Allocution de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur - lundi 25 février 2013 à Bruxelles.
Seul le prononcé fait foi
Madame la ministre,
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,
Merci, chère Joëlle MILQUET, pour ces mots d’introduction. Après tant de compliments, j’en viendrais presque à souhaiter que cette conférence s’achève dès à présent ...
Je suis heureux de pouvoir m’exprimer dans cette enceinte dont le but a été, au travers des époques, de nourrir le débat public. Et c’est justement un thème qui figure au cœur du débat public que je veux aborder devant vous : celui de la sécurité.
Je le fais, non pas seulement parce que je suis le ministre de l’Intérieur français, mais parce que ce thème a toujours été au cœur de mon engagement politique. Au cœur, également, de l’action de cet élu de la banlieue parisienne que je suis, de manière passionnée, depuis plus de vingt ans.
Si je veux vous parler, ce soir, de sécurité, c’est aussi parce que, dans mes fonctions de ministre de l’Intérieur, je constate que l’activité « extérieure », c’est-à-dire européenne et diplomatique, occupe une place très importante ; beaucoup plus importante que je ne pouvais l’imaginer. C’est bien la preuve, s’il en fallait une, que cette question de la sécurité est très largement partagée. J’ai rencontré, tout à l’heure, deux membres du gouvernement belge, Mesdames Joëlle MILQUET et Maggie DE BLOCK, et j’ai pu le constater une fois de plus.
Nos débats politiques sont toujours nationaux. Mais pourtant, nous savons bien que, sans l’établissement de relations bilatérales, sans le renforcement de la dimension européenne, rien n’est possible.
Je sais qu’en Belgique, la France est regardée d’une manière particulière, avec admiration, souvent, moquerie, parfois, avec agacement, aussi, mais rarement avec indifférence.
Si je suis venu ce soir vous parler d’un thème qui a une portée qui dépasse de loin le cadre français, je vous parlerai, néanmoins, beaucoup de la France, de la politique française, voire de faits divers français. Trop peut-être. Mais je l’avoue, la France est une grande passion, le pays dont je parle le mieux, le pays dont j’aime parler parce que j’ai appris à être Français. Alors, si je vous parle un peu trop de la France, et bien je vous demande, par avance, de m’en excuser. Mais je sais que je peux le faire, ici, en confiance, car je connais le rapport particulier que la Belgique entretient avec mon pays.
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Je partirais de ce constat volontairement provocateur : s’il est un thème que l’on classe volontiers à droite, c’est bien celui de la sécurité. La droite en aurait le monopole alors que la gauche – du moins la gauche française – serait, quant à elle, incapable d’assumer une politique ferme dans ce domaine.
Si une telle représentation – qui est fausse, je vous rassure ! – s’est imposée, je crois – comme dans toutes les grandes incompréhensions de l’Histoire –, que les torts sont partagés.
La droite – conservatrice, libérale, bonapartiste pour ce qui est de la France – s’est longtemps présentée comme la seule capable de faire régner l’ordre, de lutter contre la délinquance, contre les violences.
Elle s’est attribué toutes les vertus, laissant au camp d’en face toutes les légèretés. Elle n’a eu de cesse d’enfermer la gauche dans une image d’Epinal ; celle d’une gauche laxiste, hermétique à toute idée d’ordre, emprisonnée dans un « esprit de 68 », et préférant toujours une illusoire prévention à une nécessaire répression.
La gauche – telle la victime consentante, il faut bien le reconnaître –, pendant longtemps, n’a pas mis toute son énergie pour combattre cet état de fait. Elle n’a pas contesté la caricature avec la force, les mots, les arguments, qui auraient convenu. La raison en est, principalement, une pudeur déplacée à assumer un discours sur l’autorité. Je vais y revenir.
En abordant ce thème de la sécurité, je sais m’attaquer à un sujet qui n’a pas manqué, au cours des dix dernières années, en France, mais pas seulement, d’alimenter les polémiques, parfois jusqu’à la déraison. La question de la sécurité, ou plutôt de « l’insécurité », est une question qui demeure, en France, particulièrement sulfureuse et sujette à d’inutiles polémiques. Elle a été, et reste, au centre des débats. Elle fut même au cœur des campagnes présidentielles, d’abord de 2002, puis celle de 2007 qui vit la victoire d’un homme parmi ceux qui ont joué le plus sur cette corde sécuritaire : Nicolas SARKOZY.
Il le fit en 2007, puis en 2012, dans une campagne, il est vrai, moins heureuse pour lui. Une campagne dans laquelle la question économique et sociale, due à la crise, dominait.
Ce thème de la sécurité, il convient de le traiter – j’y insiste – avec gravité et esprit de responsabilité. De le traiter en ayant bien conscience de ce qui se joue ici.
La crise qui frappe nos pays met nos sociétés à dure épreuve. Dans notre monde globalisé – globalisation économique, de la communication, mais aussi globalisation, par exemple, de la menace terroriste – les peuples perdent leurs repères et sont sujets aux doutes, parfois les plus terribles. Aux doutes, notamment, quant à la capacité de l’Etat, de leurs dirigeants, d’assurer leur sécurité ; une sécurité qu’ils considèrent comme une liberté.
Et il n’est jamais long le chemin qui mène du doute à la désillusion, et de la désillusion au rejet du système et donc au vote extrême. Les poussées populistes que connaît l’Europe – l’exemple grec est édifiant – en sont l’illustration la plus tragique. Mais il n’y a pas que sur notre continent. Il y a, par exemple, le Tea party aux Etats-Unis.
Cette crise du politique représente un risque de déchirement du tissu social, un danger de repli, une tentation pour les poussées communautaristes.
Ce sont là des injonctions lancées, pas seulement aux femmes et aux hommes de gauche, pas seulement aux républicains, mais à l’ensemble des démocrates, car il y a une crise de la démocratie, du système représentatif. Nous avons la responsabilité de restaurer la confiance dans l’action politique.
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Je suis de ceux qui, à gauche, ont voulu faire bouger les lignes en remettant la sécurité au centre des priorités, sans doute traumatisé par la défaite de Lionel JOSPIN, en 2002, que je considérais comme une injustice. Mais, en démocratie, il n’y a pas d’injustice ; le peuple est souverain et son choix s’impose.
