Rupture du jeûne - Mosquée d’Ozoir-la-Ferrière

2 août 2013

Allocution de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur - 1er août 2013 – Mosquée d’Ozoir-la-Ferrière

Seul le prononcé fait foi.


Madame la préfète,

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Mesdames, messieurs les élus,

Monsieur le vice-président [M. Boubakeur GUEDJALI],

Mesdames, messieurs,

Chers amis,

Au rythme de l’évolution du croissant de lune, symbole de votre foi, les musulmans de France, à l’instar des musulmans du monde entier, poursuivent cet itinéraire spirituel et fraternel qu’est le Ramadan. C’est, ce soir, la troisième rupture du jeûne à laquelle je participe cette année, après un iftar à la Grande mosquée de Paris puis de Lyon.

Alors que les musulmans entament les dix derniers jours du Ramadan, qu’approche la « nuit du destin », j’ai beaucoup de joie à me retrouver parmi vous, dans cette mosquée d’Ozoir-la-Ferrière ; beaucoup de joie à partager ce moment dont je connais bien l’intensité pour l’avoir vécue, en tant que maire d’Evry et élu de la banlieue parisienne, à de nombreuses reprises. C’est un moment fait d’introspection où chaque fidèle se retrouve avec lui-même ; et un moment de convivialité où tous les fidèles se retrouvent ensemble.

L’Islam est la deuxième religion de France. Ce soir, dans toutes les mosquées de notre pays, petites ou grandes, majestueuses, comme modestes, chez eux, en famille, entre amis, les musulmans de France pratiquent leur foi. Et je veux, à nouveau, devant vous, et à travers vous, témoigner de la détermination de la République à garantir fermement, obstinément, inlassablement, la liberté de pratiquer l’Islam en toute tranquillité, en toute sécurité. En toute fierté.

La République, c’est la possibilité de pratiquer sa religion librement, sans subir aucune intimidation.
La République, c’est la liberté de conscience ; c’est la foi à visage découvert.
Je réponds ce soir à votre invitation. Mais je ne suis pas ici par hasard. Je suis à vos côtés, car il y a quelques mois, certains individus s’en sont pris à cette mosquée. Par des inscriptions odieuses, infâmes, ils ont voulu contester sa présence au cœur de la cité.

S’en prendre à une mosquée, à un lieu de culte, à une église, un temple, une synagogue, c’est s’en prendre à nos institutions, à nos valeurs. C’est s’en prendre à ce qui fait l’histoire et l’unité de notre Nation.

La responsabilité, ma responsabilité, c’est de regarder la réalité en face : il y a trop de mots, trop de gestes, trop d’hostilité qui visent aujourd’hui les musulmans de France. Des mosquées ont été profanées. Des slogans abjects ont été proférés. Ces attaques sont inacceptables. L’Islam de France a besoin de sérénité pour achever de se bâtir ; pour achever son intégration totale au sein de nos institutions. Il a toute l’opportunité de le faire.

A Ozoir, la mosquée fait partie du paysage, aux côtés de l’Eglise Saint Pierre-et-Paul, du temple évangélique, et même de cette chapelle orthodoxe, fondée en 1917, aujourd’hui désaffectée. Avec tous ces autres lieux de culte, elle souligne la diversité religieuse de la France.

Notre pays est un creuset ; une terre de rencontres, de tolérance et de respect. Bien sûr, tout ne s’est pas accompli en un jour ; le temps a fait son œuvre qui a permis d’édifier pas à pas – et non sans douleur – notre modèle de laïcité. Un modèle singulier dans le monde, qui est notre richesse, notre patrimoine. Ce modèle qui affirme avec force que, comme toutes les autres religions, l’Islam a, en France, toute sa place.

La République, c’est une place donnée à chacun de ses enfants, à toutes celles et à tous ceux qui adhèrent à ses principes, à son message.

