, Fouquet, Valletpux, Lambert, Attali, Warsmann, Belot ou Saint-Etienne, sans oublier les publications de la Cour des Comptes sous la présidence de Philippe Seguin.
Certes, tous n'ont pas proposé exactement les mêmes remèdes mais tous ont convergé de manière saisissante sur le diagnostic. Tous ont pointé la fragmentation de notre paysage institutionnel qui a vu s'empiler au fil du temps un grand nombre de structures sans que l'on cherche vraiment à réorganiser. Tous ont souligné l'enchevêtrement des compétences : l'ambition initiale d'une répartition par blocs a progressivement cédé le pas à un partage de la plupart des compétences entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales ou entre elles et l'Etat. Tous enfin ont relevé l'obsolescence de la fiscalité locale, les insuffisances du système de péréquation, les excès de la pratique des financements croisés.
Bref, tous ces rapports ont dessiné le portrait d'une décentralisation vivante et féconde, mais pénalisée par une trop grande complexité, qui ne facilite pas l'accès des citoyens à la démocratie locale et décourage les bonnes volontés. Un seul mandat ne suffit parfois plus à un maire pour faire aboutir les projets qui ont contribué à le faire élire !
Mesdames et messieurs les Sénateurs, chacun sait bien que toute réforme territoriale est difficile. Mais le pire service que nous pourrions rendre aujourd'hui à la décentralisation, ce serait d'ignorer ces travaux et de ne rien entreprendre.
C'est en réformant notre organisation territoriale que nous conforterons la décentralisation et les libertés locales. C'est en ne faisant rien que nous les affaiblirons.
Après beaucoup d'études, de rapports et de débats, le moment est venu d'agir. Le Président de la République en est convaincu. Le Gouvernement vous y invite et c'est à vous de décider.

"

L'effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais.

"

II – Alors, précisément, que proposons-nous ?

(1) Il y a d'abord les solutions que le Gouvernement a souhaité écarter.
Toute préparation d'une réforme charrie son cortège d'idées tranchées voire définitives, qui tiennent pour peu les réalités humaines, géographiques et culturelles, forgées par l'histoire.  
"Supprimez les départements", nous ont conseillé les uns, jugeant qu'ils seraient "trop petits, trop uniformes". "Fusionnez d'autorité les régions", nous ont incité les autres, estimant qu'elles seraient "trop exiguës, pas assez compétitives vis-à-vis de leurs homologues européennes". "Réduisez drastiquement le nombre des communes" ont suggéré d'autres encore, prétendant que "plus de 36 000 communes, ce serait le mal français par excellence".
Ces idées fausses, le Président de la République les a écartées. Il n'est pas question de supprimer les départements. Il n'est pas question de regrouper d'autorité les régions. Il n'est pas question, non plus, que l'Etat impose des fusions de communes.
Car on ne gouverne pas un pays par la contrainte, en imposant par en haut des systèmes conçus à Paris.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, parce que "l'histoire de France n'est pas une page blanche sur laquelle on tire aveuglément un trait", comme l'a dit le Premier Ministre dans son allocution au Congrès des maires de France, le Gouvernement a souhaité se tenir à l'écart des solutions à l'emporte-pièce.
Le Gouvernement ne propose pas de big bang territorial, mais il refuse tout autant le statu quo.
(2) La voie que nous vous proposons d'emprunter est ambitieuse tout en étant pragmatique.
Vous avez déjà adopté, à la fin de l'année dernière, le projet de loi relatif à la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux – que le secrétaire d'Etat Alain Marleix présente aujourd'hui même à l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi constitue le volet institutionnel de la réforme. Le Gouvernement y développe une vision pour notre organisation territoriale.
Nous proposons que, demain, notre organisation territoriale s'articule autour de deux pôles complémentaires : un pôle départements-région et un pôle communes-intercommunalité, comme l'avaient d'ailleurs proposé le Comité pour la réforme des collectivités territoriales et la Cour des Comptes.

  • Le premier pilier de la réforme, c'est l'émergence d'un pôle départements-région.

