Discours de Monsieur Brice HORTEFEUX, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, lors du dîner d'Iftar organisé par le Conseil français du culte musulman, le lundi 14 septembre 2009.
Monsieur le président du Conseil français du culte musulman, cher professeur Moussaoui,
Monsieur le recteur, cher docteur Boubakeur,
Messieurs les présidents des Conseils régionaux du culte musulman,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil français et des conseil régionaux du culte musulman,
Madame la ministre, chère Fadela Amara,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil régional d'Ile-de-France,
Madame la présidente du Conseil général de la Réunion,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le cardinal, archevêque de Paris,
Monsieur le président de la Fédération protestante de France,
Monsieur le grand rabbin de France,
Monsieur le président du Consistoire central israélite de France,
Monsieur le président du Conseil représentatif des institutions juives de France,
Monsieur le préfet, directeur du cabinet du Président de la République,
Monsieur le préfet de police,
Madame et Messieurs les ambassadeurs,
Messieurs les préfets,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je tiens en premier lieu à vous dire tout le plaisir et tout l'honneur qui sont les miens d'être, à l'occasion de ce dîner d'Iftar, l'hôte du Conseil français du culte musulman.
Il suffit de regarder votre assistance qui réunit, à l'invitation de l'islam de France, les représentants des pouvoirs publics et les principales autorités religieuses de notre pays - représentants de l'Eglise catholique, de la fédération protestante, des orthodoxes ainsi que des juifs de France -, pour mesurer le caractère exceptionnel de cette soirée.
Soyez certain, Monsieur le Président Moussaoui, que j'accorde un prix tout particulier à notre rencontre, tant je mesure ce que le Ramadan signifie dans le cœur et l'esprit des musulmans.
En m'invitant parmi vous, vous m'offrez la possibilité de partager un moment véritablement privilégié : celui de la rupture du jeûne en ce mois sacré de Ramadan, qui est l'un des cinq piliers de l'islam.
Rompre le jeûne, c'est marquer la fin d'un effort d'abstinence poursuivi de l'aube à la nuit, chez soi comme sur son lieu de travail. C'est partager la joie d'être ensemble, partager ses traditions, partager ses espérances aussi.
Permettez-moi de partager aussi, avec vous, ce soir, les sentiments que m'inspire l'actualité des derniers jours. Je suis ému de penser que, du fait du tohu-bohu médiatique et d'une interprétation totalement inexacte, des personnes – peut-être parmi vous – ont pu être blessées dans leur être ou leurs convictions.
Je veux donc dire, vous dire, mes regrets. Au-delà de cette polémique inutile et injuste, je veux exprimer mon respect pour tous les Français et pour toutes celles et tous ceux qui vivent sur notre sol, quelle que soit leur religion et quelles que soient leurs convictions.
La République doit être plus que jamais une école de tolérance et de dignité. C'est un combat de tous les jours et j'y veillerai.
Je tenais à vous le dire.
Je tenais à le dire ici.
Je tenais à le dire d'emblée.
Je tenais à le dire ce soir, au cœur du mois de Ramadan, temps de recueillement et de compassion, symbole d'un islam de paix, de tolérance et de solidarité, à l'image de ce qu'est, aux yeux de nos compatriotes et aux yeux du monde, l'islam de France.
(1) Oui, l'islam de France a aujourd'hui toute sa place, aux côtés des autres grandes religions du Livre, dans notre maison commune : la République.
La préservation de la paix sociale et du respect d'autrui, l'attachement à la tolérance et aux liens de solidarité qui doivent unir nos concitoyens, ce sont précisément les valeurs que nous avons en partage et qui guident, au quotidien, mon action dans le cadre des responsabilités ministérielles qui m'ont été confiées. Ma présence parmi vous ce soir se veut donc le témoignage de la force des liens qui unissent aujourd'hui – et je m'en réjouis – la République aux musulmans de notre pays.
