Mercredi 25 juillet 2012 - Sénat - Allocution de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je tiens à vous remercier de m'avoir convié, cet après-midi, à m'exprimer devant vous. A l'invitation du Président SUEUR, j'exposerai plus avant les axes de la politique que le gouvernement entend mener en matière d'immigration, mais aussi d'asile, d'intégration et d'accès à la nationalité.
C'est la première fois que je m'adresse à vous, dans mes fonctions de ministre de l'Intérieur. Aussi voudrais-je, en ouverture de mon propos, vous faire part de l'état d'esprit qui m'anime.
J'ai été parlementaire pendant dix ans. Je connais, à ce titre, l'importance du travail en commission qui permet d'affiner les perceptions et d'apporter les éclairages essentiels sur les problèmes. Soyez assurés que je prendrai toute ma part aux travaux pour lesquels vous souhaiterez m'associer. J'étais, il y a deux semaines, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale et j'ai fait part, à vos collègues députés, de cette même volonté.
Et je veux me rendre disponible aussi vis-à-vis du Parlement européen. Au début du mois, je me suis d'ailleurs rendu à Strasbourg.
Je suis très attaché au principe de libre circulation et je serai très scrupuleux quant à la préservation de l'acquis Schengen. Je refuse la fermeture unilatérale des frontières (tout doit être décidé par le Conseil, sur proposition de la Commission) comme la politique de la chaise vide si je n'obtiens pas satisfaction. Contrairement à ce qui a pu être dit, je n'ai absolument pas accepté un compromis correspondant à ce que souhaitait le précédent gouvernement. Mais, dans le même temps, je sais que l'Europe doit se doter de mécanismes efficaces de surveillance de nos frontières. C'est le but du règlement "évaluation" qui a donné lieu à un débat de principe avec le Parlement européen. J'ai discuté de la question avec le président Martin SCHULZ et de nombreux parlementaires européens, mais aussi avec la commissaire MALMSTRÖM et je peux vous dire que les solutions que j'ai proposées - qui aboutissent à renforcer le rôle de la commission dans le processus d'évaluation, et la bonne prise en compte des demandes du Parlement européen dans le règlement évaluation - semblent satisfaire aussi bien la Commissaire que le Parlement européen.
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Je sais être ici dans un lieu où les questions se posent avec mesure et nuance. C'est ce que réclament les Français.
Je connais la préoccupation permanente des sénateurs pour le respect des principes humanistes et des libertés publiques. L'exigence qui a animé les bancs du Sénat sur des sujets sensibles comme la loi pénitentiaire ou, récemment, le fichier accompagnant la carte d'identité en est un exemple parfait. Je connais, aussi, la liberté des sénateurs qui peut les amener, en conscience, à penser différemment de leur propre camp.
Votre esprit de tempérance sera utile pour aborder les sujets qui, en dehors de ces murs, sont toujours soumis aux polémiques stériles, aux instrumentalisations et aux fracas.
Les questions d'immigration, d'intégration, d'asile et de nationalité ont, depuis de nombreuses années, alimenté les tensions. Par un drôle de renversement, dans notre pays, terre dont l'histoire a affirmé sa tradition d'accueil, l'arrivant a été perçu comme une menace, et non plus comme une chance. Jamais peut-être auparavant les mots de Jacques PRÉVERT, parlant de ces "étranges étrangers", n'avaient aussi bien décrit la dureté d'un débat public.
La volonté du Président de la République est d'aller vers l'apaisement. Il m'appartient, dans mes fonctions, de mettre en œuvre cette volonté à laquelle les Français ont très largement souscrit.
Ministre de l'Intérieur, j'ai la charge de la sécurité de nos concitoyens. J'assume pleinement la fermeté nécessaire à l'accomplissement d'une telle mission. Je suis également le ministre de l'Etat dont il m'appartient de garantir la plénitude et la continuité de l'action - je sais d'ailleurs toute l'importance que vous, sénateurs, accordez à cette question. Je suis le ministre d'un Etat qui doit accueillir à l'intérieur de son espace, en fixant pour cela des règles, et en les faisant appliquer.
