Sortie de la 62ème promotion de commissaires de police

25 juin 2012

ENSP – lundi 25 juin 2012 - Allocution de M. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur


Seul le prononcé fait foi

C'est un plaisir pour moi d'être parmi vous aujourd'hui pour fêter la sortie de votre Promotion de commissaires de police - la 62ème. Cette cérémonie marque un cap essentiel dans vos vies de femmes et d'hommes, puisque vous serez désormais investis de la responsabilité éminente qui incombe aux commissaires, au sein de la police nationale et dans la société.

Cette rencontre m'offre l'opportunité, un peu plus d'un mois après ma prise de fonctions, d'un échange avec vous, les cadres supérieurs de la police nationale.

Ce moment est solennel et, j'imagine, chargé d'émotion. Vos familles sont présentes. Je tiens à les saluer. Elles peuvent être fières de vous, et de votre engagement. Un engagement qu'elles seront, de fait, amenées à partager. C'est-à-dire qu'elles connaîtront, et parfois subiront, le niveau d'implication personnelle que cet engagement nécessite, mais aussi la part de risque, d'inquiétude qui lui est attaché.

Le choix d'un nom de promotion n'est pas anodin ; il dit beaucoup des principes et de l'esprit qui animent un collectif. Vous avez fait le choix de Roger WYBOT, nom de résistant de Roger-Paul WARIN, qui s'engagea dans la résistance, dès 1940, d'abord en France, puis à Londres, où il prit la tête du bureau central de renseignement et d'action de la France libre. Il s'est ensuite battu en Tunisie, en Italie, avant de prendre part au débarquement de Provence.

Il devint, à la Libération, le premier patron de la direction de la surveillance du territoire, la DST, qu'il contribue à créer. Il resta ensuite à la tête du contre-espionnage français pendant près de 15 ans.

Je souscris pleinement, à ce choix de Roger WYBOT, fait compagnon de la Libération. Son parcours, unique, courageux et clairvoyant dans un monde en recomposition, illustre parfaitement les qualités de conception et de direction dont vous aurez à faire preuve tout au long de votre carrière.

C'est d'ailleurs de ces deux dimensions (conception et direction) que je souhaite vous parler aujourd'hui.

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Roger WYBOT s'est engagé dans la résistance, comme beaucoup avec lui, pour la défense de la République et de nos institutions démocratiques. Soyez toujours absolument conscients que l'objectif ultime de vos missions de direction et de commandement est le service de la démocratie et de notre pacte républicain.

Votre écharpe tricolore va de pair avec votre épée. C'est la loi qui rencontre la force. Commissaires de police, vous serez amenés à donner l'ordre de faire usage de la force publique pour que les lois de la République s'imposent. Ces ordres pourront, indirectement et involontairement, aller jusqu'à engager la vie de ceux et de celles que vous commanderez. Ces ordres déclencheront aussi la manifestation concrète d'une puissance nécessaire, qui devra toujours rester proportionnée vis-à-vis de ceux qu'il faut ramener au respect des règles communes. Voilà le cadre de la très haute responsabilité qui est désormais la vôtre.

La protection de l’ordre public et la garantie de la sécurité de la population sont des missions essentielles, sans lesquelles aucun projet de société n'est viable. Sans ordre - sans ordre républicain - il n'y a pas de progrès possible, ni de lien social envisageable. Jamais la loi du plus fort -, celle des caïds, de la violence -ne doit avoir sa place. Elle doit toujours, et partout, se heurter aux lois de la République.

L'ordre républicain, vous devrez le protéger dans le strict respect des libertés publiques et de la déontologie.

Nos concitoyens attendent énormément de la police et des policiers. Et c'est d'une très grande exemplarité que les policiers tirent leur légitimité pour agir. Vous, commissaires de police, qui serez à leur tête, avez doublement ce devoir d'exemplarité. D'abord pour vous-mêmes. Ensuite, dans votre rôle de direction : il vous revient de veiller à ce que chacun s'y soumette.

Je serai inflexible quant au respect des règles de déontologie. Et je sais que l'immense majorité des policiers s'attache à la respecter.