J’ai voulu remettre la sécurité au centre des priorités, d’abord dans ma ville d’Evry, puis au cœur même du logiciel de la gauche. Ceci m’a valu d’ailleurs – les clichés ont la vie dure ! – d’être rangé à la droite... de la gauche. Par des gens de gauche, comme de droite ...
C’est ce cliché d’une gauche mal à l’aise avec les questions de sécurité que je veux déconstruire devant vous, ce soir.
Je veux, tout d’abord, faire la démonstration que la sécurité est profondément – et historiquement – de gauche. Je soulignerai, ensuite, combien la gauche a des réponses à apporter en matière de sécurité. Ce qui passe nécessairement – ce sera ma troisième et dernière partie – par la nécessaire restauration d’une belle idée, aujourd’hui malmenée – ce qui nous interroge tous – celle de l’autorité.
J’ai voulu placer mon exposé de ce soir sous un angle double. Celui du théoricien qui a beaucoup pensé les questions de sécurité, en voulant aiguillonner sa famille politique. Celui, également, du praticien qui met en œuvre, hier au plan local, aujourd’hui au niveau national – et depuis maintenant neuf mois –, une politique de sécurité qui entend contraster radicalement avec celle de ses prédécesseurs. Des prédécesseurs... de droite.
Je vous dois cependant cette confidence. Je crois que les différences entre la gauche et la droite se sont quelque peu estompées. Dans votre système politique, cela peut d’ailleurs amener à des coalitions. Bien sûr, il y a toujours des oppositions, mais ces oppositions ne se font plus tout à fait sur les mêmes questions, et avec la même force, que par le passé.
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1) La sécurité est profondément – et historiquement – de gauche.
Afin de démontrer cette affirmation, je voudrais revenir sur ces deux oppositions classiques qui traversent l’histoire de la gauche – du moins la gauche française – entre, d’une part, l’idée de liberté et de sécurité, et d’autre part, celle de progrès et d’ordre.
Je veux démontrer que, quand on est de gauche, ces oppositions n’ont pas lieu d’être.
L’opposition entre liberté et sécurité m’a toujours paru vide de sens. Je n’ai jamais cru, en effet – pour ce qui est des régimes démocratiques, entendons-nous bien – que l’augmentation du contrôle policier soit un moyen de priver le citoyen de ses libertés. Bien au contraire !
La sécurité est – j’y insiste – la première des libertés.
Toute liberté est forcément limitée. Elle est liée à la vie en groupe c’est-à-dire, dans des termes plus savants, à ce contrôle social que des individus exercent sur d’autres individus. Un contrôle social qui est constitué d’un ensemble de règles, de coutumes, de normes, de principes ou de valeurs qu’imposent les institutions que sont la famille, le voisinage, la religion, mais aussi la police et la Justice, c’est-à-dire l’Etat.
Le sociologue Jean-Louis LOUBET DEL BAYLE a pu expliquer que chaque société, selon les périodes historiques, se caractérise par une combinaison de ces différentes institutions. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles où le groupe prime sur l’individu, le poids de la famille, du voisinage ou de la religion est très important.
En revanche, dans nos sociétés modernes, caractérisées par un plus grand individualisme, d’autres institutions ont pris le relai pour exercer ce rôle de régulation. Ces institutions, ce sont notamment la police et la Justice.
De manière très stimulante, Jean-Louis LOUBET DEL BAYLE va même jusqu’à se demander si «les institutions policières et judiciaires ne peuvent pas, de ce fait – en allant à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues –, être qualifiées d’institutions de la liberté.»
Un certain nombre d’idées reçues, en effet, car nombreux sont ceux, particulièrement à gauche, qui associent l’institution policière à l’idée de recul des libertés. Ce qui est un non-sens, car l’institution policière est, en fait, un des garants les plus efficaces des libertés individuelles.
Dans mes fonctions de ministre de l’Intérieur, je ne manque jamais de rappeler que les forces de l’ordre sont dépositaires de la loi, ce qui leur donne une responsabilité particulière. Qu’elles sont, au travers des missions souvent périlleuses qu’elles accomplissent, les garantes assidues de notre vie en collectivité et que, dès lors, elles méritent estime, considération et respect de la part de la population.
Les nations doivent être fières – oui fières ! – de leurs forces de l’ordre. Et c’est ce message que je délivrerai, demain, avec le Premier ministre français, Jean-Marc AYRAULT, lors des obsèques des deux policiers de la brigade anti-criminalité qui ont été tués, jeudi matin, alors que leur véhicule a été percuté, sur le périphérique parisien, par celui d’un chauffard, en état d’ébriété, qui avait refusé d’obtempérer.
Nous devons être pleinement reconnaissants envers nos forces de l’ordre qui garantissent la pérennité de notre pacte social.
Pour finir de s’en convaincre, il suffit de replonger dans le Léviathan de Thomas HOBBES.
HOBBES nous explique, en effet, qu’il y a deux motifs qui peuvent conduire l’homme à accepter de se soumettre à la violence de l’Etat : le désir de ne plus être exposé à la menace permanente et généralisée des autres, mais aussi, cette première condition étant acquise, le besoin irrépressible, pour chaque individu, d’assurer, par tous les moyens, les conditions de sa prospérité.
La modernité a donc accouché d’un individu de plus en plus libre. Mais cet individu a besoin de sécurité pour exercer cette liberté.
Je veux citer ces quelques mots écrits par HEGEL dans ses Principes de la philosophie du droit. « Lorsque quelqu’un marche dans la rue, en pleine nuit, sans danger, il ne lui vient pas à l’esprit qu’il pourrait en être autrement ; car l’habitude d’être en sécurité est devenue pour nous une seconde nature et l’on ne se rend pas compte que cette sécurité est le résultat d’institutions particulières.»
Les individus considèrent comme insupportable, dans cette Europe en paix depuis plus de 60 ans, qu’il y ait de l’insécurité.
Il faut donc rendre justice à cette institution particulière qu’est l’institution policière. Son principal mérite – celui de nous permettre d’exercer notre liberté – semble si évident qu’il en est devenu inaperçu.
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La deuxième opposition classique qui traverse l’histoire de la gauche est celle qui existe entre l’idée d’ordre et l’idée de progrès.
Au cours de son histoire, la gauche a alimenté cette vision qui voudrait que, d’un côté, il y ait l’autoritarisme et de l’autre, la révolte ; d’un côté, la police, de l’autre, les individus ; d’un côté, l’ordre complice des élites économiques, de l’autre, le progrès social émancipateur pour les travailleurs.
