Intervention devant la commission des lois à l'Assemblée Nationale sur l'affaire Merah

12 juillet 2012

Intervention de M. VALLS – Ministre de l'Intérieur - Commission des lois de l'Assemblée nationale -12/07/2012


Avant de vous répondre, je veux insister sur le fait que la question posée et les enjeux qu'elle soulève réclament beaucoup de mesure et un esprit de responsabilité partagé.

Toulouse, par deux fois ; Montauban. Sept morts, plusieurs tragédies causées par un seul homme. Des familles qui attendent le respect de leur douleur et l'action de la Justice. Je veux les saluer et leur assurer que le Gouvernement, moi-même en tant que ministre de l'intérieur, ferons tout pour répondre à leur attente.

1) La Justice est saisie, à plusieurs titres. C'est à elle et elle seule qu'il revient d'établir les faits, de déterminer les enchaînements, de répondre aux questions des victimes ou de leurs familles. Elle est assurée de l'entier concours de mon ministère. Les services de police répondront à ses demandes, et d'abord s'agissant de l'accès aux documents classifiés, dans le respect des procédures légales. La commission du secret de la défense nationale en sera destinataire dans les tous prochains jours.

2) En tant qu'autorité administrative, mon rôle n'est pas de me substituer à la Justice, ni de mener une enquête parallèle. J'ai en revanche le devoir d'organiser des retours d'expérience, d'interroger les services sur leurs méthodes de travail, d'évaluer ce qui a dysfonctionné et, surtout, d'en tirer les conséquences administratives et organisationnelles.

Je me suis attelé à cette tâche dès ma nomination, et sans aménité. Je n'ai pas simplement commandé un rapport au nouveau DCRI : des questions ont été posées, des chronologies examinées, des réunions de debriefing croisé organisées. Chacun est conscient qu'il y a eu un échec, puisque Mohamed Merah a pu agir et tuer. Je puis vous garantir que des leçons opérationnelles sont, ou suivant les cas seront, tirées, sans préjudice des conclusions de l'enquête judiciaire.J'y veille personnellement, en lien avec le DGPN et le DCRI.

3) J'ai été fortement choqué par la diffusion d'images et d'enregistrements sonores, qui ont heurté les victimes et offert une tribune à un assassin terroriste. Une enquête a immédiatement été déclenchée. L'IGPN, également saisie par la justice, en a la charge. Je respecte parfaitement la liberté de la presse (cf. ouvrages sur cette affaire), mais je n'admets pas la violation du secret de l'instruction et le traitement infligé aux familles et aux proches des victimes.

4) La représentation nationale, les Français, comprendront que le rôle du ministre de l'intérieur n'est pas d'affaiblir les services de renseignement. Je veux préserver leurs moyens d'actions et améliorer leur efficacité face aux différentes menaces qui nous concernent. Ces derniers jours encore, des terroristes très dangereux ont été arrêtés à Toulon.

Sur ce sujet, je voudrais d'abord dire ma conviction que l'existence d'un service unique de renseignement de sécurité intérieure, dans le cadre d'une communauté nationale du renseignement, est un socle à préserver. C'est un gage de cohérence, cela évite les doublons dangereux et cela limite fortement les tentatives d'instrumentalisation par la concurrence que certains services étrangers même amis seraient tentés de mener.

De même, sur certains segments des missions, la compétence judiciaire est un plus : non seulement en termes d'efficacité, mais aussi de fait par le contrôle du juge sur tout un pan de l'activité, y compris s'agissant des éléments recueillis administrativement et qui font l'objet d'une judiciarisation.

5) Mais la réaffirmation de ces principes ne signifie pas que rien ne doive changer. Dès le départ, j'avais d'ailleurs indiqué que si le retour d'expérience de l'affaire MERAH révélait des points faibles ou des failles, il faudrait y remédier.

La réforme menée en 2008, puis la RGPP, ne semblent pas avoir suffisamment pris en compte les besoins d'une ossature territoriale forte. Si la centralisation est un gage de cohérence et de réactivité, l'affaiblissement trop marqué de la couverture territoriale est un handicap quand la menace est d'origine interne. Il faut donc repenser l'articulation entre renseignement intérieur et SDIG, et au sein des SDIG, la complémentarité police-gendarmerie. J'ai donc entamé, avec les préfets et les services de sécurité, une réflexion sur la coordination entre renseignement ouvert et fermé, entre renseignement intérieur et information générale, entre niveau local et niveau national.

6) Par ailleurs, sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, en concertation avec le ministre de la défense, il me semble souhaitable de rouvrir le dossier du contrôle démocratique, et donc parlementaire, des activités de renseignement.
A l'instar de nombre de grands pays, le Parlement doit désormais pouvoir exercer un véritable contrôle sur les services ; c'est une garantie de la légitimité de leur action.
Un tel mouvement suppose en retour que notre culture parlementaire soit capable de gérer les impératifs de la protection du secret, qui est le fondement même de l'action des services de renseignement.

Je suis prêt à mener avec vous cette réflexion.

Le président de la Commission des lois m'a fait part de son souhait d'établir une Mission d'évaluation du cadre juridique des activités de renseignement. J'y souscris sans réserve. En plein accord avec mon collègue Jean-Yves Le Drian, des contacts seront prochainement pris avec les présidents des assemblées et des commissions des lois et de la défense.