Parmi les débats dont notre pays a le secret, il en est un qui revient périodiquement : faut-il privilégier la région ou le département ?
D'un côté le département, institution plus que biséculaire. Ses compétences n'ont cessé de croître au fil du temps, en particulier dans le domaine social. Il reste, en outre, un appui indispensable aux communes rurales. Qui peut nier qu'il dispose aujourd'hui d'une forte légitimité et que nos concitoyens lui marquent légitimement leur attachement ?
De l'autre la région, la plus jeune de nos collectivités territoriales et partant, sans doute la plus prometteuse. Dans un pays de tradition unitaire et centralisatrice, la reconnaissance du fait régional, longtemps défendu par des courants minoritaires, ne s'imposait pas comme une évidence. La consécration de la région fut donc tardive. Ce n'est qu'en 2003 que son existence fut gravée dans la Constitution. Chacun s'accorde à considérer que la région a vocation à  conduire des politiques structurantes, notamment dans le domaine économique, à mi-chemin entre l'Etat et l'échelon de proximité. Il faut continuer à conforter cette vocation, notamment sur le plan des compétences, mais il faut refuser les chimères. Nous en sommes, je crois, tous convaincus : notre République n'empruntera jamais la voie du fédéralisme. Une région française ne sera jamais un Land allemand ou une "communauté autonome" espagnole. L'observation attentive des évolutions en cours dans plusieurs pays européens devrait d'ailleurs nous inciter à une certaine circonspection.
Alors, mesdames et messieurs les Sénateurs, faut-il choisir ? Département ou région ? Région ou département ? Sommes-nous condamnés à un choix binaire ? Ce n'est pas la conviction du Gouvernement.
Nous vous proposons, tout d'abord, de laisser la liberté aux régions et aux départements qui le souhaiteraient de procéder à des regroupements sur une base volontaire. Certains projets sont parfois évoqués. Mais rien ne serait pire que de freiner ces initiatives locales en croyant les accélérer. Car ce n'est pas depuis Paris que l'on peut engager ces évolutions. C'est pourquoi nous proposons de créer une procédure de regroupement volontaire de départements et d'aligner, sur cette dernière, celle de regroupement de régions.
Mais surtout, le Gouvernement vous propose une réforme simple, pragmatique et ambitieuse à travers l'institution d'un nouvel élu local, le conseiller territorial, qui siégerait demain à la fois au sein du conseil régional et au sein du conseil général de son département d'élection.
C'est l'article 1er du projet de loi de réforme des collectivités territoriales qui fixe le principe de la création du conseiller territorial. C'est une innovation qui mérite, à elle seule, un débat de principe.
L'ambition de cette réforme, c'est de faire confiance à un élu local, le conseiller territorial, pour engager le chantier de clarification et de simplification que nous n'avons collectivement pas su faire aboutir depuis près de 30 ans.
Demain, le conseiller territorial sera porteur d'une double vision, à la fois territoriale et régionale. Sa connaissance du mode de fonctionnement des départements et de la région, de leurs compétences respectives et de leurs modalités d'interventions techniques et financières, lui permettra de favoriser la complémentarité des interventions respectives des deux collectivités.  Il évitera les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire. Il sera l'interlocuteur unique des différents acteurs territoriaux, ce qui contribuera à la réactivité, à la cohérence dans le choix des financements alloués et permettra d'accélérer le montage des projets.
Ainsi, nous proposons une rationalisation qui ne vienne pas d'en haut, mais qui provient du terrain et du bon sens d'élus locaux, moins nombreux certes mais beaucoup plus puissants, au mandat considérablement enrichi.
Ce nouveau mandat appartiendra aux femmes et aux hommes qui l'occuperont demain : place à l'inventivité de ces nouveaux élus locaux !