Cette opposition entre l’ordre et le progrès, c’est le duel entre Jean JAURÈS et Georges CLEMENCEAU rejoué à l’envi.
CLEMENCEAU, c’est l’homme de l’ordre, le ministre de l’Intérieur qui, face aux grévistes voulant suivre la voie de la violence, rappelle que la « grève est un droit absolu, mais (que) la loi doit être respectée par tous. »
C’est l’homme qui, défenseur du droit de grève, se résout, cependant, à faire donner la troupe contre des grévistes qui avaient décidé de s’en prendre violemment à d’autres non- grévistes. Il devient alors, pour l’ensemble de l’extrême gauche et des socialistes de l’époque, « l’ennemi de la classe ouvrière ».
Et ce que lui reproche, alors, JAURÈS, drapé dans sa conscience de défenseur de la cause ouvrière – et il en avait la légitimité car il avait beaucoup réfléchi à ces questions – c’est d’être devenu un « policier », un « homme de l’ordre », un « ennemi du progrès ».
Entre les deux hommes, se jouent donc deux conceptions antagonistes du progrès.
JAURÈS, pour qui la lutte des classes est le moteur de l’Histoire, considère que l’ordre policier est l’ennemi du progrès.
CLEMENCEAU soutient, quant à lui, que la réforme sociale ne peut se faire en dehors du cadre de l’ordre républicain.
Peut-être que si JAURÈS n’avait pas été assassiné, leurs trajectoires se seraient à nouveau croisées, comme elles s’étaient croisées pour défendre DREYFUS.
Ce clivage virulent entre ordre et progrès perdure encore aujourd’hui, même s’il a tendance à s’estomper.
L’actualité nous en a toutefois donné une illustration récente avec les manifestations d’ouvriers d’ArcelorMittal devant le Parlement de Strasbourg. Une partie de la gauche française non sans évoquer à mots couverts le prétendu « briseur de grèves » que fut mon illustre prédécesseur, Place Beauvau, a mis en cause le ministre de l’Intérieur que je suis.
Mais, les choses sont pourtant simples ! Si les forces de l’ordre sont intervenues, ce n’est pas pour contester le droit de manifester, ni pour faire taire les revendications syndicales. Elles sont légitimes. Face au désarroi que génèrent certaines décisions économiques contestables, qui brisent des familles, qui broient l’humain, il est normal de faire entendre sa voix, de dire son incompréhension, sa colère même. Mais, si les forces de l’ordre sont intervenues, avec les conséquences que l’on connaît – et il y a une enquête en cours –, c’était pour garantir la sécurité face à des manifestants qui étaient déterminés à agir avec violence. Et cela, on ne peut l’accepter.
Si la lutte des classes, au sens de ce qu’elle fut au 19e et au début du 20e siècle n’a plus cours, CLEMENCEAU reste, dans l’imagerie de l’extrême gauche, un ennemi de la classe ouvrière. Le mot « ordre » demeure, également, pour certains, à gauche, un repoussoir, presqu’un gros mot.
Alors que l’idée de CLEMENCEAU est simple, limpide, raisonnable.
Il est difficile de ne pas y souscrire et, vous l’aurez compris, j’y souscris complètement : il ne peut y avoir de progrès social sans ordre. Une société traversée par la violence, les troubles, ne peut offrir des conditions propices à un développement économique et social harmonieux. Un développement qui profite à tous.
Pour résumer les choses, nous pouvons établir cette certitude : l’ordre n’est pas injuste. Au contraire, il est le socle des libertés.
Et, en tout cas – c’est ce qu’a affirmé SAINT AUGUSTIN –, il y a toujours pire qu’un ordre injuste : le désordre !
L’ordre, c’est ma conviction, est profondément de gauche ; il est émancipateur des individus.
Dès lors, combien de faux procès intentés à la gauche alors même qu’elle porte en elle une vision sécuritaire, héritée de son histoire et nourrie de son expérience gouvernementale ?
La gauche porte une vision et elle a su la mettre en œuvre.
C’est elle qui a été la plus innovante en essayant, constamment, de maintenir, avec mesure, cet équilibre entre prévention et sanction, notamment grâce à des hommes tels que l’ancien maire d’Epinay-sur-Seine, Gilbert BONNEMAISON.
C’est elle, aussi, qui, grâce à l’action de Pierre JOXE, a mis en place la police de proximité ; une action prolongée par les ministres de l’Intérieur Jean-Pierre CHEVÈNEMENT et Daniel VAILLANT, à la fin des années 90.
C’est elle, encore, qui a instauré les contrats locaux de sécurité qui ont vocation à faire travailler ensemble tous les acteurs d’un même territoire.
C’est elle, enfin, qui, par l’action continue de ses élus locaux, par leurs décisions courageuses, a mis en place, sur le terrain, des politiques de sécurité efficaces qui sont venues, pour beaucoup, renouveler les pratiques, en s’inspirant notamment des expériences mises en place chez nos voisins.
Depuis quelques années maintenant, la gauche a radicalement évolué en matière de sécurité. Evoluer n’est cependant pas le verbe qui me semble approprié ; je dirais plutôt que la gauche a retrouvé son aspiration initiale, son souffle premier : la sécurité est, à nouveau, une priorité pour la gauche.
La gauche doit apporter une réponse à ceux qui, en premier lieu, subissent l’insécurité, la délinquance, la violence, c’est-à-dire les personnes les plus modestes, les plus fragiles de la société : les ouvriers, les immigrés, les femmes qui vivent seules dans les quartiers, les personnes âgées, les handicapés, les jeunes qui sont les premières victimes du racket.
Ceux qui sont directement touchés par les injustices, souvent économiques et sociales, ou encore l’échec scolaire, subissent une inégalité supplémentaire, celle de l’insécurité, celle de la délinquance, celle des trafics de drogues, celle de l’occupation des halls d’immeuble ... Et si la gauche veut représenter les personnes qui souffrent de ces inégalités supplémentaires, si elle veut être crédible, elle doit être très claire sur les questions de sécurité.
Ce sont ces réponses claires que je veux parcourir, dès lors, avec vous. Je veux les parcourir en apportant l’éclairage, non plus du théoricien, mais celui du praticien.
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2) Une politique de sécurité de gauche se met en place, grâce notamment aux réflexions théoriques que je viens de parcourir très rapidement avec vous.
