Intervention de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales au Sénat, le 20 janvier 2010, en réponse à la motion référendaire déposée par les présidents des groupes PS et communiste au Sénat Jean-Pierre Bel et Nicole Borvo Cohen-Seat.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
J'ai écouté avec la plus grande attention ce qui s'est dit depuis le début de cet après-midi sur la supposée nécessité qu'il y aurait à soumettre au referendum le projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
Je voudrais à présent, au nom du Gouvernement, vous faire part de quelques observations.
Bien que figurant dans le règlement du Sénat depuis 1959, la motion référendaire est une procédure rarement utilisée. Entre 1984 et 2006, c'est-à-dire en 22 ans, elle n'a été employée qu'à cinq reprises. J'observe, néanmoins, que depuis quelques temps, l'opposition semble redécouvrir cette procédure : c'est, en effet, la deuxième fois, en seulement deux mois, que la Haute assemblée va devoir se prononcer sur une telle motion - après celle présentée par les groupes PS, PC et RDSE et écartée, à propos du projet de loi relatif à La Poste.
A croire que ce qui était une procédure exceptionnelle semble devenir, dans l'esprit de certains, un effet de séance presque habituel !
I. Pour ma part, je ne partage pas ce curieux raisonnement qui consisterait, pour un parlementaire, à souhaiter se dessaisir de ses fonctions législatives.
Nous savons tous que l'article 3 de notre Constitution en fait l'un des moyens d'expression du peuple souverain :
la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Mais nous savons tous aussi que, dans notre tradition républicaine, la démocratie représentative est, si j'ose dire, la règle, quand la démocratie référendaire est l'exception.
J'ai à l'esprit la formule de Benjamin Constant : la démocratie représentative, c'est « une procuration donnée à un certain nombre d'hommes par le peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus ».
Comment expliquer à nos concitoyens que les parlementaires qu'ils ont élus au suffrage universel renonceraient, en quelque sorte, à leur devoir de législateur ?
Comment expliquer, surtout, que des membres de la Haute assemblée – dont la mission constitutionnelle consiste précisément à représenter les collectivités territoriales –, souhaiteraient ainsi être dessaisis d'une réforme essentielle pour l'avenir de ces mêmes collectivités ?
Il y a là, à tout le moins, un certain paradoxe.
Cette motion, ou devrais-je dire cette forme de démission, qui peut l'entendre ? Qui pourrait l'accepter ? Personne !
Le sénateur Courtois au nom de la commission des lois, comme le sénateur Buffet au nom du groupe UMP et le président About au nom du groupe de l'Union centriste, ont été, à cet égard, particulièrement éloquents.
Là où le referendum n'offre par définition qu'une réponse binaire – soit oui, soit non – à une question fermée, la procédure parlementaire a l'immense avantage d'autoriser une discussion ouverte ! Des arguments sont échangés, des positions sont rapprochées, des amendements sont déposés.
Et ces amendements, je vous le dis clairement : nous les appelons de nos vœux dès lors qu'ils sont utiles et qu'ils viennent conforter la démarche de réforme que le Gouvernement propose ! Nous ne nous sentons pas propriétaire de chacun de ses alinéas !
Je n'imagine pas que les sénateurs socialistes et communistes, dont beaucoup sont aussi – faut-il le rappeler – des élus locaux, trouvent inutile de prendre part cette discussion !
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Dépassons les manœuvres d'obstruction, évitons les fausses querelles et comme je vous le disais hier ici à la même place, tenons-nous éloignés des facilités, des caricatures ou des postures.
L'enjeu est majeur : il s'agit de débattre sereinement, au Parlement, de l'organisation territoriale de la France.
Adopter aujourd'hui, sur ce texte, en ces lieux, une motion référendaire, ce serait interdire au Sénat de débattre d'une loi fondamentale pour les collectivités territoriales ! Ce serait aussi absurde que d'interdire au Gouvernement de gouverner !
II. Alors, deux mots, tout de même, sur le fond.
Permettez-moi de vous dire que votre argumentation est littéralement, comme le disent les juristes, « inopérante ».
Non, ce projet de loi n'instaure pas une « recentralisation » comme vous essayez vainement de l'insinuer. Avouez que, sur ce point, la ficelle est tout de même un peu grosse !
Instituer un élu local puissant, le conseiller territorial, pour simplifier, clarifier, mieux articuler nos collectivités, est-ce recentraliser ?
Donner la liberté aux départements et aux régions de se regrouper volontairement, sans que la loi n'impose les contours de ces regroupements, est-ce recentraliser ?
Proposer que les conseillers communautaires soient demain élus au suffrage universel direct, est-ce recentraliser ?
Donner la liberté aux communes qui le souhaiteront de créer une métropole, non pas d'après une liste établie depuis Paris, comme je l'ai entendu hier sur vos bancs, mais sur la base du volontariat et à partir d'une dynamique de territoires, est-ce recentraliser ?
Confier à nos commissions départementales de coopération intercommunale, qui sont composées d'élus, le pouvoir d'imposer aux préfets des solutions alternatives dans le cadre de l'achèvement et de la rationalisation de la carte intercommunale, est-ce recentraliser ?
Et lorsque vous citez l'article 72 de la Constitution, citez-le jusqu'au bout ! : « les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi ».
Et c'est bien là, mesdames et messieurs les Sénateurs, que réside l'originalité et la spécificité de la décentralisation française : un modèle dans lequel le législateur, c'est-à-dire vous-mêmes, fixe et organise la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités.
La vérité, je l'ai dit hier, c'est que la décentralisation est notre patrimoine commun, droite, gauche et centre. Elle n'est la propriété d'aucun camp politique. Que vous le vouliez ou non, elle n'est pas figée pour l'éternité à ce qui s'est fait en 1982. La décentralisation, c'est le mouvement. Chercher à corriger ses faiblesses, que nous connaissons tous et que nous avons tous un jour ou l'autre décriées, ce n'est pas en faire le procès ou l'affaiblir, c'est au contraire la conforter, lui donner un nouveau souffle.
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Personne ne sera dupe de ce jeu de rôle.
Vous prenez la pose des défenseurs de la décentralisation. Pour être totalement crédibles, il eut mieux valu avoir voté, ce que précisément vous n'avez pas fait, la révision constitutionnelle de 2003 présentée par le Gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN qui a consacré, à l'article 1er de notre Constitution, « l'organisation décentralisée » de notre République.
La même logique d'opposition systématique est à l'œuvre aujourd'hui.
Elle n'est pas à la hauteur des enjeux.
Je ne peux que le regretter.