Allocution de Manuel Valls, ministre de l'intérieur, le 14 novembre 2012 - Assemblée nationale.
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Président,
Madame le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,
Un constat s'impose : la France fait face à une menace terroriste élevée. Elle doit donc, logiquement, impérativement, se défendre. Il lui faut pour cela adapter ses moyens de détection, d'identification et aussi de répression. C'est tout l'enjeu de ce projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, adopté par le Sénat, à une très large majorité, et que votre assemblée s'apprête à examiner.
Notre pays a été, au cours de dernières décennies, meurtri par le terrorisme. Mais il n'a jamais cédé aux menaces, de toute nature. Il les a toujours combattues avec détermination. Et il les combattra, fort de sa cohésion. L'esprit de ce texte est donc celui du rassemblement, de l'unité nationale, car il s'agit de défendre les fondements mêmes de notre démocratie, de notre République.
Les tragédies de Montauban et de Toulouse ont été les révélateurs des menaces nouvelles qui pèsent sur notre pays. Il faut les affronter avec lucidité. Ces menaces sont liées au djihadisme, à l'embrigadement d'individus souvent jeunes. Des individus, généralement habitants de quartiers populaires qui passent à l'acte à l'issue de parcours, de processus de radicalisation, plus ou moins longs où peuvent se mêler délinquance, antisémitisme virulent, instrumentalisation des conflits du Proche et du Moyen-Orient, passage en prison et séjour à l'étranger dans des camps d'entraînement. Pour autant, je ne veux établir aucune hiérarchie entre les menaces. Le terrorisme doit être combattu dans sa globalité. Combattu pour ce qu'il est : une attaque délibérée contre nos institutions et les valeurs qu'elles défendent.
Je voudrais, en introduction à nos échanges, parcourir avec vous les éléments de contexte qui justifient ce projet de loi. J'en détaillerai, ensuite, le contenu, puis préciserai les enjeux sur lesquels votre assemblée va être amenée à réfléchir et se prononcer.
Ce projet de loi entend prendre la pleine mesure d'un contexte de montée des menaces. Ces menaces sont liées avant tout au djihadisme global. Elles viennent simultanément de l'extérieur de notre pays mais aussi de l'intérieur. C'est pourquoi je parle d'un "ennemi intérieur". Les liens qui existent entre menaces extérieures et intérieures constituent une caractéristique nouvelle, aggravante, dont il faut prendre toute la dimension.
Il faut ajouter, également, la menace venant du cyberespace. Internet est devenu un outil d'embrigadement, de propagation de la haine. Un outil aussi de formation pour des apprentis terroristes. Un outil, enfin, de mises en relation à des fins logistiques entre individus et groupes agissants. Ce phénomène nécessite de prendre les mesures adaptées.
La zone afghano-pakistanaise demeure un territoire où des candidats au djihad viennent se former et basculent alors dans le terrorisme. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d'Europe, reçoivent une formation paramilitaire qui leur permet d'agir à leur retour dans leur pays. C'est précisément ce que fit Mohammed MERAH. Ce qu'il fit avec un passeport français.
L'affaire MERAH a révélé des failles incontestables dans notre système de renseignement. J'ai donc souhaité que tous les enseignements soient tirés. Le 19 octobre, un rapport réalisé par Messieurs LEONNET et DESPRATS, respectivement inspecteur général et contrôleur général de la police nationale, m'a été remis. Je l'ai alors adressé à votre Président de commission ainsi qu'au Président de la commission des lois du Sénat.
Ce rapport, basé sur un retour d'expérience approfondi, établit un diagnostic et émet des propositions concrètes afin de renforcer l'efficacité des services de renseignement. J'entends mettre en oeuvre rapidement, dans les prochains jours, car on ne peut pas perdre de temps, les adaptations nécessaires au sein de la DCRI.
L'échange d'information entre les services est essentiel. Nous en avons eu une parfaite illustration avec le démantèlement, début octobre, de la cellule terroriste qui venait d'agir contre une épicerie casher à Sarcelles et qui, semble-t-il, s'apprêtait à passer à l'action sur notre territoire. Les services de police et de renseignement ont mené, dans cette affaire, une action remarquable qui démontre toute leur efficacité et leur savoir-faire.
Votre commission a souhaité, dans une optique plus large, la création d'une mission d'information visant à réfléchir sur le cadre juridique des services de renseignement. Je vous renouvelle, ici, mon entière disponibilité dans le cadre des travaux que cette mission conduit. Ma disponibilité est totale également vis-à-vis de la Justice.
Mohamed MERAH a donc été le révélateur tragique d'une menace intérieure nouvelle qui demande un travail de surveillance lourd et méticuleux. D'autant plus méticuleux que le processus de radicalisation des individus peut être très rapide, parfois quelques mois à peine. Et je ne cache pas mon inquiétude face à l'activisme sectaire des groupes salafistes. Je n'hésiterai pas – je l'ai déjà fait – à procéder à des expulsions de "prédicateurs" qui tiennent des discours contraires à nos valeurs.