Créer le conseiller territorial, c'est faire le pari de l'intelligence des territoires. Les régions comme les départements y gagneront.
Oui, la région peut y trouver un surcroît de légitimité. Je suis ainsi en désaccord, mesdames et messieurs les Sénateurs, avec ceux qui présentent la création de ce nouvel élu comme un facteur d'affaiblissement de l'intérêt régional. Je ne pense pas que le conseiller territorial, élu local ancré territorialement, ne soit pas capable de développer une vision régionale. Au contraire, je pense que le niveau régional souffre aujourd'hui auprès de nos concitoyens d'un manque de visibilité et de légitimité. On connaît son maire, son conseiller général (en tout cas en milieu rural) mais rarement son conseiller régional. Et ce n'est faire insulte à personne que de le dire. Avec le conseiller territorial, la région trouvera un relais de proximité auprès de nos concitoyens.
Le département, quant à lui, pourra trouver matière à élargir son horizon.
Je pense  ainsi que la création de ce nouveau mandat constituera un profond facteur de renouvellement de l'action publique locale, en renforçant l'assise territoriale des politiques régionales et en faisant accéder l'élu territorial à des enjeux plus larges.
Chacun voit bien enfin combien une meilleure complémentarité entre l'action des départements et des régions peut servir la performance de nos territoires. Dans le domaine des aides économiques, de l'enseignement, des transports, du tourisme, de la culture - et la liste serait longue -, il y a un formidable potentiel pour mieux servir nos concitoyens.
C'est donc le principe du conseiller territorial que le Gouvernement vous propose d'approuver en adoptant ce projet de loi.
Toute autre est la question du mode de scrutin, que nous aborderons dans un second temps, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.
Un mode de scrutin mixte est proposé par ce projet de loi. C'est une option. Il peut évidemment en y avoir d'autres. Soyez-en certains, le Gouvernement abordera ce débat, lorsqu'il aura lieu, dans un esprit d'ouverture, en cherchant à définir avec les parlementaires le mode de scrutin répondant le mieux aux exigences qui doivent nous guider : la représentation de l'ensemble des territoires, la prise en compte des réalités démographiques, le respect du pluralisme et l'objectif de parité.

  • J'en viens au deuxième pilier de la réforme : renforcer le pôle communes-intercommunalité.

L'intercommunalité a été un succès. Elle est désormais parvenue à maturité. Il faut franchir une nouvelle étape en achevant la couverture du pays, en renforçant sa gouvernance et en démocratisant son fonctionnement tout en préservant la légitimité du maire. Pas plus aujourd'hui qu'hier, il ne faut opposer communes et intercommunalités. C'est le couple qu'ils constituent qui renforce nos territoires.
L'article 2 du projet de loi vous propose, ainsi, d'instituer l'élection au suffrage universel direct des délégués des communes siégeant au sein des conseils communautaires.
Comment ? En organisant une élection dans le cadre des élections municipales par le système du "fléchage". Le Gouvernement a fait ce choix car il ne souhaitait pas porter atteinte à la légitimité du maire qui aurait été concurrencée si l'on avait retenu la désignation des conseillers communautaires par un scrutin autonome. Cette solution, c'était d'ailleurs celle du rapport Mauroy, dans sa proposition n°7, voici déjà 10 ans.
Cette réforme répond à un premier enjeu : l'exigence démocratique, compte tenu des compétences exercées par les structures intercommunales, qui touchent très directement à la vie quotidienne des habitants, et de l'importance des budgets qu'elles gèrent. Ainsi, en 2008, les dépenses des groupements à fiscalité propre se sont élevées à 24,9 milliards d'euros, soit quasiment le même montant que celui des régions.
Avec cette élection, les citoyens vont s'approprier les débats communautaires. L'intercommunalité ne sera plus une structure éloignée, presque désincarnée, pour l'électeur.
Cette avancée aura pour corollaire l'encadrement de la répartition des sièges au sein des conseils communautaires qui est rendu nécessaire par l'introduction de l'élection au suffrage universel direct. Il faut concilier l'exigence de la représentation de tous les territoires (toutes les communes disposent au moins d'un siège) et celle de la prise en compte des réalités démographiques.
Le deuxième enjeu de l'intercommunalité, c'est l'achèvement de la couverture intercommunale intégrale du pays. Moins de 10% du territoire national reste encore à l'écart : sur plus de 36 000 communes, environ 2 500 demeurent isolées. Ce sont souvent les cas les plus compliqués, qui renvoient à des postures de principe.  L'objectif de couverture intégrale doit aller de pair avec la rationalisation des périmètres et des structures.
Ce chantier doit être mené dans la concertation, au plus près du terrain, en respectant les communes. Mais il faut se fixer un calendrier et des objectifs raisonnables pour donner une impulsion. C'est pourquoi le Gouvernement propose comme horizon la fin de l'année 2013. Les préfets devront élaborer d'ici la fin de l'année 2011 des schémas départementaux de coopération intercommunale. De nouveaux pouvoirs seront confiés aux commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), dont la composition sera renouvelée, afin qu'elles puissent imposer des amendements aux schémas et aux projets du préfet pour peu qu'elles réunissent en leur sein une majorité qualifiée des élus qui les composent. Nous souhaitons que la production des schémas, comme leur déclinaison, soient bien le résultat d'un véritable travail conjoint entre le préfet et la CDCI.
Enfin, et c'est le troisième défi de l'intercommunalité, il faut encourager les mutualisations de services au sein des intercommunalités.
Mais doit-on considérer que l'intercommunalité est le seul horizon des communes ? Je ne suis pas de cet avis. Je suis même convaincu que certains élus considèrent aujourd'hui, rassurés par leur expérience d'une intercommunalité réussie, qu'ils peuvent aller plus loin dans l'intégration et se transformer en "commune nouvelle". De même, certaines petites communes, en particulier en milieu rural, peuvent trouver avantage à une fusion. Au nom de quoi le leur refuser ? Le dispositif des "communes nouvelles" souhaite répondre à ces enjeux. Le Gouvernement a cherché à bâtir un dispositif plus souple, plus simple et plus incitatif que l'ancien dispositif Marcellin. Nous débattrons de l'équilibre à trouver.

