Intervention de M. Brice HORTEFEUX, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, lors du débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, Sénat
Monsieur le Président du Sénat,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
- Quelques jours après avoir pris mes fonctions de ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, je suis heureux que le premier débat parlementaire auquel je suis invité à participer porte sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales.
Préparer la réforme des collectivités territoriales, qui sera débattue et votée par le Parlement, afin de la mettre en œuvre au plus vite au service des Français : telle est la première mission qui m'a été confiée, en tant que ministre des collectivités territoriales, avec Alain Marleix, par le Président de la République.
Si les pistes sont tracées, le débat ne sera pas figé.
J'ai donc tenu à écouter personnellement cet après-midi – avec le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire Michel MERCIER, le ministre chargé des relations avec le Parlement Henri de RAINCOURT et le secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales Alain MARLEIX – les différents orateurs qui se sont exprimés.
Et conformément à la logique de notre Constitution, c'est naturellement au Sénat qu'il m'appartient, aujourd'hui, de vous faire part d'un certain nombre d'observations et d'orientations privilégiées par le Gouvernement.
I. Si le Président de la République a souhaité qu'un débat national puisse dessiner l'avenir des collectivités territoriales, c'est qu'il a la conviction que l'organisation territoriale actuelle n'est pas adaptée à notre temps ; c'est là un constat globalement partagé par la Haute assemblée.
Lorsqu'il a confié à M. Edouard BALLADUR le soin de présider le Comité pour la réforme des collectivités locales, le 22 octobre dernier, le Président de la République a souligné que « depuis 20 ans, on a beaucoup approfondi la décentralisation, on a transféré beaucoup de compétences, on a créé de nouveaux échelons d'administration ; mais on a peu réfléchi aux structures profondes de notre organisation locale, presque rien changé à la fiscalité locale, laissé dériver les finances locales. Cette situation ne peut plus durer. Le chantier est d'une grande difficulté, mais personne ne peut en contester ni la nécessité impérieuse, ni l'urgence manifeste. »
Je me réjouis de constater aujourd'hui que, sur tous les bancs de la Haute assemblée, ce constat est très largement approuvé. Des nuances s'expriment, c'est normal. Mais personne ne conteste que l'organisation territoriale de notre pays n'est pas satisfaisante et qu'elle peut et doit être réformée.
C'est la première vertu du rapport remis par M. Edouard BALLADUR que d'avoir créé les conditions d'un débat serein. La présence de l'ancien Premier ministre à la tête de ce comité a été décisive : son expérience d'homme d'Etat, sa parfaite connaissance des affaires publiques et sa sagesse ont permis l'expression de propositions de très grande qualité, dessinant un chemin ambitieux et réaliste pour réussir la réforme des collectivités territoriales. Nous lui en sommes tous très reconnaissants. J'ajoute que la composition du comité – rassemblant des personnalités éminentes, de grande expérience et d'horizons variés, au-delà des clivages partisans – a facilité l'émergence d'un consensus. Je tiens tout particulièrement à remercier, pour leur concours actif aux travaux de ce comité, l'ancien Premier ministre Pierre MAUROY, mais aussi le sénateur Gérard LONGUET, Dominique PERBEN et André VALLINI – sans oublier, naturellement, les autres membres du comité.
Qui pourrait contester, en effet, que le jardin à la française a été envahi, au fil du temps, par de mauvaises herbes – au point de ressembler, ici ou là, à une jachère, sinon à une friche ?
Oui, les constats sont partagés, sur tous les bancs, pour peu que l'on ose regarder la réalité en face, avec bonne foi.
- Premier constat : les échelons des collectivités sont trop nombreux et mal articulés. Je le dis très directement : la multiplicité des niveaux de décisions et les enchevêtrements de compétences ne sont pas toujours compris par nos concitoyens, pour la bonne raison qu'ils sont incompréhensibles.
Chacun d'entre nous mesure que coexistent souvent, dans les zones rurales, dans un même périmètre, les communes, une communauté de communes, des syndicats intercommunaux, un pays, voire la structure spécifique gérant le schéma de cohérence territoriale, sans compter le conseil général et le conseil régional. L'empilement des structures n'est pas moins grand dans les zones urbaines, où les citoyens ne connaissent généralement que leur maire et très peu leurs autres élus. Il est parfaitement normal que les citoyens s'y perdent. Et il serait parfaitement anormal d'en rester au statu quo, synonyme de confusion pratique et source d'indifférence civique.
- Deuxième constat : la confusion des responsabilités et des financements conduit parfois à des dérapages financiers, à la charge du contribuable. Je prendrai un seul exemple : le taux de prélèvements obligatoires des administrations publiques locales est passé de 5% à 5,7% du PIB entre 2003 et 2007, soit une augmentation de +14%. Dans le même temps, celui de l'Etat baissait de 14,8% à 13,9%, soit une diminution de -6%. Cette évolution aurait pu être comprise, compte tenu des effets de la décentralisation, si dans le même temps les collectivités locales n'avaient pas augmenté leurs propres dépenses de +23% - à périmètre constant, sans tenir compte des transferts de compétences.