Lors de sa campagne présidentielle, François HOLLANDE, candidat socialiste, a fait de la sécurité des Français une priorité, au même titre que la jeunesse, l’éducation et la Justice.
Faire de la sécurité une priorité, c’est entendre la demande sociale forte qui s’exprime dans ce domaine.
La France fait face à la persistance, et parfois l’aggravation, de certaines formes de violences qui alimentent un climat d’insécurité. Ce n’est pas nouveau : les violences ont augmenté de 27 % sur les dix dernières années.
La société française est violente, à l’instar de beaucoup de sociétés européennes. Cette réalité, il faut la regarder en face !
Cette violence qui s’exprime dans les villes, les quartiers, les zones péri-urbaines, les campagnes, gagnées par le phénomène des cambriolages, il convient de la révéler dans sa complexité, dans sa diversité, dans son ampleur, pour mieux la combattre.
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Dans la conception française, assurer la sécurité est, par essence, une mission régalienne, une mission pour laquelle l’Etat doit assumer ses responsabilités. Toutes ses responsabilités.
Combattre la délinquance c’est, en premier lieu, disposer, sur le terrain, des effectifs de policiers et de gendarmes suffisants.
Or, en France, entre 2008 et 2012, ce sont 10 700 postes qui ont été supprimés dans la police et la gendarmerie du fait de la politique voulue par le gouvernement précédent. Si rien n’avait été fait, ce sont 3 200 postes supplémentaires qui auraient dû être supprimés en 2013.
Il y a bientôt 60 ans, Pierre MENDÈS-FRANCE a eu une formule très juste lors de son discours d’investiture à l’Assemblée nationale, le 3 juin 1953 : « gouverner, c’est choisir ». La crise que nous traversons, et qui pèse lourdement sur nos finances publiques, nous impose de fixer des rangs de priorité. Non pas d’éliminer tel ou tel pan de l’action de l’Etat, mais de l’adapter et de la renforcer là où c’est nécessaire.
La sécurité des Français, de nos concitoyens, est une priorité ; les choix budgétaires arrêtés traduisent cette priorité. Le ministère de l’Intérieur qui, comme les autres ministères participe à l’effort de redressement des comptes publics, bénéficie donc des moyens nécessaires à son action.
La volonté du président de la République a notamment été de mettre un terme à cette véritable hémorragie dans les effectifs qui a rendu la tâche des policiers et des gendarmes plus complexe. Ainsi, tous les départs en retraite sont aujourd’hui remplacés poste par poste et 500 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés, en rythme annuel, d’ici à 2017.
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L’un des premiers chantiers que j’ai souhaité ouvrir en tant que ministre de l’Intérieur a été la refonte totale de l’outil statistique de suivi de la délinquance. La refonte mais également la garantie de l’indépendance de l’organisme public en charge de la production des statistiques.
Il s’agissait à la fois d’une exigence démocratique afin que les Français connaissent la réalité des chiffres, mais aussi d’une source d’efficacité opérationnelle pour les services de police et de gendarmerie.
Jusqu’à présent, la présentation des statistiques de la délinquance reposait sur des indicateurs trop globaux, trop imprécis et trop hétérogènes. Des indicateurs qui étaient trop facilement manipulables. Je pense notamment au taux d’élucidation que l’on pouvait faire aisément varier en portant les efforts sur les interpellations facilement constatées et donc facilement élucidées.
Ces indicateurs trop globaux, trop imprécis, trop hétérogènes ont été dévoyés. Ils ont été instrumentalisés au profit « d’une politique du chiffre », c’est-à-dire une politique qui ne cherchait que le chiffre «communicable», «valorisable» aux yeux de l’opinion. Une politique qui a donc fait, en partie, perdre de vue ce qu’est la réalité du métier de policier : combattre, sur le terrain, toutes les formes de délinquances.
Ces indicateurs servaient, et servent encore, trop souvent des polémiques inutiles. Or, la sécurité ne doit pas faire l’objet de polémiques ; elle doit générer un consensus entre tous les acteurs, un consensus national. La société doit, en effet, être unie contre ceux qui s’en prennent à l’ordre républicain.
La réforme de l’outil statistique s’est imposée, également, car il ne rendait pas compte de plusieurs phénomènes tels que les délits routiers, les violences intrafamiliales, ou encore ce phénomène croissant, et pour tout dire préoccupant, qu’est la cybercriminalité.
Il fallait, enfin, faire évoluer l’outil statistique car il ne prenait en compte que les faits poursuivis pénalement, c’est-à-dire une part seulement de l’activité des services de police et de gendarmerie. Or, il faut présenter leurs missions de présence et de régulation des différends sur le terrain. Ce sont des missions particulièrement attendues par les habitants ; il convient donc d’en rendre compte fidèlement. Ce qui ne peut, d’ailleurs, que contribuer à restaurer le lien entre les forces de l’ordre et la population.
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Lors des échanges que je peux avoir avec mes homologues étrangers – encore très récemment en Autriche, et je me rendrai bientôt en Suède pour en discuter – une question se pose régulièrement : celui du rapport entre la population et les forces de l’ordre.
Cette question n’est pas anodine ; le lien qui unit les citoyens et les dépositaires de l’autorité publique est consubstantiel à nos démocraties. Il doit donc faire l’objet de toutes les attentions.
En France – mais je sais que c’est le cas dans d’autres pays européens –, une certaine défiance s’est installée entre les forces de l’ordre et une partie de la population, et notamment les jeunes. Cette défiance se nourrit, notamment, d’incompréhensions nées lors de contrôles d’identité jugés répétitifs ou discriminatoires.
Ce qui est, j’y insiste, contreproductif pour les forces de l’ordre. Un contrôle non motivé ou non proportionné, ne peut, en effet, qu’alimenter un climat de suspicion, voire de ressentiment, c’est-à-dire, à terme, compliquer davantage les missions des forces de l’ordre.
Que l’on ne s’y trompe pas : les contrôles d’identité sont indispensables. Prévus et encadrés par la loi, ils permettent de maintenir l’ordre public et de lutter contre la délinquance. Il ne s’agit donc, en aucun cas, de les remettre en cause. Et encore moins dans une période marquée par la menace terroriste.
Toutefois, un débat a pu s’ouvrir concernant la mise en place d’un récépissé délivré à l’issue de chaque contrôle. Cette idée, défendue par un certain nombre d’associations particulièrement mobilisées – et dont je respecte les engagements –, j’ai souhaité l’étudier.