  • Le troisième pilier de la réforme, c'est de faire émerger, dans notre pays, un réseau de métropoles, pour faciliter l'émergence de projets. 

Je le dis en présence du ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, Michel Mercier : le Gouvernement ne vous propose évidemment pas de faire le choix des métropoles urbaines contre les territoires ruraux, selon une opposition frontale qui n'aurait aucun sens. Mais il s'agit de prendre acte d'un "fait métropolitain" et de l'organiser au mieux, au bénéfice de l'ensemble du territoire national.
En effet, notre pays, depuis une quinzaine d'années, vit à l'heure de la  mondialisation, qui accélère la recomposition géographique de la création des richesses. On considère que les trente-huit métropoles principales de l'Union européenne s'étendent sur moins de 1% de son territoire mais accueillent plus du quart de ses emplois et produisent près du tiers de son PIB.
Près de 80% des 64 millions de Français vivaient en ville en 2008 contre un sur deux en 1936. Pourtant, les métropoles françaises restent modestes à l'échelle européenne. Les interactions entre les métropoles et leurs régions ne sont pas suffisamment développées. Notre politique d'aménagement des territoires demeure trop teintée de méfiance vis-à-vis du "fait métropolitain". Le scénario repoussoir de "Paris et le désert français" continue à marquer certains esprits.
Il est essentiel que les métropoles ne se fassent pas contre le reste du territoire, et évidemment pas contre le monde rural, mais pour le bénéfice de tous.
L'objectif ainsi défini, reste à définir les voies et les moyens. C'est ce que propose le Gouvernement en vous soumettant deux statuts : les métropoles et les pôles métropolitains.
Devait-on dresser la liste limitative des métropoles dans loi, à l'instar de ce qui fut fait pour les premières communautés urbaines en 1966 ?  Je ne le crois pas, car je suis convaincu que la dynamique doit venir des territoires eux-mêmes. Des métropoles imposées par l'Etat, depuis Paris, c'est l'assurance de polémiques inutiles et c'est la certitude de l'échec.
Faisons confiance aux territoires, à l'"intelligence territoriale" pour reprendre le titre du rapport de votre mission temporaire, présidée par le Sénateur Claude Belot. Fixons un cap, ambitieux mais réaliste, qui soit la première étape de l'émergence institutionnelle des métropoles dans notre pays. Faisons confiance aux élus pour se saisir de ce nouvel outil, le faire évoluer dans le bons sens.
Ce sont toutes ces raisons, mesdames et messieurs les Sénateurs, qui ont poussé le Gouvernement à retenir le statut d'EPCI pour la métropole et non celui de collectivité territoriale à part entière. C'est aussi pour cela que le Gouvernement a écarté le modèle de la métropole dite "métropole-département". Je n'ai jamais été convaincu par l'hypothèse de la métropole-département que j'ai trouvée à mon arrivée place Beauvau. Je crois que les métropoles ne doivent pas se construire en opposition aux départements et aux régions mais bien dans une logique de complémentarité. Je n'adhère pas, en particulier, à l'idée de transférer automatiquement l'ensemble des compétences sociales des départements aux métropoles. Cela ne m'apparaît ni réaliste ni véritablement pertinent.
Au-delà d'un socle obligatoire de compétences renforcées (dans le domaine économique, l'urbanisme, les transports ou le logement), il faut que les départements, les régions et les métropoles puissent déterminer, par voie conventionnelle, la meilleure répartition possible des compétences en tenant compte des spécificités de chaque territoire. Le projet de loi cherche à amorcer, à provoquer ce dialogue institutionnel plus qu'à imposer une solution toute faite venue d'en haut.
Le Gouvernement propose de fixer le seuil des métropoles à 450 000 habitants. Bien sûr, nous en débattrons ensemble mais il nous semble que ce seuil constitue un équilibre – la diversité des amendements déposés en est d'ailleurs l'indice.
Parallèlement, le projet de loi propose une formule plus souple que la métropole stricto sensu, celle du pôle métropolitain, afin de permettre à plusieurs agglomérations de porter un projet de métropole en développant des coopérations renforcées dans des domaines jugés stratégiques et d'intérêt commun.
Ces deux formules reposent sur le volontariat.
Ce sont des outils au service des projets des élus.