Le Ministère de l'Intérieur est aussi celui des grandes libertés publiques. C'est cet ensemble cohérent, formé d'un Etat à la fois régulateur des flux migratoires et garant des libertés publiques et fondamentales, qui doit permettre au ministre que je suis de mettre en œuvre, en lien étroit avec les autres ministères compétents, une politique visant la justice et l'équilibre en matière d'immigration et d'intégration.
Cette politique s'appuiera sur deux principes fondamentaux : l'objectivité et la transparence. Plus largement, il s'agit de mettre en place des procédures justes, de faire la promotion d'un dialogue renouvelé avec les associations et les organisations syndicales et de mener une réflexion plus étroitement coordonnée avec les collectivités territoriales, confrontées, comme l'Etat, aux situations de grande précarité que peuvent connaître les migrants.
Pour tendre vers davantage de justice, des premières avancées ont été réalisées. Elles doivent se prolonger, notamment par le bais d'un travail législatif qui se traduira par deux projets de lois, l'un présenté à l'automne, l'autre au premier semestre 2013.
Au cours des deux derniers mois, j'ai pris trois mesures à caractère d'urgence.
Première mesure (prise avec mes collègues Michel SAPIN et Geneviève FIORASO) : l'abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 sur les étudiants étrangers. Il s'agissait là d'une mesure de bon sens car cette circulaire conduisait à refuser le droit au séjour à des personnes hautement qualifiées et souhaitant exercer leurs talents dans notre pays.
Deuxième mesure qui répond à l'engagement du Président de la République : la circulaire du 6 juillet 2012, qui place l'assignation à résidence comme alternative à la rétention administrative des familles qui doivent être éloignées, est désormais la règle.
Enfin, troisième mesure : à la suite de la décision de la Cour de cassation du 5 juillet dernier, il n'est plus procédé à des mises en garde à vue de ressortissants étrangers, au seul motif du séjour irrégulier sur le territoire. Ceci demande, d'ailleurs, une évolution de notre droit qui garantisse l'efficacité de l'action en matière d'éloignement ; j'y reviendrai.
Parallèlement à ces premières réalisations, des travaux ont débuté visant à doter l'administration d'un cadre d'action clarifié et, également, assoupli concernant certains points essentiels.
Admettre au séjour quelqu'un qui n'en avait pas acquis le droit, en d'autres termes " le régulariser ", est un acte important qui doit s'appuyer sur des critères précis et objectifs. Il s'agit là de donner une expression concrète à notre devise républicaine et à mettre un terme à toute idée de partialité et d'arbitraire. La République c'est l'inverse du privilège, de l'avantage et du traitement différencié. La République c'est, partout, et pour chacun, les mêmes principes de droit qui s'appliquent.
Une circulaire est ainsi en cours de préparation qui doit préciser les critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Des critères qui vont être discutés, cet été, avec l'ensemble des parties prenantes (associations, syndicats,...) et qui se veulent compréhensibles, à la fois par les personnes en situation irrégulière, par celles qui nourrissent le projet de venir sur notre territoire et également - cela me paraît essentiel - par nos compatriotes.
Ces critères portent sur les années de présence sur le territoire, les attaches familiales, la scolarisation des enfants, la situation par rapport au travail, donc sur ce qui fait la réalité d'une vie construite sur notre territoire. Interprétés de manière trop restrictive, ces dernières années, sans prendre pleinement en compte la nature des liens tissés par les demandeurs de titre avec notre pays, ces critères demandent un plus grand réalisme dans leur application.
Il y avait 30 000 régularisations par an sous le précédent gouvernement, dont 15 000 purement discrétionnaires. La clarification des critères que j'appelle de mes vœux permettra de réduire la part d'incertitude qui pèse sur un processus très discrétionnaire. Elle donnera de la lisibilité aux gens et permettra de résoudre les situations individuelles les plus difficiles. Mais elle n'a pas pour objet d'augmenter le nombre de régularisations. Les critères sont justes, ils viseront à sortir de toute logique d'arbitraire mais ils resteront précis et rigoureux.