J’ai voulu que toutes les implications soient prises en compte, notamment la question – qui n’est pas sans implication – de la constitution de fichiers de personnes contrôlées. Après réflexion, consultation, concertation, notamment avec les policiers et les gendarmes, après examen des expériences menées à l’étranger, je suis arrivé à la conclusion que cette idée, qui a pu être mise en œuvre dans certaines villes, en Grande-Bretagne, en Espagne, ou au Canada, n’était pas la bonne solution.
Elle revenait, en effet, à créer une contrainte opérationnelle supplémentaire pour les policiers et les gendarmes qui sont déjà confrontés à une réalité difficile sur le terrain. Je ne voulais pas non plus que le récépissé soit un argument permettant à certains individus de contester l’autorité des forces de l’ordre en s’opposant au principe même du contrôle. Car je n’ignore rien de l’arrogance, des menaces, de l’hostilité que subissent, parfois, les gendarmes et les policiers. Et j’entends les protéger.
D’autre part, le récépissé se révèle un système lourd à gérer qui présente des obstacles juridiques en termes de traçabilité des déplacements et de constitution de nouveaux fichiers. Partout où il existe, il est associé à une classification de la population qui est incompatible avec la conception républicaine qui prévaut en France.
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Pour autant, le fait de ne pas retenir le récépissé n’éteint pas la question de la restauration des liens entre les forces de l’ordre et la population. C’est un impératif démocratique. Il faut donc trouver les moyens d’y arriver.
Au début de mon propos, j’ai insisté sur la nécessité pour la population de respecter les forces de l’ordre. L’équation est simple : pour être respectées, les forces de l’ordre doivent être respectueuses de la population.
Et des forces de l’ordre respectées, ce sont des forces de l’ordre dont l’autorité est renforcée. Ce sont donc des forces de l’ordre plus efficaces.
Il m’a donc semblé nécessaire que les policiers et les gendarmes s’engagent, à nouveau, ensemble, sur le cadre éthique, déontologique, de leur action. J’ai voulu qu’un signal fort de confiance soit envoyé à la population.
Un nouveau code de déontologie, commun aux policiers et aux gendarmes, est en cours de finalisation. Il constituera le socle des valeurs sur lesquelles les forces de l’ordre s’appuieront au quotidien. Des valeurs qui constituent autant d’obligations mais qui disent, aussi, le dévouement et l’engagement dont font preuve les policiers et les gendarmes. Un chapitre entier sera consacré aux rapports entre les forces de l’ordre et la population. Le recours au tutoiement y est notamment proscrit. Ce n’est pas nouveau, mais il faut que cela s’applique.
La mise en place de ce code doit s’accompagner d’une réforme majeure : le retour – comme c’était le cas dans le passé – du numéro de matricule sur l’uniforme des policiers et des gendarmes. En portant sur eux un signe d’identification, les policiers et les gendarmes aborderont leurs concitoyens dans le cadre d’une relation plus apaisée car personnalisée.
Enfin, la question des relations entre les forces de l’ordre et la population figure au cœur des nouveaux plans de formation de la police et de la gendarmerie.
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Je veux que les policiers soient respectés et respectueux. Je veux, également, rendre leur action, sur le terrain, plus efficace encore, afin de répondre au mieux aux attentes de la population.
C’est dans cette logique qu’ont été mises en place, sur l’ensemble du territoire, les 64 premières zones de sécurité prioritaires. Concrètement, elles consistent à faire travailler, de manière coordonnée, sur un territoire donné, l’ensemble des forces de sécurité, la Justice et les partenaires locaux, c’est-à-dire à la fois les élus, les associations, ceux qui organisent la vie d’un territoire.
Le but est d’agir dans des quartiers urbains et des territoires ruraux pour lutter contre des phénomènes de délinquance ou d’incivilité durablement enracinés, par exemple, l’économie souterraine, les trafics de stupéfiants, les violences urbaines, les cambriolages ou encore les nuisances sur la voie publique.
L’objectif est de faire que la vie des gens, que la vie des habitants des quartiers, souvent déjà fragilisés, change durablement.
La politique de sécurité que je mène, c’est, en premier lieu, une politique de reconquête des classes populaires. Car il faut entendre la souffrance des habitants de certains quartiers de nos villes qui font face à une délinquance quotidienne, à la volonté déterminée de certains d’imposer un autre ordre que celui de l’Etat : l’ordre des mafias, des caïds, l’ordre des trafics, de la violence. Un ordre qui s’appuie surtout sur l’argent de la drogue, véritable fléau qui brise une partie de notre jeunesse.
Il faut entendre, également, les souffrances des habitants des zones péri-urbaines, des campagnes, de ces lieux qui se sentent délaissés, abandonnés par les politiques. Ce qui explique le désarroi et la montée de l’abstentionnisme.
Si nous ne faisons pas cela, nous ne combattrons pas efficacement la tentation du vote extrémiste. Un vote qui se nourrit de désespoir, de désillusion et de lassitude auxquels il faut opposer, non pas seulement des mots, mais des solutions concrètes. Je crois que la politique se meurt, avant tout, de mots et de promesses sans lendemain qui font douter les citoyens. Douter de la capacité de leurs dirigeants à agir, à avoir une prise sur les réalités qu’ils vivent, ou subissent, quotidiennement.
Les zones de sécurité prioritaires permettent de renouveler les modes d’action. Elles sont des dispositifs souples et adaptables aux situations locales. Elles sont, avant tout, l’expression d’une méthode qui s’appuie sur la coordination de tous les métiers de la police (sécurité de proximité, intervention, anti-criminalité, sécurisation, police judiciaire, investigation, renseignement...), sur le pilotage et, enfin, sur l’évaluation des résultats, au plus près du terrain.
Les ZSP visent également au renforcement du lien entre la population et les forces de l’ordre qui sont invitées à mieux expliquer leur action, mais aussi les difficultés qu’elles rencontrent.
Les ZSP ce sont, enfin, des moyens. Les effectifs supplémentaires que j’évoquais précédemment y seront prioritairement affectés. Bien entendu, ce ne sont pas les jeunes recrues sorties d’école qui seront concernées mais des policiers et des gendarmes aguerris à la réalité de terrains d’intervention souvent exigeants.
Les 64 ZSP qui seront progressivement mises en œuvre d’ici à septembre 2013, concernent 1 600 000 habitants qui bénéficieront directement de cette politique de sécurité prioritaire.
