Allocution de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, du 25 septembre 2013
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs
Ma responsabilité de ministre de l’intérieur, c’est de tenir un discours de vérité sur la réalité de la délinquance dans notre pays.
Nous obtenons des résultats très concrets dans de nombreux domaines – je les énoncerai le 30 septembre devant les cadres de la police et de la gendarmerie. Mais nous faisons face, également, à la persistance de certains phénomènes.
C’est le cas pour les cambriolages. Depuis maintenant plus de cinq ans, leur nombre ne cesse de progresser. La hausse cumulée de 2008 à 2012 atteint +18%, et même +44% pour les vols par effraction dans les résidences principales. Depuis le début de l’année 2013, l’augmentation se porte à +7,9%, aussi bien en zone police qu’en zone gendarmerie.
Avec 352.600 cambriolages recensés en 2012, on reste encore nettement en deçà des niveaux atteints en 2002 et 2003. Mais on ne peut pas rester sans réponse. Les cambriolages sont vécus comme un véritable traumatisme par nos concitoyens. Certaines victimes le ressentent comme une forme de viol de l’intimité de leur foyer. D’ailleurs, une étude publiée ce mois-ci par l’ONDRP, à partir d’enquêtes de victimation, démontre qu’à eux seuls, les cambriolages sont responsables du tiers de l’augmentation du sentiment d’insécurité entre 2007 et 2012.
Le nombre des vols à main armée s’élève à 5.300 en 2012. Ce volume n’a rien de comparable avec celui des cambriolages, et par ailleurs, il a diminué d’un tiers en quinze ans. Les VMA n’en constituent pas moins un second sujet de préoccupation.
Depuis le début de l’année, en effet, on enregistre une augmentation de ces infractions de +5,8% en zone police et +7,8% en zone gendarmerie. Certes, on est très loin de l’explosion observée en 2008 et 2009, où le nombre des VMA avait bondi de +34%. Il n’en faut pas moins stopper, le plus vite possible, la tendance haussière observée actuellement.
Les établissements industriels et commerciaux sont concernés au premier chef, les faits commis au préjudice des transporteurs de fonds ou les établissements financiers continuant de régresser. J’ajoute que la part des commerces dans le total des vols à main armée est passée de 44% il y a 15 ans, à 57% aujourd’hui.
Ce point doit retenir toute notre attention. Il est inacceptable que des commerçants viennent au travail avec la peur au ventre, la peur de se faire braquer. Certes, nous avons déjà lancé des actions qui ont porté leurs fruits. Les mesures mises en place au profit des bijoutiers, par exemple, ont permis que les braquages commis contre la profession baissent en 2012, ainsi qu’en 2013, après plusieurs années de hausse importante. Mais nous devons aller plus loin.
J’ai donc décidé de lancer un plan national de lutte contre les cambriolages et les vols à main armée, comportant 16 mesures. Fondé sur des méthodes et une stratégie renouvelées, il doit permettre de gagner en efficacité et en réactivité.
Le plan est double. Certes, les cambriolages et les vols à main armée sont des phénomènes assez distincts, tant au niveau de leurs modes opératoires que pour ce qui concerne leurs auteurs.
Pour autant, les deux volets méritent d’être jumelés, car les méthodes mises en œuvre répondent à des logiques similaires. En outre, les victimes de ces phénomènes sont les mêmes : les particuliers peuvent subir un braquage à domicile (et ce phénomène, lui aussi, tend à augmenter), et réciproquement, un cambriolage sur cinq concerne un commerce.
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1) Le premier aspect du plan consiste à redéfinir une stratégie de police judiciaire ciblant prioritairement les délinquants d’habitude et les filières structurées
Les cambriolages et les vols à main armée ont une caractéristique commune : ils sont souvent commis par des délinquants d’habitude, qui présentent, par ailleurs, la caractéristique d’être très mobiles. Il faut tout faire pour neutraliser ces équipes d’individus multirécidivistes, capables de frapper à plusieurs reprises, dans un même quartier, au cours d’une même nuit.
Une des clés réside dans notre capacité à élucider. Le taux d’élucidation des cambriolages tend à augmenter, notamment grâce aux progrès de la police technique et scientifique, mais il reste peu élevé, à environ 12%.