Membres des instances dirigeantes du CFCM, présidents des CRCM, responsables nationaux des grandes fédérations et personnalités reconnues, vous détenez des responsabilités qui tout à la fois vous honorent et vous engagent vis-à-vis des quelque cinq millions de personnes qui, sur notre territoire, se reconnaissent dans la religion musulmane ou s'en sentent proches. En m'exprimant devant vous, qui êtes le visage de l'islam de France, sa structure, sa force, sa vitalité, c'est aussi à chacune d'entre elles que je veux m'adresser.
Le message que je suis venu vous transmettre ce soir, c'est celui de mon respect – et, si vous me le permettez, de mon amitié vis-à-vis des musulmans de France.
C'est celui de ma détermination, aussi, pour les prochains mois et les prochaines années, à poursuivre résolument l'action engagée par le Président de la République dès 2002 lorsqu'il devint Ministre de l'intérieur, et qu'il a amplifiée depuis 2007 à la tête de l'Etat.
Vous savez combien il s'est personnellement impliqué pour que le culte musulman puisse enfin bénéficier d'instances représentatives auprès des pouvoirs publics. Comme lui, je crois profondément à la nécessité d'un dialogue soutenu et sincère entre l'État et les musulmans de France, comme il existe un dialogue soutenu et sincère entre l'État et l'Eglise de France, entre l'Etat et les juifs de France, entre l'État et la fédération protestante de France, entre l'État et les orthodoxes de France, entre l'État et – pour reprendre la formule d'Aragon – tous ceux qui croient au ciel, et ceux qui n'y croient pas.
Quand je parle de « dialogue soutenu et sincère », cela signifie que nous ne serons peut être pas toujours d'accord sur tout, mais je le dis devant vous, Monsieur le Président Moussaoui, Monsieur le Recteur Boubakeur, Monsieur le Cardinal-archevêque de Paris, Monsieur le Pasteur Baty, Monsieur le Président Mergui, Monsieur le Grand rabbin de France, la République ne craint pas, dans le cadre d'une laïcité apaisée, d'assumer au grand jour ses échanges avec tous ceux qui participent au vivre-ensemble.
C'est un fait indiscutable : la laïcité est une valeur fondamentale de notre pays.
La laïcité, ce n'est pas le reniement des religions.
La laïcité, c'est la liberté de croire ou de ne pas croire, c'est la garantie donnée à chacun de pouvoir pratiquer le culte de son choix, c'est l'égalité en droits de tous les citoyens.
La laïcité, ce n'est pas davantage une option spirituelle particulière, c'est la condition du respect des choix personnels les plus profonds, dans une société ouverte où histoire et patrimoine ont pu être, en partie, forgés par les grandes traditions philosophiques, spirituelles ou religieuses.
Dialoguer avec les représentants des cultes est donc essentiel car, pour reprendre les mots du Président de la République, les religions sont « des patrimoines vivants de réflexion et de pensée, pas seulement sur Dieu, mais aussi sur l'homme, sur la société ».
(2) Ce n'est donc pas la moindre vertu du CFCM que d'être l'institution qui permet et favorise aujourd'hui ce dialogue avec l'islam de France. Dès lors, après sa création au printemps 2003 sous la présidence du Recteur Boubakeur et le renouvellement de ses instances en 2005 puis en 2008 avec la présidence du Professeur Moussaoui, je crois le temps venu, pour le Conseil français du culte musulman, d'affirmer son rôle dans le paysage religieux de notre pays.
Un rôle à la mesure de son histoire, une histoire récente certes, mais déjà riche de promesses. Qui pourrait vraiment s'en étonner ? On ne peut naturellement attendre d'une structure âgée de tout juste cinq ans ce que peut apporter une institution séculaire ou multiséculaire. Il demeure que quiconque imaginerait aujourd'hui remettre en cause l'acquis de ces dernières années, prendrait à mon sens une très lourde responsabilité.
L'immense mérite du Conseil français du culte musulman comme des Conseils régionaux du culte musulman est d'assurer désormais la représentation de tous les musulmans de France, dans leur unité comme dans leur diversité. Je sais que l'ouvrage n'est pas simple, tant l'islam de France est pluriel et multiforme. Cela implique souvent des discussions, des divergences, parfois des contradictions. Mais je crois profondément que rien ne doit faire renoncer les musulmans de notre pays à leur aspiration légitime à l'unité.