Même s’il est trop tôt pour établir un bilan, les premiers retours terrain que j’ai pu constater, notamment à Marseille où deux zones de sécurité prioritaires ont été mises place – l’une dans les quartiers Nord, l’autre dans les quartiers Sud –, ou encore à Amiens, valident la méthode.
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En parcourant avec vous, avec le regard du praticien, ces trois questions (réalité des chiffres, renforcement du lien entre les forces de l’ordre et la population, mise en place des zones de sécurité prioritaires), j’ai voulu souligner quels pouvaient être les ressorts d’une politique de sécurité efficace, garante de résultats.
Bien sûr, j’en ai conscience – et il faut le dire aux citoyens – : réformer prend du temps. J’entends l’urgence qui s’exprime à travers les systèmes de communication et domine tout ; l’urgence qui s’exprime dans certains quartiers. Je connais les situations auxquelles les habitants doivent faire face mais revenir sur cette tendance lourde qu’est la montée de la délinquance, de la violence, nécessite d’agir dans la durée, pour faire évoluer profondément notre société.
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3) C’est ma conviction : pour rétablir la sécurité, il faut restaurer, ou plutôt réinventer, l’autorité.
Une chose est sûre : l’autorité se porte mal. Elle est attaquée, contestée de toutes parts.
Les exemples sont nombreux. Je veux en prendre quelques-uns : des policiers qui se font « caillasser », des gendarmes sur lesquels on n’hésite plus à tirer à balles réelles, des sapeurs-pompiers à qui l’on tend, comme à Mulhouse, lors de la nuit de la Saint-Sylvestre, de véritables embuscades. Il y a, aussi, les juges que l’on conteste, les proviseurs que l’on agresse, les professeurs que l’on poignarde.
Ce constat ne vaut pas que pour la France ; il vaut pour l’ensemble des pays occidentaux.
Ce phénomène est une tendance de fond de la modernité, ce qui a amené Hannah ARENDT à parler, dans La Crise de la culture, d’un « effondrement plus ou moins général, plus ou moins dramatique, de toutes les autorités traditionnelles.»
Cette crise de l’autorité s’explique.
Et Alexis de TOCQUEVILLE avait anticipé un aspect de notre modernité : la suppression des contraintes traditionnelles a conduit les hommes à être plus libres mais pas forcément plus heureux.
Dans nos sociétés démocratiques modernes, les individus consentent à se soumettre à l’autorité parce qu’ils croient en la capacité de l’autorité à leur assurer un avenir. C’est là la clef ! Or, cette capacité est, aujourd’hui, lourdement remise en question. Remise en question du fait de la crise, du chômage, de la précarité, du fait de la mondialisation qui est porteuse d’incertitudes, du fait de l’essoufflement du projet européen, du fait, enfin, de l’affaiblissement de l’Etat providence. Et cette crise de l’Etat a des conséquences lourdes en France, car la France s’est construite sur l’Etat.
En d’autres termes, on ne croit plus en la capacité de l’autorité à créer un avenir meilleur. On ne croit plus en la capacité de l’autorité à assurer la sécurité.
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J’ai abordé ce point dans la première partie, je souhaite y revenir et l’approfondir.
La modernité, en accouchant d’un individu libre et affranchi des contraintes héritées du passé, a décuplé ses libertés mais aussi son besoin de sécurité. Tout d’abord de cette sécurité physique que lui apportent les forces de l’ordre ou la Justice.
Mais cette demande de sécurité ne s’arrête pas là. Elle a tendance à se généraliser à tous les risques liés à la santé, à l’environnement, à l’alimentation, aux catastrophes naturelles ou encore au risque nucléaire. Tout ce qui relève de l’aléa, de l’imprévisible, représente, désormais, une idée insupportable pour les individus.
Notre époque est donc soumise à un gigantesque paradoxe : l’individu a, d’un côté, un besoin profond et grandissant de sécurité, mais, de l’autre, il doute profondément – et de plus en plus –, de la capacité de l’autorité à l’assumer.
Dès lors, la tentation est grande – nous le voyons partout en Europe –, de revenir à des réponses autoritaristes, à des penchants réactionnaires qui – vieux refrains de l’Histoire – cherchent, des boucs émissaires : les figures de l’immigré ou du musulman en sont.
Combien avons-nous entendu, ces dernières années, partout en Europe, de raccourcis insupportables associant immigration et insécurité ? Alors que ces deux sujets doivent être traités dans leur spécificité, sans nier les réalités, en refusant toutes les stigmatisations, tous les amalgames.
L’immigration est un sujet ; je n’entends pas l’éluder. Mais il ne doit pas être, pour notre continent, un sujet de peur ou de repli. Il convient de l’aborder dans un esprit d’apaisement en fixant des règles transparentes, compréhensibles par les citoyens et par ceux qui nourrissent le projet de s’installer dans nos pays.
En tant que ministre de l’Intérieur, j’ai établi des règles claires et justes en matière d’immigration ; j’entends les appliquer avec fermeté. Règles justes et fermeté dans leur application, voilà ce qui pourrait définir l’autorité de l’Etat.
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Crise de l’autorité, besoin de sécurité : il s’agit là d’un défi pour nos sociétés. Un défi que la gauche, en France et ailleurs, se doit de relever.
La gauche doit assumer pleinement cette nécessité d’autorité, car l’autorité n’est pas une dérive qui menacerait les libertés. Pour moi, il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais, de signe « égal » entre autorité et autoritarisme. Le second est la décrépitude, le pourrissement de la première. L’autorité grandit celui qui s’y soumet et celui qui l’exerce ; c’est tout l’inverse de l’autoritarisme.
L’autorité, c’est ce qui, au côté de l’usage du « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre les termes de Max WEBER, permet à l’Etat de garantir l’ordre. Et l’ordre est, par définition, émancipateur, libérateur de l’individu.
Ce sont toujours les plus faibles, les moins riches, les moins informés qui pâtissent du désordre. L’ordre, en revanche, est protecteur. L’ordre est de gauche !
L’autorité doit produire un cadre sécurisant mais pas paralysant. Elle doit être, aussi, une force qui crée de la confiance dans les institutions et qui étend les frontières du possible.
Il s’agit donc de réinstaller l’ordre et l’autorité dans leurs vertus premières : celles qui permettent de constituer les individualités, de les protéger et de leur assurer le plein exercice de la liberté.