Mais, au-delà des exigences déontologiques, nos valeurs de service public nous imposent de prendre bien d'autres initiatives dans le domaine des relations entre la police et la population, notamment à l'occasion des patrouilles ou interventions sur la voie publique. Je veux à ce sujet éviter tout malentendu et écarter toute vision schématique, qui consisterait à attribuer à l'institution policière l'entière responsabilité des difficultés constatées par de nombreux observateurs, dans une société fragmentée, marquée par l'individualisme, parfois très violente, la part de l'autorité.

En application des engagements du président de la République et suivant la feuille de route établie par le Premier ministre, j'entends veiller, avec vous, à la qualité et à la professionnalisation des rapports humains en intervention.

Je demande que les policiers s'astreignent à une certaine distanciation professionnelle, en conservant leur sang-froid en toutes circonstances et en proscrivant par exemple le tutoiement. Je sais bien que ce n'est pas toujours facile face à l'adversité la plus arrogante, ... aux insultes, à l'irrespect, aux caillassages... et même qu'il existe des tutoiements plus respectueux dans le ton que certains vouvoiements. Mais un débat public sur les contrôles d'identité existe et nous ne pouvons l'esquiver. Vous pouvez compter sur moi pour préserver les contrôles d'identité en tant que moyen d'intervention au service d'une action policière légitime de lutte contre la délinquance - et d'ailleurs personne ne demande leur suppression. Vous pouvez compter sur moi pour soutenir la police, à qui je veux témoigner ma confiance. J'entends d'ailleurs beaucoup de caricatures au sujet des réflexions du Gouvernement.

Mais, en tant que chefs de service, vous devrez veiller à proscrire les contrôles abusivement répétés ou réalisés sans discernement. Non motivés ou proportionnés, le risque fort existe que certains contrôles ne fassent qu'alimenter le ressentiment d'une partie de la population. Il y a des comportements antisociaux à réguler ou à combattre, mais seule la minorité des jeunes de nos quartiers qui en est responsable doit en répondre.

Dans ce domaine, comme ailleurs, il n'y aura pas d'angélisme. Mais un souci bien compris de renforcer l'efficacité de l'action policière. Une police exemplaire, c'est une police mieux respectée. Et une police mieux respectée, c'est une police consolidée dans ses prérogatives.

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Servir nos institutions démocratiques et notre pacte républicain, c'est veiller, également, et scrupuleusement, à la séparation des pouvoirs ; au partage des compétences entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire. Trop souvent, ces dernières années, les institutions policière et judiciaire ont été opposées, dressées l'une contre l'autre. En tant que commissaires de police, vous relevez à la fois de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire. C'est une double compétence singulière dans la République. Vous êtes, de fait, en première ligne pour contribuer activement à la qualité des relations entre la police et la justice.

Afin de consolider l'autorité de l'Etat, la Garde des Sceaux et moi souhaitons que ces relations soient apaisées et constructives. Pour renouer le fil d'un dialogue trop souvent interrompu, j'ai donc proposé que des conférences intérieur-justice déconcentrées se tiennent partout en France, à un niveau régional adapté pour tenir compte de la carte judiciaire.

Cette dynamique se construira autour de thématiques concrètes dont je souhaite établir le cahier des charges avec ma collègue ministre de la Justice, sans exclusive vis-à-vis des propositions locales. Il vous appartiendra de la faire vivre au plus près du terrain en entretenant des relations de qualité avec les magistrats du siège et du parquet. (Il vous faudra, également, veiller à ce que les fonctionnaires de vos services ne manifestent pas de réactions de défiance - contre-productives -à l'égard des décisions de justice), même si je n'ignore pas que certaines d'entre elles peuvent parfois choquer. Je suis un élu de la banlieue parisienne.

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La direction de services, c'est également savoir fixer des objectifs de travail et d'action. Ceci nécessite la mise en place d'indicateurs permettant d'orienter les équipes, de stimuler l'engagement voire d'adapter les pratiques.

Les indicateurs doivent être les moyens d'une action et non une fin. Je souhaite donc abandonner certains travers statistiques qui ont dérivé vers des formes de "politique du chiffre". Ainsi, cela n'a pas grand sens de déterminer en début d'année un pourcentage de baisse de la délinquance à obtenir impérativement ou un taux d'élucidation global à atteindre. Cette approche a pu conduire à des stratégies d'action ne correspondant pas aux vraies priorités de terrain, et parfois à faire perdre de vue la réalité du métier de policier.

