23.08.2012 - Cérémonie en l'honneur des policiers morts pour la Libération de Paris

23 août 2012

Allocution de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Préfet de police,
Monsieur le Maire de Paris,
Mesdames, Messieurs,
Un peuple en liesse célébrant ses libérateurs, dans les cris de victoire et les chants patriotiques ; des drapeaux tricolores, des plus modestes au plus officiels, à nouveau brandis avec la même force, ou flottant avec une fierté retrouvée : telles sont les images qui viennent à l’esprit à l’évocation de la Libération de Paris.
L’explosion de joie fut immense. Aussi immense qu’espérée. Au point même qu’il semble difficile, pour qui ne les a pas vécus, de saisir pleinement l’intensité de ces instants, annonciateurs du renouveau ; l’intensité de ce printemps de liberté, arraché dans la chaleur de l’été.

Pourtant, chaque année, à la fin août, alors que nous nous souvenons, une même émotion nous étreint, car nous savons, presque d’instinct, qu’il s’est joué, lors de la libération de Paris, un moment du destin de notre nation.

Gardons-nous bien, cependant, de ne retenir que les débordements de joie. Car cette joie se mêle au sacrifice.
Tous deux alimentent, dans une même proportion, l’intensité du moment. L’euphorie de la libération de Paris a été précédée par l’âpreté des combats et l’appréhension constante que réservent les luttes incertaines.

Si nous sommes réunis, aujourd’hui, dans cette cour marquée par l’histoire, c’est, d’abord, pour saluer la mémoire des 167 policiers qui, armes à la main, ont perdu la vie, entre le 19 et le 25 août 1944. Nous avons tous, collectivement, une dette imprescriptible envers ces combattants qui, au côté du peuple de Paris, des résistants et des soldats des armées alliées, ont accompli tant de gestes de bravoure. C’est à ces combattants d’hier que nous devons notre liberté d’aujourd’hui.

Pendant quatre longues années, précisément du 14 juin 1940 au 25 août 1944, Paris a été livré à l’occupant. Celui-ci s’est installé dans les bâtiments publics dont il a ôté les couleurs, au profit du plus funeste des drapeaux. Il a réquisitionné, il a spolié, il a entravé les coeurs et corrompu la raison. Puis, avec la complicité de certains, de beaucoup de Français, il a traqué, il a arrêté, il a torturé, il a déporté, et il a assassiné. Paris, ville qui, à travers les siècles, avait été le foyer des grands esprits, est devenue une ville abritant les pires desseins. Son peuple, pendant quatre ans, dans la peur et les privations du quotidien, s’est replié sur lui-même « en guettant le retour de la France » pour reprendre cette belle formule de Romain GARY.

Ce retour de la France s’esquisse progressivement et notamment à partir du 15 août 1944. Les troupes alliées viennent, en effet, de débarquer en Provence. Celles arrivées en Normandie, il y a deux mois, après avoir dépassé le piège du bocage normand, confirment leur progression. Ce même 15 août, répondant à l’appel des trois mouvements de résistance formant le Comité de libération de la police parisienne, des policiers se mettent en grève. Ce signal, qui vient à la suite de la grève des cheminots de la région parisienne, des conducteurs du métro et des postiers, allume définitivement les espoirs du peuple de Paris. La libération est possible ; il faut dès lors agir !
 
L’insurrection débute pleinement après l’appel lancé, le 18 août, par le Colonel Henri ROL-TANGUY, chef des Forces Françaises de l’Intérieur d’Ile-de-France. Toutes les résistances se rassemblent alors, afin de passer à l’offensive. Le 19 août, c’est la mobilisation générale. Au petit matin, 2 000 policiers grévistes, en civil, se rassemblent devant la Préfecture de police. Cette action, voulue conjointement par les trois mouvements de résistance de la police, prend rapidement une tournure plus offensive. Des policiers, avec leurs armes et leurs brassards FFI, investissent alors la préfecture. C’est donc ici, dans le lieu où nous nous trouvons que, le 19 août au matin, a débuté le rétablissement de nos institutions. Dès ce moment, dans cette enceinte, le renouveau à venir a commencé à s’organiser.

