Projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur - Lecture définitive

22 janvier 2014

Allocution de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, du mardi 21 janvier 2014.


Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les députés,

Enfin, nous arrivons au rendez-vous décisif d’une grande étape de modernisation de notre vie politique ; au terme d’un long processus parlementaire, dont vous connaissez les étapes. Le 3 avril 2013, il y a un peu plus de 9 mois, le Gouvernement déposait à l’Assemblée nationale un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire visant à interdire le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire. 9 mois de débat, de rapports, de réunions de commission, ont été nécessaires afin d’aboutir au dispositif présenté aujourd’hui. Je tiens d’ailleurs à saluer la grande qualité du travail accompli par votre rapporteur, Christophe BORGEL, ainsi que le soutien permanent du Président de votre Commission des lois Jean-Jacques URVOAS.

Un processus parlementaire, donc ; mais surtout un processus politique, qui s’est inscrit sur le temps long. Votre vote demain conclura 30 ans de débats ponctués par deux lois importantes votées en 1985 et en 2000. Il suffit de se replonger dans le rapport parlementaire du député Bernard Roman, rédigé en 1998. Le diagnostic était posé depuis longtemps, et les objectifs étaient déjà clairement définis. Je cite : « moderniser la vie politique, revaloriser le Parlement, renforcer la décentralisation ». Cette feuille de route est plus que jamais d’actualité.

1985, 2000, 2014 : à chaque fois, près de 15 années de maturation ont été nécessaires ; 15 années entre chacune de ces réformes, entre chacune de ces étapes de démocratisation de notre vie politique, qui toutes ont été portées par la gauche. Je remercie d’ailleurs les groupes SRC, GDR et écologistes, pour leur soutien à ce texte.

Ce débat, je l’aborde dans un esprit de solennité et de sérénité. Une solennité qui tient, je l’ai dit, à l’importance du moment. Mais un esprit de sérénité aussi : la sérénité de l’engagement tenu.

Enfin, donc, nous allons concrétiser, l’engagement pris par le Président de la République devant les Français. Car le non cumul est une attente : nos concitoyens veulent des élus à plein temps, totalement impliqués. Ils savent bien les charges qui incombent à leurs représentants, au niveau national comme au niveau local. Ils ont conscience, qu’en trente ans de décentralisation, ces charges se sont accrues progressivement. En trente ans, les collectivités locales ont vu leur rôle renforcé. Elles ont acquis de nouvelles compétences, qui exigent de la part des élus toujours davantage d’investissement, de technicité ; bref, de temps. Avec ces textes, nous tirons, enfin, les conclusions de la décentralisation pour nos institutions et nous anticipons aussi, j’en suis convaincu, les nouvelles étapes de clarification pour nos collectivités et la simplification de notre organisation territoriale, souhaitées par le président de la République.

En trente ans, avec notamment la session unique, la réforme constitutionnelle de 2008 ou l’accroissement des activités de contrôle de l’exécutif, le mandat parlementaire a, lui aussi, changé. Lui aussi, réclame toujours davantage d’implication et de temps.

Un texte sûr juridiquement, qui s’appliquera à tous

Enfin, nous allons répondre à la forte attente de nos concitoyens. Nous allons y répondre par une même loi qui s’applique à tous, en même temps et dans les mêmes conditions.

Par deux fois, le Sénat s’est trompé de constitution et de République ! Les sénateurs ne peuvent s’exclure de cette loi. Vous le savez, le Sénat a, par deux fois, admis le principe du non cumul des mandats pour les membres de votre assemblée. Mais, en nouvelle lecture, la majorité des sénateurs a une nouvelle fois cédé à une illusion dangereuse, celle d’un statut différencié pour ses membres. Jamais, dans la Cinquième République, le régime des incompatibilités des membres des deux chambres n’a été différent. Le précédent serait grave ; il s’agirait d’une brèche dans le modèle de bicamérisme équilibré à la Française. Une brèche que nous ne pouvons accepter, je crois que tous ici en conviennent.

Ce texte ne remet pas en cause le rôle du Sénat. Il ne contrevient ni à la lettre, ni à l’esprit de l’article 24 de notre constitution. Demain, sans cumul des mandats, le Sénat continuera à représenter les collectivités territoriales de la République. Je l’ai dit aux Sénateurs, je le répète ici : représenter les collectivités, ce n’est pas nécessairement en diriger une !