Cette unité m'apparaît d'autant plus fondamentale qu'hélas, les musulmans de France sont encore trop souvent en tant que tels la cible d'agressions ou d'exactions que rien ne saurait justifier.
Je pense en particulier aux inscriptions racistes et aux dégradations qui se sont produites dans la nuit du 18 au 19 août dernier à la mosquée de Toul, en Meurthe-et-Moselle. Je pense, plus encore, à la profanation, à la fin de l'année 2008, du carré musulman de la nécropole nationale d'Arras qui, à titre personnel, m'avait profondément révulsé.
Comment ne pas être ému par l'outrage porté à la mémoire des soldats enterrés là, hommes de toutes convictions et de toutes conditions unis par une même cause, celle de la France, honorée par ces frères d'armes jusqu'au sacrifice suprême ? Cet acte inqualifiable ne pouvait que blesser au cœur le pays tout entier.
Chaque fois qu'un citoyen, quelles que soient ses origines ou sa religion, est atteint pour ce qu'il est ou pour ce en quoi il croit, c'est l'ensemble de la communauté nationale qui s'en trouve offensée.
Chaque fois que de tels actes se sont produits, j'ai immédiatement donné les instructions les plus fermes aux services de police et de gendarmerie placés sous mon autorité afin que tout soit mis en œuvre pour en identifier et interpeller les auteurs et que ces derniers soient déférés à la justice.
Il n'y a pas et il n'y aura jamais de place dans notre République pour des atteintes à des lieux de culte, pour des profanations de cimetières, pour des discriminations d'aucune sorte.
Je le dis avec force : l'islamophobie n'a pas sa place en France. Je le dis avec la même fermeté : l'islam n'est pas l'islamisme.
La République combat et la République combattra toujours l'islamophobie comme elle combat et elle combattra toujours l'islamisme, car il n'y a pas de place dans notre pays pour les extrémismes, d'où qu'ils viennent.
La France que nous aimons, celle qui se reconnaît dans les principes de liberté, d'égalité et de fraternité inscrits au fronton de ses écoles ou de ses mairies, n'acceptera jamais de transiger sur le respect de ses valeurs.
(3) Ces valeurs, ce sont celles qui doivent nous guider pour mener à bien les nombreux chantiers qui s'ouvrent devant nous, Monsieur le Président Moussaoui, et dont je souhaite qu'ils puissent trouver un certain nombre de développements tangibles et concrets dans les mois à venir.
Je précise d'ailleurs que les enjeux qu'ils soulèvent, pour la plupart, ne concernent pas que l'islam mais regardent l'ensemble des cultes rassemblés ici ce soir. Parmi ces chantiers, vous me permettrez brièvement d'en évoquer cinq, qui m'apparaissent particulièrement importants.
- Il s'agit d'abord des conditions pratiques de l'exercice du culte. Sur ce point, je veux dire qu'à mes yeux, la loi de 1905 est une grande loi, une loi de liberté qui définit et garantit le libre exercice du culte. Comme la très grande majorité de nos concitoyens, je suis très attaché aux équilibres qu'elle détermine et qui permettent, aujourd'hui comme hier, de trouver les voies pour préparer et construire l'avenir.
C'est le sens de la circulaire récente que le ministère de l'intérieur a publiée pour rappeler les conditions juridiques de construction et d'entretien des édifices du culte, et notamment des mosquées. En rappelant le droit applicable en la matière, elle devrait constituer un support précieux pour les cultes comme pour les acteurs de terrain soucieux de faire vivre la laïcité.
- De la même manière, j'ai bien entendu votre message relatif à la question des funérailles. Vous le savez, trois grands principes doivent être conciliés en cette matière : la liberté des funérailles, la gestion publique et communale des cimetières et le principe de neutralité desdits cimetières. Plusieurs textes, notamment la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, sont venus rappeler les marges de manœuvre qui existent à travers les pouvoirs de police du maire et ce que l'on nomme communément les « carrés confessionnels ».
Sachez que j'en fait personnellement une priorité : les musulmans de France, comme d'ailleurs toute personne souhaitant être inhumée selon une coutume ou un rite particuliers, doivent évidemment pouvoir le faire. Il s'agit là d'un enjeu important et symbolique en termes d'intégration dans la République et dans la terre de France.