Je souhaite donc que des diagnostics d’analyse criminelle soient produits pour chaque bassin de délinquance. Ils doivent permettre de caractériser finement les cambriolages et les VMA qui y sont commis selon plusieurs critères : modes opératoires, délinquance implantée ou itinérante, profils des auteurs, types des victimes. Le niveau territorial pertinent auquel effectuer ce travail pourrait être l’état-major de sécurité départemental.
Ces diagnostics serviront de base à l’élaboration de plans d’actions, propres à chaque territoire. L’idée clé est de renforcer la coordination entre tous les services et toutes les unités concernées : cellules anti-cambriolages, services territoriaux de police judiciaire, sûretés départementales, sûretés urbaines, sections de recherches, brigades de recherches, et services du renseignement territorial.
Toutes les informations et tous les renseignements seront échangés et croisés ; la documentation criminelle détenue par chacun sera partagée. On peut aussi envisager la mise en place d’échanges avec l’administration pénitentiaire sur les sortants de prison auteurs de VMA et de cambriolages.
Cette idée de coordination renforcée s’appliquera également à l’échelon central.
Le SIRASCO, service de renseignement et d’analyse sur la criminalité organisée de la DCPJ, proposera un plan d’action d’envergure nationale et internationale pour démanteler les groupes criminels organisés non-résidents. Il s’appuiera sur notre réseau d’attachés de sécurité intérieure, notamment en Europe de l’Est et du Maghreb.
De même, le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, et l’office central de lutte contre la délinquance itinérante, proposeront un plan ciblé sur la délinquance itinérante, en lien avec les services territoriaux de police judiciaire de la police et de la gendarmerie.
A l’instar des actions conduites au niveau territorial, une analyse criminologique approfondie devra être menée à l’échelle nationale. Une étude scientifique à vocation opérationnelle sera confiée à la supervision de l’ONDRP, dans le cadre d’un programme de recherches doté d’un budget exceptionnel. Les conclusions pourront en être présentées en commission des lois des deux Assemblées.
2) Le deuxième grand volet du plan concerne l’occupation renforcée de la voie publique.
La présence des effectifs de police et de gendarmerie sur le terrain joue un rôle dissuasif évident. De plus, lorsqu’elle répond à un schéma tactique judicieux tenant compte de la topographie, elle permet de multiplier les chances d’arrestation des auteurs en flagrant délit.
Je souhaite donc que de tels dispositifs soient mis en place pendant 6 mois, à titre expérimental, dans les secteurs particulièrement touchés par les cambriolages et les VMA. Différentes brigades et unités seront concernées : BAC, groupes de voie publique, unités motocyclistes, unités d’intervention, ou renforts en forces mobiles.
Il ne s’agit pas de déployer des policiers et des gendarmes tous azimuts : le niveau des effectifs ne le permet pas, et les autres missions opérationnelles doivent être accomplies. Ces dispositifs opérationnels doivent donc être ajustés en fonction des diagnostics territoriaux ; ils doivent aussi être régulièrement réévalués.
Dans le même ordre d’idées, des opérations ciblées de sécurisation préventive seront mises en place, grâce aux unités motocyclistes et aux réservistes de la police et de la gendarmerie. Elles s’inscriront dans le cadre de la coopération opérationnelle renforcée entre police et gendarmerie.
Le recours aux dispositifs de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) sera renforcé, afin de contrôler les flux de circulation et d’identifier les véhicules susceptibles d’appartenir aux auteurs de cambriolages.
Enfin, dans les territoires ayant connu une recrudescence des vols à main armée, le plan anti hold-up, habituellement activé entre le 15 novembre le 15 janvier, sera mis en place dès le 1er octobre.
3) Un troisième volet du plan concerne la protection des commerçants face aux risques de vol à main armée et de cambriolage
Je souhaite que l’on s’inspire ici de la méthode engagée en 2000 par mon prédécesseur, Daniel Vaillant, sous le gouvernement de Lionel Jospin. A l’époque, des mesures importantes ont été prises au bénéfice des transporteurs de fonds et des établissements financiers, fortement touchés par les vols à main armée. Le cadre juridique a été réformé, et des investissements, certes importants, y ont été adossés. Mais en quinze ans, le nombre des vols à main armée commis au préjudice de ces professions a été divisé par 5 ! Cela démontre qu’une politique déterminée porte ses fruits sur le long terme.
C’est ce que je souhaite faire, aujourd’hui, pour les commerçants.