Je sais bien que certains seront tentés de faire valoir une prétendue « spécificité sénatoriale » devant le Conseil constitutionnel. Je les avertis : cette démarche fera long feu. La jurisprudence du conseil est très claire sur ce point : le respect de l’article 24 de la constitution tient au collège électoral qui élit les sénateurs, pas à l’exercice d’un quelconque mandat. Au contraire, l’initiative du Sénat fragilisait la constitutionnalité de ce texte ; elle fragilise l’institution même. Un Sénat au sein duquel chacun représenterait son territoire, sa collectivité, et uniquement celle-ci, ce ne serait plus le Sénat de la République.

Certains sénateurs parmi les plus éminents n’exercent pas d’autre mandat. D’ores et déjà, 40% des sénateurs ne sont pas concernés par l’application de ce texte. Ils n’en exercent pas moins bien leur mandat, au contraire !

Je sais que certains, ici même, auraient souhaité un périmètre plus souple. Mais c’est ignorer l’évolution des mandats locaux. En effet, peu importe le nombre d’habitants, la réalité des missions à accomplir est bien là. Peu importe la taille de la commune, de l’intercommunalité, du département, de la région, c’est le même niveau d’exigence.

Je sais que certains, au contraire, auraient voulu aller plus vite. Mais le gouvernement a fait le choix de la sécurité juridique. Il s’agissait de garantir l’exercice du droit de suffrage, d’assurer la continuité du fonctionnement des assemblées et d’éviter tout risque de rétroactivité. La formule qui vous est proposée, « l’échéance du renouvellement général de l’assemblée», a été suggérée par le Conseil d’Etat ; elle permet de répondre à ces trois impératifs. Il a fait, aussi, le choix de la souplesse politique, afin d’organiser les transitions avec intelligence.

La fin d’un cycle, le début d’une « révolution démocratique »

Nos concitoyens attendent un texte simple, lisible, sans exception. C’est ce texte qui vous est soumis aujourd’hui. Par deux fois, l’Assemblée nationale a manifesté massivement son adhésion. J’espère, je sais, qu’elle le fera à nouveau demain.

Nous aurons ainsi tenu un engagement important, nous aurons répondu à une attente ; nous l’aurons fait dans les temps - avant les élections municipales et européennes de 2014 et avant les départementales et régionales de 2015.

Très vite, ce texte va porter ses effets politiques. En réalité, il les porte déjà dans la campagne des élections municipales. Ces effets, vous les connaissez. Sur les marchés, dans les réunions publiques, les citoyens expriment une demande légitime : serez-vous notre maire à plein temps ? Quel mandat allez-vous choisir ? Et, surtout, beaucoup de parlementaires ont déjà fait et annoncé leur choix.

La force de ce texte, c’est d’être la conclusion d’un processus politique ; mais aussi l’aboutissement d’un ensemble cohérent de réformes, qui ces 20 derniers mois, ont contribué à l’approfondissement de notre démocratie.
Transparence, parité, égalité de tous devant le scrutin, ouverture du monde politique : ces principes, je suis fier de les avoir portés devant vous.

Qu’il s’agisse de la loi du 17 mai 2013, qui consacre la démocratie intercommunale et qui instaure la parité dans les départements ; ou qu’il s’agisse de la loi relative aux élections sénatoriales, permettant une meilleure représentativité des membres de la chambre haute : ces textes, je suis fier de les avoir portés devant vous.

L’élection des conseillers communautaires, par un même bulletin que les conseillers municipaux, le scrutin binominal paritaire pour les élections départementales, le respect du principe d’égalité du suffrage, la parité dans les communes dès 1 000 habitants, la fin de pratiques comme le panachage : c’est ce gouvernement qui a porté ces avancées démocratiques !

* *

Bref, votre rapporteur le redira sans doute : avec l’adoption de ce texte, nous allons initier une « révolution démocratique » pour nos institutions. Et personne, je dis bien personne, aucune majorité, n’y reviendra. Une telle révolution qui est déjà dans tous les esprits avant même son adoption ; c’est la force, c’est la magie démocratique des lois importantes. Celle-ci en est une assurément et nous sommes fiers de la présenter aujourd’hui devant vous.