Je veux mettre en œuvre une culture de l'efficacité. Les Français ont fixé, en matière de sécurité, une obligation de résultats. L'abandon de normes statistiques a priori n'écartera pas le suivi régulier de l'évolution de la délinquance et des réponses opérationnelles qui y sont apportées au niveau local.

Pour ce faire, de nouvelles étapes seront franchies en matière de statistiques de la délinquance, dont je souhaite qu'elles sortent des polémiques et des jeux politiques. C'est sous le Gouvernement de Lionel Jospin qu'une réflexion transpartisane (Rapport Caresche-Pandraud) avait été engagée. Et la création de l'Observatoire national a représenté un progrès irréversible.

Mais nous sommes encore loin du compte. Il a fallu près de huit ans d'insistance de l'ONDRP pour que le chiffre unique soit abandonné ! Les chantiers liés à la modernisation et à la refonte de l'outil statistique ont curieusement traîné, au point où tous les experts indépendants reconnaissent l'obsolescence du fameux "état 4001" pour obtenir des données fines. Enfin, je ne m'explique pas la lenteur avec laquelle le dossier de la pré-plainte en ligne a avancé, contrairement à ce qui se passe chez beaucoup de nos voisins.

Je proposerai rapidement au Premier ministre une double méthode.

Premièrement, que le mode de désignation du nouveau président de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales associe pleinement le Parlement.

Deuxièmement, je saisirai l'ONDRP et les corps d'inspection du ministère afin de réaliser un audit des pratiques statistiques actuelles et de construire un nouveau format de pilotage institutionnel et opérationnel, plus exhaustif et plus transparent. Des experts indépendants participeront directement à cette réflexion.

Enfin, je veillerai à ce que les propositions formulées soient parfaitement compatibles pour être intégrées avec les statistiques judiciaires.

Je veux donc passer d'une "politique du chiffre" à une "exigence de sécurité" pour tous les Français. Cette exigence, vous avez la responsabilité de la traduire opérationnellement.

En vous disant tout cela, j’ai conscience de l’ampleur des demandes qui vous sont faites. Dans vos différentes affectations successives, vous serez confrontés à ce qu'il y a de plus dur, de plus violent, dans notre société. Y faire face exigera de vous comme de vos collaborateurs du courage, aussi bien psychique que physique. La réalité vous mettra aussi bien face à la détresse de l'humain qu'à la rudesse de l'inhumain, à la face la plus noire de notre société.

Votre formation est une formation de haut niveau, basée sur l'exigence. Cette exigence, c'est une certitude, surgira dans vos missions. Souvent au moment où vous vous y attendrez le moins. Vous devrez être des "meneurs d'équipes". Votre autorité certes, mais aussi la justesse de votre jugement et votre capacité à les soutenir dans l'épreuve, seront capitales.

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Commissaires de police, vous appartenez à un corps chargé de la stratégie dans l’action, de la "conception".

Cette notion nous renvoie à Roger WYBOT. Pour créer la DST, il lui a fallu définir des missions, bâtir une organisation et insuffler une culture collective.

Ces qualités de conception sont celles que l'on attend d'un commissaire de police. Celui-ci n'est pas qu'un manager de l'action publique. Il doit, aussi, être un bon technicien, parfaitement au fait des grandes problématiques liées à la délinquance. Il doit être capable de les interpréter pour inscrire au mieux l'action de son service dans la cité.

Le commissaire de police doit aussi être un observateur attentif du contexte local. Il doit savoir en anticiper les évolutions et les mutations. Ce que j'entends par conception c’est donc la capacité de faire le lien entre un monde en perpétuel bouleversement, une délinquance polymorphe sans cesse en mutation, éprouvant les nouvelles technologies les plus sophistiquées et des directives opérationnelles.

Vos capacités de conception seront fortement sollicitées pour le chantier ambitieux des Zones de sécurité prioritaires. Les premières seront créées dès septembre.