  • J'en viens au quatrième pilier de la réforme : engager, dans la concertation, la réflexion sur la clarification des compétences et des cofinancements.

Nous proposons une méthode en deux étapes pour un chantier qui nécessite de prendre le temps de la réflexion et de la concertation tant il est difficile et complexe.
Première étape : l'article 35 du projet de loi suggère la définition d'un socle de principes clairs et simples.
Ces principes sont inspirés par le bon sens. Il s'agit de s'engager dans la voie de la spécialisation des compétences des départements et des régions, tout en sauvegardant leur capacité d'initiative. La loi viendrait ainsi préciser les compétences propres à chaque catégorie de collectivité. Lorsque les compétences demeureront partagées, le législateur pourrait désigner, ou laisser aux collectivités le choix de désigner par convention, une collectivité "chef de file". Dans le même temps, la pratique des financements croisés entre les collectivités territoriales serait mieux encadrée, non pour diminuer les financements ou les supprimer mais pour clarifier les rôles respectifs, en recherchant plus d'efficacité et de rapidité dans  le montage des projets. Nous devons continuer à soutenir les communes les plus modestes dont la capacité contributive est faible : en particulier, le rôle des départements dans le soutien aux communes rurales doit être réaffirmé.
C'est dans un second temps, en application des principes ainsi définis, qu'un autre projet de loi viendra préciser la répartition des compétences. Pour préparer ce texte, le Gouvernement entend engager une concertation approfondie, en créant, dans les semaines qui viennent, plusieurs groupes de travail, associant des représentants des parlementaires, les administrations de l'Etat et les associations nationales d'élus, afin de préparer un avant-projet de loi d'ici à l'été.

III – Nous nous apprêtons donc, mesdames et messieurs les Sénateurs, à entamer nos débats sur la base du texte issu des travaux de votre commission des lois.