Toutes les discriminations, qu’elles soient fondées sur les croyances ou sur les origines, doivent être combattues avec la plus grande détermination ; avec aussi – j’y insiste – les dispositifs adaptés. C’est un combat de longue haleine qui ne se satisfait pas que de beaux discours ou de jolis slogans. Il faut aller au contact, expliquer, faire œuvre de pédagogie, pour déjouer les mécanismes insidieux qui peuvent faire germer, dans des esprits perméables, les pires représentations. Et conduire aussi à commettre les pires actes.

Elu depuis plus de 25 ans de la banlieue parisienne, je connais l’exigence quotidienne que cela implique. Car il ne suffit pas de combattre les gestes. Il faut aussi lutter contre les petites phrases, qui peuvent être assassines, contre les clichés xénophobes, racistes, sexistes, que l’on peut entendre, ici ou là, dans la rue, ou dans les cours d’école. Il faut le faire avec des mots simples et clairs. Des mots fermes également. C’est la responsabilité de tous, des pouvoirs publics, des élus, des parents, des enseignants, des associations, des responsables religieux. C’est notre responsabilité collective – et encore plus dans cette période de doute que traverse notre pays – de faire vivre le message de la République. Cette République qui ne reconnaît que les citoyens libres et égaux rassemblés autour d’un même idéal. Ce qui n’empêche pas, comme nous le faisons ce soir, de faire vivre pleinement les attachements cultuels comme les pratiques culturelles.

La République ne tolèrera jamais un geste dirigé, ou une parole prononcée, contre un musulman. La République protégera toujours les musulmans de France.

Comme vous le savez, il existe une coopération active entre le Conseil français du culte musulman et le ministère de l’Intérieur en matière de lutte contre les actes visant les musulmans. Cette coopération s’appuie sur un outil de suivi statistique et opérationnel. En trois ans, des progrès  importants ont été accomplis, même s’il reste encore des marges d’amélioration.

Avoir une vision précise des faits, c’est s’assurer de toujours mieux les combattre.

Depuis plusieurs mois, un effort tout particulier a été mené dans le suivi des plaintes. Et les efforts portent leurs fruits. Comme moi, vous avez pu suivre l’actualité de la semaine passée : un homme a été condamné par le tribunal correctionnel d'Orléans à deux ans d'emprisonnement, dont six mois fermes, pour avoir agressé trois femmes, dont l'une portait un voile, avant de prendre la fuite. Le coupable a été identifié, rattrapé, jugé et condamné. C’est là une illustration, parmi d’autres, de la mobilisation totale des services de l’Etat.

Je ne laisserai jamais dire, ni ne laisserai croire, que les forces de l’ordre sont plus mobilisées sur certains faits que sur d’autres,  notamment qu’elles privilégieraient davantage les actes antisémites que les actes anti-musulmans ou anti-chrétiens. Cette rhétorique-là est connue. Elle est fausse. Elle est infamante. C’est celle de la division et souvent de la haine des uns envers les autres.

Les forces de l’ordre n’ont qu’un seul horizon : protéger la population, faire appliquer la loi. Revenons à ce que dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dans son article 10 : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Cet article, limpide, n’a pas pris une ride. Tout y est dit, avec un sens de l’équilibre qui doit nous inspirer.

La République ne transigera jamais sur ses principes.  Elle s’opposera toujours à ceux qui voudraient faire de la France un terrain de conquête ; qui voudraient, au nom d’une croyance, imposer d’autres lois que la loi de tous ; à ceux qui, finalement, voudraient diviser notre société, réduire les libertés et étouffer ce beau message d’émancipation des individus.

C’est pour cela que la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public doit être appliquée avec fermeté ; les contrôles se faisant dans le respect des personnes et avec discernement. Ceux qui continuent de plaider pour le port de ce voile défient nos institutions. Et dans ce combat qu’ils entendent mener, ils ne gagneront jamais.