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Dès lors, le défi qui attend nos pays est de restaurer l’autorité. Je ne vous cache pas que la tâche est de taille. Il s’agit, en effet, d’agir sur chaque maillon de la chaîne d’autorité : l’individu, la famille, l’école, les forces de l’ordre, la justice, l’État ou encore l’Europe.
Tout d’abord, l’individu qui doit être mis en capacité, notamment au travers des politiques publiques, d’exercer pleinement ses droits. Soumis à des devoirs qui sont ceux de la vie en société, l’individu doit, en retour – nous l’avons vu – avoir intérêt à se soumettre à une autorité.
La famille doit, aussi, être mise en capacité d’exercer ses responsabilités. Il s’agit pour cela notamment de mieux accompagner les parents qui sont parfois dépassés dans leurs tâches éducatives, dans une société qui, souvent, fait de l’enfant un « enfant roi ».
L’école doit également être renforcée dans sa mission de transmission de l’autorité. Le professeur n’est pas qu’un transmetteur de savoirs. Il a aussi un rôle d’éducation à la vie en société. Ce rôle de l’école comme lieu de formation du citoyen, nous le renforçons actuellement en France, avec la réintroduction, dans les enseignements, de ce que Vincent PEILLON, ministre de l’Education nationale, appelle la morale laïque.
Les forces de l’ordre doivent retrouver toute leur autorité grâce à une présence renforcée sur le terrain qui, comme nous l’avons vu, favorise les relations et le dialogue avec la population.
La Justice doit avoir les moyens d’exercer pleinement ses missions. Les forces de l’ordre et la Justice sont les deux faces d’une même pièce : l’autorité. Aussi, en tant que ministre de l’Intérieur, je me garde toujours de porter un jugement sur l’autorité de la chose jugée. Critiquer la Justice, ses décisions, comme cela pu être le cas par le passé, opposer les magistrats aux forces de l’ordre, c’est toujours, in fine, affaiblir l’autorité de l’Etat. C’est d’ailleurs pour cela que, ce matin, à la une du journal Libération, on parlait d’un nécessaire mariage entre Justice et police. C’est bien qu’il y a une conscience qu’elles doivent fonctionner ensemble.
L’Etat doit retrouver pleinement sa capacité d’influer sur le cours des destins. Sur le destin des personnes tout d’abord. Il doit, pour cela, se réformer et lutter contre son premier motif d’impuissance : la dette. Influer sur le destin du monde également. A ce titre, il faut voir dans l’intervention de l’armée française au Mali, aux côtés des armées maliennes et africaines, avec le soutien de la communauté internationale et de l’Union européenne, la manifestation d’une autorité au service de la sécurité de tous. Ce qui vaut pour les individus vaut pour les pays : l’autorité, c’est de pouvoir passer du discours à l’acte, de la menace, parfois, à l’action. Et c’est ce qu’a décidé le président de la République François HOLLANDE.
L’autorité, c’est celle qui impose l’ordre international et qui combat, avec détermination, les groupes terroristes qui veulent imposer un autre ordre, celui de la terreur, du chaos.
Nous sommes dans un monde ouvert, globalisé, celui de l’Internet, et le combat que nous menons au Mali est un combat contre un « ennemi extérieur » qui veut s’en prendre aux valeurs de l’Europe, de l’Occident. Mais c’est un ennemi qui s’en prend, d’abord, aux musulmans eux-mêmes, en détruisant des lieux de culte centenaires, en détruisant le patrimoine religieux de la ville de Tombouctou.
Il y a aussi des « ennemis intérieurs » qui sont le résultat de processus de radicalisation mêlant délinquance, trafics de drogue, périodes de détention, passage dans les terrains d’entrainement au djihad à l’étranger et dont le point commun est la haine de nos valeurs et un antisémitisme virulent.
Nous faisons face à une contestation profonde de ce que nous sommes. Il faut y répondre avec détermination.
Quand un jeune français, Mohamed MERAH, va s’entrainer à l’étranger pour, à son retour, s’en prendre à la France, pour tuer ; quand des individus se convertissent à l’Islam radical, c’est qu’il y a un échec. C’est que nous sommes face à une société qui doit se réinventer.
Quand l’espace public est accaparé par des salafistes, c’est bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Alors, il ne faut pas se taire, il faut le dire. On me reproche d’avoir soutenu qu’il y avait potentiellement des dizaines de MERAH. Mais, il y a bien une réalité. Il y a des sectes qui détournent, qui s’accaparent les consciences. Ces sectes, ces personnes, nous les connaissons. Elles ont frappé le 11 septembre 2001, puis à Madrid et à Londres.
J’ai apprécié que Joëlle MILQUET rappelle mes engagements d’étudiant contre l’ETA, ou encore ma mobilisation pour obtenir l’extradition de Cesare BATTISTI. Car il ne peut y avoir aucune complaisance envers le terrorisme, quel qu’il soit. Il ne peut y avoir de complaisance envers ceux qui ont tué, qui ont voulu déstabiliser les Etats, qui ont semé la terreur, qui s’en sont pris, par exemple, à des chefs d’entreprise.
Il faut combattre tous les terrorismes. Surtout quand ils se lient à la délinquance. Nous les combattons en Corse, au Pays basque. Nous luttons contre la violence politique que l’on trouve au cœur d’organisations comme le PKK. Nous combattons les groupes d’activistes qui viennent de l’extrême droite comme de l’extrême gauche.
Quand on gouverne, on fait face à cette réalité. Et l’on ne peut pas douter. Il faut être sûr de ses convictions, pour s’opposer à ces individus qui veulent s’en prendre à notre modèle. Car, derrière les agissements, il y a un projet ; il y a une volonté de chaos. Il faut y faire face. C’est notre responsabilité.
Je voudrais finir, non pas parce que nous sommes à Bruxelles, mais parce que le sujet est important, par la question de l’Europe. Redonner de l’autorité aux Etats, c’est redonner un sens, c’est-à-dire à la fois une direction et une signification, au projet européen.
Dans beaucoup de pays, j’ai pu le constater, l’Europe joue, certes, une fonction d’autorité, mais une autorité de recours. C’est souvent à elle qu’on en appelle quand l’Etat est déficient. C’est l’Europe qu’on appelle au secours, c’est sur elle que l’on compte. Mais elle est aussi, trop souvent, et la France n’est pas indemne de ce défaut, celle sur laquelle on se défausse. Je pense qu’il ne faut jamais céder à cette tentation terrible qu’est celle d’incriminer l’Europe pour nos échecs.