Je souhaite tout d'abord rendre hommage à l'excellent travail réalisé par votre commission sous la présidence du président Jean-Jacques Hyest et de votre rapporteur Jean-Patrick Courtois.
Vous avez adopté 151 amendements au projet de loi du Gouvernement, sur les 241 déposés. Sur ces 151 amendements, 128 le furent à l'initiative de votre rapporteur, 10 à l'initiative de la Sénatrice Jacqueline Gourault et de plusieurs de ses collègues, 7 à l'initiative du Sénateur Gérard Collomb, 4 à l'initiative de membres du groupe UMP et 2 à l'initiative de membres du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).
Le travail de la commission, utile et exigeant, a été guidé par quatre principes que vous rappelez, monsieur le sénateur Jean-Patrick Courtois, dans votre rapport : le souci du pragmatisme, le respect des libertés locales, la souplesse et la simplification.
Qu'il me soit permis de saluer, en particulier, le travail de la commission pour rapprocher les points de vue afin d'adopter une rédaction consensuelle de l'article 3 qui traite de la composition des conseils communautaires. Je pense aussi au souci de réalisme qui vous a animé en reconnaissant le rôle de la commune-centre dans les procédures de rationalisation de la carte intercommunale (ce sont notamment les articles 18, 29 et 30). Vous avez également eu à cœur de trouver le meilleur équilibre entre les pouvoirs du préfet et ceux des élus réunis au sein de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) afin, en réalité, de faire de cet exercice une véritable coproduction. Je me réjouis, de même, que vous ayez été très attentifs à conserver aux maires des compétences qui constituent le cœur de leur mandat de proximité (en précisant les pouvoirs de police définis à l'article 32).
Je pense également aux garanties que vous avez introduites pour les procédures de regroupements de régions et de départements ou l'introduction d'une nouvelle procédure en ce qui concerne la création d'une collectivité unique se substituant à la région et aux départements qui la composent (ce sont les articles 12, 13 et 13 bis du texte).
Je salue enfin l'amélioration que vous avez apportée à l'article 35, article-cadre qui fixe le socle du travail de clarification des compétences et des cofinancements.
Bien sûr, l'économie du texte issu des travaux de la commission des lois en ce qui concerne les métropoles et les communes nouvelles, n'est pas exactement celle que le Gouvernement avait proposée. Il est vrai que l'équilibre qu'il nous faut trouver entre, d'une part, le respect des communes, cellule de base de notre organisation territoriale et, d'autre part, l'ambition de bâtir des structures plus intégrées, n'est pas facile à trouver. Plusieurs sensibilités peuvent s'exprimer. Je salue à cet égard le travail réalisé par le rapporteur pour avis de la commission des finances, Charles Guene. 
Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les Sénateurs, le Gouvernement, je vous le dis d'emblée à l'entame de nos travaux, ne cherchera pas, coûte que coûte, à rétablir son texte initial. Il ne s'interdira pas non plus d'exprimer son point de vue, c'est la moindre des choses. Mais je crois que, s'agissant d'une réforme profonde de notre organisation territoriale, il est normal que le débat puisse s'installer, au sein de la représentation nationale entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Le calendrier le permet puisque le Gouvernement, rejoignant en cela les souhaits exprimés par le président Larcher, n'a pas souhaité recourir à la procédure accélérée.
Nous avons donc tout le temps pour débattre sereinement et de manière approfondie de ce texte, d'ici à l'été.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Au moment de conclure mon propos, et si je n'avais qu'un vœu à formuler à l'entame de nos travaux, c'est que nos débats évitent les fausses querelles et que, sur tous les bancs, nous sachions saisir l'occasion qui nous est offerte de débattre sereinement sur l'organisation territoriale de la France.
Plus que tout, je souhaite que nos débats se tiennent éloignés des facilités, des caricatures ou des postures.
Ne tombons pas dans le piège d'oppositions artificielles :

  • n'opposons pas les décentralisateurs et, de l'autre, des prétendus recentralisateurs alors que personne en réalité ne soutient la thèse de la recentralisation ; tenter de corriger les défauts de la décentralisation, ce n'est pas faire son procès ; c'est au contraire, lui donner un nouveau souffle ;
  • n'opposons pas les pro-régions et les pro-départements alors que davantage que la victoire des uns sur les autres ou inversement, il nous faut trouver les moyens d'assurer leur complémentarité ;
  • n'opposons pas l'intercommunalité et les communes, alors précisément que la progression de l'une peut conforter les secondes ;
  • n'opposons pas les territoires urbains et les territoires ruraux, alors que nous pouvons à la fois faciliter l'émergence de métropoles et renforcer le monde rural ;
  • n'opposons pas, enfin, l'Etat et les collectivités territoriales, alors que nous devons les réformer dans un même élan au bénéfice du pays tout entier. Et n'essayons pas de faire jouer à nos collectivités territoriales un rôle de contrepoids à l'action de l'Etat ! Les collectivités territoriales ne doivent pas se penser comme des contre-pouvoirs et ne sont pas des contre-pouvoirs politiques. Ce serait contraire à l'idéal et à l'originalité de notre modèle républicain.

Le Gouvernement a souhaité se tenir éloigné de ces travers durant l'élaboration des projets de lois.
Il a cherché au contraire à fonder, de manière pragmatique et concrète, une nouvelle ambition territoriale pour notre pays.
Il n'y a rien dans cette réforme qui ne serve l'équilibre et l'unité de notre pays.
Je suis certain que la Haute assemblée partage l'ambition du Gouvernement : rénover la décentralisation pour renforcer la France.