Ce renouveau fut porté par des gardiens de notre héritage tels Charles LUIZET, compagnon de la Libération, qui prit ses fonctions de Préfet de police, dès le 19 août au matin et, à ce titre, anima, pendant les jours qui suivirent, le combat et la résistance de la police parisienne. Foyer d’une renaissance, la Préfecture de police est donc marquée du sceau de l’exigence. Ici, se trouve une citadelle de la République !
Le 19 août au soir, la libération de la capitale n’est pour autant pas acquise. Pendant plusieurs jours encore, le peuple de Paris devra se battre pour sa liberté. Retrouvant le souffle des luttes et des conquêtes passées, derrière près de 600 barricades, réparties dans toute la ville, le peuple en arme, fier et solidaire, lutte avec les moyens dont il dispose, parfois les plus rudimentaires, contre un occupant bien décidé à ne rien céder. Ce peuple de Paris qui se bat nous envoie, à travers le temps, un précieux message, toujours d’actualité : il n’y a pas de défi qu’un peuple ne puisse relever quand il sait se retrouver dans une même volonté d’action au service de tous, au service de la Patrie. Ce peuple de Paris qui se bat a conscience d’engager, au-delà de son destin, celui du pays tout entier.

Car, avec Paris qui se soulève, c’est nécessairement aussi la France qui se relève. Pendant ces jours de combats, des policiers sont tombés. En faisant don de leur vie, ils ont contribué à ce que le peuple de Paris « tienne bon » ; à ce qu’il trouve en lui la force et l’abnégation pour attendre. Attendre l’arrivée des armées alliées, annoncée, chaque heure, comme imminente. Cette arrivée aux portes de Paris a lieu le 24 août au soir, avec la 2e DB du Général LECLERC dont les chars font leur entrée, dans la capitale, le 25 au matin.

Paris est donc libéré ! Libéré par son peuple avec le renfort des soldats américains et des soldats arrivés de l’Outre-Mer Français.
Les policiers tombés ont ainsi apporté leur contribution à la lutte contre les forces fascistes et nazies. A Paris, s’est jouée, en effet, une page importante d’une lutte, d’un combat, débutés, dès le milieu des années 30, quand il est apparu évident que nos démocraties étaient en danger.

Rappelons-nous, à ce titre, que les véhicules blindés qui composaient la compagnie du capitaine DRONNE, seule capable à se frayer, le 24 août au soir, un chemin jusqu’à l’Hôtel de Ville, portaient les noms de Guernica, de Guadalajara, d’Ebro, de Teruel ou encore de Madrid. Les noms de ces batailles de la guerre d’Espagne. Ce sont bien des Républicains espagnols - à qui vous avez bien voulu rendre hommage, Monsieur le Maire de Paris - engagés dans la Résistance, puis incorporés dans la 2e DB, qui sont entrés, les premiers, dans Paris. Des républicains pour le rétablissement de notre République ! Une république dont les fondements avaient été piétinés par l’occupant et le régime de Vichy et dont la privation nous a enseigné, plus encore, la valeur. Une république que nous avons tous en partage et dont il nous appartient de défendre les principes et les valeurs.

Ce combat que vos camarades policiers ont livré pour la République et la défense de la démocratie, il est de votre devoir, à vous toutes et vous tous, de le prolonger. Il y a quelques semaines de cela, à l’occasion de l’installation du Préfet Bernard BOUCAULT, j’ai pu faire part, dans ce même lieu, de l’entière confiance que j’ai dans la Préfecture de police et dans l’ensemble de ses personnels pour accomplir les missions essentielles au service de nos concitoyens. Si vos camarades sont tombés, ils l’ont fait en ayant foi dans l’institution dont vous êtes, aujourd’hui, les acteurs. Le courage et l’engagement de ces aînés constituent un exemple qui doit, sans cesse, vous guider, qui doit, sans cesse, nous guider.

Avec la libération de Paris, la France fit donc son retour et, avec elle, la République. Ce retour tant espéré fut préparé par celles et ceux qui ont résisté et ont voulu empêcher l’action de l’occupant. L’histoire n’est pas que la succession de grands moments ; elle est aussi la somme de parcours individuels. Et je veux insister sur le fait que, tout au long de l’occupation, dans les rangs de la police, il y eut des fonctionnaires qui résistèrent et qui, par leurs gestes quotidiens, faits d’une nécessaire discrétion, ont assumé la charge de l’honneur de l’institution que vous tous servez, dans vos différentes fonctions et différents métiers.

68 ans ont passé depuis cette fin août 1944. Ces mots « Paris, libéré ! », prononcés par le Général de Gaulle, ne doivent cependant pas cesser de raisonner dans nos esprits, avec une même force. Ils sont un refrain de notre histoire nationale qui nous rappelle à la fois la douleur d’un combat mais aussi la grandeur d’un idéal. Si Paris a été libéré, c’est pour que les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre nation trouvent, chaque jour, leur expression.C’est à cela que vous vous employez avec, je le sais, compétence et sens du devoir. En faisant vivre la République, vous rendez le plus bel hommage qui soit à ceux qui, pour elle, ont choisi de prendre tous les risques, jusqu’à en mourir. Leur sacrifice a, pour nous tous, la force de l’injonction.

Vive la République !
Vive la France !