Ce combat n’est d’ailleurs pas qu’un combat dirigé contre la République ; c’est un combat qui vise également les musulmans eux-mêmes, en voulant leur imposer leur manière de pratiquer, leur manière de croire, leur manière de vivre.

J’entends opposer la même intransigeance à ceux qui s’en prennent aux musulmans de France qu’à ceux qui, en dévoyant le message de l’Islam, entendent s’en prendre à la France. Car finalement c’est le même combat : celui de donner à l’Islam de France toute sa place, toute sa dignité. Et je veux le dire avec franchise et sympathie, c’est à l’Islam de France – et il en a les ressources ! –, aux côtés de la République, de combattre les intégrismes, de combattre ces individus, ces prédicateurs de haine qui font du mal à l’Islam. Qui font du mal à l’image des musulmans.

Ces groupes sont à l’œuvre dans nos quartiers, sur Internet. L’Islam qu’ils prétendent incarner ne porte pas de valeurs humanistes. Il n’est pas conforme au message de tolérance, d’ouverture aux autres, à la tradition intellectuelle qui est au cœur de l’Islam depuis des siècles. L’Islam des intégristes, c’est un ensemble de préceptes sans grands principes. C’est un embrigadement et donc un emprisonnement.

La conversion, tout comme le fait d’être pratiquant, sont des chemins honorables, respectables ; ce sont des quêtes spirituelles, personnelles qui ne regardent que la personne elle-même. Et moi je refuse les amalgames. Je fais la différence entre une conversion sincère à l’Islam et une conversion qui invite à la radicalisation. Je fais la différence entre un pratiquant assidu et un  fondamentaliste. Dans nos quartiers, beaucoup de jeunes, recherchant souvent une réponse à d’autres interrogations, ne rencontrent pas l’Islam ; ils ne rencontrent hélas que des messages dévoyés, simplifiés à l’extrême au point de n’être plus qu’un extrémisme.

Il nous faut sans cesse lutter contre les amalgames et établir cette distinction très nette entre l’immense majorité des Français musulmans – et des jeunes Français musulmans – qui aspirent à vivre leur foi dans le cadre prévu par la République et une petite minorité dont l’objectif est de  déstabiliser nos institutions, de contester la  laïcité, de promouvoir la confrontation et la violence. Nous l’avons vu récemment à Trappes.

La réponse, mes chers amis, c’est aussi d’achever de bâtir l’Islam de France. Beaucoup a déjà été fait, mais il faut avancer, encore. L’Islam de France doit trouver en lui-même, parmi ses fidèles, les moyens de son organisation, de son rayonnement. C’est un chemin exigeant,  mais c’est un chemin passionnant, exaltant. Je crois que, plus que jamais auparavant, l’Islam de France a rendez-vous avec la République, avec l’histoire de notre pays. Ce rendez-vous c’est aussi un rendez-vous avec le monde, – « l’Islam au temps du monde », comme aurait dit Jacques BERQUE –, afin que soit faite la démonstration éclatante de la compatibilité de l’Islam avec la démocratie.

Pour cela, il lui faut des institutions représentatives solides. Des institutions qui puissent être un porte-parole et un acteur impliqué auprès des pouvoirs publics, sur tous les dossiers importants qui attendent l’Islam de France. Le CFCM existe ; c’est une bonne chose. Et même si ce n’est pas toujours facile, il doit savoir faire vivre en son sein les différentes sensibilités autour d’un projet commun. Le temps d’agir mieux ensemble est venu.

Je ne doute pas un instant de la capacité de l’Islam à avancer aux côtés de la République. L’Islam est une mine de sagesse et d’ouverture ; il est une richesse pour la France. Puisse cet iftar témoigner une fois de plus des valeurs de partage qu’il porte autant que du  lien qui l’unit à notre pays.

Merci encore de votre accueil et de la chaleur de ce moment.

Bonne fin de ramadan à vous tous !