Au-delà, l'affaire MERAH est aussi une mise en garde pour notre société qui doit se mobiliser dans son ensemble afin de combattre les idéologies de haine qui veulent s'y propager. A ce titre, je veux renouveler devant vous ma condamnation la plus ferme des propos tenus par la soeur de Mohamed MERAH et diffusés, dimanche soir, par la chaîne de télévision M6. Ces propos constituent une apologie du terrorisme et de l'antisémitisme et une provocation à la haine religieuse et raciale. Et tous ceux qui tiennent des propos de cette nature doivent être combattus avec détermination par tous les moyens légaux, administratifs ou judiciaires. Comme vous le savez, le Parquet de Paris a ouvert une information judiciaire.
La menace extérieure vient, vous le savez, d'autres zones géographiques que la zone afghano-pakistanaise. Elle vient de la péninsule arabique où Al-Qaïda a désigné la France comme une cible prioritaire après les Etats-Unis. La Syrie, en guerre, est aussi un terrain de motivation et de préparation au djihad. En Egypte, en Lybie, en Tunisie, les printemps arabes ont été – et il faut s'en réjouir – porteurs d'espoirs démocratiques. Ils ont également introduit des facteurs d'instabilité. Dans ces pays, des groupes ultra radicaux – certains se revendiquant ouvertement du djihad – agissent. Leurs actions peuvent alors viser directement ou indirectement notre pays.
Dans la zone sahélienne, et particulièrement au Mali, se trouvent des groupes terroristes qui soumettent les populations, commettent des actes barbares et font peser une menace sur nos ressortissants – je pense ici à nos otages – et sur notre pays. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) ont désigné la France comme un ennemi. Il faut agir avec détermination, comme le fait le président de la République, pour que le Sahel ne devienne pas l'Afghanistan de l'Afrique, pour que le Mali retrouve son intégrité territoriale. C'est la responsabilité de la communauté internationale et plus particulièrement des Africains.
Le terrorisme qui menace sur notre sol est lié au djihad mais pas seulement. Il existe d'autres manifestations violentes, plus anciennes. L'organisation terroriste basque ETA doit faire l'objet d'une action déterminée – en parfaite coopération avec les autorités espagnoles – jusqu'à obtenir sa dissolution. La situation en Corse, où le recours à la violence terroriste, mêlée au crime organisé, reste une tentation prégnante, appelle une même fermeté. Et je n'oublie pas les risques liés à l'ultra droite ou à l'ultra gauche.
Face aux évolutions de la menace terroriste, il nous faut adapter notre réponse législative. Ce projet de loi est le fruit d'un travail commun entre les ministères de la Justice et de l'Intérieur. Il vise à garantir l'efficacité de notre lutte antiterroriste en prenant en compte les attentes identifiées par les services de sécurité et les magistrats.
Ce projet de loi s'appuie sur deux volets. Un volet, qui proroge les dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006, doit permettre à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier, appréhender la menace. Un second volet, répressif, a pour but de sanctionner plus efficacement les activités terroristes.
Concernant la détection et l'identification, ce projet de loi porte sur trois dispositions.
Ces dispositions prennent fin le 31 décembre 2012. Ayant fait la preuve de leur efficacité, de leur utilité, il convient de les proroger. C'est ce que propose ce projet de loi, jusqu'à fin 2015. Le volet préventif vise donc, dans la continuité, à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste. Il est complété d'un volet répressif.
Le texte issu des débats au Sénat nous satisfait globalement.
Ainsi, la prorogation des dispositions composant le volet préventif de ce projet de loi jusqu'au 31 décembre 2015 répond à notre souci d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme en étendant les compétences des services enquêteurs. Concernant l'article 6 de la loi de 2006, je me suis engagé, vous le savez, à repenser l'articulation des dispositions de l'article 6 de la loi de 2006 avec celles des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, dans un horizon de réunification des dispositifs. Le Parlement sera étroitement associé.
L'ensemble des dispositions a été adopté avec les modifications suivantes :
nouvel article 2 bis : un délit d'instigation a été créé en application de la décision-cadre du 28 novembre 2008
nouvel article 2 ter : la loi du 29 juillet 1881 a été modifiée en matière de provocation ou d'apologie d'actes de terrorisme de la façon suivante :
- la prescription, initialement de trois mois, a été portée à 1 an,
- la détention provisoire est désormais prévue pour le délit de l'article 24 alinéa 6.
Madame le Rapporteur, vous proposez d'ajouter un certain nombre de points pour lesquels le Gouvernement est d'accord. Nous en discuterons de manière plus approfondie lors de l'examen du texte tout à l'heure. D'ores et déjà, je vous remercie pour la qualité de votre travail.
Le Gouvernement a souhaité déposer trois amendements sur le gel des avoirs criminels. J'aurai l'occasion de détailler ces amendements lors de l'examen du texte.
Enfin, l'opposition a souhaité proposer un certain nombre des modifications de texte. Nous prendrons le temps, j'en suis sûr, d'en débattre.
Je vous remercie.