Je vous le disais à l'instant, vous serez prochainement amenés à étudier deux projets de loi visant à tendre vers davantage de justice. Dans le projet de loi présenté à l'automne, il sera proposé de mettre fin au " délit de solidarité " qui permet de poursuivre l'aide désintéressée, apportée à des étrangers en situation irrégulière, sur la même base juridique utilisée pour les filières criminelles d'immigration. Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable. La France ce n'est pas cela !
Le second projet de loi, présenté au premier semestre 2013, dans ses dispositions relatives à l'immigration, proposera la création d'un titre de séjour pluriannuel pour les étrangers en situation régulière sur notre territoire. Ceux-ci doivent, en effet, bénéficier d'un cadre administratif moins contraignant. Les difficultés à obtenir le renouvellement d'un titre de séjour sont des facteurs de fragilisation économique, d'instabilité et in fine des obstacles à l'intégration. Il s'agit, par conséquent, de sortir d'une logique qui, tout à la fois, est dure humainement, complexifie les missions de l'administration et se révèle contreproductive pour notre pays. Entre 50 à 60 000 personnes en situation régulière pourront ainsi bénéficier de ce titre pluriannuel.
Dans ce même projet de loi, figurera la question de l'asile, avec la transposition des directives européennes qui vont être adoptées, prochainement, dans ce domaine.
La France est une terre d'accueil, mais aussi de refuge. En voulant parler, un jour, au nom de l'humanité toute entière, notre patrie a acquis un statut singulier et universel qui nous oblige. Un statut de référence en matière de liberté pour tous ceux qui, à travers le monde, subissent, au quotidien, l'oppression et la violence.
L'asile réclame, cependant, un cadre précis d'application. A ce titre, une réflexion est en cours avec nos partenaires européens. Des partenaires auprès de qui j'ai pu insister, notamment dans le cadre du Conseil Justice et Affaires intérieures de l'Union européenne, sur la volonté de la France de s'inscrire pleinement dans une tradition. Ce " paquet asile " va nous amener à remettre à plat les procédures applicables : je m'appuierai sur le Parlement pour garantir efficacement les nouveaux droits accordés aux demandeurs en préservant l'objectif de réduction des délais fixé par le Président de la République.
J'évoquais le sens de la mesure qui caractérise votre assemblée. En matière d'immigration faire preuve de mesure, c'est faire preuve de réalisme. Un réalisme qui est la condition nécessaire pour qu'un principe de justice soit pérenne.
Le réalisme en matière d'immigration c'est, avant tout, la prise en compte de la situation économique et sociale de notre pays. Dans cette logique, et conformément aux engagements du Président de la République, un débat sera organisé, chaque année, au Parlement, sur la régulation des migrations économiques en fonction des besoins de notre pays. Ce débat se fera dans le cadre d'une concertation large avec les partenaires sociaux, les collectivités locales et les associations.
Le réalisme c'est, également, avoir parfaitement conscience des filières d'immigration clandestine et les combattre alors avec la plus grande fermeté. Je veux le dire avec force : ceux qui exploitent la misère humaine seront combattus avec détermination, ce qui implique un redéploiement des forces de sécurité vers un travail de fond, nécessaire au démantèlement des filières, en lien étroit avec les ministères du travail et du budget.
Le réalisme c'est aussi agir de manière efficace en matière d'éloignement. Il faut dire les choses simplement : les personnes, en situation irrégulière sur notre territoire, et qui n'ont pas vocation à y rester, doivent regagner leur pays d'origine.
La décision de la Cour de cassation du 5 juillet qui ne donne plus légalement le temps matériel nécessaire pour examiner la situation d'un étranger au regard de son droit au séjour et d'en tirer les conséquences administratives ouvre un vide juridique qu'il s'agit de combler. Il y va de l'efficacité de la politique d'éloignement qui, je le redis, est une nécessité. Dans le cadre du projet de loi présenté à l'automne, un dispositif sera proposé qui respectera les impératifs constitutionnels et européens, et garantira un équilibre indispensable entre le respect des libertés individuelles et les exigences de maîtrise des flux migratoires.
Le réalisme c'est, enfin, comprendre la question de l'immigration et de l'intégration dans la diversité de leurs implications, ce qui signifie faire la promotion d'un travail interministériel, trop oublié sous le gouvernement précédent.