Naturellement, si des difficultés persistent sur le terrain, je suis prêt à ce que les préfets examinent avec les collectivités locales, au cas par cas, les moyens concrets de les surmonter.
- J'en viens à un troisième dossier, celui de l'abattage rituel. Le Président Moussaoui a bien voulu rappeler l'action du Gouvernement lors de la discussion du règlement adopté par l'Union européenne en juin dernier. Elle a permis de préserver l'acquis de la directive de 1993 en matière de protection des animaux d'une part, et de liberté religieuse d'autre part, tout en précisant et en consolidant les conditions de l'abattage rituel. Je ne peux à cet égard que me féliciter de la coopération entre les cultes en cette matière.
Je dois naturellement insister sur la vigilance qui sera celle des pouvoirs publics en matière de respect des normes sanitaires, même si je suis convaincu, à la lumière notamment de l'expérience tout à fait positive de l'an passé, que la communauté musulmane est très attachée à ce que l'Aïd-al-Adha se déroule dans les meilleures conditions.
- Autre moment important de la vie spirituelle des musulmans de France ; le pèlerinage à la Mecque. Cette fête réunit plus de 30.000 personnes résidant sur notre territoire, de nationalités française ou étrangère. A cette occasion, le ministère de l'intérieur, en partenariat avec le ministère du tourisme et le ministère des affaires étrangères, diffusera pour la troisième année consécutive une brochure d'information pratique sur le pèlerinage, afin d'éviter les difficultés qui ont pu exister par le passé.
Cette année, le pèlerinage revêtira bien sûr un aspect particulier en raison des risques d'épidémie du virus de la grippe A (H1N1). Sachez que mes services préparent des éléments d'information précis en direction des futurs voyageurs ; je veillerai à ce qu'ils vous soient désormais rapidement adressés.
- Ce sera là, la cinquième de mes priorités : le renforcement de la formation des aumôniers et des cadres religieux musulmans. Si je l'évoque en dernier, c'est peut-être l'enjeu le plus fondamental, à tout le moins celui qui engage le plus l'avenir.
Comme le Président de la République vous l'avait dit lorsqu'il était ministre de l'intérieur, il n'est évidemment pas question, pour l'Etat, de créer un institut théologique qui viendrait absorber les écoles existantes. Cela n'a pas lieu d'être dans une République laïque. Pour autant, je crois personnellement en l'utilité de formations à vocation culturelle, historique et scientifique à l'attention des futurs ministres du culte.
C'est le sens du diplôme universitaire « religions, laïcité, interculturalité » créé en 2007 au sein de la faculté des sciences sociales de l'institut catholique de Paris, qui apparaît aujourd'hui comme un vecteur exemplaire d'intégration et de promotion des principes et valeurs de la République.
Il a déjà bénéficié à près de 50 ministres du culte musulman, et l'institut s'apprête à accueillir sa troisième promotion d'étudiants. Faut-il aller au-delà en développant ce genre d'initiatives ailleurs qu'à Paris ? Je suis prêt à ce que nous y réfléchissions ensemble.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Vous le voyez, ces chantiers sont nombreux, ces chantiers avancent. Ils sont la preuve vivante du dynamisme de la communauté musulmane de notre pays.
Monsieur le Président Moussaoui, je veux vous dire que suis à vos côtés pour vous aider à construire, avec détermination et enthousiasme, le présent et l'avenir de l'islam de France.
Je sais pouvoir compter sur la bonne volonté des membres du CFCM dans le cadre des responsabilités qui sont les leurs. Sachez que vous pourrez également compter sur moi pour travailler inlassablement, dans les mois et les années à venir, à ce que tous les citoyens, quelles que soit leurs croyances ou leurs convictions, trouvent pleinement leur place dans notre pays.
Comme vous, je refuse les procès d'intention et les postures : ce qui m'importe, comme ministre de la République, c'est de travailler sereinement, de travailler sérieusement, avec tous les musulmans de France, dans un esprit de respect et d'ouverture.
Je vous remercie.