Sur tout le territoire national, ils ont des liens privilégiés avec les policiers et les gendarmes locaux. Ils disposent, le plus souvent, de contacts ou de référents, qui répondent à leurs sollicitations. Cependant, je souhaite que les commerçants puissent bénéficier, lorsqu’ils le souhaitent, d’un lien en temps réel avec les forces de l’ordre permettant de raccourcir les délais d’intervention.
Dans les secteurs les plus touchés, pour les professions les plus exposées et après un diagnostic de sécurité, des dispositifs d’alerte des services de police ou de gendarmerie pourront être mis en place.
Il s’agit de ne répondre qu’aux situations d’urgence, et seulement en cas de violences aux personnes. La surveillance à distance des biens relève de la sécurité privée.
Je souhaite également qu’on puisse recourir davantage aux mesures de prévention situationnelle.
En cas de VMA ou de cambriolage, il existe des solutions telles que l’aspersion d’un nuage inerte et inoffensif, qui permet le marquage invisible et durable des personnes impliquées dans l’intrusion. Un tel dispositif est très utile pour l’élucidation, puisque les auteurs ainsi marqués pourront être reconnus sans marge d’erreur.
Mais il s’agit également d’une mesure extrêmement dissuasive. Depuis deux ans, une expérimentation de ce type a été menée dans un grand centre commercial de Seine Saint Denis : aucun braquage n’y a été commis.
Après concertation avec la CNIL, un cadre réglementaire sera adopté avant la fin de l’année en vue de la généralisation de ce dispositif. Il faut pouvoir équiper les services de police et de gendarmerie en dispositifs de lecture, et réduire les coûts d’investissements pour les commerçants. Pour cela, des contacts seront pris, très prochainement, avec les assureurs, avec les représentants des commerçants, ainsi qu’avec le ministère des finances et le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme.
Enfin, il faut rappeler que la police et la gendarmerie disposent d’un réseau de plus de 1200 référents et correspondants sûreté, qui peuvent délivrer des conseils et réaliser des audits au profit des commerçants, mais aussi des particuliers, au travers des assemblées de copropriété. Ces professionnels, particulièrement réactifs, efficaces et bien formés, seront totalement mobilisés sur les volets prévention des plans d’action adoptés au niveau local.
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4) Enfin, et il s’agit d’un quatrième volet, il faut également que les partenaires des forces de sécurité soient mobilisés
Car sur le sujet des cambriolages et des VMA, comme sur beaucoup d’autres, les forces de l’ordre ne peuvent pas tout à elles seules.
Il faut s’appuyer, notamment, sur les polices municipales, dans le cadre des conventions de coordination qu’elles ont signé avec l’Etat, et sur le secteur de la sécurité privée, dans le cadre de partenariats locaux.
Une mission est chargée de cet aspect. Elle doit, en particulier, aboutir à l’organisation d’un forum d’experts et de praticiens – policiers, gendarmes, magistrats, assureurs, industriels de la sécurité…, afin d’identifier les actions à entreprendre en termes de partenariat.
Je souhaite également en appeler à la mobilisation de tous nos concitoyens. Une campagne d’information et de sensibilisation sur l’appel du « 17 police-secours / 112 » sera lancée. La majeure partie des interpellations de cambrioleurs en flagrant délit intervient à la suite d’une intrusion suspecte signalée par le voisinage. Chacun, on le voit bien, à un rôle à jouer.
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En matière de sécurité, rien n’est jamais acquis. Pour les cambriolages et les vols à main armée, comme pour d’autres sujets, il faudra du temps pour que les actions que nous mettons en place portent leurs fruits. Mais je ne doute pas que les progrès seront engrangés, au fur et à mesure.
A cet égard, je tiens à vous livrer un résultat. 17 ZSP, sur les 64 existantes, ont fait de la lutte contre les cambriolages un de leurs objectifs. Dans l’ensemble de ces territoires, on enregistre une baisse de –2,9% des cambriolages. Ce résultat, qui s’inscrit à rebours de la tendance nationale, doit être souligné. Il démontre que lorsqu’on met en place des stratégies pertinentes, fondées sur des diagnostics précis, appuyés par un renouvellement des méthodes, les résultats sont au rendez-vous. C’est ce que j’attends, également, du plan national que nous mettons en place aujourd’hui.