- Troisième constat : la fiscalité locale est totalement illisible. « Chacun mange dans la même assiette », dit l'adage. Les trois niveaux de collectivités territoriales et les intercommunalités prélèvent chacun une part des mêmes impôts locaux sans que le contribuable sache vraiment qui est responsable. La situation est d'autant plus baroque que l'Etat est devenu le premier contribuable local, en prenant en charge quelque 27% de la fiscalité locale. Il est difficile d'imaginer système plus compliqué.
II. Le moment est venu de réformer vraiment, de réformer profondément, de réformer durablement l'organisation des collectivités territoriales de notre République.
- Le rapport présenté par le comité présidé par M. Edouard BALLADUR a ouvert des pistes de réforme ambitieuses, à la mesure du défi auquel nous devons désormais répondre. J'observe, au demeurant, que 16 propositions sur 20 ont été votées à l'unanimité des membres du comité. J'y vois la preuve que, au-delà du constat partagé, le chemin de la réforme peut, lui aussi, être trouvé.
- Parce qu'il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », je me réjouis que le Sénat ait souhaité apporter une contribution très approfondie au débat. Je remercie tout particulièrement le président Claude BELOT, les rapporteurs Yves KRATTINGER et Jacqueline GOURAULT, ainsi que les vice-présidents Pierre-Yves COLLOMBAT et Rémy POINTEREAU, pour la qualité des travaux de la mission qu'ils ont animée. Je tiens à remercier, également, la contribution très active apportée par les groupes – et notamment par le groupes UMP et Union centriste, dont les orateurs ont été particulièrement éloquents. J'ai bien noté, par ailleurs, les positions contrastées exprimées par les différentes associations d'élus.
- Je vous le dis très directement : nous ne devons pas décevoir les encouragements et les attentes de nos compatriotes. Une demi-réforme, réduite au plus petit dénominateur commun des ambitions, ne serait pas une bonne réforme.
En s'exprimant devant le Congrès le 22 juin, le Président de la République a pris un engagement auprès des Français : « Nous irons jusqu'au bout de la réforme des collectivités territoriales. Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux. Nous ne nous déroberons pas devant l'effort qui sera demandé à toutes les collectivités. On ne peut pas exiger de l'Etat d'être seul face au défi gigantesque qui consiste à faire de l'économie française une économie de production. Ce qui est en cause, c'est la même nation, le même citoyen, le même contribuable. L'effort doit être partagé. »
Cet engagement sera tenu. Et il nous appartient désormais, dans les mois qui viennent, de définir ensemble, au Parlement, les voies du possible.
Je vous le dis très solennellement : il est désormais très dangereux de ne rien faire.
III – Le Gouvernement déposera donc sur le bureau du Sénat, au mois de septembre, un texte ambitieux.
Je me bornerai, à ce stade de nos débats, à souligner les trois orientations fondamentales de la réforme.
Le débat ne sera pas figé.
- Nous voulons, en premier lieu, mieux dessiner la carte territoriale.
Il nous faut, d'abord, achever et rationaliser la carte de l'intercommunalité, dans des délais rapprochés. Nous sommes, certes, attachés à ce que la commune et son maire restent les interlocuteurs de proximité, au contact direct des citoyens. Mais nous tenons aussi à ce que des intercommunalités de projet recouvrent l'ensemble du territoire national. Je précise que, naturellement, en liaison avec le projet du Grand Paris, la situation de l'Ile-de-France devra faire l'objet d'un regard particulier.
L'intercommunalité à fiscalité propre doit devenir la règle. La couverture totale du territoire devra intervenir dans des délais brefs. J'ajoute que les intercommunalités devront être plus larges qu'aujourd'hui, pour disposer d'une assise permettant l'exercice effectif de compétences renforcées. C'est par la concertation que nous parviendrons à des périmètres intercommunaux plus larges et plus cohérents, qui formeront un cadre favorable au développement de nos territoires. Mais dans les territoires où cela ne serait pas possible, l'Etat prendrait ses responsabilités : il appartiendrait alors aux préfets d'arbitrer, après avis de commissions départementales de coopération intercommunale renouvelées. Parallèlement, nous devrons mener un travail de « toilettage » de très nombreux syndicats intercommunaux qui n'ont en réalité plus d'activité ou qui correspondent déjà au périmètre d'un EPCI à fiscalité propre : il y a là une source importante de simplification, de rationalisation et donc, ne nous le cachons pas, d'économies.
