29.04.2010 - Lettre ouverte de Brice HORTEFEUX au journal Le Monde à propos de l'affaire de Nantes

29 avril 2010

Brice HORTEFEUX, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, a écrit dans l'édition du journal Le Monde du jeudi 29 avril 2010 une tribune sur "l'affaire de Nantes".


Longtemps, j'ai lu Le Monde avec l'attention et le respect que l'on doit aux institutions vertueuses et rigoureuses. Je savais, en ouvrant le quotidien du soir, que j'allais y trouver une information précise, fidèle aux principes de son fondateur. De la trace laissée par Hubert Beuve-Méry, le journal avait su conserver l'essentiel : un attachement actif à la laïcité, un humanisme entier, un respect exigeant des droits des personnes.

C'est donc avec une certaine tristesse que j'ai pris connaissance, lundi, de l'éditorial du Monde.
« Stupide » et « indigne » : vous ne trouvez pas de mots assez forts pour dénoncer l'action conduite par le Gouvernement afin de mettre un terme au port du voile intégral en France. Et en appelant à ma propre « déchéance ministérielle », vous n'êtes pas loin de rejoindre Tariq Ramadan, qui m'accuse, lui, de « trahir les valeurs de la France ». Rien de moins ! Venant d'un rhéteur proche des Frères musulmans, qui n'a jamais clairement condamné la lapidation, cette leçon de républicanisme est une curiosité. Je regrette que vous vous soyez embourbés aux côtés de ce prédicateur aussi habile que pernicieux. Car je n'imagine pas que vous puissiez cheminer avec ceux qui prônent l'asservissement des femmes.

A mon tour, je vous pose une question : où sont passés les principes du Monde ? Auriez-vous oublié que vous étiez laïcs, humanistes et respectueux des droits des personnes ?

Pour le dire autrement :  dans l'affaire de Nantes, fallait-il que le ministre de l'intérieur reste silencieux ? Fallait-il que je cache ce qui se tramait derrière les déclarations de cette femme tenant une conférence de presse pour affirmer, au nom de la liberté, le droit d'être enfermée derrière un voile intégral ? Fallait-il que je taise les éléments d'information dont je disposais, tendant à montrer qu'un individu appartenant à la mouvance radicale du tabligh, vivrait avec plusieurs femmes voilées, ayant douze enfants et détournant le système d'aide sociale ?

Mon silence aurait été une faute morale autant que politique.

Parce que la République respecte les droits des femmes, parce que la République refuse qu'elles soient emmurées, instrumentalisées, humiliées, parce que la République défend la dignité des personnes, je devais veiller à ce que l'autorité judiciaire puisse effectuer son travail. Le dossier est suffisamment grave pour que le parquet ait décidé d'ouvrir une enquête confiée à la police judiciaire.

Et il m'appartenait de saisir également le ministre de l'intégration pour examiner, en fonction de l'avancée de l'enquête, les conditions d'une déchéance de la nationalité française que cet individu a acquise par mariage. Car nous devons veiller au respect effectif de la loi. Lorsqu'un étranger devient français, c'est parce que la communauté nationale le reconnaît parmi les siens. C'est ce que le code civil nomme l'« assimilation ». Et c'est ce même code civil qui proclame que « la polygamie est constitutive d'un défaut d'assimilation ». Etre français, c'est une chance qui donne accès à des droits, mais c'est aussi un honneur qui suppose le respect de devoirs.

Je ne cèderai pas aux tenants du politiquement correct qui, toujours, préfèrent ne rien dire, ne rien faire, ne rien penser, pour ne prendre aucun risque. Je suis, pour ma part, convaincu que les responsables politiques ont un devoir de transparence. Je préfère déplaire au Monde que d'empêcher, par mon silence, la manifestation de la vérité, quelle qu'elle soit.