Engagement du président de la République, ces zones consisteront à mettre en place une action de sécurité renforcée sur des territoires bien ciblés, caractérisés par une délinquance enracinée et de fortes attentes de la population. Elles s'appuieront sur un dispositif souple et adaptable et une coordination renforcée de l'ensemble des forces de sécurité compétentes sur le territoire concerné.

La création de ces zones de sécurité prioritaires ne saurait s'inscrire dans un cadre rigide et monolithique. Elles dépendront bien entendu des arbitrages budgétaires et des créations de postes qui seront décidées cet été dans un contexte tendu. Elles ne couvriront pas des territoires homogènes avec les mêmes problématiques de délinquance. Elles pourront ainsi concerner des cités sensibles soumises à des épisodes de violences urbaines, et à l'économie souterraine qui brise les normes du pacte républicain, des centres villes, à la physionomie dégradée en raison de nuisances diverses, ou encore des zones péri-urbaines où se développent, par exemple, les cambriolages. Les réponses apportées ne sont, évidemment, pas de la même nature dans ces différentes situations. Dans les circonscriptions concernées par la mise en place de telles zones, il vous faudra contribuer à la conception d'un dispositif capable de répondre aux particularismes locaux.

De manière plus générale, il est nécessaire que vous fassiez preuve de créativité dans l'exercice de vos missions, notamment en matière de communication. L'action de la police a besoin d'être expliquée dans un monde où tout va vite (réseaux sociaux...) à nos concitoyens, aux acteurs locaux ou encore aux élus, et notamment aux maires, vos partenaires. Vous en êtes les premiers porte-parole. Une action davantage expliquée, c'est une action mieux comprise et donc, pleinement, reconnue par la population.
La pédagogie de votre école est faite d'ouverture sur les disciplines. Vous me permettrez donc ce parallèle. Comme tout manager, vous avez intérêt, à votre niveau, à ce que le "capital image" de votre institution soit le meilleur possible. Vous en tirerez des bénéfices opérationnels immédiats. Ce "capital image", il se construit aussi, et surtout, en local.

Soyez donc audacieux. Allez à la rencontre de la population. Les instances de démocraties locales peuvent être un bon vecteur pour cela.

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Votre formation, que j'évoquais à l'instant, est une formation d'excellence. Elle est à la pointe de celles reçues dans les écoles de la fonction publique. Votre promotion figure parmi les premières à avoir bénéficié du nouveau cadre pédagogique de l' "approche par compétences ". Il vous a donné les bagages théoriques mais aussi les bonnes pratiques qui vous permettront de conjuguer les deux facettes de votre métier que je viens d'illustrer à savoir : conception et direction.

Je veux saluer les efforts entrepris par l'ENSP pour réformer et perfectionner son parcours de formation. Je souhaite que cet exemple soit suivi. La rénovation en profondeur de la formation des policiers fait partie de mes priorités.

Plus largement, l'actuel schéma directeur de la formation expire à la fin de l'année. Pour le renouveler, il sera donc procédé à l'évaluation systématique des programmes de formation de la DGPN. Et ce, en valorisant la part réservée aux cas pratiques et aux retours d'expérience.

Je veux saluer le fait que les deux premiers au classement sont issus de la voie d'accès professionnelle : un homme et une femme !!

Je demanderai en outre au DGPN d'organiser des Assises de la formation impliquant toutes les directions actives pour élaborer le nouveau schéma directeur. Des experts reconnus en pédagogie ou en formation professionnelle, issus d'autres secteurs, participeront à ce chantier, de même que le Défenseur des droits et un représentant de l’autorité judiciaire.

Je forme des vœux pour que votre carrière vous apporte des satisfactions personnelles à la hauteur de votre engagement. Votre métier vous fera vivre des moments intenses, difficiles, mais aussi profondément humains. Votre métier, au contact de la société, vous en fera percevoir tous les aspects, tantôt sombres, tantôt heureux.

La République que vous avez pour mission de protéger est riche des valeurs pour lesquelles des femmes et des hommes, à l'instar de Roger WYBOT, se sont battus, certains au prix de leur vie.

Vous êtes donc les garants d'un héritage et les prolongateurs d'un engagement au service de notre pays. Cet engagement, il est celui de tous les policiers.

Vous méritez à ce titre l’estime et le soutien de la Nation que, dès demain, vous êtes appelés à servir.

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