Mieux dessiner la carte territoriale, c'est aussi créer de véritables métropoles, en nombre limité, disposant d'une vraie capacité d'action pour intervenir puissamment à l'échelle de l'agglomération. J'ai bien entendu que, si le principe de la création de métropoles est largement approuvé, la définition du concept est variable. Ne perdons pas de vue l'ambition portée par le rapport de M. Edouard BALLADUR, proposant de rassembler les communes de la métropole en une collectivité unique et de transférer à cette nouvelle collectivité les compétences du département, voire certaines compétences de la région. Peut-être ce schéma pourra-t-il prendre d'autres formes. Mais la perspective est claire. Il est indispensable de donner aux métropoles d'envergure européenne les moyens d'agir dans un environnement européen très compétitif. Nous ne saurions nous satisfaire d'un simple ravalement a minima des communautés urbaines. Ecartons la tentation de la facilité.
- Nous voulons, en deuxième lieu, mieux articuler le niveau régional et le niveau départemental.
C'est l'enjeu, majeur, de la création du conseiller territorial.
Il ne s'agit certes pas de supprimer un échelon – ni la région, ni le département. Mais je le dis très clairement : la coexistence de 4 000 conseillers généraux et de 2 000 conseillers régionaux n'est pas comprise par nos compatriotes. Elle peut, en outre, favoriser une forme de concurrence institutionnelle – et donc financière – entre les deux assemblées.
Le Gouvernement souhaite proposer au Parlement la création de conseillers territoriaux qui siègeraient à la fois au conseil général de leur département d'élection et au conseil régional. Nous en débattrons le moment venu, en précisant notamment le mode de scrutin. Je proposerai au Président de la République de consulter – en liaison étroite avec Alain Marleix – les partis politiques sur le mode de scrutin, qui sera défini au service d'une seule exigence : l'expression démocratique, c'est-à-dire l'élection, doit permettre de désigner des élus territoriaux représentatifs et efficaces, au service de nos concitoyens.
- Nous voulons, en troisième lieu, clarifie
r la répartition des compétences. Quelle que soit la solution juridique qui pourra être retenue, l'objectif est de sortir de l'ambiguïté, en définissant aussi précisément que possible, dans la loi, qui fait quoi. Il est indispensable de définir des règles plus précises qu'aujourd'hui, car il n'est pas de responsabilité sans règle. Il est souhaitable de mettre fin à l'enchevêtrement des compétences et aux excès de financements croisés, qui produisent des surcoûts pour les contribuables, allongent les délais de prise de décision et de réalisation des projets, mobilisent des frais de fonctionnement. Il nous faut donc faire œuvre de simplification et de précision, en énonçant les compétences de chaque collectivité et en interdisant, sauf exception légitime, qu'une collectivité intervienne dans le champ de compétence d'une autre.
Naturellement, en ce domaine comme dans tous les autres, nous serons attentifs à la concertation et nous agirons avec pragmatisme. Mais le pragmatisme n'est pas l'autre nom de l'immobilisme : puisque nous voulons clarifier, nous devrons clarifier vraiment, en précisant les compétences des uns et des autres.
- Quelques mots, enfin, sur l'évolution de la fiscalité locale.
Je tiens à rappeler que la perte de ressources due à la réforme de la taxe professionnelle donnera lieu à une compensation intégrale pour les collectivités territoriales : c'est désormais, depuis la réforme de 2003, une obligation constitutionnelle. Cela signifie qu'il n'y aura pas de pertes de recettes pour les collectivités locales. Cela est vrai au niveau global : les 22 milliards d'euros que représente la taxe professionnelle assise sur les équipements et biens mobiliers (EBM) seront compensés. C'est vrai aussi au niveau individuel : chaque collectivité retrouvera un niveau de ressources équivalent.
J'ajoute que le principe constitutionnel d'autonomie financière sera respecté, comme l'impose la Constitution depuis 2003. Cela signifie que cette compensation sera assurée pour l'essentiel par des transferts de recettes fiscales. Ces transferts devront, autant que possible, permettre de maintenir un lien entre entreprises et territoires.
Plusieurs scénarios sont à l'étude, en liaison étroite avec les parlementaires, les associations d'élus et le comité des finances locales. Toutes les propositions sont naturellement étudiées avec beaucoup d'attention et font actuellement l'objet d'une concertation avec les associations d'élus et les représentants des entreprises.
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Il appartiendra au Parlement, le moment venu, c'est-à-dire à l'automne, de débattre des dispositions législatives posant les fondements de la réforme.
Je conclurai ces quelques observations en rappelant que la concertation n'exclut pas la détermination.
Le texte proposé par le Gouvernement, dans les prochaines semaines, tiendra compte de la concertation engagée avec les associations d'élus notamment. Mais ce texte sera d'abord l'expression de la détermination à tenir les engagements pris devant les Français. Détermination à améliorer l'efficacité des services rendus par l'administration territoriale de notre République. Détermination à moderniser notre organisation pour maîtriser les dépenses. Détermination à simplifier le paysage des collectivités territoriales, pour le rendre lisible et compréhensible par les citoyens.
Avec la réforme des collectivités territoriales, nous avons un rendez-vous avec l'histoire institutionnelle de notre République.
Je sais pouvoir compter sur la Haute assemblée pour réussir ce rendez-vous.