Cela étant, l’Union européenne a incontestablement un problème pour incarner une vraie autorité. La fameuse interrogation de KISSINGER est toujours d’actualité : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? »
Les raisons en sont multiples : son processus de décision est souvent trop long et donc ses décisions tardives, ses résultats souvent trop mous tant ils doivent accommoder des positions parfois très divergentes. L’indécision et la mollesse, ce ne sont pas vraiment des traits de l’autorité ...
Et face aux menaces, face aux désordres du monde que je viens d’évoquer, cette indécision, cette mollesse, ce sont des fautes. Car il nous faut agir toujours plus vite que la violence, toujours plus vite que la délinquance.
Bien entendu, depuis KISSINGER, les choses ont évolué : il y a maintenant deux numéros de téléphone ! Le premier, c’est celui du haut-représentant pour la politique étrangère. Pour ce qui est du second, on ne peut nier que la commissaire européenne, Madame Cécilia MALMSTRÖM, joue, d’une certaine façon, le rôle d’un ministre de l’Intérieur de l’Europe.
Je n’ignore pas que la complexité des processus de décision est largement liée au fait qu’il faut accommoder – et c’est particulièrement vrai dans le domaine régalien – 27 souverainetés, bientôt 28, dans le respect du droit. C’est d'ailleurs aussi le très beau côté de cette entreprise européenne, toujours émouvante, mais parfois impuissante. A ce titre, je ne résiste pas, puisque je suis à Bruxelles, à citer cette très belle phrase de ce grand homme d’Etat belge, Paul-Henri SPAAK : « Les hommes d'Occident, cette fois, n'ont pas manqué d'audace et n'ont pas agi trop tard. Ils ont fait une grande chose et ils l'ont faite, ce qui est remarquable et unique, en répugnant tout usage de la force, toute contrainte, toute menace.» Il faut s’inspirer de ceux qui ont pensé, qui ont construit l’Europe.
Quoi qu’il en soit, en Europe, l’autorité peine à s’incarner, à s’identifier. Or, c’est pourtant un des éléments fondamentaux de l’autorité. Je voudrais prendre un exemple, mais il y en aurait tant d’autres : la surveillance de nos frontières communes de l’espace Schengen.
Assurer que nos frontières sont protégées, assurer le contrôle de l’entrée dans notre espace commun, voilà une des manifestations de l’autorité ! C’est même la fonction d’autorité par excellence ! Or, que propose l’Europe ? Une agence, Frontex, qui n’a pratiquement aucun moyens propres pour agir, et donc pour véritablement incarner l’Europe. Je ne sais pas s’il sera un jour possible d’avoir un corps de garde-frontières européen. Mais si au moins la fonction pouvait être mieux incarnée, par exemple par des bateaux européens, ou un corps européen d’inspecteur des frontières, il me semble que l’on aurait déjà franchi un pas important.
Cette Europe, elle doit s’incarner.
Ne faisons pas comme s’il n’y avait pas une inquiétude face à ce qui se passe au Sahel, face à ce qui se passe dans les pays des printemps arabes qui, espérons-le, ne se transformeront pas en hiver.
L’Europe, aujourd’hui, hésite. C’est un projet magnifique, extraordinaire, qui est mis en cause. Nous avons le devoir de restaurer, de réanimer ce beau projet européen.
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J’ai voulu commencer mon propos par une contre-vérité. Celui d’une sécurité qui serait nécessairement de droite.
Je veux l’achever par une certitude. Je crois avoir fait la démonstration que les choses sont toujours, en réalité, bien plus complexes qu’elles ne semblent être au premier regard.
Seule une paresse intellectuelle – contraire à l’institution dans laquelle nous nous trouvons – a pu installer, dans les esprits, cette dichotomie artificielle entre une gauche qui serait laxiste et une droite seule capable d’assurer la sécurité.
La réalité des faits est toute autre. Et je veux m’en tenir à la réalité des faits, c’est-à-dire à l’échec de la droite française en matière de sécurité au cours des dix ans qui viennent de s’écouler.
Pour autant, j’ai conscience qu’il ne suffit pas de prendre acte d’un échec, pour proclamer une victoire.
En matière de conduite des politiques publiques, rien n’est facile. Et la première des conditions pour réussir est de regarder la réalité en face, sans rien occulter, et d’avancer avec conviction.
La gauche française a des convictions en matière de sécurité ; je les incarne. Elles viennent de son histoire ; elles se sont renforcées au contact du réel, au travers, notamment, des responsabilités exercées dans les exécutifs locaux.
Nous avons, dès lors, une responsabilité historique, pour la gauche française, mais au-delà pour la gauche européenne dans son ensemble : faire la démonstration, sur le long terme, de notre capacité à faire changer les choses, profondément, durablement.
La gauche française qui a connu ce « long remords du pouvoir », pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Alain BERGOUNIOUX et Gérard GRUNBERG, a l’ambition de gouverner dans la durée. Ce qui a été accompli en matière de sécurité, il faut l’accomplir dans d’autres domaines qui sont autant de défis à relever : l’intégration, la laïcité, le vivre ensemble.
La France doit être capable d’intégrer tout en restant ferme sur ses valeurs. J’ai été l’un des parlementaires, rejoint par des hommes courageux tels que Robert BADINTER, qui ont voté la loi contre le voile intégral. Car ce voile, ce n’est pas un signe religieux, c’est une négation de la présence de la femme dans l’espace public. C’est une négation de la femme. Ce sont là des constats importants sur lesquels, je le sais, la France et la Belgique se retrouvent.
Il existe d’autres règles qu’il nous faut porter. Nous sommes dans des sociétés libérales, au sens économique et politique du terme. Ces libertés politiques, fondamentales, nous devons les défendre. Mais nous devons aussi bien comprendre que nous sommes dans une économie de marché, et qu’il n’y a pas d’alternative à cela. C’est dans ce cadre qu’il nous faut agir, qu’il nous faut réinventer des politiques publiques pour redonner de l’espoir aux peuples. Mais j’atteins ici des thèmes qui vont au-delà du cadre de mon intervention et qui nécessiteraient, je n’en doute pas, un autre temps d’échange. Peut-être aurai-je l’occasion d’en reparler ici, devant vous. Peut-être dans dix ans !
Je vous remercie.
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