Certains sujets demandent d'avancer en parfaite coordination et intelligence. Ce fut le cas, récemment, avec l'envoi conjoint - ce qui représente une première ! - d'une circulaire du Ministère de l'Intérieur aux préfets et d'une circulaire de la Chancellerie aux procureurs, à la suite de la décision de la Cour de cassation mettant fin aux gardes à vue au seul motif du séjour irrégulier.
De même, les critères d'admission exceptionnelle au séjour sont l'objet d'une réflexion commune avec le Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. La consultation des acteurs sociaux, qui commence cette semaine, est ainsi menée conjointement par mes équipes et celles de Michel SAPIN. Autre exemple : le sujet, particulièrement délicat, des étrangers malades qui réclame une action commune avec le Ministère des Affaires sociales et de la Santé afin d'améliorer, notamment dans les cadre des procédures d'éloignement, l'articulation entre les agences régionales de santé et les préfectures. Nous allons lancer avec Marisol TOURAINE une mission commune sur ce sujet. Par ailleurs, inutile de rappeler devant vous la suppression du droit de timbre de 30 euros pour accéder à l'aide médicale d'Etat, votée en LFR.
Vous le voyez, c'est une exigence d'équilibre qui anime mon action. Je veux regarder l'immigration comme un défi positif pour la France, celui de l'intégration et celui, également, qui conduit à devenir Français.
Si je suis le ministre de l'intégration de par mon décret d'attribution, je reconnais bien volontiers que l'intégration est un sujet qui traverse l'ensemble des politiques publiques. Il est interministériel par essence et c'est en ce sens que j'ai commencé à travailler avec mes collègues.
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Faire le choix de venir en France c'est, pour beaucoup d'arrivants, le début d'une adhésion pleine et entière à notre nation. C'est le message que la France a fait vivre, tout au long des époques, depuis que la question de la nation s'est posée. On ne naît pas forcement Français, on peut, si on le souhaite, le devenir. Notre nation n'a pas une identité figée dans le marbre, elle est la somme d'identités multiples qui se retrouvent dans un idéal commun et dans des lois communes qui forment ce qu'est notre République.
Le défi de l'immigration sera relevé si la naturalisation n'est plus vécue, ou perçue, comme la fin d'un parcours du combattant, mais comme l'issue d'un processus d'intégration qui a sa part d'exigence.
Le nombre de naturalisations est en chute libre : si rien n'est fait, ce nombre va chuter de 40% entre 2011 et 2012, après une chute de 30% entre 2010 et 2011. Cette chute résulte d'une politique délibérée d'exclure de la nationalité des gens méritants et ne posant aucune difficulté. Je m'apprête à revenir sur les critères introduits subrepticement par mon prédécesseur. Je veux faire de la nationalité un moteur de l'intégration et non le résultat d'une course d'obstacles aléatoire et discriminante.
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En appliquant la ligne politique que je viens de vous exposer, j'ai conscience de ne pas plaire à tout le monde. Mais de ce fait, j'ai la conviction d'atteindre un point d'équilibre. En effet, j'entends les critiques - je les reçois - monter au sein de certaines associations. J'entends les critiques qui me reprochent, dans des termes très peu nuancés - je les reçois beaucoup moins - d'être trop dur vis-à-vis des étrangers. Des critiques qui se mêlent à d'autres, venues, cette fois, du camp totalement opposé, par la voix même de mon prédécesseur, qui me reproche, je cite, " d'être laxiste ".
Comment peut-on être à la fois trop dur et laxiste ? J'ai la faiblesse de croire que ces émanations contradictoires sont les conséquences du point d'équilibre que je recherche sur les sujets dont nous allons parler aujourd'hui. Je ne prétends pas détenir la vérité. Il n'y a rien de parfait, rien de figé. La seule question qui doit nous animer est la suivante : est-ce que le choix qui est fait est juste ou non ? S'il est juste, il sera appliqué. S'il est injuste, il sera rejeté.
Voilà, en résumé, l'idée que je voulais vous livrer, en m'exprimant devant vous aujourd'hui, et je suis, dès à présent, disposé à répondre à toutes vos questions.
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